Chapitre Deux.

Je manque de me faire renverser par un troupeau de Satyres lorsque j'arrive aux abords du château. Créatures difformes aux jambes et cornes de bouc mêlé à un buste humain. Leurs cornes sont plus lacérées que n'importe quelle hache présente dans le royaume.

- Fais attention où tu mets les pieds..Mortelle. me dit l'un d'eux, en me toisant méchamment.

J'ignore son commentaire de barbare sans cervelle et continue ma route.

Il faut me rendre en direction du grand château pour rejoindre Sohann. Sa famille travaillant pour le Roi, ils logent dans une petite maisonnette en pierre, accolée au château; Comme tous les serviteurs de la famille royale.

Sur le chemin, je remarque une dizaine de Nymphes prenant le soleil, allongées sur le muret des douves qui entourent le chateau. Elles sont tout ce qu'il y a de plus magnifique. Leurs cheveux se reflètent parmis la lumière et volent au gré du vent. Leurs peaux ont dorées à force de passer leurs journées près des cours d'eau. Elles portent en collier, une couronne tressée de reine-des-prés, petite fleur blanche délicate qui sublime leurs poitrines. Le Royaume n'est pas leur territoire habituel, il est d'ailleurs tout à fait différent de celui des Abimes des Ames.

Les plus juvéniles des nymphes passent leurs journées à se prélasser près des douves du château afin de tenter de séduire le jeune prince du Royaume. Encore faut-il qu'il se montre, il est aussi légendaire que son père. Je n'ai vu que des peintures à l'aquarelle de lui, lors des festivités mondaines notamment. Sohann m'a également parlé de ses expériences auprès de la famille royale. Il paraitrait que le prince serait maussade et froid.  

Lorsque je m'avance vers le château, je relève la tête vers le ciel pour laisser mes joues se réchauffer au soleil.

La tour principale de l'édifice vînt me cacher de la boule de feu se tenant face à moi. J'ouvre les yeux et essaie d'habituer mon regard à la pénombre naissante. Je remarque alors les détails sur le bois du pont-levis, il est usé, il a dû engendrer bien des attaques et des trahisons. Brillent au gré du soleil, de fines ronces d'or forgées à même le bois. Leurs trajectoires font croire que le pont-levis ne se baissera jamais pour vous accueillir. Le château est constitué de pierres noires, il pourrait paraître l'endroit le plus effrayant de Rosaceae. C'était sans compter les fleurs roses pâles d'églantier courants sur les murs de la forteresse, lui donnant alors une ambiance étrangement romantique.

Les fenêtres à meneaux divisant la façade, possèdent des vitraux colorés, vert scarabé. Aucune lumière ne dépasse de ces ouvertures, comme si le lieu était abandonné. Pourtant y résident les plus dangereuses bêtes de Rosaceae, le Diable en personne et sa famille.

Je contourne l'édifice pour me diriger dans la ruelle où habite Sohann. Le lieu est tout de suite moins magestueux et brillant. Les rues sentent la liqueur croupie accompagnés de cadavres d'Incubes tentant de retrouver la raison face à la quantité d'alcool ingéré la nuit précédente. 

J'enjambe l'un d'eux et arrive enfin devant le cottage de Sohann, je frappe timidement sur la porte d'entrée en acajou. 

J'entends deux pas puis la porte s'ouvre face à un Sohann des plus souriants. Ses cheveux roux en bataille dénote de l'obscurité de la ruelle. Son visage fin le rend plus juvénile qu'il ne l'est réellement. Ses tâches de rousseur s'assombrissent au fil des années mais lui donnent toujours autant de charme.

 Ses pupilles sombres sont ma piqûre de rappel pour m'avertir qu'il n'est pas différent des habitants de Rosaceae. Il a juste décidé d'agir autrement que par la violence et le mal. 

Je lui rends son sourire et profite de l'accolade qu'il m'offre. Il sent bon l'herbe fraîche, son contact m'apaise. Il se recule pour crier bien trop fort : "Joyeux anniversaire Angie !", en me tenant par les épaules.

Je ris bêtement et le remercie, il me fait signe d'entrer. Le cottage de Sohann est bas de plafond, je m'assois sur le pouf bleu roi face à la table en cèdre et m'autorise enfin à me détendre. La lumière du soleil peine à rentrer depuis la ruelle, Sohann allume alors une bougie qu'il dépose sur la table.

- J'espère que tu n'as rien mangé, je t'ai préparé des gaufres à la framboise, tes préférées ! dit-il fièrement, en apportant deux petites assiettes blanches en porcelaine fleurie ainsi que des couverts. 

