Chapitre Cinq
- Tu as une peau bien trop lisse pour vivre ici, tu t'es égarée ? dit mon Inconnue, un sourire aux lèvres.
Sa silhouette est plus fine que la flaque humaine que j'observais il y a quelques minutes.
Que suis-je censée lui répondre ? Devrais-je lui dire que je cherche Sohann ? Ça serait lui avouer que je suis seule. Lui dire que je suis une mortelle perdue ? Non, trop dangereux et stupide.
- Je suis tout à fait à ma place ici. mentis-je en relevant le menton.
Je tente de paraître assurée de mes paroles mais le nœud dans mon estomac prouve que je suis terrifiée.
Son sourire vient alors de nouveau trancher son visage, dévoilant un sourire valant des millions.
Est-ce un sourire moqueur ou de sympathie ? Je pencherai plutôt pour la première option étant donné la nature certaine de mon interlocutrice.
- Vraiment ? dit-elle en se rapprochant de moi non sans tituber, toujours ce sourire aux lèvres.
Je recule d'un pas, cruel instinct d'insécurité.
Oserait-elle m'agresser en plein milieu du château ? Mes cris alerteraient sûrement les habitants des lieux, qui prendraient un malin plaisir à participer au massacre.
- Vraiment.
Je la toise, essayant de paraître la plus sûre possible. Je transpire la peur, c'est honteux.
Elle s'apprêta à me répondre quand elle se mit soudainement à vomir ses trop nombreux verres, souillant les plus beaux des rosiers du patio.
Je détourne le regard, écœurée par la scène, je prie pour que Sohann mette fin à mon supplice.
- Aurais-tu un tissu pour me nettoyer ? demande-t-elle, essoufflée par son état.
Je fouille rapidement les poches intérieures de ma robe et y trouve un tissu brodé, délavé par le temps et les nombreux lavages, je l'offre donc à mon interlocutrice.
Elle s'en saisit et s'essuie le coin des lèvres, une main tenait ses boucles afin qu'elles ne retombent pas devant ses yeux.
Elle se relève, faible, puis se recule pour appuyer son corps frêle contre une colonne en pierre.
- Merci, je te revaudrais ça. dit-elle.
- Est-ce que ça va aller ? demandais-je, consciente qu'une bonne sieste est la seule solution pour une ivresse si matinale.
Des pas rapides et bruyants nous font nous tourner en direction d'un couloir opposé au patio. Une chevelure de feu sort de l'ombre, je soupire d'impatience quand je me rends compte qu'il s'agit enfin de Sohann.
Il accélère ses pas pour nous rejoindre, une fois proche de nous il s'excuse :
- Dieu merci ! Angie je suis vraiment désolé, je ne trouvais personne et après j'ai croisé quelqu'un et...
Il s'arrêta quand il se rendit compte que j'avais de la compagnie.
- C'est vous ! dit l'inconnue, se redressant pour se rapprocher nous. Avez-vous ramené de quoi me rafraîchir ? grommela-t-elle en faisant un clin d'œil à Sohann.
Il pose ses mains sur ses hanches pour la sermonner :
- Vous vous êtes assez rafraichie non ? Vous ne semblez pas dans votre assiette. Ma mère a préparé de quoi rafraichir vos invités uniquement ! persifla-t-il.
Elle leva les yeux au ciel et perdit son sourire habituel. Elle pourrait presque sembler plus sauvage, moins amicale.
- Un verre ou deux ne se sont jamais remarqués ! dit-elle en haussant les épaules.
Son regard se pose désormais sur moi.
- A bientôt Boucle d'Or, se fût un véritable plaisir ! dit-elle en arborant le plus charmeur de ses sourires.
Je me forçais à lui faire un timide sourire de réponse.
Elle s'éloigna de nous en titubant dans les couloirs, en direction de la cuisine où elle pourra s'abreuver à sa guise.
Je me tourne vers Sohann, le fusillant du regard :
- Tu n'as même pas de nouveaux verres ? remarquais-je.
Il toussote et rougit, faisant ressortir ses tâches de rousseurs éparses.
- Personne n'a su me conseiller. dit-il, des gouttes de transpiration coulent le long de son front, il me ment.
- Ne me dis pas que j'ai attendu ici une éternité parce que tu étais en train de séduire une jeune servante !
Je m'insurge, ma phrase ressemble plus à une affirmation qu'à une question, je le connais par cœur.
Il rougit de plus bel et bégaie :
- Je suis sûr que tu l'apprécierais ! se défend-t-il.
Je soupire, exaspérée. Je passe devant lui en direction de la sortie, hors de question de rester une minute de plus ici.
