Chapitre 20
Essuyant ses mains dans le bout de tissu qu'elle avait découpé plus tôt ce matin, Leïna contempla son œuvre sourire aux lèvres. Il s'agissait d'un grand paysage de dunes de sable avec en arrière-plan un magnifique couché de soleil. Peindre arrivait toujours à la détendre cependant elle ne pouvait oublier comment elle avait obtenu ce matériel. Deux jours plus tôt, en se réveillant difficilement Leïna avait découvert dans le petit salon, des toiles, un chevalet ainsi que du matériel pour exercer sa passion. Un cadeau de pardon que lui avait offert le cheikh.
Leïna l'avait remercié mais n'oubliait pas pour autant toutes les accusations portées contre elle, ainsi que le traitement auquel il avait bien voulu la soumettre. Néanmoins Leïna avait pris une décision afin que le reste de son séjour se termine au mieux.
Tout simplement avancer et voir au jour le jour si le cheikh tiendrait sa parole la concernant.
Celle de ne plus jamais la traiter injustement.
Depuis sa promesse, elle l'avait rarement vu dans le palais. Selon Hamid, le cheikh était en déplacement et son retour au palais avait été annoncé pour aujourd'hui même.
Leïna descendit du tabouret pour se faufiler sur le balcon et se laissa happer par le paysage de Khahar. La perspective de le revoir la rendait déjà nerveuse. Un frisson particulièrement glacial courut dans sa nuque alors que l'air chaud caressait son visage. Tourmentée, elle ne parvenait toujours pas à mettre un mot sur la relation étrange qu'elle entretenait avec le cheikh. Elle ne comprenait pas non plus pour quelle raison il possédait ses pensées pratiquement jour et nuit sans qu'elle puisse s'en détacher. Inutile de le cacher, le cheikh avait une aura très puissante et captivante. Son charisme et sa physionomie massive happaient la foule comme elle avait pu le remarquer lors des visites effectuées plus tôt cette semaine.
Perdue dans ses pensées, Leïna fut interpelée par le hennissement d'un cheval et s'empressa de relever la tête.
Au loin, un étalon noir magnifique galopait à vive allure, fouettant le sable qui se mit à virevolter à chaque frappe de ses sabots. Impressionnée Leïna mit sa main en visière pour mieux apercevoir l'homme qui le montait.
Une peur panique accéléra les battements de son cœur. L'homme habillé tout en noir avait le visage dissimulé derrière un keffieh effrayant et elle pensa immédiatement à une attaque contre le palais avant que les grilles de ce dernier s'ouvre sur le cavalier. L'étalon fut alors ralenti et la voix qu'elle put distinguer au loin appartenait à un seul homme.
Le cheikh...
Une bouffée de chaleur incontrôlable l'envahit alors, et son cœur se mit à battre plus que de raison. Malgré les phénomènes inexpliqués de son corps, Leïna emprunta l'escalier du balcon pour descendre, désireuse de voir l'étalon de plus près. Les mains jointes devant elle, c'est avec hésitation qu'elle s'avança alors que le cheikh venait d'être accueilli par une dizaine de gardes. Captivée malgré elle et après tout le mal qu'il lui avait fait, Leïna frissonna quand elle perçut son regard dur. Le keffieh aiguisait la peur qu'il émanait déjà naturellement et quand les gardes s'effacèrent et qu'il la vit, Leïna fut tentée de rebrousser chemin.
- Bonjour, dit-elle poliment en s'approchant mal à l'aise.
C'était pour ainsi dire la première prise de contact qu'ils s'apprêtaient à avoir depuis ses excuses.
- Bonjour mademoiselle Reaser.
Malgré le son étouffé par le keffieh, Leïna décela un timbre profond et rauque.
- Vous êtes effrayant, lui dit-elle en s'approchant plus près. J'ai crû qu'il s'agissait d'une attaque contre le palais.
Ses yeux se rétrécirent légèrement, signe qu'il venait peut-être de sourire.
- Vous dites toujours ce que vous pensez tout haut n'est-ce pas ?
Leïna haussa des épaules.
- À quoi bon mentir, cela ne fait que retarder l'inévitable, n'est-ce pas ? Répondit-elle en espérant qu'il comprenne là où elle voulait en venir.
