Chapitre 23
Leïna venait de passer la nuit la plus atroce de toute sa vie. Elle ne comptait plus les fois où elle s'était effondrée en larmes, recroquevillée sur elle-même. Ses yeux rouges en témoignaient même si elle s'était efforcée de paraître présentable pour le déjeuné.
Les yeux dans le vague elle n'arrivait plus à se connecter à la conversation entamée par Hamid. Elle avait l'impression d'être retenue prisonnière dans une spirale infernale. Erika venait de placer ses pions sur l'échiquier et de son côté elle n'en avait plus qu'un seul.
L'idée qu'elle puisse devenir PDG de l'entreprise de son père lui donna la nausée. Leur père l'avait bâti avec presque rien et pouvait se vanter vingt-ans plus tard d'avoir prospéré sans écraser la concurrence. Hélas, son père qui avait déjà subi une crise cardiaque deux ans plus tôt ne survivrait pas à la destruction de son travail et si Jafar Al Khahar était l'une des plus grande menace à cette table, sa sœur elle, mettrait sans doute moins de temps à la faire plonger en bourse.
- Je crois qu'il serait préférable d'appeler un médecin pour qu'il vous examine, lança une voix ferme à sa droite qui la sortit de sa torpeur.
Leïna leva un regard faible en direction du cheikh et au prix d'un effort surhumain refusa en bougeant sa tête douloureuse.
- Ce n'est pas nécessaire, je me sens juste un peu...fébrile, lui dit-elle en fuyant son regard.
En perte d'oxygène elle ne put s'empêcher d'éprouver de la colère envers cet homme qui sans le savoir venait de bouleverser sa vie à jamais.
- Vous êtes pâle et vous n'avez rien mangé, insista-t-il avec l'appui d'Hamid.
Sa sœur elle, tentait de feindre de l'inquiétude pour elle mais les lueurs dans ses yeux lui indiquaient le contraire. Une nausée lui monta dans la gorge mais elle se reprit. Il le fallait.
- Quand est-ce que mon père sera là ? Demanda-t-elle d'une voix désincarnée d'émotions afin de voiler l'immense chagrin qu'elle retenait en battant des cils pour effacer ces larmes menaçantes.
- Dans quatre heures pourquoi ?
La voix du cheikh semblait agacée mais elle ignora ce détail et se tourna vers lui.
- Je dois lui parler, dit-elle simplement en posant la serviette sur la table. Veuillez m'excuser je dois m'allonger.
Leïna se leva difficilement en ignorant péniblement les regards qui la suivaient puis quitta le salon pour rejoindre sa chambre.
Elle se passa les mains sur le visage quand elle fut seule et s'adossa contre la porte en fermant les yeux. Grâce au ciel, personne ne chercha à la déranger jusqu'à l'arrivée de son père.
Sa première réaction quand elle le vit dans le grand hall fut de pousser un soupir de soulagement avant que la peine ne vienne entacher ces retrouvailles. Quand son père apprendra les réelles motivations de sa sœur, il serait sans doute dévasté et ivre de colère. La culpabilité allait certainement le gagner, car c'est à cause des termes du contrat qu'il avait lui-même rédigé qui allait propulser sa sœur au sommet de l'entreprise.
Du moins pour l'instant.
- Bonjour papa, tu m'as manqué.
Elle huma son odeur puis s'écarta pour le regarder dans les yeux et presque immédiatement, l'inquiétude fit disparaître son sourire.
- Tu n'as pas l'air en forme, remarqua-t-il en levant les yeux au-dessus d'elle.
Consciente qu'il regardait le cheikh placé derrière elle, Leïna sentit un frisson la parcourir.
- J'ai insisté pour qu'elle puisse voir mon médecin mais elle refuse, s'éleva une voix grave derrière elle.
Le mécontentement du cheikh la fit frémir et elle ne supportait plus toutes ces paires d'yeux portées sur elle.
- Je vais bien, insista Leïna en se retournant pour confronter cette armée de yeux braqués sur elle. J'ai passé une mauvaise nuit, ça ira mieux demain.
Éprouvée par le regard du cheikh qu'elle pouvait sentir sur elle, Leïna se tourna vers son père.
- Papa il faut...
