Chapitre Sept.
La nuit est à son apogée, le ciel est aussi noir que l'intérieure de certaines âmes perdues dans ce monde. Assise sur le rebord de ma fenêtre, je nargue la gravité en humant la sève des arbres qui infusent l'air de la vallée. Mon regard ne peut se détourner du polaroïd que je tiens fermement entre mes mains. Mes joues collent et mes yeux brûlent à force de déverser ma tristesse profonde. L'air frais de la nuit, fouette mon visage et la colère continue de monter en moi. Cette femme sur cette photo est la personne qui m'a lâchement abandonnée à ce monde d'horreur et de souffrance.
Oh bien qu'elle ait l'air d'une gentillesse incarnée ! Ses fossettes qu'elle m'a offerte en héritage lui donne un air juvénile. Ses joues rosies et ses yeux en amandes sont bien trop parfaits, je la hais.
Je déteste mon apparence.
Le silence de la nuit laisse place à toutes les pensées qui m'envahissent et me rongent. Je déteste cette photo mais mon cœur bat bien trop fort face au polaroïd de ma créatrice.
Elle n'a pas l'image d'une mère indigne, au contraire elle semble heureuse à mes côtés.
Et s'il avait été contrainte de me laisser ici ? Peut-être pour ma sécurité finalement ?
Je ne sais plus quoi penser, je me raccroche à l'espoir qu'elle est, elle aussi, malheureuse toutes les nuits en pensant à ce que j'avais pu devenir. S'il me suffisait de la détester, j'aurais pu rester sur ce ressentiment et passer à autre chose ; A autre chose qu'à regarder les étoiles tomber en songeant à ce qu'elle faisait en ce moment-même ; A penser à autre chose, qu'à avoir l'impression d'avoir perdue mon temps à aimer d'autres parents qu'elle-même.
Je soupire, mon crâne prêt à exploser, je me sens si seule.
Lorsque j'enfile un petit cardigan couleur bleu menthe, j'imagine la douceur de ses bras lorsqu'elle m'a enlacée sur cette photo. J'aimerais savoir si mon affection pour le parfum de rose venait d'elle. Si ses cheveux, comme les miens, sentaient l'huile essentielle de rose du jardin. Si elle aussi, à mon âge, elle s'était demandé ce qu'elle devait accomplir en ces lieux.
J'appuie ma tête contre le mur de la fenêtre, je ferme les yeux et laisse les bruits sauvages de la nuit, tenter d'apaiser mon cœur.
Enfin, la nuit est silencieuse si on excepte les chuchotements de Martha et Isaac. La fin de mon anniversaire fût une véritable catastrophe. Martha et Isaac n'ont fait que pleurer et tenter sans succès, de me rassurer. Sohann ne savait plus où se mettre, je l'ai libéré de ce malaise en l'autorisant à rentrer chez lui malgré son insistance pour rester à mes côtés. Et mon petit Simon apeuré, qui venait me serrer dans ses bras en me disant que tout ira mieux demain. J'aimerai avoir sa positivité quotidienne. Or la vie d'adulte fait des dégâts.
Exténuée par cette journée qui n'en finit plus, je jette la photo sur mon lit et m'y étale également. Couchée sur le flan aux côtés de la vérité, je ne peux garder les yeux loin d'Elle trop longtemps.
La lumière de mon chandelier de chambre donne un reflet tout autre à la photo. Je l'attrape alors de nouveau dans mes mains et plisse les yeux pour tenter d'y apercevoir de nouveaux détails. La personne, ma mère, semble se trouver dans un endroit fort lumineux. Elle se trouve devant de nombreuses tables en bois foncés, les chaises en cuir rougies attirent mon attention. La tapisserie rouge baroque finit de me convaincre, cette photo a été faite à la caverne du royaume !
J'ai le cœur au bord des lèvres, mes mains sont incapables de ne pas trembler face à cette découverte. Mon crâne est habité par des milliers de fourmillements de fatigue et d'émotions fortes, je peine à respirer. J'ai l'impression que ma poitrine va exploser sous mes vêtements.
Sohann s'y rend tous les soirs si ce n'est plus, je dois y aller !
Sous le coup de l'émotion, je dévale les escaliers, photo dans le poing, les poumons gonflés à bloc. Mes jambes flageolent mais mon équilibre reste, habité par mon courage, je n'en crois pas mes yeux !
Je suis intouchable, je touche la vérité du bout du doigt ! J'y suis presque ! Elle doit sûrement être connue là-bas ! Peut-être qu'elle y est ce soir même ?
Martha et Isaac se lèvent de leurs fauteuils et se jettent sur moi, inquiets de me voir si active. J'enfile activement mes bottines et tente de les ignorer pour ne pas qu'ils puissent me convaincre de rester ici, si loin de ma vérité. Je ne pense plus à rien qu'à aller à la caverne, je ne peux pas rester ici plus longtemps, j'étouffe !