Mon estomac est encore endormi, mais lorsqu'il apporte mes gourmandises préférées habillées d'un soupçon de chocolat fondu, je ne peux lui résister. 

- Où as-tu volé ces framboises cette fois-ci ?  Encore durant un de tes rencards nocturne au jardin d'Eden ? Je le taquine en lui donnant un coup de pied bien placé.

Il secoue la tête et étouffe un rire en se coupant un morceau de gaufre à l'aide de ses couverts en noyer.

- Peu importe leur provenance, tu devrais plutôt me remercier d'avoir un ami aussi digne que moi ! répond-t-il en ouvrant de grands yeux comme pour appuyer ses propos. 

Il engoufre son morceau de gaufre en attendant ma réponse.

- Valait-elle le coup ? 

Je continue de le questionner en arborant mon plus beau rictus. Je sais qu'il bouillonne d'envie de tout me raconter. Je parie que c'était une Naïade, nymphe des rivières et des fontaines du jardin d'Eden. 

Le gôut des framboises vivifie mes sens tandis que le chocolat me laisse échapper un soupir de contentement.

Il machouille son bout de repas en plissant les yeux comme s'il réfléchissait au sens de ma question.

- Pourquoi es-tu si envieuse alors que j'ai failli demander ta main bien avant de devenir le don-juan de ces dames ? rétorque-t-il en me pointant avec la lame de son couteau.

J'éclate d'un rire franc et incontrolé laissant tomber ma bouchée qui s'apprêtait à finir dans mon estomac. 

Je lève les yeux au ciel et répond d'un rire enjoué : - Cela fait plus de quatre ans, je pensais que tu étais passé à autre chose ! 

Je prends une seconde bouchée du délice présent dans mon assiette en épongant le chocolat fondu. 

Il fait semblant de s'offusquer posant une main sur son buste, écarquillant les yeux. 

Il pointe cette fois-ci sa fourchette face à moi, menaçant : - Ecoute moi bien, je ne m'en remettrais ja-mais ! 

Nous rions de plus bel, en engloutissant en une bouchée nos gaufres. Si vite d'ailleurs, que j'en ai mal au ventre.

- Tu as préféré offrir ton âme à ton blondinet d'Aaron dans tous les cas, et crois-moi ça a été assez humiliant pour ma part ! me taquine-t-il.

Aaron est mon petit-ami, mon premier amour, il détient mes nombreuses "première fois". Notre histoire est singulière, mature de quelques mois seulement. Je ne profite que très peu de sa présence, ses missions au sein du royaume ne sont pas très claires,. Tout ce que j'ai à ma connaissance, c'est que ses tâches sont dangereuses et doivent rester méconnues pour sa sécurité. Il sert le royaume. Et je le sers également en pansant ses blessures lorsqu'il daigne me rendre visite. 

Nous communiquons la plupart du temps par écrit. Il essaie de m'envoyer une lettre toutes les deux semaines, et je les attends pour m'autoriser à respirer et sentir mon coeur battre de nouveau. Je désire sa compagnie, je désire son regard sur moi. Je désire Aaron malgré ses nombreuses absences et ses nombreux secrets.

Mais peut-on vraiment aimer autrement dans ces lieux ? Peut-il vraiment m'aimer autrement en étant ce qu'il est ? 

Ici les couples se forment uniquement par désir sexuel, pour répondre à la tentation, et la fidélité ne fait pas partie du vocabulaire des amants.

Réfléchir à son sujet me fait penser à voix haute : 

- Je crois qu'il a oublié mon anniversaire, je pensais le voir ici. dis-je en cherchant du regard dans la pièce, espérant le voir apparaître par une des nombreuses portes étroites du cottage. 

Sohann se rafraîchit en portant à ses lèvres une boisson de sève de cerisiers, il me tend la bouteille que j'attrape à mon tour pour laisser le liquide rafraîchir ma trachée.

Il s'essuit sur la paume de sa main et dit : 

- Il reste encore la moitié de la journée, ne cri pas défaite de suite ! Tu sais bien qu'il est sans cesse occupé !

Je remets une mèche sauvage derrière mon oreille et joue avec ma fourchette dans mon assiette vide.

-  Faudrait-il encore savoir où il passe tout son temps. je lâche, pensive.

Le regard de Sohann se remplit de pitié et ses célèbres rides de préoccupation apparaissent sur son front. 

- Angèle je t'ai déjà prévenus sur le fait de fréquenter quelqu'un d'ici...

Il penche la tête pour tenter d'attraper mon regard, mais je me laisse rêvasser en traçant des traits invisibles sur le bois de la table.

