Chapitre 33
Un goût amer coula dans la gorge de Jafar alors qu'il franchissait les grilles du palais. Une partie de lui n'avait pas envie de retourner à ses fonctions. Les sept jours qu'il venait de passer avec la jeune femme lui avait permis de réaliser une chose essentielle.
Avant elle, sa vie n'avait pas de sens, comme un grand vide abyssal qu'elle venait de combler. Il tourna la tête vers elle, et l'observa dormir, la tête contre la vitre complètement harassée, comblée, la fièvre encore inscrite sur son visage. Jamais il n'avait connu un pareil désir, une pareille expérience. Son corps vibrait encore, dans ses veines le désir continuer de les sillonner, l'obligeant à réprimer à contrecœur cette envie dévastatrice de la faire encore sienne.
Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait fait l'amour, ni même le nombre de fois où ses râles de plaisir s'étaient mêlés aux gémissements de la jeune femme.
Désormais, il connaissait chaque parcelle de son corps, chaque centimètre qui pourrait vibrer contre ses doigts. Sa femme n'avait plus de secret pour lui, et cette pensée gagna son cœur séché.
Avec une tendresse infinie il prit sa main qui reposait sur sa cuisse et la porta à ses lèvres.
Elle s'agita contre la vitre et ouvrit les yeux, un sourire rêveur aux lèvres.
- À quoi rêves-tu jeune fille ? Lança-t-il sur un ton taquin.
Le rose lui monta aux joues alors qu'elle peinait à se redresser.
- Tu es fatiguée, constata-t-il sans lui cacher sa satisfaction de la voir lutter.
- Et ça semble te ravir, répliqua-t-elle en étouffant un bâillement.
Derrière ses lunettes de soleil Jafar contenait à grande peine sa joie pleine de la découvrir si éprouvée physiquement.
- Mon corps semble m'avoir quitté, marmonna-t-elle en se tournant vers la vitre.
- Je suis ravi de l'entendre.
Contrairement à ces prédécesseurs incluant son père, Jafar n'avait pas très envie de partager l'épuisement de Leïna avec les sujets du palais. Un instinct purement possessif ou l'envie seulement de la protéger des regards indiscrets, Jafar l'ignorait, mais décida de passer par l'entrée côté cour.
La jeune femme ne dit rien, approuvant d'un regard sa bienveillance. Dire qu'il aurait pu la laisser partir, songea-t-il avec une colère contenue.
- Tu n'as pas peur que l'on...
- Que l'on quoi Leïna ? La coupa-t-il alors qu'il traversait le grand corridor extérieur en la tenant tout contre lui. Nous avons passé sept jours loin du palais, j'ai même retardé notre départ, un fait qui est largement suffisant pour laisser entendre que tu es comblée.
Jafar n'avait pas la moindre envie de partager cette pureté dans le fond de ses grands yeux, ni même ce sourire à peine esquissé qui portait encore les traces de ses baisers voraces.
Il la déposa sur son grand lit, gratifié d'une nouvelle satisfaction car enfin, elle allait pouvoir dormir avec lui, dans ses appartements privés.
- Je n'imaginais pas ça comme il se présente, nota-t-elle en étudiant les lieux assise sur le lit.
- Et comment jugeais-tu mes appartements ? S'enquit-il en retirant ses chaussures pour qu'elle soit plus à l'aise.
- Eh bien d'abords je pensais le mobiliers plus anciens.
- La plupart l'est habibti, j'ai seulement fait quelques rénovations.
Tendrement, il l'aida à retirer son gilet et d'une pression sur les épaules l'obligea à s'allonger.
- Il faut que tu te reposes maintenant.
- Et toi ?
- Moi je dois retourner à mes fonctions.
La déception se lut sur son visage et le ramena à son inquiétude première. Désormais il fallait qu'il pense pour deux et savait que ça ne serait pas compliqué. Leïna occupait toutes ses pensées.
- Je n'ai pas l'intention de t'abandonner pour mon pays, j'ai l'intention de le chérir avec toi, mais pour l'heure tu dois te reposer. Beaucoup de choses nous attendent dans les prochaines jours.
- Et pour mon père ? Demanda-t-elle d'une voix très soucieuse. As-tu l'intention de faire quelque chose ?
- Bien sûr, affirma-t-il gravement. Je ne peux pas laisser cette histoire nous affecter.
Il caressa son visage et fut surpris quand elle glissa ses doigts autour de son pouce.
- Est-ce que tu es heureux avec moi ?
Jafar reçut un coup en plein cœur. Il aurait dû s'attendre à cette question, sauf qu'il n'était pas prêt à l'élucider, pas maintenant pas devant elle. Il ne voulait pas lui montrer une faiblesse même la plus infime par peur que tout ce qu'il avait bâti jusqu'ici s'effondre.
Malheureusement la jeune femme allongée devant lui le fixait dans l'attente d'une réponse.
Elle qui lui avait offert sa vie attendait de pouvoir soulager son cœur innocent. Jafar n'eut pas la force de la faire attendre et encore moins mentir pour se protéger de lui-même.