Son regard se rembrunit mais il ne dit rien.
Leïna sentit son pouls s'affoler quand il fit un pas dans sa direction.
- Avez-vous fait usage de mes cadeaux pendant mon absence ? Demanda-t-il doucement.
Déstabilisée par cette voix particulièrement chaude, Leïna se mit à battre des paupières en acquiesçant maladroitement.
- Oui, je vous remercie. J'ai fini de peindre ma première toile.
- J'espère que j'aurai la chance de la voir, s'enquit le cheikh en la dévisageant.
Leïna déglutit, les joues sans doute en feu car il n'y avait quasiment plus d'espace entre eux.
- Vous...vous ne pouvez pas retirer ce truc j'ai l'impression de parler avec un...un...
- Un ? Répéta-t-il visiblement amusé par son bégaiement.
- Je constate que ça vous amuse, marmonna-t-elle en se glissant sur la gauche pour lui échapper.
- En effet, cela m'amuse un peu de vous voir à ce point déstabilisée par mon apparence, admit-il avant de lui saisir le bras d'une prise légère pour qu'elle recule.
Leïna tenta d'ignorer les petits picotements qui venaient de la faire frissonner et l'interrogea du regard.
- Rayar n'aime pas les inconnus, il se cabre facilement et peut être dangereux.
- Il est magnifique, j'aimerai beaucoup le caresser, insista Leïna quand il lâcha son bras.
Hélas le cheikh ne semblait pas l'entendre de cette oreille et se posta devant elle pour l'empêcher d'avancer.
- C'est beaucoup trop dangereux, soyez raisonnable Leïna.
Son ton n'était pas menaçant, remarqua-t-elle, résignée à l'écouter. Elle recula à contrecœur de l'étalon qui semblait beaucoup trop calme pour paraître aussi dangereux que son maître semblait le prétendre.
- Votre majesté avez-vous un moment ?
Jafar fut contraint de s'éloigner alors qu'il tenait là peut-être une chance d'obtenir le pardon définitif de la jeune femme. Ce voyage de deux jours dans les montagnes en compagnie des bédouins lui avait permis de s'offrir une chance de comprendre les raisons pour lesquelles il s'était montré si cruel avec elle. À la fin de ses réflexions, Jafar avait fini par réaliser qu'il ne s'agissait pas seulement du désir qui naissait chaque fois qu'il se trouvait avec elle qui le rendait si cruel mais bien pire.
Une partie de lui voulait combattre ce désir et le seul moyen qu'il avait trouvé pour y parvenir c'est de vouloir à tout prix qu'elle se montre identique à Halima. Qu'elle faute, qu'elle lui livre un visage différent pour mieux étouffer voire détruire ce désir ainsi que les redoutables sensations qui l'accompagnaient.
Seulement chaque fois elle lui prouvait inlassablement qu'elle était simplement innocente.
Aujourd'hui il était de retour au palais et il était résigné à affronter ce désir persistant jusqu'à ce qu'elle retourne à New York, persuadé qu'une fois loin d'elle, ce désir allait s'estomper puis disparaître...
- Que se passe-t-il ? Demanda-t-il en quittant des yeux la jeune femme.
- Je sais que vous ne voulez pas consulter l'avis des citoyens avant que la période d'essais s'achève mais je tiens à vous informer que la chaine d'information principale du pays a fait un débat hier soir sur si oui ou non il vous fallait impérativement épouser une étrangère et...
- Il y a encore trois semaines, ces mêmes experts étaient en joie à l'idée qu'une étrangère devienne reine de Khahar pour stabiliser nos dialogues et amitiés politiques ! S'agaça Jafar d'une voix basse.
Hamid plissa son front soucieux.
- Ils ont l'air d'avoir changé d'avis.
Jafar ne voulait pas connaître les critiques maintenant car il savait que le pays était trop protecteur depuis la fin de son mariage avec Hamila. Sa trahison n'était toujours pas passée et il savait que l'œil du public avait une influence de plus en plus grandissante dans le pays.
- Je ne veux rien savoir et ce jusqu'à Samedi prochain, la période n'est pas finie et tu me connais suffisamment pour savoir que je ne ferais pas marche-arrière. C'est bien pour ça que je dois laissé l'avis du public hors de ma portée.
