Livre cinquième : les Parallèles, ou livre de l'annulaire ; la genèse.

Après le commencement,
Il y eut un temps de silence et d'obscurité ;
Il y eut un temps d'inconscience et de satiété.
C'était avant la colère et la révolte,
Avant la puissance et la gloire,
Avant la chute.
C'était l'époque de la dépendance qui ne disait pas son nom.
C'était un âge sans yeux, un âge sans horizon, un âge sans soleil.
C'était un âge sans passé et sans avenir.
C'était un âge d'insouciance.
En ce temps-là, la conscience n'avait qu'un seul objet d'angoisse :
Le manque.

Puis lentement, vint le temps de la complexité ;
Vint le temps de l'abandon,
Le temps de la solitude, le temps de la peur, le temps de l'Autre.
Ce furent des temps de chagrin et de déchirement.
Ce furent des temps de rupture.
Ce furent des temps de mystères, des temps de découvertes,
Des temps de lumières, des temps de mouvements.
Et ce furent des temps de violences et de caresses.
Je n'aurais pas imaginé, alors, le goût de la liberté,
Ni ce que c'est que d'être soi.
Je me souviens seulement du besoin d'être aimé,
Un besoin oppressant jusqu'à la terreur, et puis rien d'autre.
Les changements étaient comme autour, et soi comme immobile.
Puis sourdement hurlèrent les temps d'orage et de mutation.
Et je sentis clamer la mue, et la métamorphose.
Il y eut au fond de moi une éruption, une guerre, une submersion.
Et je fus dominé.

Je connus l'effondrement, le jaillissement, le tourbillon.
Sans rien comprendre, désemparé, sidéré,
Voilà qu'elles poussèrent,
M'arrachèrent la peau, me déchirèrent le dos,
Me brûlèrent jusqu'aux bras.
Et cela dura, des mois de honte,
Des mois de douleur, des mois à se taire.
Et des années passèrent à cacher ces moignons informes,
Recroquevillés sous les vêtements.

Puis, il y eut Lui.
Il avait des ailes gigantesques qu'il exhibait fièrement,
Avec insolence,
À la face du monde et des rampants.
C'est de ce jour-là que je sus qu'elles avaient leur usage.
C'est de ce jour-là que je sus que je pouvais sortir de la honte.
Et je pris mon envol.