Chapitre 16




Le harem ?

Leïna qui cherchait à calmer sa respiration voyait celle-ci déjà s'emballer de nouveau. D'une main un peu tremblante elle balaya ses cheveux en arrière en se donnant contenance et tourna la tête sur la gauche. Sa première réaction fut d'être fasciné par le décor ancien de la pièce. Il n'y avait aucune tapisserie murale contrairement aux autres salles. Les murs étaient identiques à ceux de la façade extérieure mais à des endroits, la pierre semblait fragile. Leïna s'arracha de cette porte contre laquelle elle était plaquée depuis trop longtemps et fit un pas en avant. Deux immenses formes implantées dans la pierre ressemblaient à des fenêtres cintrées là où passait la lumière mais aussi le vent, faisant ainsi flotter les voiles immaculés des nombreuses couches installées à même le sol.

- Après l'accès au trône mon père l'a condamné mais a souhaité le laisser tel que vous le voyez en ce moment.

Vivement intéressée elle tourna la tête vers lui incapable de lui cacher sa fascination.

- Vous voulez dire que cet endroit a plus de....

- Depuis 1868 pour être plus précis, mon grand-père a fait quelques modifications pendant son règne mais dans l'ensemble, tout ce que vous voyez là sont des pièces anciennes datant du règne de mon arrière-grand-père.

Leïna avait du mal à y croire et ne put empêcher le sourire qu'elle gardait au fond d'elle de fendre ses lèvres. Elle s'engagea sur le tapis persans avec hésitation en admirant la longueur vertigineuse de la pièce.

- Je peux ? Demanda-t-elle en pointant le peigne à cheveux en argent.

Il lui donna la permission en inclinant la tête.

Jafar avait cédé trop rapidement parce qu'elle le méritait d'une certaine manière. Personne n'avait pénétré l'ancien harem depuis des années, sauf lui qui en était le gardien. En accédant à sa demande Jafar espérait créer un contact avec elle grâce à l'histoire de ses ancêtres peu importe si elle était bonne ou mauvaise à ses yeux. Pour l'instant elle semblait fascinée. Incapable de détacher son regard d'elle, Jafar resta en retrait et la laissa toucher les pièces anciennes qui autrefois avaient appartenu aux favorites du palais.

- C'est normal ? Demanda-t-elle en s'approchant de l'immense ouverture creusé dans la pierre abîmée.

- Oui, répondit-il en faisant un pas en avant alors qu'elle passait ses doigts sur la pierre. À l'époque, il y a très longtemps, le harem était le cœur battant du palais pour le peuple, car il renfermait une part de mystère et surtout, parce qu'il y avait peut-être parmi les jeunes femmes celle qui serait potentiellement la reine. À la nuit tombée les torches éclairaient les ouvertures d'une couleur rougeoyante grâce aux tentures qui à l'époque étaient accrochés le long de ce mur. Les passants étaient fascinés. Les voiles flottaient au gré du vent donnant alors un aspect mystique dans les yeux du spectateur.

- Est-ce qu'elles étaient là de leur plein gré ? Demanda-t-elle en plissant le front.

- Oui, répondit Jafar sans aller plus loin dans les détails.

Plus précisément il attendait qu'elle lui pose des questions.

- Ce lieu renfermait les concubines de vos ancêtres mais est-ce que l'une d'entre est parvenue à devenir plus qu'une favorite ?

- Vous avez l'air contrarié ? Remarqua-t-il en la suivant des yeux alors qu'elle n'osait pas toucher les voiles immaculés des couches.

Elle haussa des épaules en se pinçant les lèvres.

- Je ne suis pas contrariée je me demande juste ce que ces femmes ont pu ressentir d'être ici à attendre un homme tout en éprouvant de la jalousie l'une pour l'autre.

- Il y avait de la jalousie en effet, mais elles étaient toutes désireuses et conscientes de leur propre décision par exemple vous voyez ce tableau.

Jafar le décrocha du mur et la rejoignit pour lui montrer.

- Voici Leila, la toute première favorite de mon arrière grand-père. Il a fait sa connaissance au marché de Faraht. Leila était une jeune femme pétillante qui n'avait pas peur de défier les hommes. Elle a défier mon arrière grand-père en le mettant devant ces responsabilités après l'avoir interpelé au beau milieu du marché. Derrière son voile mauve, elle lui a tenu tête jusqu'à ce qu'il cède et donne la possibilité aux femmes d'aider aux soins dans le village car il y avait très peu de médecins à l'époque et les femmes avaient plus de savoir-faire sur la médecine à base de plantes.

Jafar jeta un coup d'œil à la dérobé et remarqua qu'elle attendait patiemment l'épilogue de son histoire.

- Leila est restée dans ce harem pendant deux longues années où elle a été la favorite.

- Que s'est-il passé ?