- Oui je le suis Leïna, je suis heureux avec toi, répondit-il enfin.
Hélas son temps de réponse laissa un goût amer et l'expression de la jeune femme devint très fermée.
- Habibti tu me rends heureux, répéta-t-il en prenant sa main.
- Le penses-tu sincèrement ou tu essayes juste de m'apaiser ? S'enquit-elle sans lui cacher sa déception.
- Je le pense sincèrement Leïna mais te dire que je suis un expert dans ce genre de déclaration serait un mensonge par omission.
- Pourtant pendant sept jours cela ne t'a pas dérangé, riposta-t-elle en calant sa tête dans sa paume de main. Tu sais Jafar je ne te demande pas de me couvrir de mot que tu ne penses pas, je veux juste la vérité.
- Et je viens de te la donner, insista-t-il en refoulant l'agacement qui le gagnait. Je suis heureux avec toi plus que je ne l'ai jamais été et ces mots viennent du plus profond de mon cœur.
Elle le dévisagea en silence, ne laissant aucune réaction transparaître sur son beau visage. Puis elle leva sa main libre jusqu'à son torse, précisément à l'endroit où son cœur était censé battre.
- Un cœur froid, murmura-t-elle d'une voix altérée par la tristesse.
Jafar saisit son poignet, épris d'un sentiment plus que douloureux.
- Un cœur malheureux mais qui je suis certain est encore capable de se laisser guérir, murmura-t-il à son tour en portant son poignet à ses lèvres.
Leïna força un sourire léger parce qu'elle ne voulait pas lui montrer l'horrible peur qui la tenaillait.
La peur que les sentiments qu'elle commençait à ressentir ne soient pas partagés.
- Repose-toi, lui conseilla-t-il en déposant un baiser sur son front.
Leïna déglutit péniblement en le regardant partir tout en espérant que ces craintes bousculent cet homme trop longtemps laissé dans une profonde solitude.
Elle ferma les yeux et s'abandonna au sommeil pendant une longue nuit qui l'aida à récupérer.
Les jours qui suivirent, Leïna fut livrée à un exercice qu'elle avait réussi haut la main. Si son arabe n'était pas parfait elle était parvenue en trois longues visites officielles à se faire aimer du public. Les journalistes l'avait qualifié comme un ange tombé du ciel pour leur souverain.
Seulement elle rêvait d'être plus que ça aux yeux du roi.
Malgré ses craintes, Jafar avait tenu parole voire pire. Il ne l'avait jamais délaissé depuis leur lune de miel. Pas un seul instant elle s'était sentie seule avec le sentiment de s'ennuyer. Occupée à écrire, à jongler entre l'entreprise et son rôle au côté du souverain, Leïna ne pouvait pas demander mieux.
Enfin si peut-être...
- Assez de travail pour aujourd'hui, décréta-t-il en fermant son ordinateur.
- J'étais en train de faire un point sur le bilan de l'entreprise Jafar, dit-elle en faisant mine d'être mécontente.
- Et moi j'ai passé cinq longues heures en réunion et je veux ma femme à présent.
Il lui prit la main pour qu'elle se lève et s'empressa de l'attirer contre lui.
- Je suis fier de toi est-ce que je te l'ai déjà dit ?
- Non, le taquina-t-elle en dessinant des cercles sur son torse. Enfin si peut-être une ou deux fois mais c'est toujours agréable de l'entendre.
- Le pays est conquis, tu as été exceptionnelle bien plus que tout ce que j'aurai pu attendre de toi, ajouta-t-il en déposant un baiser sur son nez.
Ravie par ces compliments qui lui montèrent au cœur elle lui sourit légèrement en posant sa tête sur son torse.
- Je dois dire que je me plais beaucoup dans cette nouvelle vie, lui confia-t-elle en s'éloignant pour refermer le livre laissé sur le fauteuil. J'aime tout ce que je fais, et je recommence à avoir de l'inspiration.
- Je suis ravi de l'entendre, seulement pourquoi ai-je l'impression qu'il y a un " mais "
- Parce qu'il y en a un, admit-elle en osant à peine le regarder. Mon père me manque et je suis inquiète pour lui.
Derrière ce masque impénétrable, il fronça légèrement des sourcils.
- Tu ne l'as pas eu au téléphoné hier soir ?
- Si, c'est pour ça que je suis inquiète. Il est différent, j'ai l'impression qu'il se passe quelque chose mais j'ignore ce que ça peut bien être. Erika peut-être.
Il dodelina la tête vaguement, l'air très sérieux.
- Nous serons bientôt à New York et nous pourrons ensemble résoudre le problème.
- Tu n'es pas obligé de m'accompagner tu sais, je ne veux pas t'ennuyer avec tout ça.
Leïna regretta amèrement cette suggestion car le cheikh se rembrunit aussitôt.
- Tu ne veux pas que je t'accompagne ? Demanda-t-il sur un ton légèrement froid.
- Bien sûr que si, répondit-elle doucement. C'est juste que toutes ces fêtes de noël, mon père, Erika, je n'ai pas envie de te forcer à venir.
