Chapitre Seize.


Assise face à lui sur un des bureaux qu'il avait choisi, cela faisait maintenant quelques secondes que nous nous toisions durement sans qu'aucun de nous deux ne prennent la parole. Un seul mot serait le départ du feu de notre conversation, il n'avait pas envie d'être là à veiller sur moi, et je ne voulais pas d'un menteur à ma table. Le feu bouillonnait en moi et les injures frappaient mes lèvres de supplice pour s'abattre sur le dieu à la peau d'or qui se tenait à quelques centimètres de moi.

Et puis merde ! Je serai l'étincelle qui embrasera notre semblant de relation de politesse :

- Oh vous saviez très bien que c'était une très mauvaise idée ! persiflai-je, en me levant de mon siège pour le pointer du doigt, à quelques millimètres de toucher le tissu de sa chemise en lin blanc.

A son tour, il tapa bruyamment sa paume sur le bureau et se leva en un éclair de sa chaise :

- Vous aviez une meilleure idée peut-être ? Vous êtes repartie tranquillement dormir tandis que je devais gérer ma sœur totalement amourachée de vous, des gardes et un demi-cadavre !

- Vous aviez dit qu'il n'était pas mort ! Me défendis-je lourdement.

Il secouait la tête, faisant danser ses cheveux sombres, si souples et si parfaits. Son visage de pierre était dur, fulminant d'un agacement si perceptible que mon corps ne pouvait s'empêcher de se mettre dans une position d'irritabilité. Il ne régnait entre nous, que colère et agacement. Ma maturité et mon esprit clair, me faisaient défaut.

- Oh je vous en prie, c'était tout comme ! Dit-il, en riant cyniquement.

- Vous lui avez donné de faux espoirs, je ne pourrais jamais la voir de cette façon ! J'ai déjà quelqu'un dans ma vie ! Affirmais-je, exaspérée par sa façon de percevoir la situation.

Une lueur traversa ses iris vertes. Il m'observa, ses narines dilatées de fulmination, puis, soupirant bruyamment , il remit en place l'une de ses boucles opaques.

Il se rassit et ouvra un des ouvrages qu'il avait apporté :

- Je l'ignorais. Répondit-il. Elle s'en remettra, vous n'êtes pas la première à se refuser à elle. Dans quelques semaines elle aura tout oublié. Affirma-t-il.

Alors c'était tout ? Il avait décidé d'éteindre le feu aussi rapidement que celui que je venais d'enclencher. Tout ça n'était qu'une belle façon de me dire de me taire ! Notre conversation et nos points de vues, étaient loin d'être réglés ! Je me rassis également, désarçonnée par son comportement impulsif. 

Une douleur froide envahit soudainement ma hanche droite. Lorsque je soulevai discrètement ma jupe noire, une trainée de sang coulait le long de mon mollet.

Je jurais !

Callum releva son regard à mon attention et si j'avais été plus à l'aise dans l'obscurité constante, j'aurais parié le voir sourire. La douleur irradiait ma jambe, je mordais l'intérieur de ma joue pour m'empêcher de paraitre meurtrie. Hors de question que cet homme à l'égo surdimensionné puisse se sentir supérieur !

- Je vous conseille de replier la lame lorsque vous le porter sur vous. Lâcha-t-il.

Idiote.

Je rangeais la lame en silence et épongeais ma peau avec le tissu de ma jupe sombre. La blessure n'était que superficielle et me prouvait combien la lame de mon arme était aiguisée.

Lorsque mon attention revenait près de Callum et de ses nombreux livres, je remarquai un tissu bleuté déposé face à moi. Face à mon regard interrogateur, il eu la grande humilité de m'éclairer :

- Placez cette bande sur votre jambe avant que je-ne-sais quelle infection vous oblige à vous servir d'une canne ! Expliqua-t-il, sa voix aussi tranchante que mon arme de poing.

J'attrapai le tissu et l'entourai autour de ma peau sans oublier de remercier mon nouvel ami de sa bonté inhabituelle :

- Quelle intention louable ! Que ferais-je sans votre trousse de secours ! Pestai-je.

J'étais dure avec lui, mais honnêtement, il était plus qu'exécrable ! Ma réponse eu au moins le don de le faire sourire tandis qu'il levait les yeux au ciel. 

Nous ressemblions à deux aimants opposés. Rien entre nous, nous assemblait ou nous rassemblait, mais nous nous efforcions de ne pas nous entretuer, maintenant que nous avions maquillé ensemble, une scène d'agression.

- Je ne veux pas qu'elle m'offre son aide et son temps uniquement dans l'espoir d'une relation que je ne pourrai jamais lui offrir ! Dis-je, ignorant ma stupidité en terme d'arme et de défense.

