LA CONFESSION DE LAĪOS
Livre premier ; les Analogues, ou livre de l'opposable ; chapitre 2 : Cycle de Laïos ; la confession de LAĪOS
(Le cycle de Laīos comporte une suite de monologues qui se répondent. La divergence par rapport au mythe grec originel consiste en ce que Laīos, roi de Thèbes, y est homosexuel.
De ce postulat, la cause de la rixe qui oppose Laīos et Oedipe qui se rencontrent en croisée de chemin, ignorant tout l'un de l'autre, repose sur le fait que Laīos séduit par le beau jeune homme qu'il ignore être son fils, lui fait des avances. Œdipe les repoussent violemment jusqu'à tuer Laīos.
Les monologues de ce cycle portent les douleurs des trois personnages centraux, à différentes époques du mythe, de Laīos, de Jocaste, son épouse, et du Sphinx s'adressant â Oedipe après le meurtre de son père où le Sphinx tient lieu de la conscience d'Oedipe et porte trace de son hérédité et culpabilité
Le premier texte du cycle est la prise de conscience par Laīos de son homosexualité, pris dans dans son devoir de roi de donner descendance à sa monarchie.)
Ce soir, la femme qui surgit du passé veut m'épouser. Elle me déclare l'Amour que depuis si longtemps elle tait. Mais, elle ne me sait que d'avant deux ans. Elle ne me sait que du temps où je m'ignorais encore, du temps où je croyais l'aimer, de temps où je l'aimais, mais où je ne la désirais pas.
Je me souviens encore de son corps que j'avais su pénétrer à remords, je me rappelle aussi les tremblements qui m'avaient agité et qui l'avaient troublée. Elle ne savait alors que ce qui lui sembla épilepsie n'était qu'hystérie ou dégoût, fuite ou désespoir, angoisse...
Ce qu'elle ne savait pas alors, ce que je me taisais aussi, c'est que les sens me portaient vers les garçons, et que je leur réservais mes émois les plus secrets. Et si les filles pouvaient me toucher par leur grâce et par leur beauté, jamais leur plastique, quelque esthétique qu'elle pût être, ne suscitait en moi cette excitation physique que je ressentais devant certains garçons. Bien sûr, je m'imaginais parfois au lit avec elles, mais cela n'éveillait pas le moindre frémissement en moi, pas le moindre trouble organique. En somme, vulgairement, elles ne me faisaient pas bander !
Oh, bien entendu, je ressentais parfois pour l'une d'entre elles la fièvre d'une émotion, un certain désir contemplatif. Car, j'aimais à les regarder, à me délecter en les caressant du regard, mais, je les considérais interdites, intouchables, insouillables[1]!
Et, tandis que je me détournais de ce à quoi la morale et les conventions me destinaient, mon regard s'attachait de plus en plus aux figures de la beauté masculine. Et j'y trouvais d'autant plus de satisfaction que, non seulement le souci esthétique se trouvait rassasié, mais cette contemplation-là se conjuguait avec des frémissements voluptueux de tout mon corps, et surtout, le cœur manifestait son plaisir par une agitation qui trahissait ses aspirations.
Le constat, certes, aurait dû être facile, mais il me fallut pourtant longtemps avant d'y souscrire, car les conséquences qu'il impliquait inhibaient toute velléité d'acceptation.
Fallait-il que je renonce à ce à quoi tout autre que moi s'abandonne ? Je n'ai fait qu'obéir à la loi de mon désir, de même que chacun y obéit. Et celui qui aime les femmes ne s'est-il jamais demandé pourquoi ? Et lorsqu'on me blâme pour ce qui fait de moi ce que je suis, je devine que celui qui m'accuse est moins assuré de lui que je ne le suis de moi, et que ce qu'il dénonce doit l'interroger cruellement pour qu'il s'en défende avec tant de virulence.
Mais faut-il se défendre pour ce que l'on est ? Sans doute parce que l'on vous condamne trop souvent d'être ce que l'on ne choisit pas. Car s'il m'avait été donné de choisir... Ah, que ne m'a-t-il été donné de choisir !
ÊTRE CET AUTRE QUE JE NE SUIS PAS. Voilà bien mon désir, et voilà aussi pourquoi je suis ainsi.
Mais ce soir, il me faut affronter ce passé que je ne voudrais pas, affronter cette femme dont l'insolence de l'amour fait de moi un objet livré à un désir étranger si persuadé de sa puissance. Et je sais quelle blessure s'ouvre en moi. Je suis l'être-nié de mes origines, et je ne serais jamais qu'un affranchi, un évadé. Et, l'illusion de ma liberté restera toujours ma faute ! C'est là ce qui éveille mon amertume et mes regrets, et cette culpabilité de l'impuissance où l'on me jette, et cette douleur d'avoir été châtré de ce que je ne puis plus être.
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