Jafar tiqua avant de poursuivre, le poing serré.
- Je n'ai pas le temps de trouver une autre candidate, je n'ai plus le temps pour rien Hamid.
- L'avis du public se fera sentir Samedi que vous le vouliez ou non votre Majesté, dit-il tout bas. À l'instant précis où le communiqué officiel sera publié, il va valoir que nous nous tenions prêts à subir la vague parce qu'il y en aura une. Soit elle sera bonne, soit elle sera mauvaise.
- Je le sais très bien mais quoi qu'il puisse se passer, Erika fera ce que je lui dit et il finirons par l'accepter, rétorqua Jafar fermement.
Hamid soupira en acquiesçant mais il ne lui cacha pas son pessimisme sur le sujet.
- Je n'ai plus le temps Hamid, insista Jafar rictus aux lèvres. Je n'ai plus le temps pour rien...
Son bras droit lui adressa un regard compréhensif avant d'écarquiller les yeux, le regard projeté derrière lui. Jafar se retourna précipitamment.
La jeune femme caressait la tête de Rayar et ce dernier semblait les apprécier. Il s'avança précipitamment craignant que Rayar se cabre et blesse la jeune femme.
Mais rien ne se passa.
- Impossible, murmura-t-il en dévisageant la scène qui se jouait devant lui.
- Vous m'avez dit qu'il était dangereux mais il n'en es rien, il est adorable ! S'exclama la jeune femme en caressant Rayar tout sourire.
D'ordinaire Rayar n'aimait pas être approché, et devenait très violent. Hamid lui-même en avait fait l'amère expérience trois ans plus tôt.
- Vous avez énormément de chance mademoiselle Reaser ! Il aurait pu vous blesser ! Gronda-t-il en la rejoignant.
Les yeux en amandes de la jeune femme se mirent papillonner d'amusement et de bonheur mêlés.
- Mais il ne l'a pas fait, répliqua-t-elle en le rejoignant sur le côté.
Jafar réprima son agacement forcé de reconnaître qu'elle avait été certes imprudente mais le bonheur qui se lisait dans ses yeux ne méritait pas d'être arraché.
- Je peux vous assurer que vous avez énormément de chance d'être encore debout, Hamid lui n'a pas eu cette chance.
Elle pâlit légèrement en se tournant vers l'intéressé.
- À ce point là ?
- Je vous le confirme, assura Hamid resté en retrait.
Une lueur de déception passa furtivement dans ses yeux.
- Peut-être qu'il fait ça pour se protéger, avança la jeune femme en le caressant.
Comme elle, songea-t-il en se figeant sur ses doigts fins qui glissaient sur Rayar avec une infinie tendresse.
- Vous êtes déjà montée sur un cheval ? Demanda-t-il en retirant son keffieh.
La jeune femme baissa précipitamment les yeux tandis que ses joues se remplissaient d'une belle couleur cramoisie.
- Non mais j'aimerais bien.
- Ça tombe bien nous partons dans le désert, cela vous donnera une occasion de monter l'un de mes chevaux.
Elle releva la tête incapable de dissimuler l'excitation qui se lisait dans ses yeux.
- Vous êtes sérieux ?
- Oui, très sérieux, il s'agit là d'une dernière escapade avant Samedi. Nous allons à la rencontre d'une tribu.
- C'est fantastique ! S'exclama la jeune femme en tournant la tête vers Rayar.
Jafar remarqua que c'était bien la première fois qu'elle paraissait si heureuse ce qui rendait sa beauté encore plus captivante.
- Quand partons-nous ? Demanda-t-elle en levant à nouveau la tête dans sa direction.
Il décela dans ses yeux un peu de nervosité suivit par une rougeur qui se propagea sur ses pommettes.
- Au crépuscule, Latifa va se charger de préparer vos affaires ainsi que celle de votre sœur.
- Un voyage de nuit ? S'étonna-t-elle d'une voix légèrement inquiète.
- Ne vous inquiétez pas, je sais où je vais.
Elle garda le silence en hochant de la tête la main toujours posée sur Rayar. Jafar considérait que c'était peut-être le moment de s'excuser franchement pour son comportement mais une voix aiguë l'en empêcha.
- Quel plaisir de vous revoir !