- Angèle ma chérie ! Reste là je t'en prie ! dit Martha en pleurs.
J'ouvre la porte, l'air m'appelle à le rejoindre.
- Ma puce ce n'est pas prudent ! Nous te donnerons des réponses ! ajoute Isaac apeuré.
J'observe la lune, mon courage à son maximum je me mets à courir en direction du royaume, Sohann doit m'accompagner !
- Angèle ! Je t'en prie ! crie Martha en pleurs.
J'essuie les larmes qui inondent mes joues et laisse la lumière de la lune me guider. Je cours à en perdre haleine, les branches craquent sous mes pas. J'oscille entre la peur qui m'anime et mon courage qui ne sait rien faire d'autre que de me pousser à aller au bout.
Mon cœur bat bruyamment dans le creux de mes oreilles et mes larmes inondent de sel, mes lèvres abîmées par l'humidité de la forêt.
Ce lieu si inquiétant la nuit ne peut faire baisser mon courage et ma détermination. L'air est frais et sèche mes joues humides, je m'essouffle mais arrive plus vite qu'il ne le faut aux abords du royaume.
Malgré la nuit avancée, le royaume vit encore, des dizaines de créatures nocturnes enivrent leurs âmes d'alcool et de substances douteuses. Je me fonds dans le troupeau présent sur les dalles devant le royaume pour accéder à la ruelle où vit Sohann. Je bouscule certaines éponges à alcool qui me bloquent le passage et finit par me retrouver devant le cottage de Sohann.
Consciente que la mère de Sohann doit sûrement être endormie, je ne souhaite pas l'inquiéter. Je regarde furtivement par les carreaux sombres de la maisonnette et voit Sohann endormi dans le salon.
Dieu merci !
Je toque alors discrètement aux carreaux. N'ayant aucune réponse de sa part j'augmente mes manifestations en les rendant plus bruyantes. Mon impatience bat dans mes veines et détruit le semblant de volonté d'être discrète qui m'habitait jusqu'à présent.
- Sohann ! Sohann réveille-toi bordel ! chuchotai-je.
Je remarque alors une auréole couleur ocre derrière les carreaux, sûrement un bougeoir, ainsi qu'une ombre se déplacer à l'intérieur. J'entends grogner à l'intérieur du cottage et je reconnaîtrais le bougonnement de Sohann parmi milles autres. La porte d'entrée s'ouvre lentement en silence, je m'immisce rapidement dans l'ouverture pour me retrouver face à mon ami.
- Angie ? dit-il, en se frottant les yeux encore endormi et sûrement alcoolisé, du dîner auprès de ma famille.
- Sohann ! Regarde la photo ! Regarde la bien ! dis-je, en lui collant le polaroid sous les yeux.
- Regarde où elle a été prise ! A la caverne du royaume ! Je me souviens des sièges lorsque je suis venue te récupérer un jour ! continuais-je, dans un flot de paroles plus rapide qu'un éclair.
Il passe sa main dans ses cheveux emmêlés et fronce les sourcils, visiblement décontenancé.
- Mais qu'est-ce que tu racontes Angie ? Tu as vu l'heure ? dit-il.
Je soupire, comme si l'heure avait une quelconque importance ! Cela fait vingt ans que j'attends cette occasion ! Cet indice, pour lever le voile sur mes origines !
- Sohann, tu ne comprends pas ! Ils doivent sûrement la connaître là-bas ! On doit y aller avant que le soleil se pointe et qu'il n'y ait que des cadavres couchés au sol !
Il secoue la tête et soupire. Il jette un coup d'œil dans le noir du salon, derrière son épaule.
- Pas à cette heure-ci, tu n'es pas en sécurité dehors en pleine nuit ! On ira faire un tour demain matin mais pas avant ! dit-il durement.
Qu'est-ce qui lui prend ?
- Sohann ! Ça compte pour moi, c'est peut-être ma seule chance ! dis-je, dans un soupir d'incompréhension.
- Ça comptera toujours demain ! Viens je te raccompagne chez toi ! dit-il.
Je secoue la tête :
- Non ! J'y vais avec ou sans toi Sohann ! Je ne rentrerai pas tant que je n'aurai pas une réponse ! dis-je sûre de moi, les pieds bien plantés dans l'entrée du cottage.
Sohann me regarde, dépasser, il ne bouge pas d'un pouce. Habituellement mes yeux s'embueraient de me sentir si seule dans cette mission, mais aujourd'hui, je préfère choisir l'option :
- Très bien, j'ai compris. dis-je, en franchissant la porte d'entrée.