J'entendis ses pas derrière moi lorsque je m'en allais à la recherche de la bête verdâtre pour qu'elle m'ouvre la porte et que je puisse enfin m'enfuir de cet antre de l'horreur.
- Quel anniversaire. dis-je, tentant de le faire culpabiliser.
Ce n'est pas très amical de ma part, je le reconnais, mais ma vingtième année s'annonce tout aussi désolante que les dix dernières avant elle.
- Désormais, la journée est tout à toi ! La prochaine surprise va te plaire ! affirma-t-il en se rapprochant de moi pour mettre son bras autour de mes épaules et me faire une accolade brutale.
Je lève les yeux au ciel et lui donne une tape en retour.
Il a de la chance d'être lui, il n'est pas le pire des amis, il est même plutôt doué quand il le souhaite.
Nous empruntons un itinéraire plus rapide pour retourner chez Sohann et évitons les cadavres remplis de liqueur.
Arrivant près du cottage de Sohann, je remarquai une silhouette de dos arborant une chemise en jersey rouge. Je plisse les yeux tandis que nous nous rapprochons, les cheveux blond décolorés brillants au soleil me serrent le cœur :
Aaron !
Je ris et accélère le pas pour le rejoindre, je manque de trébucher sur une pierre du chemin. Il se retourne dans notre direction et me sourit, le bleu de ses yeux et sa barbe naissante me donnèrent une envolée de papillon au creux du ventre. Il ouvre les bras et m'accueille contre son torse.
- Toi. murmure-t-il en me caressant les cheveux.
Je profite de cette étreinte et du parfum de musc d'Aaron car je sais que ces moments près de lui sont rares.
Quand je me souviens soudain de la présence de Sohann, je mets fin à nos retrouvailles, un sourire aux lèvres. Enfin un moment agréable après cette aventure !
Sohann se tient à l'écart de nous, respectueux, je lui fais signe d'approcher.
- Tu avais raison, cette surprise me plaît plutôt bien ! dis-je.
- Plutôt ? dit Aaron en me tenant le menton pour que je lève les yeux vers lui.
Je ris tandis qu'il me sourit, mes joues me brûlent, qu'est-ce que j'ai l'air naïve amourachée de la sorte. Mais peu importe, je ne le vois que trop peu pour me préoccuper de ce à quoi je ressemble en sa présence.
- Et si on rentrait pour fêter ça comme il se doit ? propose Sohann.
Aaron frappe dans ses mains, visiblement excité. Sohann nous ouvre la porte, j'entre après Aaron et chuchote à mon ami :
- Merci pour tout, je suis sûre que tu as sué pour le rendre disponible.
Il sourit, fier que ma naïveté ne m'aveugle pas à longueur de temps, il m'adresse un clin d'œil. J'arriverai à lui soutirer plus de détails sur comment il s'y est pris plus tard.
Je m'installe près d'Aaron sur une banquette double dans le petit salon style "rococo", non loin de la table en cèdre où résident les cadavres de notre petit-déjeuner.
Il me caresse la joue tandis que je l'observe, son visage me semble plus dur que la dernière fois où nous nous sommes vus. Il m'est difficile de savoir comment va vraiment Aaron, il reste très secret au quotidien, comme n'importe qui à Rosaceae en fin de compte, excepté Simon.
J'aimerai pouvoir l'accompagner dans ses tâches, pouvoir supporter ses peines, ses peurs et ses contretemps. Mais chaque relation est unique et la nôtre n'est pas faite pour être trop régulière, trop fusionnelle.
Sohann dépose de petites coupes à liqueur sur un plateau en bois flotté. Il ouvre une armoire en verre et y emprunte une bouteille remplie d'un liquide ambré.
Aaron se redresse et sourit :
- De la liqueur de bourgeons de pin, bon choix ! dit-il.
Sohann ouvre la fiole et remplit nos verres de cet alcool apparemment si précieux.
- On n'a pas tous les jours vingt ans ! répond Sohann en m'octroyant un sourire encourageant.
Il sait combien il m'est difficile de me réjouir de mes anniversaires depuis quelques années.
Je lui rends son sourire pour le remercier d'être toujours si compréhensif et présent à mes côtés. Puis je me lève pour soulever mon verre, accompagnés par mes amis, nos verres s'entrechoquent et l'alcool court dans notre gorge pour se mêler à notre sang.
Je me lèche les lèvres après avoir terminé mon verre de cette liqueur si douce et sucrée.
- Un autre ? propose Sohann, la bouteille à la main.
M'apprêtant à lui répondre positivement, Aaron pose une main sur ma hanche et m'arrête :
- Attends ! Je veux pouvoir t'offrir mon présent encore sobre !
