Chapitre 26




La nuit qu'elle venait de passer fut sans doute la plus difficile de toute sa vie. Son esprit lui avait refusé un seul instant de paix. La réception s'était pourtant bien passé plus qu'elle l'avait imaginé d'ailleurs. Les invités l'avaient accueilli avec une bienveillance touchante et le cheikh s'était montré à la hauteur de ses attentes silencieuses. Il ne l'avait pas quitté une seule seconde, tenant sa promesse de la protéger. Cependant Leïna n'arrivait toujours pas à se mettre dans l'esprit qu'elle était devenue sa femme en peu de temps. L'avenir lui paraissait incertain surtout qu'il s'agissait là de son deuxième mariage et le moins que l'on puisse dire c'est que le pays attendait beaucoup de leur union à en juger les articles qu'elle survolait depuis plus d'une heure.

" Royal baby en attente "

" Visites officielles ? "

" Son style vestimentaire ? "

" Avait-elle l'étoffe d'une reine ? "

" La jeune mariée va-t-elle fuir le roi avec les onze ans qui les séparent ?

" Est-elle la nouvelle Halima ? "

" Leïna Reaser est-elle amoureuse du cheikh ? "

" Le cheikh aura-t-il enfin son héritier ? "

Leïna posa la tablette sur la table en inspirant péniblement. Une bouffée de chaleur lui monta aux joues alors qu'elle avait l'impression d'être oppressée de l'intérieur. Le poids de ce mariage semblait plus lourd pour elle que pour lui et elle l'avait ressenti la veille lorsque l'imam les avait unis en secret au milieu de la réception.

Dans son regard noir elle était parvenu à déceler une satisfaction, une consécration qu'il refusait presque de dissimuler, mais de son côté Leïna avait eu la sensation d'être épiée comme celle qui n'avait pas le droit à l'erreur. Le poids du passé était toujours présent dans ce palais. Comme si le pays entier gardait en mémoire les cinq longues années d'une reine régnant sur le flux constant de mensonges, de manipulations et de trahison.

- Qu'ai-je dit à propos de ça ?

Leïna quitta sa torpeur en battant des cils énergiquement alors qu'une main virile et bronzée venait de s'emparer de sa tablette pour l'éteindre.

Leïna ne put alors réprimer l'importante bouffée de chaleur qui la galvanisa jusqu'à la racine de ses cheveux. Il ne portait plus cette chemise étroite et blanche qui faisait ressortir son teint hâlé mais une chemise noire plus large, laissant son importante musculature respirer. Sans vraiment le vouloir elle glissa son regard sur le col ouvert de celle-ci et fixa cette toison virile qui se laissait entrevoir. La bouche sèche elle se passa la langue sur les lèvres en le regardant s'asseoir en bout de table.

- Tu ne devrais pas lire ça, ce n'est pas bénéfique pour toi.

- C'est trop tard, admit-elle en remerciant avec un demi sourire le chef cuisinier du palais qui venait de disposer les plats avant de s'éclipser pour les laisser seuls.

- Bonjour, dit-il en gardant son sérieux. As-tu bien dormi ?

- Très peu voire pas du tout.

Leïna avait été conduite dans un appartement plus spacieux sous les ordres du cheikh. D'après Latifa il s'agissait d'une situation temporaire ce qui signifiait que très bientôt elle rejoindrait son lit.

- La nuit a effectivement été très courte, et je pense qu'il n'est pas utile que tu aiguises ces cernes avec une pression supplémentaire.

- Je n'ai pas besoin de lire les articles de presse pour avoir de la pression, elle est partout autour de moi, répliqua Leïna en affrontant cet homme qui désormais, était son mari.

Une lueur traversa ses yeux sombre mais il reste impassible, n'ayant pas quitté une seule seconde cette détermination qui se lisait sur ses traits ciselés.

- Tu es ma femme désormais il est naturel que les regards soient braqués sur toi, répondit-il doucement. Avec le temps cela s'estompera.

- Tu en es sûr ? J'ai plutôt l'impression que je suis sous surveillance accrue comme si le palais redoute que je te trompe le lendemain du mariage.

