Chapitre 8




- Je suis navrée pour le retard, s'excusa Leïna auprès de Latifa qui l'avait attendu dans la voiture.

- Ça ne fait rien, j'ai prévenu le cheikh que nous serons bientôt là.

Leïna n'avait pas la moindre envie de s'afficher en public aux côtés de sa sœur et c'est sans doute pour cette raison qu'elle avait fait en sorte que l'appel téléphonique de son père s'éternise. Cette visite avait été organisé par Jafar Al-Rhayar et il lui avait certifié qu'aucun photographe ne serait présent tant qu'elle n'avait pas officiellement fait cette photo prévue demain. Les événements se chevauchaient les uns après les autres et ne lui laissaient aucun répit. Erika de son coté était folle de joie, et s'évertuait à passer un maximum de temps avec son futur mari. Leïna avait l'impression d'être une figurante dans une série télévisée. Ce mariage allait bel et bien avoir lieu et à force de se le répéter en boucle dans sa tête, elle finissait par se faire une raison. Hamid était un peu plus chaleureux avec elle, quant au cheikh chaque fois qu'elle le voyait entrer dans une pièce, elle faisait tout son possible pour le fuir, et cela semblait lui convenir autant que ça lui convenait.

- Vous êtes en train de le mettre en colère, j'espère que vous le savez, lança Latifa sur un ton inquiet.

- Je vous demande pardon ? S'enquit-elle désorientée.

- Le cheikh, vous êtes en train de le mettre très en colère.

- Je peux savoir ce que j'ai fait encore ?

Latifa hésita un instant avant de lui répondre.

- Malgré ce que vous savez déjà, et les raisons qui les accompagne, il fait beaucoup d'efforts pour essayer de vous mettre à l'aise et tente au mieux de ravaler la colère qui l'habite depuis bien trop longtemps. J'ai remarqué...enfin nous avons tous remarqué qu'il essaye tant bien que mal de vous accepter dans le palais et s'évertue à adoucir sa voix quand il s'adresse à vous.

Leïna ne l'avait pas remarqué du tout. Elle avait plutôt l'impression qu'à tout moment il allait bondir sur elle et la tuer.

- Je ne comprends pas pourquoi vous me dites qu'il est colère s'il fait tant d'efforts pour me mettre à l'aise.

- Vous n'arrêtez pas de fuir, vous ne faites aucun effort, chaque fois qu'il se trouve dans une pièce vous essayez par tout les moyens de trouver une issue de secours.

- Je suis navrée mais je ne vois pas comment je pourrais faire autrement. Vôtre souverain a été très clair dès le départ. Il me déteste parce que je représente tout ce qui a détruit cinq ans de sa vie. Il a désormais entre ses mains le pouvoir de détruire ma famille et pour compléter cette longues listes pour ma défense, cet homme est de loin le plus dangereux que j'ai connu de toute ma vie.

- Vous avez raison, vous venez de dresser toutes les raisons qui m'ordonnent de vous avertir. S'il fait un effort de son côté je vous conseille de faire de même. Jafar Al-Rhayar a peut-être eu jusqu'ici une vie sentimentale chaotique il n'en demeure pas moins le souverain le plus adoré depuis des siècles. Ici, il est surnommé le seigneur du désert.

Leïna frissonna en se tordant les mains contre ses genoux.

- Si vous voulez que ce mariage arrangé fonctionne...

- Je suis désormais forcée à vouloir qu'il fonctionne mais je n'ai rien demandé de tout ça Latifa.

- Je le sais, mais je vous en prie, essayez de faire un effort, ici les coutumes sont très importantes et généralement dans les tribus anciennes, la jeune sœur de la mariée a une symbolique particulière, si son altesse s'adonne à tant d'efforts c'est aussi pour cette raison. S'il est capable de mettre de côté la haine qui l'accompagne depuis des années, vous serez capable d'en faire autant.

Les conseils de Latifa la firent réfléchir. S'il est vrai que le cheikh essayait de faire des efforts avec elle et même si elle ne l'avait pas remarqué, il était peut-être temps pour elle de faire de même. Maintenant que les contrats étaient signés, il fallait à tout prix que ce mariage ne connaisse pas d'échec.