- Ce que je veux c'est être avec ma femme, rétorqua-t-il d'une voix inflexible. Le reste ne m'intéresse guère.
La froideur de son mari semblait tout sauf avoir un lien sur ce prétendu voyage.
- Il y a autre chose qui te met tant en colère est-ce que je me trompe ?
- Non ma douce Leïna, tu ne te trompes pas, il y a bien autre chose, confirma-t-il en s'approchant d'un pas lent où coulait une fureur silencieuse.
Sous l'intensité brûlante de colère de son compagnon Leïna déglutit.
- Tu es ma femme et je n'ai pas l'intention de te laisser voyager seule.
- Un manque terrifiant de confiance alors ? Riposta-t-elle en lui montrant sa déception.
- Ce n'est pas ça c'est...
- Au contraire Jafar c'est exactement ça, le coupa-t-elle en colère à son tour. Tu ne me fais pas assez confiance pour me laisser la possibilité de voyager seule.
- Je te fais confiance, mais tu ne peux pas comprendre, gronda-t-il en s'efforçant de ne pas hausser le ton.
- Oh si j'ai très bien compris, répliqua Leïna avec amertume. Halima toujours Halima, cette femme ne partira donc jamais ! S'agaça-t-elle en posant une main sur son front.
Mon dieu !
C'était leur première dispute officielle depuis leur mariage et celle-ci était la plus douloureuse au point d'en avoir mal au cœur.
- Je suis désolé, dit-il obstinément. Cela n'a rien à voir avec cette femme mais avec moi. J'ai confiance en toi mais je refuse de te laisser franchir les frontières de Khahar sans être avec moi, je ne peux pas je regrette.
- Comment peux-tu dire que tu as confiance en moi alors que tu parles comme un homme qui n'a pas confiance en sa femme et qui l'accuse avant...
- Cela ne vient pas de toi mais de moi, la coupa-t-il en prenant son visage en coupe. Je...cela vient uniquement de moi. J'ai cette crainte que tu puisses quitter cet endroit et ne jamais y revenir.
- Je suis ta femme Jafar ! Où veux-tu que j'aille ?
Il tiqua, les traits durement tirés.
- Ce mariage n'est pas celui que tu aurais voulu tu me l'as dit toi-même, personne n'est à l'abris de se réveiller un jour en réalisant qu'elle a commis une erreur.
Leïna sentit une douleur vriller dans son cœur alors venait de lâcher son visage.
- Tu as raison, ce mariage n'est pas celui que j'avais imaginé mais j'ai grandi et appris de ce monde et si j'ai signé ce contrat c'est parce que je crois en ce mariage contrairement à toi.
La corde la plus sensible venait d'être tirée, et la fureur qui couvrit le regard du cheikh la fit reculer.
- Je crois en ce mariage, articula-t-il d'une voix sombre. Et je compte bien qu'il perdure même au-delà de ma mort. Tu es ma femme Leïna, ma cheikha, et il est absolument hors de question que je te laisse voyager seule. Vois ceci comme la réaction type d'un homme trop possessif, qui ne reculera devant rien dorénavant.
Leïna frémit en soutenant le regard dur et inflexible de son mari.
- Je n'ai plus mon mot à dire de ce que je comprends.
- Pas sur ce sujet là, confirma-t-il d'une voix plus amène. Tu peux me combattre sur n'importe quel sujet si tu le souhaites, mais pas sur ce que je peux ressentir et le combat que je livre depuis notre retour de la maison royale de Zulah pour ne pas te montrer un côté de ma personnalité qui pourrait potentiellement t'effrayer.
Leïna déglutit péniblement en le regardant droit dans les yeux.
- Je ne veux pas que ce mariage continu de se construire avec des pavés de ton passé, je ne vais pas le supporter. Il est absolument hors de question que je livre bataille avec une page cornée de ce passé qui m'a un jour conduit dans cette chambre froide et austère. Je t'ai tout donné de moi, mon corps, mon âme, mes tourments, mes joies, et si tu gâches tout ça, je te quitterai.
Le choc frappa son visage hâlé et une sourde rage s'ensuivit, puis une fougue féroce qui lui coupa le souffle.
Il saisit ses mâchoires avec une main ferme et percuta ses lèvres d'un baiser violent.
Leïna répondit à cet appel, cette envie de tout effacer.
- Tu as raison, murmura-t-il en l'obligeant à le regarder en rejetant sa tête en arrière. Tu m'as tout donné, tu ne mérites pas de subir ces griefs et je regrette mes actions passés. Seulement tu ne peux me demander de refouler ce qu'il y a en moi, même si c'est dangereux, je ne peux pas m'en défaire. Je refuse de te laisser partir au risque de ne plus jamais te revoir.
Leïna sentit son cœur battre à coups redoublés et comprit que cette dispute assez violente lui avait permise de comprendre que derrière cette autorité fière et menaçante, se cachait une redoutable peur...
Celle de la perdre, et qu'il soit à nouveau plongé dans cette sombre solitude qui l'avait trop longtemps imprégner jusqu'à assécher les parois inaccessibles de son cœur...
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