Je retourne sur mes pas dans l'obscurité, en direction de la caverne du Royaume, ma détermination à son paroxysme. Mes pas en compte deux, je marche si rapidement que je ne me rends même pas compte des corps imbibés d'alcool qui jonchent le sol.
- Angie sérieux ! cri Sohann au bout de la rue.
Je ne me retourne pas, trop déterminée et impatiente de récolter des réponses. Il faut que je cesse d'attendre de mes proches une aide irréfutable, au final, cette histoire ne concerne que moi et mes origines !
Dans la pénombre je me glisse, prête à affronter les bêtes ivres du Royaume.
La caverne du Royaume se trouve de l'autre côté de la ruelle où vit Sohann et les servants du château. Il me faut passer devant le château, ses tourelles illuminées lui donnent un air étrangement historique. Je parviens à entendre une mélodie festive à l'intérieur du bâtiment, je ne suis pas la seule à être éveillée apparemment. De grands arbres feuillus cachent et abritent une petite maisonnée en pierre brune. Un brouhaha se mélange au piano ainsi qu'aux bruits de cristaux. Une forte lumière passe sous la porte en acajou où des milliers d'ombres se déplacent et semblent rire. Mon courage se dégonfle aussi rapidement qu'un ballon près d'une épine de rosier. Vais-je vraiment pouvoir faire face à ces énergumènes alcoolisés ? Et si ma mère biologique se trouvait à quelques centimètres de moi ?
Un homme me bouscule pour accéder à l'entrée, lorsqu'il ouvre la porte une odeur de liqueur et de transpiration enivrent mes narines. La porte se referme sur l'apparition d'une femme aussi blonde que les blés, aussi blonde que moi, ma mère ! Mon courage regagné, mon cœur aux bords des lèvres, j'attrape la porte avant qu'elle ne se referme et me glisse dans la caverne.
L'habitacle imprégné de liqueur et de vapeurs d'alcool, respirer l'air, c'est déjà prendre le risque d'être suralcoolisé. Je cherche du regard la femme blonde dans la foule festive et bien trop excitée, au son de la mélodie chantante.
Elle réapparait près du bar, je bouscule la cohue pour l'atteindre non sans difficultés. Dos à moi, je lui tapote l'épaule, elle se retourne alors et m'offre son plus mauvais regard :
- Qu'est-ce que je peux faire pour toi minus ?
Elle est trop jeune, trop laide et trop grossière pour être ma mère. Elle empeste l'alcool et le sexe.
Désarçonnée, j'ai du mal à articuler mes mots :
- Je...Vous êtes très blonde... dis-je, complètement dépassée.
- C'est une couleur. Pourquoi t'es de la garde capillaire ? répond-elle, en mâchouillant une racine de rosier, connue pour ses effets...Plutôt planants.
Devant mes hésitations trop nombreuses elle soupire puis disparaît dans la foule déchainée et bruyante.
Je m'appuie contre le bar, passant la main dans mes cheveux emmêlés. Regardez-moi, dans ma tenue de soirée dépassée, mon cardigan bleu, mon maquillage ruiné, à chercher quelqu'un qui ne m'a pas retrouvé en vingt ans. Cherchant un miracle qui ne se produira pas si facilement, je m'assois sur un fauteuil melotonné en tissu rouge face au bar.
- Qu'est-ce que je vous sers ? m'accoste l'homme bourru derrière le comptoir.
Je saute sur l'occasion, il doit rencontrer des milliers de personnes derrière ses alcools, il connaît surement ma mère !
- Des renseignements ! Est-ce que vous avez déjà vu cette femme ? dis-je, en pointant ma photo devant mon interlocuteur.
L'homme fronce ses sourcils touffus et pose lourdement le verre à whisky de sapin qu'il tient dans la main.
- Ici on ne sert que de l'alcool, pas des ragots, jolie demoiselle ou non. répond-il, les dents serrées.
C'est mission impossible, tout le monde à un cadenas autour de la langue ici ! Je m'enfonce un peu plus dans mon fauteuil et tente de trouver un plan B. La musique me fait naître une future migraine, je me tourne en direction de la petite estrade en bois vieilli pour observer qu'elle est cette voix fluette qui me donne mal au crâne.
Ce n'est pas vrai !
C'est bien elle, de sa silhouette fine et maigre, de son regard et de ses cheveux bouclés corbeaux ! L'inconnue du château est chanteuse dans la caverne royale ! Je m'approche de plus près, traversant le monde pour observer ce spectacle. Elle porte une chemise bleu roi, légèrement entrouverte pour laisser apercevoir un large tatouage dessiné sur son buste. De là où je suis, je peine à apercevoir de quoi il s'agit.