Ces mots avaient quittés sa bouche un peu trop vite mais il s'agissait là d'une vérité. Pourtant il ne parut pas blessé par son avis un peu trop tranchant. Au lieu de ça il souleva la carafe et lui servit un verre de jus de fruits exotiques.

- Les souvenirs sont tenaces dans l'esprit de mes sujets, cependant leur choix était porté sur toi depuis le début. Ils ont seulement en tête le passé qui les ramène à l'époque où ils ont cru qu'elle était le bon choix.

Leïna fut surprise qu'il n'ait pas prononcé le prénom de son ex-femme.

- Donc je suis à la fois voulue et redoutée si je comprends bien ?

- C'est à peu près ça en effet, mais je vais être très précis, commença-t-il la regardant droit dans les yeux. Le seul avis qui compte avant le leur c'est le mien. Alors ne pensent plus à eux ni à la pression qu'ils peuvent te faire ressentir. Je vais d'ailleurs ordonner qu'ils arrêtent ça dès aujourd'hui.

Sensible à ce ton rassurant qu'il venait d'employer Leïna esquissa un léger sourire mais ce dernier s'évanouit rapidement quand elle baissa les yeux sur le journal posé sur le chariot en argent.

- La presse est exigeante et ce bien avant mon précédent mariage. Tout ce qu'ils peuvent écrire est un moyen comme un autre de nous tester. Ils vont scruter nos moindres regards échangés, tes tenues, ton ventre, tes commentaires, la liste est longue.

Mon ventre ?

Leïna se passa une main dans les cheveux en réprimant un frisson.

- Ils vont essayer de tester tes résistances ainsi que les miennes. Ils vont appuyer sur le fait évident que notre écart d'âge est bien plus considérable que celui des autres épouses qui t'ont précédées à l'exception de ma mère.

Il parlait sur un ton calme, détendu, sûr de lui alors qu'elle avait l'impression d'être à deux doigts de s'évanouir à cette énième révélation.

- Je ne sais pas si c'est censé me rassurer mais...

- Nous sommes le couple qui possède le plus important écart d'âge et ils joueront là-dessus, la coupa-t-il sur un ton plus ferme. Je veux simplement te prévenir de tout ce qu'il pourrait potentiellement t'arriver au cours des deux prochains mois.

- Je ne suis pas sûre de comprendre ?

- Une période dans laquelle les médias vont te soumettre à une évaluation extrêmement strictes, lui expliqua-t-il. La femme qui t'a précédé a échoué au bout de cette période. Elle a été critiqué pour sa vanité et son manque de travail envers les organisations caritatives.

Leïna était de plus en plus surprise qu'il ne prononce pas le prénom de son ex-femme.

- Je vais être soumise à un examen minutieux si j'ai bien tout compris, conclut-elle en soulevant son verre pour le porter à ses lèvres.

- En effet, mais rassure-toi, le travail que tu as fourni tout au long de ton séjour à Khahar te donne l'avantage. Tu as été exemplaire.

Une lueur traversa les yeux du cheikh sans pouvoir la déterminer. Presque instantanément Leïna fut envahie par le souvenir de ses lèvres contre les siennes et une sensation plus que dangereuse courut sur son échine.

- C'est beaucoup d'informations en une seule matinée, glissa-t-elle nerveusement.

- Je suis désolé, je préfère que tu sois informée du moindre détail maintenant afin que nous puissions avancer ensemble avec sérénité.

Leïna hocha de la tête trop bouleversée pour répondre quoi que ce soit. En l'espace d'une soirée sa vie avait pris un tournant que rien ni personne aurait pu prédire.

- Tu as peur, je peux le comprendre.

- Je n'ai pas peur je suis perdue, un peu bouleversée, ce qui peut se comprendre.

Il ne répondit pas, demeurant impassible à ses dires du moins c'est ce qu'elle pensait car Jafar de son côté craignait qu'elle puisse voir dans ce mariage une prison, un piège, et c'est exactement ce que son visage laissait entendre.

Une franche culpabilité se mit à l'envahir car il avait l'impression d'avoir manqué à son devoir en oubliant à quel point cette situation serait plus compliquée pour elle que pour lui. Hier soir elle s'était pourtant montrée à la hauteur de son rang. Au milieu des invités elle lui avait offert une démonstration d'humilité et de douceur qui contrastait avec son tempérament implacable. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait été félicité pour ce mariage qui pourtant, n'aurait jamais pu voir le jour si la jeune femme n'avait pas appuyé sur le bouton nucléaire sans même envisager les conséquences.