Il feuilletait le sommaire d'un ouvrage dont la couverture était faite en cuir marron.

- Elle ne le fait pas pour ça. Je crois... Je crois que vous avez beaucoup en commun. Eden se bat contre les injustices, elle déteste lorsque les préjugés de cette contrée, mettent quelqu'un à l'écart. Elle a toujours été bien trop naïve, sans tout ça, vous ne serez pas assise ici ! Dit-il détaché, en continuant à fouiller dans les pages du livre.

J'ignorais sa nouvelle réflexion, j'avais conscience que ma présence lui était imposé mais en réalité je n'en avais que faire. J'étais là pour mes réponses ! Dans la lumière de la lune, le Prince paraissait moins dangereux, moins froid et calculateur. Si sa sœur était frivole, bien trop enjouée et joyeuse, il était son contraire opposé. Seul leurs physiques les réunissaient, leurs regards sombres et leurs chevelures si uniques étaient un signe familial reconnaissable parmi tous les habitants de Rosaceae. Quelque chose de sombre et de profond émanait de lui, comment pourrait-il en être autrement lorsque nos parents sont les rois des Enfers Eternels ?

Mais ce n'était pas de la cruauté, de la perversion ou de la malveillance. Non c'était encore plus étrange que cela, c'était un mélange de maussaderie, de tristesse profonde et de désabusement. Il ressemblait à ces oiseaux enfermés depuis trop longtemps dans une cage en verre, hurlants afin de pouvoir voler de nouveau dans les airs. Le paradoxe avec l'homme que j'avais rencontré la première fois et qui m'avait profondément déstabilisé, était flagrant.

Il pouvait se montrer parfaitement impoli, piquant et imbu de sa personne sur les bords, avant de devenir incroyablement maussade et empreint d'un détachement certain. Créant par la même occasion une distance assourdissante entre lui et le monde qui l'entourait.

- Vous comptez me reluquer longtemps avant de vous décider où est ce que votre lame me blesserait le plus ? Souffla-t-il, semblant abattu par le temps qu'il passait auprès de moi.

- Je ne... Ce ne serait pas une si mauvaise idée, ça me protégerait de vos futurs mensonges ! Répondis-je encore aigrie de son plan miteux.

Il passa ses longues mains sur son visage d'or, comme pour l'aider à rester éveillé.

- S'il-vous-plait, je n'ai vraiment pas la tête à me battre aujourd'hui. M'implora-t-il du regard, les mâchoires serrées.

Il était alors réellement sous le coup de maux invisibles. Son comportement changeant à la moindre seconde était dur à suivre. Mais je savais que c'était le prix à payer si je voulais continuer notre collaboration. 

- Alors... Les triangles inversés qu'est-ce que cela signifie au juste ? Demandai-je, respectant sa demande.

Son regard s'éclairci et je cru y lire des remerciements de ne pas lui rendre la tâche plus difficile qu'elle ne l'était déjà. Il souffla bruyamment, passa une main dans ses cheveux désordonnés et tourna rapidement les pages de l'ouvrage tout en laissant glisser ses doigts dorés sur l'encre et les symboles inscrits sur le papier. De longues minutes passèrent à l'observer s'afférer et je compris qu'il ne comptait pas m'apprendre à lire le Thersaceae mais qu'il souhaitait lui-même, m'indiquer si mon nom apparaissait dans les registres de l'enfer.

- Que faite vous ? Demandai-je, vexée qu'il me pense incapable de traduire cette écriture.

Son visage était plus saillant que dans mes souvenirs, ses sourcils fournis étaient parfaitement symétriques. Je me demandais si son physique avait quelque chose à voir avec cette fontaine de l'horreur dans le patio du château.

- Eh bien je décortique les ouvrages d'entrée afin de trouver votre dossier de naissance. Lâcha-t-il, agacé par mes questions.

Je secouai la tête, à mon tour agacée par la distance et l'impatience qu'il faisait ressentir à mon égard. Je lui tirais l'ouvrage des mains pour le coller contre ma poitrine afin qu'il m'écoute pour de bon.

- Je ne vous ai pas demandé de me faire la lecture, j'ai demandé votre aide afin de reconnaître mon nom lorsqu'il est cité dans ces textes ! Rectifiai-je.

Il colla son dos contre le dossier de son fauteuil et me toisa, irrité. Je remarquai que sa main se greffa directement à l'intérieur de sa crinière royale dès qu'il semblait agacé, désarçonné ou gêné.

- Vous ne me faite pas confiance. Observa-t-il, en haussant ses sourcils ténébreux.

