Chapitre 3
Électrifiée par le foudroyant regard du souverain, Leïna en oublia sa politesse irréprochable et quitta le salon en prétextant une urgence dans la cuisine. Son père était sans doute furieux par son comportement mais une sensation étrange l'avait poussé à fuir le plus loin possible de cette menaçante hostilité.
En parvenant jusqu'au plan de travail en marbre, elle s'y appuya étourdie, suscitant l'inquiétude de Nana.
- Moi aussi je suis sortie de cette pièce le visage blême, lui dit-elle en lui tendant un verre d'eau. Bois un peu ça te fera du bien.
- C'est une catastrophe, parvint-elle à dire après s'être hydratée. Il faut que je sorte d'ici, préviens papa que je suis partie m'occuper de la fresque.
Leïna n'attendit pas la réponse de Nana et se faufila dans le jardin pour rejoindre l'allée. Elle monta dans sa Rang Rover et quitta la villa partagée entre le désir de voir sa sœur échouée et protéger son père...
Jafar perçut le bruit d'une voiture quittant l'allée. L'impolitesse de la jeune femme lui fit serrer rageusement le poing. En plus de sa bravade, celle-ci venait de prendre la fuite en laissant son père démuni et visiblement surpris par l'attitude de sa fille.
Un détail l'avait cependant frappé entre les deux sœurs. Elles étaient aux antipodes l'une de l'autre. Erika Reaser était blonde, maquillée, les traits marqués par la chirurgie esthétique qu'il avait pu déceler au premier coup d'œil. D'apparence soignée comme s'il s'agissait là d'une arme redoutable en sa possession, elle avait le profil type des femmes qu'il avait rencontré toute la journée. Leïna Reaser de son côté venait de faire une entrée qui n'avait laissé personne insensible. Cheveux long et bruns, plus petite que sa sœur il avait reconnu la silhouette frêle sur la page de couverture du New York times et s'était délibérément attardé sur les traits de son visage, notamment sur ses yeux finement dessinés en amande recouverts d'une profonde couleur chocolaté. Celle-ci l'avait alors regardé comme un inconnu dont les intentions étaient trompeuses. Jafar était cependant conscient de lui avoir manifesté un mépris menaçant qui l'avait peut-être fait fuir. Seulement, Jafar n'avait pas pu s'en empêcher. Les souvenirs gravitaient encore dans son esprit et la plus jeune fille de Michael Reaser lui invoquaient tout ce qu'il méprisait.
- Votre Majesté êtes-vous avec moi ?
Jafar braqua son regard sur Erika Reaser et ne put s'empêcher d'afficher un rictus.
L'entretien venait seulement de commencer et il ressentait déjà l'agacement le gagner.
- Parlez-moi de vous pour commencer, lui dit-il en essayant d'affiner sa voix dure.
Alors qu'il s'attendait au même et éternel discours, Erika Reaser le surprit pour ses connaissances littéraires et ses positions politiques. Si ses attitudes lui tapaient sur les nerfs elle avait au moins l'une des qualités qu'il attendait. Pour Jafar c'était suffisant mais pas encore définitif pour le publier dans la presse de son pays. Il se voulait prudent et pour cela il fallait qu'il connaisse les moindres travers de cette famille.
À commencer par sa jeune sœur.
- Votre sœur n'a pas été très chaleureuse tout à l'heure, j'aimerais comprendre pour quelle raison elle est à ce point cachée de la presse contrairement à vous.
Ses interrogations eurent bon de la déstabiliser. Elle émit un petit rire d'adolescente prise au piège et sa main qui reposait ridiculement sur son menton tomba sur ses genoux.
- Eh bien disons que père s'emploie à cacher Leïna de la presse parce que...parce qu'elle lui a causé du tort par le passé et il a dû payer une fortune pour que ça ne paraisse jamais dans la presse. Elle est jeune vous comprenez, expliqua-t-elle en terminant par un rire nerveux.
Jafar plissa son regard en analysant avec précaution ses dires.
- C'est curieux parce que j'avais plutôt l'impression que c'était vous la plus scandaleuses après les frasques que j'ai pu lire dans la presse.
Erika Reaser blêmit en se redressant subitement.
- Pour protéger Leïna tout simplement, un sacrifice pour diriger la presse sur moi, c'est une décision difficile à prendre mais mon père a reçu beaucoup de menaces de la part des paparazzis et il a un faible pour ma sœur, alors il a préféré la protéger elle plutôt que moi. Mais je ne nie pas avoir fauté mais c'est du passé désormais.
Jafar se cala contre le dossier de la chaise en réfléchissant à ce détail hautement important.
- Chaque soir elle disparaît et revient à des heures tardives, j'ose à peine savoir ce qu'elle peut faire, ajouta-t-elle en secouant de la tête d'un air désolé. Mais s'il vous plaît je préfère que ça reste entre nous.