- Je ferais de mon mieux, déclara-t-elle en jetant un coup d'œil vers la vitre.

- Merci mademoiselle, vous êtes si gentille, je suis certaine qu'il finira par se faire une raison et réaliser que vous n'êtes pas comme son ex-femme. Il est primordiale que ce mariage soit accepté par le peuple.

Leïna esquissa un sourire timide puis exhala un soupir tremblant.

La voiture s'arrêta devant un gratte-ciel qui en imposait par sa hauteur sensationnelle, mais Leïna n'était pas particulièrement intéressée par la tour en elle-même mais plutôt inquiète de rejoindre les personnes qui se trouvaient à l'intérieur. Heureusement, Latifa était là pour l'accompagner. Le retard qu'elle avait délibérément accumulé allait sans doute lui être bénéfique, car lorsqu'elle pénétra dans la tour, plusieurs personnes étaient déjà massées devant l'exposition.

- Que dois-je faire maintenant ? Demanda-t-elle à Latifa.

Quelques regards étaient déjà dirigés dans leur direction ce qui suffit à la rendre nerveuse. Dans le regard de ces personnes, il était facile de lire leur interrogation. Qui était-elle ?

- Etant donné notre retard je pense qu'il est préférable que nous restions en retrait, le principal c'est que vous soyez là, expliqua-t-elle en posant une main délicate dans son dos. Venez, suivez-moi.

Leïna obtempéra de bonne grâce et la suivit vers les foules de personnes qui progressaient à travers l'exposition. Le cheikh n'avait pas menti, aucun photographe n'était présent ce qui lui permit de se détendre un peu. En suivant Latifa qui tentait de se frayer un chemin, elle aperçut enfin sa sœur, qui bien sûr attirait les regards puisque devant elle, se tenait le souverain accompagné du directeur de l'exposition.

Vêtu comme un homme d'affaires, les mains jointes derrière le dos, le cheikh contemplait les œuvres exposés, le visage impassible. Erika quant à elle, portait une tenue de la marque Dior qui mettait ses courbes en valeur. Leïna qui côtoyait ce genre d'événement que très rarement avait plutôt opté pour une robe crayon sans manches avec de larges bretelles de couleur verte.

Son chignon tressé quant à lui était encore très différent que la coiffure optée par Erika qui elle avait choisi de garder ses cheveux carrés détachés. Leur style était bien différent. Leur vision du monde aussi.

Inspirant profondément et suivit Latifa vers les œuvres d'art et fut immédiatement conquise car elle adorait ça.

Cela faisait près de trente minutes qu'il se contentait de brefs mouvements de tête pour répondre à l'homme chargé de lui faire la visite. À sa suite, Erika le suivait mais ses yeux étaient vides d'intérêt pour les arts présentées. Ce qui l'intéressait en revanche c'était de trouver n'importe quelle brèche pour le séduire. À nombreuses reprises, et en privé, Jafar lui avait pourtant expliqué qu'il ne se passerait rien jusqu'au mariage.

La patience, Jafar était capable d'en avoir pour de nombreuses situations mais aujourd'hui, il n'en avait plus lorsqu'il jeta à nouveau un coup d'œil à l'horloge de la salle d'exposition. La jeune sœur d'Erika avait un retard considérable. Agacé il serra furtivement les mâchoires en se demandant si la jeune femme ne le faisait pas exprès. D'autant plus qu'elle faisait tout son possible pour le fuir. Jafar se livrait pourtant à un exercice extrêmement compliqué et la jeune femme ne l'aidait en rien. Chaque fois qu'il essayait d'être poli, Leïna Reaser sautait sur la moindre occasion pour quitter la pièce et s'enfuir à contresens. Avait-elle au moins conscience des efforts qu'il fournissait pour qu'elle n'ait pas l'impression d'être la bête noire du palais ?

