Chapitre 35




- Est-ce que...est-ce que je peux m'en aller ?

La voix tremblante de peur d'Austin Felman le fit sortir de sa torpeur. Sombrement, le regard aiguisé comme des lames tranchantes, Jafar récupéra son arme posée sur le bureau et lui fit signe de partir avec cette dernière.

Le charlatan sauta de la chaise et faillit trébucher sur sa mallette en la récupérant.

Mâchoires serrées il le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse dans l'un des ascenseurs.

Ivre de rage, Jafar se leva avec le sentiment écrasant d'avoir perdu son efficacité à déceler le piège avant que celui-ci l'atteigne. Néanmoins, grâce à la dureté dans laquelle il avait été plongé durant la guerre, il avait gagné une capacité redoutable. Celle de détecter l'ombre d'un mensonge, de pouvoir déceler dans chaque expression les mauvaises intentions qui habitent la personne devant lui.

Il rangea son arme et emprunta l'ascenseur à son tour. Les poings serrés, il traversa le trottoir enneigé pour rejoindre l'adresse indiquée et ne pouvait se détacher de la rage qui imprégnait désormais chaque tissu de ses muscles.

Il en voulait à Michael Reaser d'avoir jeté sa fille dans cette spirale infernale dans laquelle il souhaitait égoïstement la garder auprès de lui, avant de réaliser qu'il agissait exactement de la même façon. Sauf que lui n'avait pas tenté de la trahir comme venait de le faire son père.

Gorgé de mauvais sang qui palpitait dans ses veines, Jafar coupa la route au milieu de la circulation fortement animée pour remonter une avenu moins fréquentée.

Si Michael Reaser avait mal agi, il n'était pas coupable de la suite du piège soigneusement tendu par Erika.

Un piège qu'il venait d'anéantir par la force, la menace redoutable qu'il était.

Mais il ne voulait pas en rester là et lui donner l'opportunité de recommencer encore et encore car cela briserait inévitablement sa femme.

En arrivant au lieu de rendez-vous où le fameux Austin Felman devait se rendre, Jafar pénétra dans le café en prenant soins de ne pas se faire remarquer. De loin, il scruta les personne attablées jusqu'à ce qu'il l'aperçoive en compagnie d'une autre femme.

Rictus aux lèvres, assoiffé de vengeance il s'avança en se retenant à mal pour ne pas saisir son arme et se planta devant la table, là où ces deux femmes perfides se tenaient dos à lui, guettant l'arrivé d'un homme qui ne viendra jamais.

- Mon ex-femme et mon ex-fiancée, réunis pour le crime, quelle sordide image nous avons là, lança-t-il d'une voix vibrante de colère.

Halima fut la première à réagir en sursautant. Quand son visage lui apparu après toutes ces années d'exiles, il afficha son dégoût de la revoir. Ses traits autrefois fins étaient grimés par la jalousie, la cupidité, le mépris des autres et la soif d'or. Rien ne semblait l'avoir changé, sauf que désormais sa laideur intérieure avait littéralement dévorée son visage.

Quant à Erika, il regrettait amèrement de l'avoir laissé fouler le sol de son palais et lui avoir permis de jouir de son statut de monarque.

Comment avait-il pu envisager une seule seconde faire d'elle sa femme, songea-t-il un goût infâme dans la gorge.

- Jafar ! Quelle bonne surprise ! Toi à New York ? Lança Halima en se levant précipitamment.

- La question serait plutôt de savoir ce que tu fais ici, siffla-t-il entre ses dents tout en la fusillant du regard. Ton exile était censé se terminer en Afrique du Sud, là où est ta place, loin de l'agitation de ce trafique auquel tu as participé.

Derrière son hâle, la pâleur s'intensifia et elle lança un regard désarmé à son acolyte.

- Pauvre Erika, murmura-t-il d'une sombre voix. Gâcher une telle énergie pour vaincre sa propre sœur. Cela doit être épuisant n'est-ce pas ?

- Je ne comprends pas où vous voulez en venir, je...

- Austin Felman et John Costa le photographe que vous avez gracieusement payé pour qu'il prenne des clichés de ma femme cela ne vous dit rien ?

Jafar s'avança d'un pas menaçant, le regard noir.

