Chapitre Treize.

Lorsque je m'autorisai à rouvrir les yeux, mes mains tremblaient toujours. Le sol paraissait étrangement vide sans les insectes volants autour de moi. Les souliers noirs de Callum brillaient à la lumière de la future aube. Nos regards se rencontrèrent et il épousseta un papillon jaune qui était resté sur son épaule droite.

J'étais terrifiée, qu'est-ce que tout cela voulait dire ?

Son regard posé sur moi était différent, hagard. Il tendit lentement la main en ma direction pour m'aider à me relever, j'eu un vif mouvement de recul, encore apeurée de tout ce qu'il s'était passé cette dernière heure.

Ses lèvres étaient entrouvertes et je remarquai que sa main tendue près de moi, tremblait également.

- C'était vous ? C'était vous tous ces papillons qui m'attaquaient ? dis-je, dans un souffle.

- Ils ne vous attaquaient pas, ils m'emmenaient vers vous. Que s'est-il passé ? demanda-t-il, en observant les traces bleutées laissées par le monstre autour de mes poignets.

Ils l'emmenaient vers moi ?

Fatiguée par les derniers évènements et le manque évident de sommeil, j'étais perdue.

Ces papillons étaient des traceurs pouvant le mener vers n'importe quelle personne ? Or je ne l'avais pas entendu passer une porte avant de se retrouver devant moi !

J'attrapais sa main qui était restée bien trop longtemps en l'air, il m'aida à me remettre sur mes jambes tremblantes.

Je soupirai et pinçai l'arrête de mon nez pour réussir à retracer les évènements des trente dernières minutes.

- Je.. J'étais en train d'essayer d'étudier les documents, évidemment hors de ma portée, étant donné qu'ils sont tous rédigés en Thersaceae.. appuyai-je lourdement mes mots.

Son visage s'adoucit l'espace d'une seconde, comme pour y laisser naître, un sourire moqueur. Mais lorsque je continuai mon récit maudit, ses mâchoires redevenaient étaux pour ne laisser passer aucune autre émotion que de la colère naissante.

- Et j'ai entendu du bruit... Je me suis cachée pour ne pas qu'on me surprenne ; je sanglotais à présent ; Et il m'a retrouvé... Il... Il a voulu quelque chose que je ne voulais pas... dis-je, en secouant la tête, écœurée. 

Son regard transpirait la rage, il bouillonnait intérieurement. Je cherchai ses iris émeraude mais elles avaient disparues sous un liquide aussi noir que ses cheveux corbeaux. L'ange magnifique était devenu un prédateur redoutable.

Cela me désarçonnait et je ne trouvais plus mes mots :

- Vos yeux... soufflai-je, si doucement que je ne pensai pas qu'il m'entendrait.

- Continuez. m'ordonna-t-il ,ses larges sourcils froncés.

Je me perdais dans ses yeux Onyx et j'obéis :

- Il m'a coincé contre une étagère... Je... Je devais trouver une solution... J'ai perdu le contrôle et je l'ai assassiné en le frappant avec l'un de vos ouvrages ! avouai-je, dans un chuchotement imperceptible.

- J'ai tué un homme ! continuai-je en sanglotant, dégoutée par mon acte.

Il battît plusieurs fois des cils, comme s'il ne me croyait pas, il se tourna en direction du corps du garde et se dirigea vers lui :

- Restez ici.

Je le suivais du regard tant bien que mal, analysant furtivement la pièce, afin de m'assurer qu'une seconde menace ne se cachait pas près de moi.

Il s'arrêta près du corps, s'agenouilla près de celui-ci et posa son index ainsi que son majeur au creux du cou visqueux de la créature.

Il posa un regard vague et perdu sur mes doigts entrelacés par le stress, tandis qu'il tentait de découvrir un pouls chez l'homme que j'avais brutalement assassiné.

- Vous l'avez bien amoché mais il n'est pas mort !  Il se réveillera d'ici quelques heures avec une forte douleur au crâne mais vous n'êtes pas devenue une assassin ! affirma-t-il bruyamment, afin que je puisse l'entendre du fond de la pièce.

Il enjambait le corps du garde mais faisait attention à toujours me garder dans sa ligne de vision.