- Pourquoi le ferais-je ? Riais-je, désarçonné à mon tour par sa remarque.

Il croisa ses bras contre sa poitrine, il était désormais vexé pour de bon. Si j'allais trop loin, je risquai de nouveau de me retrouver seule dans ce château hanté par bien trop d'âmes immondes.

- Car vous n'avez que moi pour vous aider ! Répondit-il, avec une assurance que je ne lui avais pas perçue depuis notre soirée à la caverne.

Cette fois-ci je riais franchement, il n'était pas différent des hôtes de ce château et de tout cet attirail fait pour gonfler l'égo des monstres de Rosaceae ! Je remettais mon tissu en place qui irritait ma blessure à la nuque. Mon regard se perdait sur les ombres des étagères que créait la lune, à la recherche d'une réponse convenable.

- Je ne suis pas sûre que faire confiance au Prince des Enfers, qui plus est, au menteur des Enfers, soit la meilleure des idées ! Lâchai-je, toujours irritée.

Son genou posé contre le coin de la table, il s'amusait à se balancer sur sa chaise dans un bruit désagréable au possible. Je serrai les dents, tentant de retenir au maximum, l'agacement qui m'animait. Tout autant paradoxal, il semblait désormais prendre du plaisir à notre joute verbale, révélant un sourire carnassier et cruel.

- Vous n'êtes pas une menteuse vous, peut-être ? Vous avez rétabli la vérité lorsqu'Eden vous a fait part de l'excuse que j'avais trouvé afin de vous éviter d'autres soucis plus graves ? Vous lui avez dit que vous vous étiez brulée avec l'Or des Brasiers Eternels ? Demanda-t-il, enjoué en pointant du menton ma blessure.

Mal à l'aise, je gigotais sur ma chaise et repensait au plan qu'il avait cru que j'établissais quelques minutes auparavant : le poignarder pour en finir avec sa maudite présence !

- Franchement, je pensais que vous étiez plus habile que ça ! Vous blesser avec la seule matière qui vous est proscrite ! Lâcha-t-il, hilare.

Son regard était aussi clair que la couleur des forêts au printemps. Je haïssais le fait qu'un être si terrible puisse porter une beauté sans pareil.

- Je sais très bien qu'elle m'est proscrite ! Persiflai-je, les dents serrées de rage.

Il avait le don de faire courir mon sang plus vite que n'importe qui, me soufflant à l'oreille des envies de meurtres que je n'avais jamais eues jusqu'à maintenant. Oui, sa présence était une véritable torture et une ode au meurtre royal !

- Pourtant elle ne vous a pas épargné ! Continua-t-il, dans sa bêtise inhumaine.

Je le toisais durement m'efforçant de ne pas baisser le regard. Je savais qu'il se rendrait compte lui-même des aberrations qu'il lâchait dans l'air tendu. Il pencha la tête sur le côté pour croiser mon regard sur lui. Son sourire hilare perdit petit à petit de son intensité, ses pupilles dans les miennes, il avait compris. Ses sourcils retombèrent sur son regard assombri. 

Je mordais alors ma joue pour ne pas être emporté par l'émotion et les souvenirs de cet épisode qui renaissaient dans mon esprit. Le nœud dans mon estomac m'assomma pour me rappeler qu'il n'était jamais vraiment parti.

- L'amour ne devrait jamais blesser. Lâcha Callum, la voix vibrante.

Les yeux rivés sur mes doigts entrelacés, je déglutis douloureusement ses paroles. Comme s'il avait appuyé sur quelque chose devant lequel je fermais les yeux. Pourtant Sohann n'avait jamais cessés de me le répéter, mais dans la bouche de Callum, les mots paraissaient plus justes, plus véridiques. 

Il approcha ses larges mains dorées dans ma direction, à quelques centimètres des miennes, je pouvais sentir la chaleur qui émanait de sa peau sans défaut. Lorsque mon regard croisa ses iris perçantes, il se ravisa et attrapa un ouvrage déposé à mes côtés.

Il dût sentir mon malaise car il s'éclaircit la voix et proposa :

- Je peux écrire votre nom en Thersaceae. Ça pourrait nous servir de modèle lors de nos recherches. Les prénoms sont composés de trois symboles et sont écrit en gros sur chaque nouvelle page des registres. Cela nous fera gagner du temps plutôt que de tout vous apprendre. Cette langue ne sert plus que pour les plus anciens de cette contrée.

Je me demandais s'il s'incluait dans ce lot de « plus anciens de cette contrée ».