- Austin Felman m'a paru si déconcerté de me voir que j'ai tout de suite compris qu'il y avait un piège, poursuivit-il froidement. Le plan était de faire venir Leïna jusqu'à ce rendez-vous, qu'il tente de la séduire et que cet amateur en photographie puisse m'envoyer des photos suggestives pour que je pense qu'elle a une liaison avec ce pauvre type ! Que je puisse croire que ma femme est en réalité une pâle copie de celle qui a un jour partagé mon lit.

Halima tenta de se faufiler sur sa droite mais il la retint par le bras si violemment qu'elle poussa un hoquet de douleur qui attira l'œil des clients.

- Pas si vite ma chère Halima, le jeu est fini ! Trancha Jafar froidement.

- Ce n'est pas ce que vous croyez, je vais tout expliquer, glissa Erika en poussant un rire nerveux.

- Il n'y a absolument rien à expliquer ! Gronda-t-il avec rage. Vous avez tenté de piéger la femme du souverain Al Khahar et cela va vous coûter très cher. Je ne parle même pas des fonds d'investissements que vous avez volé pour que l'on accuse Leïna d'abuser de l'entreprise.

- Tu ne l'aime pas, lança Halima en redressant le menton. Tu ne pourras jamais l'aimer Jafar, tu es hostile à l'amour toi tu aimes la guerre et la surpuissance qu'elle t'apporte. Cette fille n'est qu'une diversion pour toi et je...

Jafar trancha sa voix en la saisissant à la gorge sous les exclamations horrifiés des clients.

- Tu te trompes, chuchota-t-il en approchant sa bouche de son oreille. Leïna m'apporte ce qu'aucune ne pourra un jour me donner, ce que toi tu n'as pas pu me donner. C'est une force qui dépasse de loin celle qui m'a poussé à t'exiler, celle qui m'a donné la réputation d'être impitoyable. C'est pire ma chère Halima et tu vas y goûter dès maintenant.

Jafar la relâcha sèchement.

Elle posa ses mains sur sa gorge en cherchant son air tout en le regardant avec une rage folle, car elle détestait l'humiliation.

Sa rage s'estompa, suivit par un regard horrifié. Sans doute avait-elle enfin distingué les policiers qui venaient d'entrer dans le café.

- Qu'est-ce que tu as fait ?

- Ce que j'aurai dû faire il y a des années maintenant.

Sous les protestations hystérique de son ex-femme, la police lui expliqua ses droits et ce pourquoi on l'accusait.

Une faible lueur de compassion l'avait un jour poussé à couvrir ses liens avec ces trafiquants. Depuis maintenant plus de treize mois, les enquêteurs cherchaient les derniers liens qui avaient pu contribuer à aider ce réseau.

Devant lui, se tenait l'un d'entre eux.

Sans pitié il la regarda se faire embarquer au milieu du café, en le suppliant. Il était trop tard. Jafar devait protéger sa femme. La protéger de ceux qui cherchaient à lui faire du mal.

Et cela impliqué également sa sœur.

- Tu n'auras qu'à téléphoner à Kellan Gordon pour qu'il paye ta cautions, mais en attendant tu appartiens à la justice. Tes tentatives pour piéger Leïna avec les fonds d'investissements ont malheureusement laissé deux ou trois preuves de ton implications.

Jafar s'approcha assez pour qu'elle puisse lire l'enfer qui dansait diaboliquement dans ses yeux puis la toisa avec dégoût.

- Leïna voulait seulement que tu agisses comme une grande sœur, une confidente, une amie, et ta jalousie t'a poussé à lui faire encore plus de mal, lança-t-il sur un ton plus que tranchant.

Avec un semblant de fierté elle leva le menton pour garder bonne figure devant les clients.

Jafar la foudroya du regard jusqu'à ce qu'elle soit escortée hors du café.

- Vous avez enfin pris la bonne décision.

Hamid se tenait en retrait, humblement et lui sourit légèrement.

- Je ne sais pas ce qui m'a empêché de le faire plus tôt, répondit-il en s'installant autour de l'une des tables, forçant ainsi les clients à reprendre le cours de leur vie.

- Vous pensiez que l'exile serait suffisant pour elle, répondit Hamid en le rejoignant. Halima a toujours détesté l'humiliation. Mais je savais que l'annonce de vos fiançailles allait la faire sortir du bois. L'idée que vous puissiez être heureux avec une autre femme qui plus est bien plus belle qu'elle l'a été par le passé était pour elle un affront silencieux. Erika lui a donné une chance de se venger mais encore une fois, vous avez été digne de votre réputation redoutable qui fait de vous un bon roi.