Quant au baiser qu'il lui avait donné après sa signature sur le contrat de mariage, il continuait inlassablement de le hanter...

Même si elle lui affirmait n'éprouver aucune peur, Jafar lui était convaincu du contraire. Cette jeune femme venait de sacrifier sa vie pour faire partie de la sienne et il savait au fond de lui qu'elle était assaillie de craintes et d'incertitudes.

Un sentiment fulgurant l'obligea à gonfler son torse d'une respiration bruyante car à chaque fois qu'il plantait son regard dans le sien, il savait qu'elle demeurerait à lui et ce jusqu'à son dernier souffle.

Hors de question que ce mariage échoue et pour lui, le plus compliqué venait tout juste de commencer. Il allait devoir se battre contre les démons de son passé au risque trop grand de mettre en péril tout ce qu'il venait d'entreprendre en un seul soir.

- Tu devrais manger un peu et te ménager pour la journée, lui conseilla-t-il en quittant ses pensées.

Elle se pinça les lèvres, lui offrant une image agréable à regarder. Sa timidité mêlée à sa combativité faisait sa force, une force redoutable à ses yeux car jamais encore il ne s'y était confronté.

Les rares déjeuners partagés avec cette femme qui avait un jour partagé sa vie se faisaient généralement dans un silence assourdissant. Il n'était pas habitué à cela. Pour dire vrai, il n'était habitué à rien de ce qu'elle lui offrait.

- Que vas-tu faire de ton côté ? Demanda-t-elle en mordillant dans un fruit.

- Gérer la frénésie de la presse pour commencer, il est de mon devoir d'annoncer à tous le monde que nous sommes mariés.

- Tu n'as pas peur que l'on puisse dire que nous avons été égoïstes ? Je veux dire je pensais que les mariages aussi importants étaient célébrés en grande pompe.

- Mais tu n'es pas comme ça je me trompe ?

- Non en effet, je déteste me donner en spectacle.

- Alors j'ai fait le bon choix et les photos prisent pendant la réception suffiront à tempérer les mécontentement.

- As-tu autre chose à me dire, n'importe quoi que je devrais savoir ?

Leïna lançait cette question sans lui cacher qu'il ne s'agissait pas d'un hasard. Le cheikh pouvait être de nature imprévisible et savait qu'il pouvait tout aussi bien se montrer honnête que mystérieux. Si elle devait partager sa vie avec lui, elle voulait une honnêteté implacable.

Aujourd'hui, à cet instant précis, Leïna n'attendait rien de lui parce qu'elle savait qu'il n'avait rien connu autre que la guerre et le devoir. Le cheikh Al Khahar n'était pas un homme de sentiments et c'est sans doute la partie la plus effrayante de ce mariage.

Elle qui rêvait d'être aimée était enfermée dans un mariage avec un homme qui ne connaissait rien de l'amour rien des émotions intenses que pouvait connaître l'être humain. La romancière désespérée devait lentement se faire une raison avant que son cœur soit touché par des sentiments loin d'être réciproques. C'était définitivement la partie la plus douloureuse de ce mariage, songea-t-elle en tâchant de réprimer l'expression qui lui montait au visage.

- Chaque fois que je devrais me déplacer dans un autre pays tu devras me suivre, sauf en cas de problèmes de santé.

Ce détail ne manqua pas de la surprendre.

- En quoi je te serais utile ? S'enquit-elle en fronçant des sourcils.

Leïna vit ses mâchoires tressauter légèrement.

- À être avec moi, à m'épauler, répondit-il d'une voix impérieuse et gutturale. Et cela te permettra de voyager.

Il se leva soudain, la prenant sur le fil et lorsqu'il s'approcha vers elle, Leïna sentit tout son sang lui monter à la tête.

- Il est vitale pour moi que notre mariage fonctionne Leïna.

- Tu as quelque chose à te prouver ou attends-tu de moi que je te prouve quelque chose dont je n'ai pas connaissance ? Répliqua-t-elle d'une voix miraculeusement ferme, exigeant ainsi de lui une réponse franche.