- Bien entendu, répondit-il froidement.
Mâchoires serrées, Jafar sentit en lui une colère grandissante. Il n'avait pas besoin de ça. La jeune sœur de sa future épouse allait compromettre le cours du processus et mettre en péril la fusion s'il ne gardait pas un œil sur elle. Il fallait à tout prix qu'il l'empêche de se donner en spectacle avant que le mariage soit prononcé. Dans son pays et après l'énorme scandale qu'avait provoqué son ex-femme il ne pouvait pas se permettre une autre bavure.
- Je tâcherai de régler ce détail, ajouta-t-il sèchement.
- Merci, votre Altesse, dit-elle en lui souriant avec dans le regard une forme de séduction qu'elle tentait de mettre en marche désespérément.
Erika était une très jolie femme mais ne se sentait aucunement attiré par elle, du moins pour l'instant. Peut-être qu'il y parviendrait au fil du temps songea-t-il en se levant.
- Remerciez votre père pour son invitation à séjourner ici mais je la refuse, moi et mes hommes avons à discuter en privé quant au reste du processus. Tâchez d'être prête demain vers midi, je reviendrai m'entretenir avec votre père.
Jafar ne lui laissa pas le temps d'ajouter son petit commentaire et ouvrit la porte sèchement. Hamid se leva dès qu'il le vit et le suivit jusqu'à la sortie.
Une forme de frustration grandissait en lui, celle de n'avoir pas pu trouver une femme qui lui correspondait un peu plus mais garderait cette déception pour lui.
- Alors ? Demanda Hamid une fois dans la voiture.
- Considère que ça sera elle.
- Vous êtes sûr ? Elle...enfin elle me paraît un peu...
Hamid se retint de terminer.
- Elle m'a parlé de politique, de littérature et de peinture, contrairement aux autres. Les apparences sont parfois trompeuses cependant je ne te cache pas qu'elle m'insupporte par moment et je la trouve trop portée sur son physique seulement c'est la seule à m'avoir conquis niveau culture générale. Je n'ai plus de temps à perdre.
Hamid paraissait déçu de son choix mais s'y plia.
- Nous avons cependant un problème que nous allons devoir étouffer jusqu'au mariage.
- Lequel ?
- Sa jeune sœur, commença-t-il non sans lui cacher son mépris. D'après ce que j'ai compris elle est cachée de la presse non par choix mais parce que son père paye pour que ces aventures ne fassent pas la une de la presse.
- Si je peux me permette sa sœur aussi.
- Oui je sais et j'ai eu énormément de mal à la croire lorsqu'elle a laissé entendre que c'était un sacrifice. Je pense qu'elle ment, je pense surtout que ce pauvre Michael Reaser n'a pas réussi à prendre en charge les scandales répétés de ses deux filles et a dû faire un choix stratégique.
Jafar serra le poing car tout ceci lui rappelait ceux qui avaient entaché sa réputation de seigneur du désert à cause d'Halima.
- Je ne laisserai rien passer, ce qui veut dire que nous allons devoir trouver un moyen d'isoler cette jeune intrépide pour qu'il n'y ait pas la moindre éclaboussure.
Hamid acquiesça avec un regard plus ou moins septique.
- Je doute qu'elle nous suive si nous évoquons la véritable raison qui nous pousse à la convier au voyage.
- J'ai un plan pour ça, répondit Jafar déterminé à que tout ce passe selon sa seule et unique volonté...
Au petit matin, Leïna avait à peine touché à son petit-déjeuner. Son ventre était noué, son esprit emprisonné dans cette prison qu'elle s'était construite à l'instant précis où elle avait croisé le regard de son futur beau-frère. Car oui, le doute n'était plus permis, l'attente avait pris fin hier soir pendant son absence. Erika avait réussi le test et grâce à elle.
Une part d'elle était amèrement déçu, mais l'autre était soulagée uniquement pour son père. Cet homme lui avait fait l'effet d'un coup fouet glacial, Leïna avait un horrible pressentiment.
- Chérie est-ce que tu m'entends ?
Quittant sa torpeur, Leïna tourna la tête en direction de son père.
- Oui papa je t'entends, j'étais juste ailleurs.
Erika fredonnait un air de musique depuis cinq minutes faisant ainsi partager son bonheur aux yeux de tous.
- Tu sais que tu as réussi ce test uniquement grâce à moi Erika alors ne te réjoui pas trop vite.
Sa sœur roula des yeux.
- Merci petite sœur, tu es contente ?
- Non, je ne le suis pas car j'ai peur pour la suite. Cet homme m'a fait froid dans le dos et je crains le pire si jamais tu te conduis mal.
