Chapitre Dix-neuf.

Callum s'était empressé d'attraper mon poignet et celui de sa sœur pour nous emmener à toute hâte dans la salle de bain attenante à sa chambre.

J'avais vu les yeux d'Eden s'éteindre lorsqu'il nous avait coincées contre la baignoire en porcelaine, aux pieds de lion doré. Elle allait s'excuser platement et ça ne lui ressemblait que très peu. Nous avions donc dépassé bien trop de limites cette nuit-là ?

Je savais que j'aurais dû fuir dès ma première intuition lorsqu'elle a élaboré ce plan miteux, les yeux à moitié ouverts.

Elle s'assit sur un fauteuil en cuir noir délavé et tenait son visage sous sa fine main, semblant désabusée, abattue par la situation.

Mais elle ne craignait rien, pas le moindre reproche n'allait s'abattre sur son visage porcelaine car le regard furieux de son frère, était posé sur moi.

Je serrai la mâchoire et conjuguais mes forces, prête à me débattre de nouveau pour lui prouver que son idée de garder mon registre de naissance près de lui, était la pire idée qu'il ait jamais eu !

Mais si nos yeux s'injuriaient, aucun mot ne sorti pendant de longues minutes. Je remarquai l'ombre de l'aube se refléter dans les vitraux couleur vert mousse et bordeaux. Ils venaient dépeindre la peau dorée, torse nu, du Prince. Il paraissait... Magnifique, plus que d'habitude, il ressemblait à une de ces peintures sur toile exposées dans les longs couloirs du château. Il portait un simple sous-vêtement en tissu gris, et malgré mes ressentiments à son égard, je dû m'efforcer de baisser les yeux pour ne pas risquer de croiser l'ombre de son intimité.

Tandis que nous nous toisions comme à notre habitude, j'observai du coin de l'œil, Eden nous regarder avec attention. Son regard passait de moi à sa majesté, son frère.

Elle dû sentir que je l'avais remarqué car elle brisa le silence pesant :

- Rassurez-moi, vous n'avez pas l'intention de vous entretuer ? Non car vraiment..., elle soupira, C'est moi Callum, je lui ai proposé de venir récupérer son registre, avoua-t-elle, penaude.

Callum détacha son regard du mien pour observer sa sœur secouer ses boucles parfaites, semblant sincèrement désolée.

- Tu aurais dû m'écouter depuis le début et ne jamais t'amouracher d'elle. Ça n'a jamais été une bonne idée ! pesta-t-il à mon égard.

Je riais cyniquement et m'apprêtai à lui répondre qu'il n'était sûrement pas mieux à garder un dictionnaire sur sa table de chevet, comme livre de nuit ; Mais Eden leva sa main fine dans ma direction :

- Et toi ? Tu n'étais pas censés m'écouter quand je te disais d'arrêter de mettre ces grognasses dans ton pieu ! Tu viendras pas faire la gueule quand...

- Hey ! éleva-t-il brusquement la voix pour la faire taire.

- Je ne te permets pas de me donner des leçons après ce que tu viens de faire ! Tu ne connais pas la notion d'intimité il semblerait ! continua-t-il d'aboyer.

Etais-je en train d'assister à une dispute familiale au milieu de la salle du bain du Prince à moitié nu, tandis que ses amantes devaient se languir dans son lit ?

Je soupirai et m'appuyai contre le rebord de la baignoire, j'observai Eden, elle semblait vraiment contrariée. Cette dispute me semblait bien plus profonde qu'un simple conflit d'intrusion impromptu. Je m'étais faussement imaginée que contrarier Eden était mission impossible, mais personne n'est intouchable.

- J'ai réveillé votre sœur en la giflant et en l'obligeant à récupérer ce foutu livre, avouais-je pour stopper cette puérile histoire.

Les yeux perçant du prince me fusillaient et j'assumais mon courage face à sa colère. Après tout, il n'avait aucune raison de garder ce livre pour lui.

- Je savais très bien que cela venait de vous ! Vous ne pouvez pas faire tout ce qui vous passe par la tête sous prétexte que vos parents adoptifs sont muets comme des carpes ! aboya Callum, faisant les cent pas entre la porte et la baignoire.

Alors là !