Impatiente, je hoche la tête et repose mon verre, observant Aaron trifouiller le fond de sa poche arrière.
Il en ressort un petit pochon en soie, noué par un petit nœud blanc délicat. Il le délasse et fait tomber dans sa main un bijou doré.
Il s'agit d'un collier aux fins maillons où vient pendre un Lapis-Lazuli, pierre précieuse bleu foncé.
- Il est merveilleux ! dis-je en soulevant mes cheveux d'une main pour qu'il puisse me l'accrocher dès à présent.
Il s'approche alors de moi et passe ses mains autour de mon corps pour déposer son présent sur ma nuque. D'un œil j'observe Sohann étancher sa soif d'alcool en se servant plusieurs verres, comme si ça allait faire disparaitre son malaise naissant de participer à nos amourettes.
La pierre froide du pendentif se pose sur ma peau et me fait frissonner.
Quant à son tour le collier se pose autour de mon cou, je ressens de vifs pics de douleurs. D'abord subtiles, ils deviennent plus nombreux et plus douloureux.
L'or ! Son cadeau est en Or ! Matière incandescente et proscrite pour les mortelles puisque fondue dans le Brasier des Flammes brûlantes !
Comment a-t-il pu ignorer ça ?
Comme des milliers d'aiguilles chauffées au fer blanc parcourant et perçant ma peau.
J'implore du regard Sohann qui est trop occupé à regarder le fond de son verre.
Je gémis alors de douleurs, m'appuyant sur le bord de la cheminée en pierre pour ne pas m'écrouler.
Je fusille Aaron du regard et l'insulte mentalement aussi fort que je le peux.
La douleur s'intensifie et poignarde ma nuque ainsi que ma gorge, j'ai l'impression d'étouffer sous une corde en feu.
Je le hais, je le hais de toutes mes forces pour son ignorance à mon égard, pour sa maladresse constante et ses absences répétées !
Sohann fait tomber son verre et vient me supporter en m'enroulant de ses bras.
- Qu'est-ce qu'il se passe Angèle ? hurle-t-il, pris de panique.
Les larmes de douleurs roulent sur mes joues, l'emplacement du mal m'empêche de pouvoir articuler quoi que ce soit.
Je fantasme sur le fait d'envoyer au visage d'Aaron un saut de lave brûlante afin de ne pas être la seule à hurler de douleurs.
Je tente le tout pour le tout, la douleur m'irradiant de plus en plus à chaque seconde qui s'écoulent.
J'ai l'impression que ma peau fond comme une poupée de cire oubliée au soleil.
J'attrape le collier de mes propres mains et essaie de l'arracher, mais ce sont alors mes mains qui sont irradiées d'une vive douleur de brûlure.
Cette fois-ci, la douleur étant plus que lancinante, je hurle à pleine voix tentant de me libérer par tous les moyens.
Face à moi, Sohann et Aaron m'observent comme la folle du village qui hurle des insanités sans queue ni tête.
Sohann est désarçonné et tente d'attraper mon regard, il me soutient par la taille et m'aide à m'asseoir au sol en glissant le long du mur. Il pose ses deux mains sur mes joues pour que je puisse soutenir son regard, son contact est glacé comparé au feu qui sévit en moi.
- Dis-moi ce que je peux faire Angie ! Je ne comprends pas ! Reste avec moi, respire ! dit-il la voix tremblante d'inquiétude.
- Elle a trop bu, c'est évident ! intervient Aaron, planté droit comme un piquet, m'observant d'un mauvais œil.
Je glisse un râle de souffrance et de rage à la vue de mon stupide amant. Je ne sais plus si le feu dans mon corps est dû à ce maudit bijou ou à la colère qui m'anime.
Si je le pouvais je lui mettrais un coup de genoux au bon endroit pour qu'il puisse lui aussi, hurler de douleurs.
- Tu crois qu'elle a trop bu ?! Tu crois qu'elle est.., il s'arrête, hurlant. Pris d'une rage immense devant l'ignorance d'Aaron.
La chaleur envahit mon corps, je peux de moins en moins prendre d'air, mes poumons s'affaiblissent.
Je suffoque, ma vision se floute dans des lueurs éparses.
Il faut que je trouve les dernières forces de mon corps pour qu'ils puissent me délivrer.
J'entrouvre les lèvres, soutenue par le regard de Sohann, pendu à mes lèvres.
J'inspire comme si c'était la dernière fois que mes poumons pouvaient supporter cela, dans un dernier souffle, je lâche :
- L'Or....
Sohann écarquille les yeux, comme si ma réponse était une évidence qu'il n'avait pas perçue. Il s'empresse de tirer sur le collier, le faisant s'éparpiller en mille morceaux dans toute la pièce. Libérée du bijou-torture, la douleur se dissipe instantanément, je suffoque encore d'efforts.