Elle est accompagnée de plusieurs hommes cachés dans la pénombre de la scène qui s'occupe de l'instrumentale acoustique. Je me trouve une petite table ronde en noyer libre, accompagné de deux fauteuils placés face à face. Je m'y installe et profite du concert qui s'offre à moi, totalement absorbée par l'aura de la chanteuse. L'inconnue chante un verre de liqueur rougeâtre à la main, elle claque des doigts au rythme de la musique de sa main libre. Sa voix est cristalline, légèrement enrouée par l'alcool, une fois de plus.
Je me demande si à l'aube, elle rejoindra de nouveau le château pour y vomir ses tripes dans les beautés végétales que sont les rosiers.
Elle finit d'une traite son verre de liqueur et crie à la foule :
- Accordez-moi une légère pause mes amis ! Ma vessie est bien trop pleine tandis que mon foie en demande de nouveau !
Elle quitte l'estrade et se perd dans l'attroupement face à la scène. L'instrumentale s'éteint également et les musiciens se désaltèrent sur une des tables devant la scène. Lorsque mon regard quitte l'estrade, je ferme les yeux et tente de ravaler le sentiment d'avoir raté ma seule chance de faire avancer les choses.
Un bruit de chaise me tire de ma rêverie, mon regard se pose sur mon inconnue, assise face à moi, un sourire narquois aux lèvres.
Un sursaut s'échappe de mon corps, surprise de la voir si près de moi.
- Bonsoir Cendrillon, vous avez perdu votre pantoufle de verre ? dit-elle.
J'étouffe un rire, fatiguée, désabusée par la situation qui m'a entrainée ici.
- J'ai cru que j'étais boucle d'Or il n'y pas si longtemps. fais-je remarquer.
Elle enroule ses longs doigts fins autour d'une de ses boucles si bien définies.
- Il semblerait que vous endossiez plusieurs rôles dramatiques. répond-elle en haussant les épaules, enjouée.
- A qui le dites-vous ! dis-je en soupirant et libérant mes poumons d'un poids important.
Elle porte à ses lèvres un verre en cristal posé sur la table, que je n'avais pas remarqué à son arrivée.
- Cœur brisé ? demande-elle en faisant glisser sa liqueur amère dans son foie.
- Si ce n'était que ça ! Mais comment avez-vous su que j'étais là ? La foule est dense ! demandais-je, en caressant le bois verni –mais rugueux- de la table.
Elle se tourne face à une tablée de bêtes plus étranges les unes que les autres. Elles m'observent toutes, comme si j'étais un bon poulet rôti au milieu d'orphelins. Un homme bossu aux yeux dorés me sourit, découvrant des dents aussi pointues qu'une lame de couteau.
Répugnant.
- Une humaine au milieu d'une caverne c'est plutôt rare. répond mon inconnue en se retournant face à moi.
- J'ai cru pouvoir récolter des réponses et une aide de leurs parts, mais je me suis trompée. avouai-je, lâchement.
Elle fronce les sourcils, comme si elle rencontrait des difficultés pour me comprendre.
- Quel genre de réponse ?
Je sors alors la photo de ma mère, désormais pliée et abîmée, à force d'être ignorée de la sorte.
- C'est ma mère biologique. Mon cadeau d'anniversaire empoisonné. Cette photo a été prise ici, j'ai cru que quelqu'un pourrait la reconnaitre, ou bien qu'elle pourrait être assise entre tous. dis-je, en désignant du regard, la pièce entière.
Consciente de ma naïveté derrière cette idée, je me glisse au plus profond de mon siège, n'étant plus capable de soutenir le regard interrogateur de mon inconnue.
Je l'observe prendre la photo de ma mère dans ses mains et se mordre les lèvres, pensive.
- Vous la connaissez ? demandais-je, sans grands espoirs.
Elle secoue la tête et répond :
- Moi non, mais je connais peut-être quelqu'un qui pourrait vous aider. Je vous dois un service et il m'en doit un aussi.
Elle finit la dernière goutte de liqueur de son verre et se lève sur ses longues et fines jambes.
- C'est vrai ? dis-je, surprise et tentant de garder mon cœur en vie, qui se serrait davantage à l'idée de faire avancer un tant soit peu mon enquête.
- Rendez-vous ici, dans trois jours, à minuit. Soyez à l'heure, il n'est pas très patient ! Et puis...Rentrez chez vous, vous ne méritez pas d'être regardée comme un vulgaire bout de viande !
Elle disparaît à l'extérieur de la caverne, tandis que je reste assise ici, de longue minute sur mon siège. Excitée et impatiente que les jours passent pour récolter de nouvelles informations.
Je me contrains à rentrer à l'aube, le soleil reprenant sa place, tandis que je sombre dans un profond sommeil qui je l'espère, sera réparateur.
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