 C'était à cause de lui et de son statut si Martha et Isaac étaient si silencieux ! Sans ces protocoles stupides, ils m'auraient tout avoué depuis bien longtemps !

- Doucement Callum, intervient fermement Eden.

La colère envahissait mon estomac, je griffais l'intérieur de mes cuisses par-dessus ma jupe. J'allais exploser, de fatigue, de colère, d'amertume et de raison. 

Car il avait raison sur un seul point, j'agissais avec cette unique excuse que de découvrir ma vérité, tout en rendant le monde redevable de devoir m'aider.

Je mordais l'intérieure de ma joue en dernier recours, la colère caressant ma langue et la suppliant d'hurler.

- Je n'en serai pas là si vous n'étiez pas si égocentrique, sifflai-je les dents serrées.

Il s'immobilisa et me jaugea si durement que même mon âme devait se cacher par peur qu'il ne l'étrangle.

- Je vous demande pardon ? demanda-t-il bruyamment.

Ma gorge se nouait car la rage qui m'habitait remuait tous les ressentiments en moi depuis des semaines. J'étais possédée par ma colère, elle me chuchotait de la laisser prendre le contrôle de mon corps et de ma parole. Mes ongles blessaient ma peau et mes dents heurtaient la peau fine de ma joue.

Ses iris émeraude étaient si sombres que je pouvais presque apercevoir le liquide verdâtre couler à l'intérieur.

Il était fou de rage. Nous étions fous.

- On ferait mieux d'aller prendre l'air ! proposa Eden en se levant pour poser une main sur mon épaule.

Mais j'étais incapable de bouger d'un pouce, ma colère m'embrasait, elle prenait en otage mes muscles, mes émotions et mon âme. Je ne pouvais rien faire d'autre que de succomber à ses appels.

- Vous n'êtes un monstre ! Vous passez vos soirées à profiter de ces jeunes filles qui prient pour que vous battiez des cils pour elles ! Mais nous autres, enfant du silence, vous nous laissez dans la partie la plus sombre de Rosaceae, comme des moins que rien ! hurlais-je, à bout de souffle.

Mon cœur se serrait si fort que l'espace d'un instant je croyais que mon heure était arrivée et que je finirais par mourir de rage.

- Hey ma belle ! Reprend ton souffle ! Callum est fatigué il ne pensait pas un mot de ce qu'il a dit ! N'est-ce pas Callum ? demanda Eden, caressant amicalement ma chevelure pour tenter de me calmer.

Mais Callum ne répondit rien, il m'observait tentant de contrôler ses paroles, ses mâchoires serrées, je savais que ses mots allaient m'écrouler.

- Oh c'est l'impression que vous avez eu des dernières nuits ? Que je n'avais rien fait pour vous aider ? Que je n'avais rien risqué pour vous accorder la vérité ? lâcha-t-il, durement.

C'est lui qui était blessé à présent. Nos mots se fracassaient sur le corps de l'autre. Son visage si expressif, se referma dans sa tristesse si lointaine et inexplicable. Il ne parlera plus, il s'était éteint, une fois de plus.

J'avais gâché la seule chance que j'avais de retrouver ma famille.

Une larme roula sur mon bras, ce n'est qu'à ce moment-là que je me rendis compte que j'étais en pleurs.

Eden m'observait, semblant franchement vexée à l'égard de son frère, elle remettait en place mes fines mèches rebelles.

J'aurais dû continuer de lui dire toute la vérité sur cette contrée; Que c'était trop tard pour m'aider. Qu'il aurait fallu changer toute la vision de ces habitants monstrueux pour pouvoir m'aider, bien avant que je naisse ! Mais si le courage qui m'habitait me permettait de persister dans mes intentions, la force mentale qu'il me demandait, m'exténuait.

J'étais épuisée de devoir sans cesse justifier mes actes. Pourquoi j'avais également le droit, autant que tout le monde, de connaître ma famille. Ces mêmes personnes qui barraient mon chemin étaient celles qui passaient leurs soirées entourées de leur famille autour d'une table, ivres d'hypocrisie.

Je me relevais de mon appui contre la baignoire, et me dirigeais vers la porte, tentant d'éponger les nombreuses larmes qui humidifiaient mes joues.