Un faible voire infime sourire traça la commissure de ses lèvres.

- Voilà l'une des raisons pour lesquelles je suis convaincu que j'ai fait le bon choix, tu n'as pas peur de m'affronter.

- Ce n'est parce que je t'affronte que je n'ai pas peur, précisa-t-elle. J'ai l'audace de te confronter parce que je sais que tu ne me feras pas de mal.

Il se rembrunit aussitôt et elle regretta ses paroles. L'accident auquel elle avait été confronté il y a des années était sans doute l'exemple parfait. Elle avait d'abord tenté de se défendre contre cet étudiant jusqu'à ce qu'il utilise la violence contre elle afin d'exiger d'elle le silence et la soumission. Kellan Gordon lui avait donné la même impression terrifiante. L'impression d'un homme faible qui pour se rassurer sur sa virilité, aimait s'en prendre aux femmes plutôt que de trouver un adversaire de son niveau.

Jafar lui inspirait une peur différente.

Sa force physique s'imprégnait au mental féroce sur lequel il avait bâti sa domination. S'en prendre à une femme serait pour lui une écrasante humiliation, touchant sa fierté, ses principes, et c'est sans doute pour cela qu'il avait épargné son ex-femme d'un sort bien plus terrifiant que l'exil.

Elle le confrontait avec aplomb parce qu'il ne lui inspirait pas cette faiblesse que Kellan Gordon portait sur son visage derrière ses traits arrogants.

- Si tu fais allusion à ma prise assez violente sur tes bras sache que cela me hante et je le regrette amèrement.

Leïna réprima un rire amer car pour elle cette prise bien que fâcheuse n'était rien comparé à la violence connue par le passé.

- Je l'avais presque oublié, et je ne faisais pas allusion à ça mais aux différentes expériences connues par le passé. Celles qui m'ont fait réaliser que je ne dois pas avoir peur qu'un jour tu puisses intentionnellement me faire du mal. Néanmoins cela ne veut pas dire que je ne ressens pas un peu de peur parce que tu es...

- Intentionnelle ou pas, je n'aurais pas dû me comporter comme ça, j'étais tellement...

Il interrompit, les traits tendus, le regard balayant le tapis, la bouche dessinée en rictus.

- C'était un accident, murmura-t-elle en se levant pour gagner de la hauteur devant son imposante stature intimidante.

Il plongea son regard dans le sien et lut une sourde culpabilité dans la profondeur de ses yeux.

- À ce moment-là j'ai ressenti un besoin irrépressible de te protéger, articula-t-il comme si cela lui coûtait de l'avouer. J'ai senti que je perdais le contrôle sur la colère qui m'assaillait et je le regrette, j'ai conscience que je n'ai pas renvoyé une bonne image mais...elle fait partie de moi malheureusement. Je ne peux l'ignorer.

Au moins il était sincère, songea-t-elle en guettant le rictus qui bordait ses lèvres.

Son cœur sursauta quand sa main chaude se glissa avec hésitation sur son bras à l'endroit précis où l'avait saisi fortement.

- N'ai pas peur de me dire ce que tu penses, jamais. J'aime ça, et tu es sans doute la seule qui aura le droit de défier le roi.

Leïna frissonna à cette première prise de contact totalement différente des autres.

- En tant que femme du souverain, ajouta-t-il d'une voix rauque en remontant sa main jusqu'à son épaule.

Elle ferma les yeux brièvement en se pinçant la lèvre quand elle sentit à nouveau sa bouche embrasser son front.

Selon les traditions du pays, il n'avait aucun droit de la toucher pas tant qu'elle n'était pas définitivement installée dans ses appartements. D'après Latifa, le cheikh était un homme respectueux des traditions, aucune ne le laissait indifférent et surtout pas celle qui concernait le déroulé impressionnant du mariage.

Délicatement, il replaça une mèche de ses cheveux et quitta le salon avec une démarche qui paraissait frustrée. Leïna posa ses mains sur son ventre en prenant une grande inspiration alors que son mari venait de lui donner un petit aperçu très concis de ce qui l'attendait.

Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle était loin d'être prête à confronter son corps et son cœur aux sensations méconnues qui ce jour-là, allaient donner à cette union une tournure que seul l'avenir sera en mesure de définir..

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