Jafar appréciait le discours chaleureux de son plus fidèle bras droit mais remarqua très vite qu'il brûlait d'en dire plus, comme s'il se retenait poliment d'aller au bout de ses pensées.

- Si je suis un si bon souverain que ça, pour quelle raison tu sembles brûler d'impatience de rajouter quelque chose qui risque de ne pas me plaire ?

Hamid soupira en baissant furtivement les yeux. L'hésitation de son bras droit était si évidente qu'il avait le sentiment écrasant que bientôt, ce dernier allait l'accuser...

Et Jafar avait une vague idée de l'accusation en question.

- Vous comptez la laisser patienter encore longtemps ? Lança-t-il enfin.

- Que veux-tu dire par-là ? S'enquit Jafar les sourcils froncés.

- Êtes-vous conscient qu'elle est amoureuse de vous ou vous faites semblant de ne pas le voir ?

Pour la première fois de sa vie Jafar demeura pétrifié et sans voix, laissant l'opportunité à son fidèle bras droit de poursuivre.

- N'avez-vous pas remarqué la façon dont elle vous regarde et la tristesse qui se décèle facilement dans ses yeux quand elle espère de vous une réponse, un signe que cet amour soit réciproque.

Hamid émit un petit rire en secouant la tête, le regard dans le vague.

- J'ai su que c'était elle à l'instant précis où elle est entrée dans ce salon et qu'elle vous a délibérément manqué de respect. J'ai vu dans vos yeux que son indifférence vous avez blessé ce jour-là, mais il n'y avait pas que ça. Vous étiez intrigué, happé par son charme et sa façon propre à elle de vous ignorer. Puis il y a eu ce combat, cette lutte dans laquelle vous avez tenté désespérément de vous voiler la face.

Hamid braqua alors son regard dans le sien.

- La question maintenant est de savoir combien de temps allez-vous fuir les sentiments que vous avez pour cette jeune femme qui vous a tout donné ? Au risque de la perdre.

- Mes sentiments sont là Hamid, crois-moi ils sont là, dans mes chairs, articula Jafar en plaçant son poing contre son torse. Seulement je ne sais pas comment l'exprimer autrement que dans cette envie de la protéger, dans cette autorité et parfois cette froideur avec laquelle je m'exprime parce que je suis comme ça. Je ne suis pas comme les autres, je ne sais pas comment lui exprimer ce que je ressens parce que personne avant elle ne m'avait donné autant.

- Exprimez-vous, peu importe la façon dont vous allez le faire, mais si vous ne le faites pas, vous allez perdre la seule femme au monde qui vous aime comme personne ne saura vous aimer au point de vous donner sa vie...

Jafar sentit son cœur se réchauffer d'une puissante émotion jusque-là méconnue. Il manqua subitement d'air comme si la réalité était trop étouffante à entendre et pourtant...Hamid avait raison.

Combien de temps allait-il feindre d'ignorer les sentiments qui le rendaient si vivant, si passionné par crainte de ne pas savoir comment lui dire ?

Jusqu'à ce qu'il la perde ?

Cette hypothèse impensable le rendit fou.

Il se leva alors dans précipitation et quitta le café, téléphone portable à son oreille. Il tenta d'abord de la contacter mais ses appels rejetés le laissèrent penser qu'elle dormait peut-être.

- Est-ce que Leïna dort ? Je n'arrive pas à la joindre ? Demanda-t-il à son père en bouclant sa ceinture.

- Non c'est une catastrophe ! Elle est au courant de tout et elle est partie il y a maintenant plus de deux heures sans son téléphone, je ne sais pas où elle peut être.

Jafar sentit le sang lui monter à la tête, et ses mâchoires se mirent à convulser de rage.

- Je vous avais dit de la surveiller ! De ne pas la laisser partir avant mon retour ! S'emporta-t-il en démarrant.

- Je le sais mais elle était tellement bouleversée, se défendit Michael maladroitement. Elle voulait être seule et je ne voulais pas la blesser davantage en lui refusant cette solitude.

Jafar serra son téléphone en étouffant un juron.

- Je vais la retrouver, lâcha-t-il avant de raccrocher en songeant à un endroit en particulier qu'il était le seul à connaître...

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