- Monsieur Reaser, si vous voulez bien me suivre afin que l'on puisse finir nos affaires, interrompit une voix impérieuse qui l'obligea à se retourner. Vous aurez tout le loisir de parler à votre père qui va séjourner ici pour la nuit.
Leïna n'avait pas la possibilité de le contrer ou bien même d'insister car même son père s'associa au cheikh pour faire valoir ce point.
Alors elle fut contrainte de les regarder s'éloigner sous le regard méprisante d'Erika qui tourna les talons à son tour.
La nuit commençait lentement à tomber sur la façade du palais lorsque Jafar se leva brusquement pour arpenter son bureau. La réunion tenue avec Michael Reaser venait de se finir. Ils avaient pu réévaluer les termes du contrat mais surtout, ils avaient mis en place un dispositif de protection pour sa fille.
La jeune femme suscitait l'inquiétude de nombreuses personnes au palais notamment la sienne. Lorsqu'elle s'était jointe au déjeuné plus tôt dans la journée, Jafar avait été choqué par l'extrême pâleur de son visage. Tout les signes indiquaient qu'elle avait pleuré, notamment ses yeux gonflés et fatigués.
Pendant toute la durée du repas la jeune femme n'avait pas décroché un mot, ni même touchée à son assiette. Pendant une seconde, elle avait donné l'image d'un corps sans âme.
Inquiet voire agacé de ne pas connaître les raisons qui l'avait rendu à ce point livide et presque distante, Jafar avait chargé Latifa de se rendre dans sa chambre pour vérifier qu'elle allait bien.
Cela faisait maintenant plus de dix minutes qu'il attendait de ses nouvelles.
Le temps semblait long, Jafar serra puis desserra ses poings sans s'arrêter de marcher comme un lion en cage.
- Votre altesse, elle n'est pas dans sa chambre.
Jafar bondit hors du bureau sans perdre un instant. La dernière chose qu'il voulait s'est qu'elle puisse partir d'ici en lui donnant le sentiment d'avoir encore été injuste avec elle. La culpabilité le fit marcher rageusement alors qu'il se remémorait la légère froideur avec laquelle il s'était adressé à elle dans le désert.
Jafar sortit dans le jardin pour vérifier si elle s'y trouvait puis leva le regard sur les balcons et l'un d'eux était éclairé. Celui-ci appartenait à la chambre qu'il venait d'attribuer à Michael Reaser.
En s'approchant un peu plus près, il aperçut la silhouette de l'homme qui marchait sur le balcon avec une démarche nerveuse.
Jafar décida d'emprunter l'escalier qui menait au balcon pour rejoindre le père de la jeune femme, persuadé qu'elle se trouvait avec lui.
- Je t'interdis de faire ça !
Jafar ralentit instantanément sa montée pour la rendre silencieuse et se masqua dans l'ombre, le regard rivé sur le père de la jeune femme.
- Ce n'est pas ta décision mais la mienne papa.
Le front plissé, Jafar aperçut la jeune femme qui venait de s'avancer vers son père qui lui tournait le dos. Elle portait une robe blanche en coton, les cheveux détachés ajoutant plus de pâleur à son visage déjà bien marqué.
- C'est le seule moyen d'arrêter Erika, fit-elle valoir en posant une main hésitante dans le dos de son père.
Ce dernier se retourna pour saisir sa main et lui prit le menton fermement.
- Il est absolument hors de question que tu épouses Logan Johson, m'as-tu bien comprise ?
La réaction de Jafar ne perdit pas une seconde à se révéler aussi froide que fut son regard qu'il braqua sur la jeune femme. Son sang ne fit qu'un tour, ses mâchoires se serrèrent si fort que leurs muscles de déformèrent sous leur poids bestial.
- Il est hors de question qu'elle devienne PDG de l'entreprise, répliqua-t-elle en ôtant la main de son père. À l'instant précis où elle touchera ces parts, elle aura un droit de regard sur l'entreprise et ça sera fini.
Michael Reaser se retourna violemment en posant ses mains sur son visage.
- Seigneur qu'est-ce que j'ai fait, souffla-t-il d'une voix blanche. Quand j'ai rédigé ces termes, je pensais que...j'ai toujours été persuadé que tu te marierais en première, certes pas tout de suite mais...
- C'est exactement ce que je vais faire papa, répliqua-t-elle.