Mon estomac se détendit quelque peu, n'ayant donc pas à supporter la culpabilité d'avoir pris la vie de quelqu'un. Bien qu'il l'aurait sûrement mérité, je me rassurai en me disant que la blessure que je lui avais infligée l'inciterait à respecter les femmes de ce royaume. Ou alors, cela le mettra dans une rage encore plus folle et il souhaitera recommencer pour se venger. 

Des frissons d'effroi parcoururent mon dos suite à cette pensée, mais Callum me sortit de ma rêverie cauchemardesque :

- Vous l'avez donc frappé avec cette encyclopédie sur l'anatomie sexuelle démoniaque ? remarqua-t-il,  prenant l'arme de ma défense tombée au sol après le coup. 

Un léger sourire en coin descellait son visage fermé.

La honte frappa à la porte de mon cœur quand il referma l'encyclopédie et la rangea dans l'étagère « santé & sexualité ancestrale ».

Je devais changer de sujet afin que mes pommettes ne virent pas au rouge, même si je doute fortement qu'il aurait pu s'en douter dans la pénombre de la pièce.

- Était-ce un incube ? demandai-je, en pointant du menton le corps du garde.

Il observait le corps un instant, passant sa langue rapidement sur sa lèvre inférieure.

- L'avez-vous trouvé séduisant ? demanda-t-il.

Je m'avançai prudemment près de Callum, les yeux posés sur ce corps endormi. J'aurai préféré n'avoir plus à le regarder, mais étrangement, je me sentais plus en sécurité près de Callum, que seule, au bout de la pièce.

Je remarquais que ses yeux avaient retrouvé une teinte plus verdâtre, ce n'étaient pas les iris émeraude que j'avais connus, mais son regard était moins sombre et plus doux.

- Non. affirmai-je, écœurée.

Mon corps était encore animé de nombreux sursauts traumatiques. La bile brûlait mon œsophage à mesure que je prenais conscience du danger auquel je venais d'échapper.

Il croisa ses bras dorés contre son torse et continua son interrogatoire :

- Vous a-t-il parlé avec respect pour vous séduire plus facilement ?

Petite trainée...

- Sûrement pas ! dis-je, en serrant les dents.

- Alors il s'agissait d'une belle ordure mais pas d'un Incube ! affirma-t-il, en donnant un léger coup de pied au corps inconscient pour vérifier s'il se réveillait, mais celui-ci ne bougea pas d'un pouce.

Je soupirai et m'appuyai contre le bureau placé face au corps. Les battements de mon cœur commençaient à se calmer et je reprenais le contrôle sur mes pensées.

- Est-il arrivé à ses fins ? demanda Callum sur un ton que je lui connaissais pas.

Un mélange de rage et de tristesse ? Peu importe, je compris facilement le fond de sa pensée.

- Non... Je l'ai frappé avant qu'il puisse aller plus loin... Je m'en remettrais. mentis-je, en reboutonnant le premier bouton du chemisier que mon agresseur avait réussi à ôter.

Nous nous observions pendant quelques secondes puis, je détachai mes cheveux qui faisaient souffrir mon crâne blessé. Callum tournait autour du garde au sol, semblant chercher une solution à la masse infâme couchée sur le parquet.

- Nous ne pouvons pas le laisser comme ça. fit-il observer.

Je soupirai de nouveau et regardai fixement, la peau luisante de mon agresseur.

- En effet, ça vous attirait des problèmes. répondis-je.

- A vous aussi par la même occasion. affirma-t-il, en soulevant le bras du garde pour le laisser choir sur le sol.

Je croisai les bras contre ma poitrine. Je commençai à avoir froid et à en avoir ma claque de ce château maudit ! 

- Peut-être pouvons-nous faire appel à Eden ? demandai-je, angoissée à l'idée de devoir faire quoi que ce soit avec cette carcasse.

Il observait les bureaux du fond de la bibliothèque, ceux les plus cachés par la noirceur de la pièce.

- Eden est trop occupée. De plus, il est préférable que les détails de cet évènement restent entre nous. Nous allons le transporter jusqu'au bureau qui est contre le mur. Nous allons fausser la scène de... Bataille. On l'assiéra sur une chaise, un livre entre les mains. Comme s'il s'était endormi en tentant de soutirer des informations sur le royaume. décréta-t-il.