- Leila voulait plus que ça, elle est tombée amoureuse avant de réaliser que les sentiments de mon arrière grand-père n'étaient pas aussi fort que les siens. Alors elle est partie pour reprendre son destin en mains et le jour de son départ, il s'est mis à peindre ceci qu'il a ensuite accroché dans le harem comme un modèle à suivre. Leila n'était peut-être pas celle qu'il a épousé mais elle a été pour lui un moteur d'idées pour le pays, c'est elle qui lui a apporter les plus grandes connaissances des villages reculés et ce qu'il devait faire pour y être aimé.

Fascinée, Leïna observa cette belle femme sur le tableau et sentit l'émotion la gagner.

- Elle était très belle, c'est une histoire merveilleuse, murmura-t-elle alors qu'il raccrochait le tableau.

- Malheureusement comme vous l'avez laissé entendre, la jalousie était très présente dans ces lieux. Surtout quand il y a des favorites.

Si on enlevait les belles histoires qui avaient pris vie dans ces lieux historiques, Leïna avait un avis quelque peu tranché sur leur existence même.

- Sincèrement, votre Majesté, ces lieux étaient là pour renfermer des femmes qui devaient divertir le seigneur et lui donner des progénitures je me trompe ?

- Non, vous avez raison, dans certains harems, il y avait des esclaves, des épouses, des concubines, reconnut-il en s'avançant à nouveau vers elle.

- Alors qu'est-ce que celui-ci à de différent des autres ?

- Avant l'accession au trône de mon arrière grand-père, un seigneur du nom de Youssuf Hadzi était le régnant, c'était son cousin. Au lieu de rassembler le pays il y faisait la guerre et les femmes étaient les plus grandes perdantes. Muhad Al Khahar mon arrière grand-père avait quitté le pays pour l'Égypte et n'avait aucune connaissance des crimes de guerre de Youssuf avant qu'un homme prénommé Haziz parvienne à lui en le suppliant d'entrer en guerre contre son cousin pour libérer le pays. Les combats ont duré deux mois avant qu'il parvienne à tuer Youssuf.

Cette histoire faisait froid dans le dos et elle avait le pressentiment qu'elle n'allait pas apprécier la suite.

- Quand mon arrière grand-père est entré dans le palais, il ne s'attendait pas à voir une telle inhumanité et le harem avait été transformé en une cage pour esclaves certaines étaient des enfants.

- Mon dieu c'est affreux, murmura-t-elle.

- Muhad les a libérées et s'est promis de faire de ce lieu un endroit qui renfermerait des femmes conscientes de leur propre choix. Aucune d'elle serait retenue contre sa volonté et c'est comme ça que ce lieu est devenu un mystère fascinant pour le pays.

Leïna n'arrivait plus à se détacher des lèvres du cheikh qui narrait cette histoire comme s'il l'avait vécu. Le regard tourné vers la seconde ouverture plus loin dans la pièce, il s'y avança ce qui la poussa à le suive.

Avec une posture assez fière il posa ses mains sur les rebords en pierre le regard rivé sur l'horizon spectaculaire. Leïna s'avança alors à son tour et le rejoignit pour contempler le spectacle silencieux.

- Puis le harem a fini par perdre de son charme et de son mystère quand Muhad en à créer un autre basé sur les traditions des seigneurs qui ont régné pendant plusieurs siècles sur Khahar dont Youssuf n'avait aucune connaissance.

- Quelles traditions ?

Il quitta l'horizon du regard pour abaisser sa tête vers elle.

Elle ignorait si c'était l'afflux d'histoires qu'il lui racontait ou bien le charme incontestable qu'il possédait mais Leïna était hypnotisée et dut faire preuve d'un effort surhumain pour se ressaisir.

- Vous voyez ce point minuscule au loin ?

Leïna suivit son doigt sur l'endroit qu'il pointait.

- Oui, on dirait une bâtisse.

- En réalité il s'agit d'une villa autrefois appelée la maison royale de Zulah. C'est là-bas que les mariés passent leur nuit de noces.

Leïna fit mine d'être intéressée par ce détail mais en réalité elle ne l'était pas. Savoir que c'est là-bas que sa sœur allait passer sa nuit noces avec cet homme à sa gauche lui donnait des haut-le-cœur.

- La tradition exige qu'après la cérémonie, les mariés s'échappent au milieu de la réception sans que personne ne remarque leur absence. Les noces durent sept jours, et au retour de la mariée, le personnel du palais s'empresse alors d'observer la mariée.

- Pourquoi ? S'enquit-elle en fronçant des sourcils.

- En général ils poussent un grand soupir de soulagement quand les traits de son visage indiquent qu'elle est fatiguée, glissa-t-il d'une voix teintée de mystères.

Fatiguée ?

Leïna releva la tête dans sa direction et fut surprise de constater qu'il avait le regard braqué sur elle.

- Fatiguée ?

- Oui, répondit-il d'une voix gutturale. Fatiguée, et quand je dis fatiguée, je veux dire extrêmement fatiguée.