- Si j'écoutais tous les conseils que tu me donnes, on ne serait pas assis là à parler de nos conquêtes comme des amis d'enfance. Je me défends.

Il se redresse de son assise. Touché. 

- Pas faux. Bon peu importe, dis moi plutôt comment vont Martha et Isaac ? demande-t-il.

Je soupire, désabusée : - Toujours aussi secret, donc bien, je suppose.

Il se mord les lèvres, comme à chaque fois qu'il essaie de mettre en ordre ses pensées pour ne pas me vexer ou me blesser.

- Par rapport à ton contrat de nouveau ?

Je le regarde et hausse les épaules.

- Evidemment !

Il se mord l'intérieur de la joue désormais, je sais ce qu'il en pense, je sais ce que tout le monde pense de la vérité. Sohann plus que jamais, à essuyer mes nombreux questionnements, notamment les premiers, à l'ombre de mes dix-huit ans. Il sait combien il m'est difficile jour après jour d'être le fruit d'un secret.

- Angie..., il hésite, Et si ta famille ne te cherchait pas ? Tu y as pensés ? Ils seraient revenu te chercher, tu ne penses pas ? 

Il parle lentement, pensant atténuer le poids de ses paroles.

Je sens ma gorge se serrer, mais je ne craquerai pas, je mérite la vérité, plus que n'importe qui d'ailleurs.

Je prends une profonde inspiration et lui répond :

- Et s'ils m'attendaient ? Et si j'avais été arrachée à ma mère ? Et si moi, j'avais envie de les chercher ? Mon ton se fait plus dur que ce que je l'aurai souhaité. 

Mais Sohann et tous mes proches doivent comprendre que l'étau autour de la vérité, de MA vérité se resserre. La question de mon contrat rend Martha et Isaac de plus en plus mal à l'aise. Ma mortalité fascine davantage depuis que je suis devenue une jeune femme, une femme, maître de ses décisions.

Sohann me sourit timidement et attrape ma main pour la serrer dans la sienne en guise d'encouragements.

- Soit, je serai toujours là pour toi, je veux juste te protéger, tu le sais bien. dit-il doucement.

- Je suis forte. affirmais-je franchement.

- Es-tu assez forte pour résister à ton cadeau d'anniversaire ? demande-t-il un sourire en coin. 

Il est fort, vraiment fort pour changer subtilement de sujet. 

Je me redresse, impatiente : 

- Je ne tiens plus ! 

Il se lève alors et part ouvrir le tiroir de la commode en bois de poirier afin d'en sortir une boîte rectangulaire en velour noir.

- Tu ne vas tout de même pas me demander en mariage ? 

Je m'inquiète désormais.

Il fronce les sourcils : - Le fait que cela te déplaise heurte mon estime ! Non, tu n'as qu'à ouvrir l'étui pour t'en assurer. dit-il.

Il me tend le boîtier que je m'empresse d'ouvrir. J'y découvre un bijou à cheveux, de minis roses blanche et rose sont collées en quinconce reliées par deux grosses feuilles de pruniers formant un coeur.

Le bijou est si éblouissant que j'ose à peine le prendre dans mes mains de peur de l'abîmer.

- C'est magnifique ! dis-je, émue.

- Il te plaît ? C'est l'artisane du château qui l'a fait uniquement pour toi !

Je tiens fermement le cadeau dans mes mains et effleure précieusement les pétales.

- Tu as dû y laisser ta fortune ! dis-je inquiète qu'il se ruine pour moi.

- J'ai rendu quelques services. dit-il en m'offrant un clin d'oeil.

Je m'apprête à le serrer dans mes bras pour le remercier quand une sonnerie stridente retentie dans l'habitacle.

- Tiens d'ailleurs, c'est la sonnerie de l'intendance royale. Le roi accueille une festivité importante aujourd'hui, il faut lui amener les mets préparés par ma mère. Elle est absente jusqu'à ce soir, j'ai dis que tu m'aiderais à les apporter à temps. dit-il en haussant les épaules comme si ma réponse était déjà toute faite.

- Bien sûr, dis-moi ce que je dois faire !

J'assassinerai ma bonté si je le pouvais. 

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Merci pour votre lecture ! N'hésitez pas à me donner votre avis en commentaire ! En média voici un dessin d'Angèle, le tout premier que j'ai eu lorsque je débutais l'écriture du Serpent de Rosaceae , c'est Amandine ma dessinatrice (et bêta-lectrice) qui me l'a fait ! Vous pourrez la retrouver sur son Instagram : @amandine.vgnd !

A très vite !

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