Sa voix était redevenue calme et posée, je sentais son regard peser sur moi et j'étais incapable de prononcer un seul mot sans être prise d'une tristesse récurrente et bien trop douloureuse. J'hochai la tête en guise d'accord. J'étais consciente de l'importance du temps qu'il m'accordait plutôt qu'à ses obligations royales. Mais je savais aussi que cela était surtout l'œuvre d'Eden, à qui je devais une fière chandelle !

- Bon très bien, allons-y. Déclara Callum.

Il prit une plume qu'il noya dans de l'encre sombre, je rapprochai la fine chandelle disposée sur le bureau afin qu'il puisse y voir quelque chose dans cette nuit bien trop lugubre. Ses longs doigts dorés tracèrent tout d'abord un cercle renfermant des spirales aux traits plus épais.

- Ce symbole signifie le diminutif d' « Ange », tout ce qui se rapproche à une divinité. Positivement divine surtout. On l'utilisera pour écrire le début de votre nom, il n'y a que vos parents pour vous faire porter le diminutif de quelqu'un de bon en ces lieux ! Expliqua-t-il, en tentant de radoucir l'ambiance.

Je me penchai au-dessus du bureau pour l'observer tâcher le papier de son tracé si rapide et sans défaut.

- On dit souvent que je porte divinement bien mon nom ! Affirmai-je à mon tour, mon cœur redevenu quelque peu léger.

Il émit un rire furtif et discret avant de noyer sa plume de nouveau dans l'encre.

- Permettez-moi d'en douter, si vous avez rencontré ma sœur dans la caverne, vous n'êtes pas si innocente que ce que vous laissez transparaître ! Lâcha Callum.

- Parce que vous êtes aussi mauvais que ce que vous vous empressez de laisser paraître, vous, peut-être ? Rétorquais-je, un peu trop à l'aise.

Son regard se perdit dans le mien. La lumière qui vibrait sur son visage me donna la chair de poule. Je déglutissais à de nombreuses reprises, caressant frénétiquement mon épaule dans un geste censé me détendre.

Il secoua la tête, amusé d'avoir su me terrifier en un rien de temps. Il était littéralement diabolique ! J'avais l'impression de n'être qu'une jeune souris avec laquelle un chat s'amuserait avant d'en faire son festin !

Ses traits griffèrent le papier pour tracer un trait vertical où un demi-cercle venait diviser la droite en deux, ce symbole ressemblait à une sorte de fourche paysanne.

- Voici la fin de votre nom, le Thersaceae est surtout phonétique, ce n'est pas un alphabet littéraire.

Le dernier dessin était un triangle isocèle dont le sommet était rempli d'encre, créant ainsi un second triangle, plus petit et plein.

- Voilà. Le dernier symbole désigne votre... Nature. Mortelle dans votre cas.

Mon prénom inscrit sur notre modèle, il ne nous restait plus qu'à nous mettre à la recherche de cette combinaison bien spéciale et unique.

Callum et moi avions réparti sur la table la douzaine d'ouvrage pouvant faire apparaître mon nom. Six ouvrages chacun, à décortiquer, je m'installais sur le bureau d'en face pour y être plus à l'aise, les yeux fatigués mais motivée, je tournais la première page du registre.


Cela faisait désormais quelques heures que nous avions le nez dans les tracés de Thersaceae, sans résultat, ni pour Callum, ni pour moi. Seul le bruit des pages m'informait qu'il était encore éveillé. Je ne pouvais pas en dire autant de moi, mon nom écrit par Callum dans une main, l'autre entrain d'éplucher les trop nombreuses pages, je me sentais faiblir et être kidnappée par Morphée.

Je me répétais sans cesse la combinaison de mon nom pour ne pas sombrer dans les bras de la Lune : Spirale, Fourche, Double triangle.

Carrés, cercle, losange. Toujours pas.

Cercle, cercle, rectangle. Je pourrai donner des millions pour être sous ma couette bien chaude et réconfortante à cette heure-ci !

Spirale, Fourche, Double triangle. Quand je pense à mes oreillers moelleux, je pourrais tout abandonner ici pour quelques minutes de sommeil.

Je crois que je n'ai jamais autant manqués de....

Spirale, Fourche, Double triangle ? Spirale, Fourche, Double triangle !

L'excitation et la stupeur me réveillèrent en trombe :

- Ce n'est pas vrai... Soufflai-je, refusant d'y croire.

Du coin de l'œil, je vis Callum relever la tête de ses bouquins, il m'observa, attendant ma permission.

- Callum ! Spirale, Fourche, Double triangle ! Criais-je à moitié, en soulevant l'épais ouvrage dans sa direction.

Il se leva en toute hâte dans ma direction.

Mon cœur battait plus que de raisons, on y était ! Enfin un premier morceau du puzzle autour de ma naissance !

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