- Angèle ! chuchota Eden, ne sachant pas comment faire pour ne pas me blesser davantage.

La main levée en direction de la poignée de la porte, le bras nu de Callum vint me bloquer l'accès à la sortie.

Je n'avais plus du tout la force de me battre avec lui sur des questions d'égo. Je me mettrais à genoux si cela me permettait de sortir d'ici.

Je restais plantée là, à regarder son bras doré barrer la porte en deux. Je savais qu'il me regardait car je sentais son souffle bien trop près de moi.

- Laissez-moi sortir. demandais-je, dans un souffle rempli de sanglots.

Je rêvais de l'air frais sur mes pommettes humides, je voulais reprendre mon souffle, retrouver ma raison, mes raisons de continuer.

Faire constamment croire que je n'avais peur de rien, que j'étais sans cesse forte, que j'étais prête à tout encaisser, était ce qu'il y avait de plus fatiguant et douloureux.

- Parlez-nous. Expliquez-nous pourquoi il semble si important que tout se fasse précipitamment ! Pourquoi vous ne voulez pas prendre le temps de faire les choses en sécurité ? demanda Callum, sa voix étant redevenue quelque peu apaisée.

J'avais besoin d'air, terriblement besoin de voir la lumière se réveiller. J'essayais d'atteindre la poignée mais l'avant-bras de Callum m'en empêchait.

J'étais enfermée avec un prince tueur et sa sœur. 

Aaron m'avait lâchement oublié ces derniers temps. 

J'encourais ma vie chaque fois un peu plus.

 Simon me manquait.

 J'avais besoin des mots justes et doux de Sohann.

Je perdais pieds.

- Laissez-moi passer. chuchotais-je.

- Répondez-moi ! dit-il, durement.

Eden se tenait dos à moi, sa main sur mon épaule, prête à me soutenir dans n'importe quelle décision que je prendrai.

Je me renfermais dans mes sanglots qui ne pouvaient s'arrêter. Ne tenant plus, j'attrapais l'avant-bras de Callum en tentant de lui faire lâcher sa position. J'hurlais de colère, de douleurs, de mots que je ne pouvais prononcer.

- Angèle ! chuchotait Eden, complétement dépassée.

Je griffais la peau dorée de Callum , je l'injuriais de toutes mes forces. Ce n'était pas moi qui agissais. C'était ces heures de sommeil en moins, cette vérité qu'il refusait de m'offrir, le silence d'Aaron. Tout ça m'habitait et nourrissait ma haine.

Alors que mon cri devenait de plus en plus strident et douloureux, Callum attrapa mes poignets et m'obligea à lui faire face.

Il me contenait si fort que j'étais obligée de reprendre mes esprits. Ses sourcils froncés, je me perdais dans le reflet des vitraux de la pièce.

- J'essaie de comprendre ! J'essaie de vous comprendre, regardez-moi ! m'ordonna-t-il fermement.

Mes pleurs se déversaient si fortement que ça devait être toutes ces années de silence qui s'écoulaient enfin.

Je n'en pouvais plus, tout ça devait cesser, même si je devais passer par le fait d'avouer ma peur la plus profonde. Alors, lorsque ma voix se brisa un peu plus, je libérai l'angoisse qui rongeait mes nuits et mes tripes :

- Ces secrets me tuent et me détruisent chaque nuit un peu plus et je ne suis pas sûre de tenir une nuit de plus ! avouais-je, en pleurs.

Callum relâcha alors sa prise avec douceur et m'observa, ses lèvres entrouvertes, il semblait vouloir dire quelque chose qui ne sortait pas. Il s'écarta, Eden sauta sur mon cou et me serra si fort dans ses bras que je cru entendre mes côtes se briser.

Elle était un véritable soutien, et même si je ne savais pas expliquer pourquoi elle s'était attachée si vite à moi, je la remercierai du plus profond de mon être, de toujours être là pour moi dans ces moments si douloureux.

La lumière de l'aube s'engouffra dans la salle de bain lorsque Callum ouvrit la porte donnant sur sa chambre à coucher.

- Rhabillez-vous et sortez d'ici. ordonna-t-il aux femmes toujours nues dans son lit.

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