À bout de patience, Jafar se redressa et au moment où il s'apprêtait à mettre un terme à cette visite il aperçut Latifa près des vitres qui renfermaient des pièces anciennes qui racontaient l'histoire de la plus vieille tribu locale. À ses côtés, une jeune femme vêtue d'une robe verte écoutait attentivement l'histoire que Latifa semblait lui narrer. Jafar s'efforça de détourner le regard mais il était presque impossible de le faire, d'ailleurs il remarqua qu'il n'était pas le seul à la regarder. Comment ne pas dévier les yeux sur elle, songea-t-il en serrant furtivement son poing alors qu'il était lui même en train de s'attarder sur ses cheveux enfermés dans un chignon tressé.

N'était-ce pas le but recherché ? S'il avait exigé sa présence c'était pour la faire entrer petit à petit dans ce monde très différent qui l'attendait...

Jafar reporta son attention sur la fin de l'exposition puis dirigea Erika jusqu'à la sortie en prenant soin de suivre des yeux Latifa et la jeune femme qui continuaient de suivre les derniers participants. Il lui fit signe de les suivre immédiatement puis s'engouffra dans la première voiture. Il savait pertinemment que lorsque la jeune femme allait se glisser dans la seconde voiture les personnes de la haute société agglutinées dehors allaient comprendre que la jeune femme avait un lien avec lui et le palais.

- L'exposition était fort agréable, lança Erika en sortant son miroir de poche.

Jafar n'était pas d'humeur à bavarder, trop occupé à réfléchir, trop occupée à tenter de comprendre les raisons qui poussaient la jeune femme à lui rendre la tâche encore plus compliquée qu'elle l'était déjà.

- Oui elle l'était, répondit-il brièvement.

Leïna attendit que la voiture soit suffisamment proche des grilles du palais pour demander au chauffeur de s'arrêter.

- Que faites-vous ? S'alerta Latifa.

- J'ai besoin de marcher un peu.

- Vous pouvez le faire dans les jardins du palais, contrat-elle en lui prenant le bras pour l'arrêter.

- Je sais mais j'ai besoin d'être seule, j'ai besoin de marcher hors du palais, je reste à proximité.

- Mais mademoiselle !

Leïna ferma la portière et se dirigea vers les dunes de sable juste en face de l'imposante demeure. Elle ôta ses chaussures et fut surprise par le vent léger et chaud qui malmenait déjà son chignon. Le sable était chaud, épais et chaque fois que ses pieds s'enfonçait dans celui-ci Leïna avait l'impression qu'il allait l'engloutir. Le silence paisible était comme un havre de paix. Le vent accompagnait ce silence comme le ferait le pépiement des oiseaux sous un beau ciel bleu new-yorkais.

Lorsqu'elle atteignit le sommet de la dune, Leïna se laissa tomber sur le sable et mit sa main en visière pour admirer le spectacle. Une pause salutaire qui l'aida à mieux réfléchir. Ses cheveux étaient balayés si fortement par le vent que plusieurs mèches s'étaient échappées de son chignon. Leïna plongea sa main dans le sable pour en prendre une poignée puis laissa les grains se faufiler entre ses doigts comme un symbole du temps qui était compté.

- Dix minutes de plus et je peux vous assurer que la blancheur de votre peau ne sera plus qu'un souvenir.

Cette voix s'éleva au-dessus du vent. Leïna tourna la tête en direction du cheikh qui avait abandonné sa veste noire exposant cette chemise blanche qui renfermait un corps athlétique. Leïna éprouva à nouveau cette chaleur qu'elle peinait à maîtriser. Pour se rassurer, elle se disait que toutes les autres femmes qui avaient un jour croisé son chemin avaient dû elles aussi éprouver cette même chaleur.

- Je voulais prendre l'air, se justifia-t-elle en se levant maladroitement.

- Il n'y a pas assez d'air à l'intérieur ? Répliqua-t-il en s'avançant sur la dune.

Le vent qui jusqu'ici était acceptable devint fort presque redoutable. Immédiatement Leïna songea au nom qui lui était donné. " Le seigneur du désert "

- Vous étiez en retard pour l'exposition, dit-il comme elle ne répondait pas.