Il ne faisait donc pas pleinement confiance à sa sœur ?

Le dégout reprit place dans ma gorge tandis que j'imaginai mes mains blessées transporter ce corps maléfique.

- Je ne peux pas le toucher.. Je.. Je ne peux pas... soufflai-je, de nouveau prise de palpitations de peur.

Callum releva ses yeux sérieux dans ma direction, puis, se remit debout sur ses jambes pour s'approcher de moi. Il écarta la mèche de cheveux de ma blessure sur le front, pour mieux l'observer. Il sorti alors de sa poche, un mouchoir blanc avec lequel il se mit doucement à nettoyer ma plaie. Non sans quelques halètements de douleurs, il vînt à bout du sang qui tâchait ma peau.

- Il ne vous nuira plus. J'ai juste besoin de vous le temps d'une minute, ensuite, vous n'aurez plus jamais à le recroiser de votre vie. promit-il, trop près de mon visage.

Son parfum de sous-bois fouetta mes narines et me détendit trop étrangement à mon goût. Il fallait que je fasse cesser ce rapprochement si inattendu !

- Pourquoi avez-vous mis autant de temps à venir me secourir ? Vous n'avez pas entendu les chaises volées et moi en train de tenter de sauver ma peau ? demandai-je, rancunière.

L'obscurité ne nous aidait pas mais je remarquai qu'il me toisait, plus durement cette fois-ci. Il enlevait sa main posée sur mon front, et rangeait le mouchoir souillé :

- Soyez reconnaissante que je sois venu à votre rescousse ! persifla-t-il.

Accroupis près du corps, nous nous efforcions de retourner la carcasse du garde dos contre le sol pour nous aider à le transporter.

Mon dégout et ma frayeur était à son paroxysme. Je faisais en sorte de ne pas le regarder et de m'imaginer en train de transporter un crustacé gluant. Crustacé qui pesait des tonnes !

- Je le suis. Je vous remercie de votre aide Votre Majesté. affirmai-je, exténuée par cette nuit.

Je m'étais montrée dure avec lui alors qu'il était présentement en train de m'aider à cacher le corps de mon agresseur. Ce même corps qui se retourna dans un fracas de fer, je grognai d'effort, cette ordure se nourrissait bien suffisamment au royaume apparemment !

- Prenez ses pieds. ordonna-t-il.

Je m'exécutais en me doutant qu'il aurait été pleinement capable de le déplacer à une main, seul. Je me doutais que mon aide n'était la bienvenue uniquement pour que je puisse faire partie de ce crime et que je n'aille crier sur tous les toits du royaume, que le Prince était un menteur, cacheur de crime.

- Je vous ai entendu, toute l'aile vous a entendu ! répondit-il, en attrapant les épaules flasques du garde.

- Mais je devais d'abord m'assurer que les gardes et les servantes de l'aile n'auraient pas le temps d'alerter qui que ce soit s'ils avaient, eux aussi, entendu votre lutte. Je suis donc allé chercher Eden pour qu'elle puisse modifier les souvenirs des personnes aux alentours de la salle des archives. Ils ne se souviennent que d'une horde de corbeaux bruyante passant dans le ciel au-dessus du château. m'expliqua-t-il.

Eden pouvait modifier les souvenirs des personnes qu'elle croisait ? L'avait-t-elle fait pour moi lors de notre première rencontre, ou bien peut-être lors de notre dernier rendez-vous à la caverne ?

Je m'essoufflais et mon dos souffrait le martyre à force de déplacer ce porc près du bureau que Callum avait choisi le plus efficient pour cette scène maquillée.

- Je vous avoue que je ne m'attendais pas à trouver un de mes hommes au sol. ajouta-t-il.

- Eduquez vos gardes. sifflai-je, tandis que nous soulevions le monstre pour l'installer sur une chaise.

- Si je les avais mieux éduqués, c'est votre corps que je serai en train de ramasser ! persifla-t-il, durement.

Nous laissions la tête du garde tomber sur la table bruyamment. Un silence gêné s'était installé entre nous suite à cette nouvelle joute verbale. Son regard était las, triste. Cet homme avait tout ce qu'il lui fallait ici ! C'était sûrement la personne qui possédait le plus de moyens d'être heureux en ces lieux ! Pourtant, il arborait ce visage de fer et ce regard lointain à longueur de temps. Je ne l'avais vu sourire et entendu rire, uniquement auprès de sa sœur à la caverne. Ils devaient avoir de forts liens tous les deux, je m'imaginais à mon tour, pouvoir faire rire et sourire Simon dans dix ans, tous deux devant une liqueur.