Une bouffée de chaleur extrêmement sauvage l'envahissait peu à peu, alors qu'elle comprenait le sens de sa phrase volontairement mystérieuse.

Un léger sourire fendit le coin de ses lèvres mais conscient de sa gêne, il reporta son attention sur le paysage.

- Oh....

Il s'agissait sans doute de la réponse la plus courte qu'elle ait pu lui donner jusqu'ici. L'idée même qu'il puisse épuiser Erika au lit lui donna la nausée.

- Je suis resté deux jours avec mon ex-femme, lui confia-t-il d'une voix désintéressé comme si ce souvenir lui était fade. À notre retour, elle est passée devant le personnel avec une démarche digne d'une aristocrate mais a laissé l'image d'un mauvais présage.

- Est-ce trop intrusif de ma part de vous demander pourquoi ?

Il quitta l'horizon du regard pour planter ses yeux dans les siens.

- Notre nuit de noces ne s'est pas présentée comme elle l'espérait et je crois que c'était volontaire de ma part, répondit le cheikh sans s'épancher sur les détails.

Il s'éloigna alors de l'ouverture pour se diriger vers la porte.

- Assez pour aujourd'hui mademoiselle Reaser, décréta-t-il en ouvrant la porte. J'espère néanmoins que votre esprit de nature curieux a été rassasié ?

Leïna balaya une mèche imaginaire de son visage en acquiesçant avec un léger sourire avant que ses pensées deviennent trop envahissantes et la troublent plus que ne l'aurait voulu.

Un goût assez amer coula dans sa gorge en imaginant sa sœur dans cette maison royale, avec le cheikh, aiguisant son appétit sexuel dans les bras de cet homme musclé, viril et cette pensée déplacée la conduisit tout droit vers le mur à côté de la porte qu'elle aurait dû normalement franchir. Elle heurta le mur de plein fouet, le choc fut si douloureux et sonore qu'elle sentit derrière elle une main se glisser dans son dos en guise de réconfort tandis qu'elle avait ses deux mains sur son front.

- Bon sang ! Est-ce que ça va ?

- Oh...seigneur j'en avais besoin, dit-elle en grimaçant de douleur. Enfin je veux dire ça va...aïe mon Dieu c'est douloureux.

- Laissez-moi regarder ! Gronda-t-il en saisissant ses poignets pour la forcer à abaisser ses mains.

Leïna cligna des yeux plusieurs fois complètement sonnée par le choc.

- Je...ça m'apprendra à trop...penser, balbutia-t-elle affreusement honteuse.

- En attendant vous saignez, venez...

Une main agrippa son bras et pour une fois elle accueillit cette prise comme un soutien inespéré car elle avait l'impression de vaciller à chacun de ses pas.

Elle leva la main vers son front mais il l'arrêta.

- Ne touchez à rien, ordonna-t-il d'une voix grave en l'aidant à descendre les marches.

Elle fut conduite dans une pièce et fut obligée de s'asseoir dans un canapé qu'elle craignait de tacher. Une goutte de sang perla sur sa paupière puis une autre sur sa robe.

- Quelle idiote ! Je suis...

Jafar déchira une compresse en deux puis la posa au-dessus de son sourcil droit qui avait souffert de l'impact assez brutal. Elle poussa un léger gémissement de douleur mais se laissa faire.

- Vous avez énormément de chance que ce ne soit pas ouvert, lui dit-il en examinant la plaie assez profonde.

Il s'installa à ses côtés en pressant la compresse sur son front.

- Bon sang la prochaine fois regardez où vous allez !

La jeune femme ouvrit ses paupières sans réagir à son ton assez sévère. Probablement sonnée par le choc, elle se contenta de fermer les yeux en grimaçant.

- Je suis désolée, fut sa seule réponse et Jafar n'eut pas le cœur à répliquer.

Il s'appliqua à soigner sa plaie tout en luttant contre l'impérieux désir qu'il ressentit quand il toucha son visage pour la première fois. L'une de ses mains continuait de maintenir la compresse tandis que l'autre était posée sur sa joue gauche afin de maintenir son visage immobile. Jamais il n'avait touché une peau aussi douce et il profita qu'elle ait les yeux fermés pour observer chaque détail de son visage si près du sien.

Jafar serra furtivement les mâchoires pour revenir à la raison et poursuivit les soins non sans difficultés.

- Voilà, je pense que ça devrait suffire, déclara-t-il en appliquant le pansement.

La jeune femme ouvrit les yeux et ressentit la gêne qui se lisait également dans les lueurs de ses yeux.

- Merci beaucoup, murmura-t-elle en glissant timidement la naissance de ses doigts sur le pansement.

Jafar, incapable de détourner le regard fut forcé de le faire lorsque Hamid se présenta au seuil de la porte ouverte.

Il se leva à la hâte pour s'arracher de cette proximité dangereuse.

Car oui, elle l'était.

Aussi dangereuse que ce désir persistant qu'il ne parvenait pas à faire disparaître.

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