- Leïna tu as perdu l'esprit ! Tes sacrifices pour l'entreprise n'iront pas jusqu'à cette folie ! Si j'ai refusé à deux reprises sa proposition c'est parce que je sais qui est ce jeune homme Leïna. Enfin as-tu lu ce qu'on raconte sur lui ? Il a frappé Estella Holt sa dernière petite-amie.
- Et New People disait il y a quatre ans que tu étais gay papa, pourtant tu ne l'es pas. Tu m'as toi-même dit qu'il ne fallait pas écouter toutes les rumeurs dans la presse.
Jafar ignorait comment il tenait jusqu'à maintenant alors que sa respiration erratique était brutale et lourde et ses yeux injectés de sang.
- Il doit bien exister un autre moyen, murmura son père en se passant une main dans les cheveux. Le cheikh peut intervenir, il a déjà investi soixante millions de dollars, il veut m'aider et je suis sûr que...
- Et si jamais Erika faute ? Même si ce n'est pas tout de suite peut-être dans un an ou dix, que penses-tu que le cheikh fera ? As-tu lu le contrat qu'il a fait signé à Erika ?
Le poing serré, rictus aux lèvres, il ne quitta pas des yeux la jeune femme qui paraissait tout aussi déterminée que vaincue.
- L'entreprise pèse cents soixante-quatre millions de dollars, le cheikh Al Khahar pèse des milliard de dollars. Aussi terrifiant que ça l'est pour moi, le cheikh représente un danger quoi qu'il puisse faire pour l'entreprise à l'heure où nous parlons et de toute façon là n'est plus la question. Si Erika arrive à mettre la main sur les quarante pourcents des parts promises elle se donnera un grand plaisir à s'immiscer dans les affaires et nous savons tout les deux ce qu'il s'est passé la dernière fois que ça été le cas. Sven Cosmetic est probablement le meilleur exemple pour prédire ce qu'il va se passer.
- Leïna il est...
- Papa je sais ce que je fais, c'est probablement la décision la plus lucide que j'ai jamais prise de ma vie.
- La plus folle tu veux dire ! Je regrette mais je ne peux pas te laisser faire ça !
- Je ne te donne pas le choix papa, répliqua la jeune femme en aiguisant la colère qui bouillonnait en lui. Tu es trop affaibli pour supporter ça. Tu n'as de cesse de faire tout ton possible pour l'entreprise au détriment de ta santé. Tu n'as pas besoins de ça. Je ne veux pas te perdre papa.
Michael Reaser s'avança jusqu'à sa fille pour poser ses mains fébriles sur ses épaules.
- C'est de la folie Leïna...
La jeune femme inspira brutalement, et Jafar put lire dans ses yeux un mélange de peur, d'incertitude et une farouche détermination à aller au bout de son plan.
- Logan Johson sera présent demain soir lors de la soirée pour l'annonce officielle. Je vais en profiter pour m'entretenir avec lui. Avec un peu de chance nous serons mariés au plus tard Lundi, ce qui veut dire avant Erika.
Jafar serra les mâchoires de plus en plus fort ne sachant pas encore combien de temps il allait pouvoir tenir sans intervenir.
- Et ensuite ? S'enquit Michael d'une voix blanche. Tu resteras malheureuse avec un homme que tu n'aimes pas ? Tu vas partager son lit pendant...
Michael poussa un juron en se détournant de sa fille.
- Tout ce qui nous arrives est en partie de ma faute, déclara-t-elle d'une voix tremblante en s'entourant de ses bras. Si je n'avais pas aidé Erika à passer ce fichu test, jamais tout cela ne serait arrivé. Je dois réparer ça, avec ou sans ton consentement.
Rictus aux lèvres, Jafar suivit des yeux la jeune femme jusqu'à ce qu'elle disparaisse du balcon en laissant son père démuni, adossé sur le marbre du balcon, la tête entre ses mains...
Leïna regagna sa chambre et se mit à l'arpenter le ventre complètement noué. En allant décrire son plan à son père elle s'était attendue à ce qu'il le rejette avec véhémence. Hélas c'était pour elle la seule solution envisageable pour contrer les plans diaboliques de sa sœur.
Les lèvres douloureusement pincées elle cessa de marcher, le regard perdu sur le tapis persans avant que la porte de sa chambre s'ouvre brutalement sur le cheikh.