- Vous le saviez n'est-ce pas ? brisai-je le silence.

Son regard passa du garde affalé sur le bureau, à moi, exténuée et cernée jusqu'aux joues. L'ambiance du château m'habillait à la perfection, je n'étais qu'une créature livide parmi les autres.

- De quoi parlez-vous ? demanda-t-il, en partant chercher un livre au hasard pour le déposer près du corps endormi.

- Des difficultés à déchiffrer vos maudits documents ! l'éclairai-je.

Il posa son dos contre la tranche épaisse d'une étagère tandis que le mien était contre le mur frais de la salle des archives. Je ne discernais plus son visage, uniquement le son de sa voix. Je me demandais s'il pouvait me voir malgré l'obscurité environnante.

- Je m'en doutais en effet. répondit-il, en éclaircissant sa voix.

- Vous avez accepté de m'aider uniquement parce que vous saviez que je ne trouverai rien ! Vous ne m'avez pas du tout aidé ! Excepté ces vingt dernières minutes ! m'exclamai-je, déçue.

- Vous ne m'avez pas demandé de rester. répliqua-t-il, sincèrement.

L'aurait-il vraiment fait ? Se serait-t-il attablé avec moi pour décortiquer les vingt dernières années de naissance de son royaume ? Pourquoi aurait-il fait ça pour une parfaite inconnue ? Pourquoi faisait-il tout ça pour moi ?

Il se rapprocha des dernières lueurs de la lune à travers la verrière. Ses yeux redevenus émeraude, me détaillaient puis se perdirent au loin dans la pièce.

- Aidez-moi à déchiffrer ces symboles. tentai-je de lui ordonner.

Il raccrocha son regard au mien, il paraissait épuisé lui aussi, j'aurai voulu partir en courant, pour lui permettre de se reposer. Mais il n'avait pas tenu sa parole et je savais bien que sans une nouvelle promesse, je ne pourrai plus jamais remettre les pieds ici.

- Aidez-moi au moins à trouver la page me concernant ! Je ne veux pas vous nuire ! Je veux juste savoir pourquoi j'ai atterri ici ! l'implorai-je désormais.

L'anneau argenté à son oreille droite faisait naître de pâles reflets sur les murs de la salle.

- Une heure. Je vous accorde une heure dans une des prochaines nuits. répondit-il, de sa voix la plus sombre, semblant trouver son origine au plus profond de son âme.

Je me rapprochai à mon tour de la lueur de l'aube aveuglante. Je songeai combien je m'assoupirai vite une fois dans mon lit réchauffé par le soleil qui n'allait pas tarder à se lever.

- Très bien. Demain. proposai-je.

Il secoua la tête négativement :

- Non, demain j'ai d'autres... Projets.

C'est à ce moment-là que je remarquai que ses boucles n'étaient plus de parfaites vagues mais étaient désordonnées et donnaient à sa chevelure une impression d'épaisseur sans fond.

Peut-être l'avais-je dérangé dans une nuit mouvementée ? Et si c'était les nymphes qui lui avaient offert un verre lors de notre rendez-vous à la caverne ?

- Dans deux nuits. Quand la première étoile sera visible, rejoignez-moi, même entrée, même lieu. affirma-t-il, me sortant de mes pensées somnolentes.

Le corps endormi du garde émit un léger grognement. Nous nous dirigions alors rapidement vers la porte d'entrée.

Les deux gardes de l'entrée de la salle des archives étaient avachis l'un contre l'autre, endormis. Eden était adossée contre le mur face à la porte, se tenant près d'eux.

Un sourire compréhensif naissait sur son maigre visage lorsqu'elle me vît. Elle me fit un signe de tête en direction des escaliers et me dit :

- Aller Cendrillon, minuit est passé depuis bien longtemps. Je te raccompagne chez toi.

Tandis que nous nous apprêtions à quitter le château, le Prince des Abîmes disparu dans l'obscurité des couloirs voisins.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top