Je ferme alors les yeux pour reprendre mes esprits.
Quand je réalise soudain ce qui est arrivé et de quelle façon cela aurait pu se terminer, je laisse l'inquiétude, la fatigue, ainsi que la colère s'écouler et tâcher mes joues.
Sohann à genoux devant moi, relève mes cheveux délicatement, ses narines dilatées, il respire bruyamment, hors de lui.
- Tu veux de l'eau ? demande Aaron de sa voix la plus mielleuse possible.
Sohann se met debout en une demie seconde pour lui faire face, leurs nez se toucheraient presque.
- De l'or ?! Tu lui offres de l'or ?! Mais t'es le pire des empotés ! hurle Sohann, tremblant de colère.
- Je ne me souvenais plus qu'elle était... Mor... Que ce n'était pas fait pour elle ! cri Aaron, tentant misérablement de se défendre.
Qu'elle était quoi ? Mortelle ?
J'aimerai avoir la force d'un ours pour lui en coller une correctement. Mais en vérité cela me brise le cœur de signifier si peu de choses à son égard.
Au final, moi aussi j'avais oublié sa véritable nature, sa dangerosité, être mortelle en ces lieux est ce qu'il y a de pire, mais sortir avec une bête cruelle est du suicide.
La surveillance constante de ce qui peut potentiellement me tuer est un véritable fardeau pour mes proches et moi-même mais c'est ce que font les personnes lorsqu'elles s'aiment non ? Protéger l'autre des dangers quotidiens.
Comment aimer différemment en ces lieux, peut-on vraiment aimer à Rosaceae ?
Aaron est l'orage dévastateur de ma vie. Et c'est cruellement addictif quand tout le monde m'avertit de faire attention à moi, d'offrir ma personne à quelqu'un d'aussi peu soucieux de mon espérance de vie dans cette maudite contrée.
Et si mon instinct c'était ça ? Me rapprocher d'un des dangers de Rosaceae pour mieux m'en avertir, ce qui est sûr, c'est que je n'en sortirai pas gagnante.
Sans la présence de Sohann, Rosaceae et ses montres m'auraient emporté.
Et putain, qu'est-ce que je suis exténuée de me battre chaque seconde pour ma survie.
- Tu gâches tout ! T'en as conscience ?! reprend Sohann.
- Arrêtez ! chuchotais-je à bout de force.
- Je t'ai dit que c'était une erreur !
- C'est toi l'erreur bordel ! répond Sohann.
Sohann se tourna dans ma direction et je remarquais de fines veines noires autour de ses yeux transpercer sa peau de porcelaine. Je suppose que c'est ce qu'il arrive quand votre meilleur ami est un démon.
Mais ma peine était bien trop grande pour me laisser être apeurée par sa nature.
La colère enrouée aux pleurs montait au sein de ma gorge, de nouvelles larmes embuaient ma vision.
Mais je suis si dépassée, je n'arrive pas à croire ce à quoi j'ai échappé le jour de mon propre anniversaire.
Mon rire nerveux mélangé aux sanglots me surprit autant que mon ami et mon amant qui s'arrêtèrent pour me regarder, les yeux ronds.
- Comment j'ai pu penser te faire confiance, bordel Aaron ! je marquai une pause.
Il me regardait dépassé et secoua la tête pour commencer un discours d'excuses plus pitoyables les unes que les autres.
- Non ! Je t'en prie, tais-toi ! riais-je de nervosité en agitant les mains devant moi.
- Ne vois-tu pas combien chaque putain de seconde m'embrase à petit feu ! chuchotais-je la voix emprise de sanglots.
Sohann s'approcha de moi pour frôler mon épaule mais je me reculais. Ai-je vraiment failli mourir le jour de mon anniversaire, tuée par mon propre amant ?
- Et toutes ces lettres que je t'envoie ? Tu ne les lis pas n'est-ce pas ? Toutes ces lignes où je t'explique combien je me sens mal vis-à-vis de ma mortalité ?! pleurais-je.
Aaron déglutit et chuchota :
- Bien sûr que si...
- Tu me répugnes ! lâchais-je. Ton ignorance à mon égard m'écœure. Mais ne savoir rien faire d'autre que t'aimer malgré tout, me détruit encore plus. dis-je dans un souffle entre deux sanglots.
Je secouais la tête, incapable d'en dire plus, je le vis tendre le bras vers moi mais Sohann le raccompagna sans un bruit à l'extérieur.
Et si le silence ne guérissait pas ma douleur, je crois entendre mon cœur s'émietter.
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