Leïna bloqua sa respiration et ne put retenir un sursaut de peur lorsqu'il ferma violemment la porte.
- Je n'ai jamais été aussi d'accord avec votre père que ça l'est maintenant petite idiote ! Siffla-t-il entre ses dents serrées.
Leïna cilla en reculant d'un pas en arrière alors qu'il fonçait droit sur elle.
- Je vous demande pardon ? Dit-elle bêtement en le dévisageant.
- Épouser le premier venu est sans doute la décision la plus naïve que j'ai entendu de votre part !
Leïna pâlit avant que la colère prenne le dessus.
- Vous n'aviez aucun droit d'écouter cette conversation privée ! S'indigna-t-elle le menton tremblant.
Ses jambes se mirent à trembler, alors qu'elle sentait l'humiliation la gagner qu'il ait pu l'entendre se vendre elle-même comme une marchandise dans l'unique but de sauver l'entreprise.
- Je suis ici chez moi ! Aussi soyez certaine que chaque parcelle de cet endroit m'appartient ! Rugit-il d'une voix qui la fit frémir.
- Tout ceci ne vous regarde pas ! Objecta Leïna en l'affrontant même si cela lui était pénible.
Le cheikh était méconnaissable et terrifiant. Ses traits ciselés semblaient si creusés de colère qu'à cet instant son visage semblait avoir été choisi pour décrire l'enfer.
- Au contraire ça me regarde ! J'ai avancé votre départ pour que vous puissiez reprendre votre vie, reprendre des études pas pour que vous vous marier à cet homme d'affaires au passé douteux dans le but de contrer votre sœur.
Leïna respirait difficilement et lorsqu'elle voulut répliquer il s'y opposa.
- Votre sacrifice bien qu'il soit une preuve de dévouement honorable n'aura pas lieu ça je vous le garantit, dit-il entre ses dents.
- Cela ne vous regarde pas ! C'est ma vie pas la vôtre ! S'emporta Leïna alors qu'il venait de couvrir les derniers centimètres qui les séparaient. Je ne laisserai pas mon père souffrir des agissements d'Erika. Il s'agit de ce qu'il a bâti et je suis prête à n'importe quelle stupide folie pour la contrer !
Le cheikh s'empara violemment de ses bras. Leïna hoqueta en sentant la plante de ses pieds se décoller lentement du sol.
- Où est passé la romancière impatiente de trouver la grand amour ? Siffla-t-il en la secouant légèrement.
- Quelqu'un lui a montré dans quel monde sordide elle vivait en réalité, répliqua-t-elle bravement alors qu'elle n'était plus qu'une âme apeurée devant un diable dépourvu de pitié.
Le visage tremblant, les mâchoires férocement serrées, le cheikh resserra son emprise sur ses bras, les narines frémissantes.
- Vous n'avez aucun droit sur moi, je suis assez grande pour prendre mes décisions seule. Je vais épouser cet homme et sauver l'entreprise de mon père. N'est-ce pas là tout l'intérêt du devoir que vous avez appris en tant que roi ? Les sacrifice ?
Leïna retint les larmes qui la menaçaient, éprouvant une douleur sourde au niveau de la poitrine alors qu'il n'était plus qu'un bloc de colère rugissant dans les ténèbres. Leïna tint bon, refusant de lui offrir le privilège de la voir sombrer devant lui.
Soudain il la relâcha brutalement. Leïna vacilla en étouffant un hoquet de douleur.
Le plus pénible pour elle c'est d'être confrontée au visage du cheikh marqué par la rage sans comprendre les raisons d'une telle colère.
Sans un mot, il quitta la chambre en refermant violemment la porte derrière lui. Leïna posa une main sur sa bouche en laissant son chagrin se manifester enfin. Elle se laissa tomber sur le tapis persans en sanglotant, choquée par cette confrontation inattendue et terrifiante qui venait de lui révéler la facette la plus effrayante du cheikh. Piégée mais combative et prête à placer son dernier joker dans cette sordide partie d'échec, Leïna n'avait plus qu'un seul et unique souhait.
Quitter ce palais au plus vite même si l'horizon qui l'attendait semblait aussi noir que les ténèbres qui venaient de se manifester autour de ce guerrier impitoyable...
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