- Mon père a téléphoné au moment où je devais partir, la conversation a durée plus longtemps que prévue.

Il n'émit aucun commentaire et s'approcha juste assez pour être proche d'elle. Leïna glissa malencontreusement son regard sur le col ouvert de sa chemise et sur le teint hâlée de sa peau.

- Écoutez mademoiselle Reaser, si vous ne faites pas un effort je crains que la situation devienne compliquée, commença-t-il d'une voix profonde et sérieuse. Je m'efforce de vous mettre à l'aise, je m'efforce de mettre de côté tout ce qui pourrait être susceptible de rendre nos relations difficiles mais j'ai l'impression que vous n'êtes pas réceptive à ma démarche.

- Si bien sûr que si, mentit-elle en ramenant une mèche derrière son oreille.

- Dans ce cas pour quelle raison cherchez vous à fuir chaque fois que je tente un quelconque dialogue courtois avec vous ?

Premièrement parce que le craignait. Deuxièmement elle savait désormais que chaque fois qu'il posait le regard sur elle, il ne pouvait pas s'empêcher de l'associer à son ex-femme. Troisièmement, Leïna n'avait pas l'habitude de tenir une longue conversation avec un homme et surtout pas avec le genre d'homme qu'il représentait.

- Je vous prie de m'excuser si mon comportement vous a laissé croire ceci, en aucun cas il s'agit d'un acte volontaire. Toute cette situation me rend nerveuse. C'est nouveau pour moi.

Impassible, le cheikh se mit à la dévisager comme s'il essayait de perforer son âme. Leïna le laissa faire en gardant le silence.

- Nous allons devoir faire équipe ensemble mademoiselle Reaser, et pour que ça marche, nous devons tout faire pour que le dialogue s'installe entre nous.

- Oh mais il s'installe la preuve en ce moment, répliqua Leïna en détournant les yeux. Je ne suis pas en train de fuir

Soudain le cheikh et alors qu'elle ne s'y attendait pas, leva sa main et la tendit dans sa direction.

- Dans ce cas, je vous propose de répartir de zéro, nous faire la guerre ne fera rien avancer et je n'ai pas de temps pour ça encore moins l'énergie.

Jafar n'aurait jamais crû un jour être capable de faire ça. La jeune femme avisa sa main tendue avec une certaine hésitation. Sur le haut de cette dune, cheveux au vent elle ressemblait à une étrangère perdue dans l'attente que quelqu'un vienne la sauver...de lui. Elle le craignait autant qu'elle aimait le défier comme pour son voyage à Milan où elle s'était férocement battue pour s'y rendre malgré son refus. Ce que la jeune femme ignorait c'est que dans son pays, dans la tribu de ses ancêtres, la jeune sœur de la future mariée possédait une place importante, une place qui était tout aussi importante que celle de la mariée.

C'était l'une des raisons pour lesquelles il lui demandait de sacrifier cette vie passée loin des projecteurs.

Quand sa main glissa dans la sienne, Jafar se maudit à nouveau d'en apprécier la chaleur et s'attarda sur ses doigts fins enfermés autour des siens. Le péché dressé devant lui avait un parfum d'innocence qu'il avait jusqu'ici refusé de voir. Jafar serra involontairement sa prise sur sa main tout en se faisant la dangereuse promesse de faire tout son possible pour que la jeune femme cesse de le voir comme un ennemi et pour cela il devait rompre le lien, cette connexion qu'il voulait à tout prix établir entre elle et Halima.

Même s'il gardait une certaine méfiance à son égard, Jafar devait reconnaître qu'elle avait elle-même une part de méfiance pour lui et à aucun moment même le plus infime elle avait cherché à le séduire.

Leïna Reaser était une jeune femme mystérieuse, hors du temps, différente et Jafar devait à tout prix percer ce mystère car il avait l'habitude d'avoir le contrôle sur tout ce qui était à sa portée.

Seulement jusqu'ici, Leïna Reaser échappait à son contrôle...

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