Erika descendit l'escalier tout sourire et fonça droit sur Rayar qui commença à s'agiter, levant légèrement ses sabots du sol qu'il frotta contre les graviers.
- À propos de ce voyage je...
Jafar s'empressa de réagir vivement et s'empara de la taille de Leïna pour l'écarter à temps. Rayar se cabra affolé, donnant des coups de sabots à l'arrière comme un cheval fou.
Il s'empara des rênes en lui parlant doucement et en arabe pour qu'il se calme et s'éloigna le plus rapidement possible avant qu'il ne blesse quelqu'un.
Leïna respirait comme l'étalon fou dompté par son maître. Le cheikh continuait de s'éloigner avec Rayar sous les plaintes hystériques de sa sœur qui avait chuté en arrière.
- Il a failli me tuer !
- Vous n'auriez pas dû vous approcher si rapidement, lança Hamid en l'aidant à se relever.
- Il a reconnu le mal tout simplement, murmura Leïna tout bas.
- Je te demande pardon ? S'enquit sa sœur sèchement en essayant de retirer la poussière sur sa veste en cachemire.
- Oh rien, je...rien d'important...
- La prochaine fois faites attention ! Gronda une voix gutturale.
Leïna s'entoura de ses bras alors qu'elle rougissait aussi sûrement que le soleil implacable de Khahar tandis qu'elle fixait les avant-bras du cheikh palpitant de veines. Sa large chemise noire dévoilait un fragment de son torse moite de sueur et elle sentit son pouls s'accélérer.
- Il s'est littéralement jeté sur moi ! Protesta Erika en levant le menton.
- S'il l'avait vraiment fait nous ne serions pas en train de parler ensemble croyez-moi sur parole, répliqua-t-il sèchement.
Restée en retrait, Leïna fut contrainte d'assister à une scène plus ou moins forcée quand il lui demanda si elle allait bien en posant une main sur son épaule.
Évidemment Erika s'empressa d'attirer l'attention sur elle, en feignant d'être sous le choc.
- Cet accident me confirme que je ne peux pas faire ce voyage votre Majesté, c'est trop dangereux.
- Je regrette mais ce voyage est la dernière étape et il est impossibles de l'annuler.
- Je suis navrée mais je ne peux pas, insista Erika d'une voix théâtrale. Imaginez que je me blesse avant Samedi, ça serait terrible. Je suis certaine que l'on peut trouver un autre moyen.
Leïna qui se réjouissait de faire ce voyage constatait avec désespoir que sa sœur allait tout faire pour l'annuler.
- Je veux le faire ce voyage, as-tu pensé à moi ? Pour une fois que ça me plaît.
Erika se tourna vers elle pour lui lancer des éclairs.
- Ça te plaît ? Tu es sérieuse ? Sais-tu combien de bestioles il y a dans le désert ? C'est grotesque venant de quelqu'un qui a peur des araignées.
- Je ferais avec, répondit Leïna sans démentir ce qu'elle venait de révéler.
- Je refuse de y aller ! C'est au-dessus de mes forces.
Leïna jeta un bref coup d'œil au cheikh et sentit qu'il allait céder et faire annuler cette escapade. Déçue elle décida de partir pour regagner la chambre.
- Dans ce cas Leïna m'accompagnera seule et vous représentera, décréta le cheikh d'une voix qui se voulait inflexible.
Leïna se stoppa net.
- Quoi ? Mais...Leïna ne peut...
- Leïna viendra avec moi, inutile de discuter mes ordres, la coupa-t-il en levant une main autoritaire. Estimez-vous heureuse que je ne vous force pas à faire ce voyage qui est le plus important.
Figée, Leïna assista impuissante à la décision du cheikh. Bien qu'elle voulait à tout prix faire ce voyage et n'était pas préparée à l'éventualité de le faire seule avec lui.
À cette pensée, Leïna sentit tout son être s'embraser alors que la panique commençait à la submerger.
- Tenez vous prête à dix-neuf heures précise, lui dit-il avant de s'éloigner vers son palais d'une démarche déterminée et implacable.
Le rythme cardiaque affolé, elle le regarda s'éloigner incapable de savoir si oui ou non elle allait survivre à ce voyage qui allait les unir aux toutes premières couleurs incertaines du crépuscule....
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