- J'ai un entretien avec lui, nous verrons bien ce qu'il aura à me dire chérie, cesse de t'inquiéter, intervint son père.
- Il faut bien que l'un de nous s'inquiète, riposta Leïna stupéfaite par la sérénité de son père.
- Monsieur Reaser, vous avez de la visite, annonça Paul.
Son père se leva aussitôt et s'éloigna sans un mot, les laissant toutes les deux à la table. Erika continuait de sourire comme une idiote lui confirmant un peu plus qu'elle avait raison de s'inquiéter.
- Bon, il est temps pour moi de boucler mes valises, annonça Erika en se levant.
Leïna la regarda s'éloigner dépitée par la naïveté de sa sœur.
À quelques mètres de là dans le bureau de Michael, l'entretien qui avait débuté prit un tournant palpable quand Jafar Al-Rhayar imposa son plan au père des deux sœurs.
- Leïna ? Ma Leïna ? C'est hors de question, répondit-il fermement.
Jafar nota une profonde inquiétude noyer le regard de l'homme d'affaires.
- Je pense qu'il s'agit de la meilleure solution et soyez sans crainte, votre fille sera en sécurité.
- Je ne vois pas en quoi ma fille sera utile pour organiser les préparatifs avec Erika, rétorqua-t-il en essayant de comprendre. Erika peut se débrouiller seule avec l'armée de serviteurs que vous allez mettre à son service. Leïna ne peut pas partir c'est impossible et vous ne pouvez pas comprendre.
En effet, Jafar peinait à comprendre la panique de cet homme qui se pliait en quatre pour étouffer les scandales de ses filles. Forcé de constater qu'il était réellement inquiet, Jafar décida de jouer sur la confiance.
- Bientôt, nos deux familles seront liées monsieur Reaser, et votre dernière fille occupera une place importante par la suite. Elle sera tout aussi protégée qu'elle l'est ici. Vous devez me faire confiance monsieur Reaser. Croyez-moi mes intérêts dans ce...mariage sont tout autant précieux qu'ils le sont pour vous.
Jafar ajouta avec fermeté :
- Je ne laisserai aucun problème se dresser sur mon chemin.
Michael Reaser semblait mordre à l'hameçon mais demeurait toujours hésitant.
- C'est à ma fille de décider, conclut-il en tournant son siège vers l'homme qui se tenait au fond de la pièce. Allez chercher Erika et Leïna tout de suite.
Jafar se carra dans le fauteuil en cuir en ramenant ses mains près de sa bouche secrètement impatient de revoir la jeune femme qui s'était permis de lui tourner le dos.
Dès lors qu'il aperçut sa silhouette suivre celle de sa sœur il nota qu'elle fuyait délibérément son regard. Elle regardait seulement son père créant le même courant glacial de la veille. Jafar n'aimait guère ce comportement mais l'accepta...du moins pour l'instant.
- As-tu oui ou non besoin de ta sœur ?
La question était brutale, destinée à conduire Erika à dire non.
- Pour le bien de la suite de ce mariage, il est plus qu'important que votre sœur fasse partie du voyage, donner la meilleure image possible à mon pays et montrer que cette famille a des bases solides, intervint Jafar qui voyait clairement le jeu de Michael Reaser.
Il jeta un coup d'œil à l'intéressé qui affichait un teint blême qui involontairement faisait ressortir le rose de ses joues. Jafar détourna les yeux sur Erika qui semblait chercher secours auprès de son père. Cependant, Jafar attendit qu'elle le regarde pour lui imposer sa volonté. Hors de question pour lui de laisser Leïna Reaser mettre en péril l'avenir de son pays.
- Oh eh bien, c'est que je pourrais avoir besoin de Leïna pour...
- Depuis quand tu as besoin de moi ? Coupa la jeune femme l'air choquée.
Jafar déporta à nouveau son regard vers la brune dont la voix moins visible la veille venait de s'exprimer clairement, révélant un timbre doux et lisse.
- Depuis toujours enfin ! S'exclama Erika en riant nerveusement.
- Leïna, qu'en penses-tu ? Intervint le père des deux sœurs.
Leïna croisa le regard du souverain et lut à nouveau le même mépris que la veille sauf que cette fois-ci une lueur énigmatique perçait ses yeux noirs. Soudain, alors qu'elle était sur le point de décliner cette invitation totalement délirante, Leïna perçut dans le charisme redoutable de l'homme que si elle refusait une conséquence même la plus infime pourrait affecter la santé de son père.
- Deux semaines pas plus, déclara-t-elle en s'éloignant sans attendre une réponse de la part des personnes présentes dans le bureau...
Jafar ne négociait pas mais garda le silence en la regardant fendre le sol d'un pas mécontent car l'important pour lui c'était de l'avoir au palais, très loin du moindre scandale.
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