Chapitre 13
Leïna se tenait sur le grand balcon principal et contemplait l'immense paysage désertique entrecoupé par la clarté de cette couleur bleu qu'on pouvait distinguer depuis le palais. C'était une nouvelle journée, une autre de plus dans ce palais des milles et une nuit sans savoir ce que l'avenir lui réservait ou plutôt le maître qui dirigeait ce royaume. Latifa l'avait prévenu du départ de sa sœur en ville pour restaurer sa garde robes. Depuis l'incident, ni l'une ni l'autre ne s'était adressée la parole, mais elle n'oublierait sans doute jamais le ton suppliant qu'elle avait pris dans cet avion pour la sauver une fois de plus. Le cheikh ne lui avait pas laissé l'occasion de la faire et c'était peut-être mieux ainsi.
- La vue vous est-elle agréable ?
Cette voix profonde à l'accent chaud la déstabilisa et elle n'était pas tout à fait prête à faire face au souverain, mais nota dans sa voix que la colère n'était plus là.
Du moins elle l'espérait.
Les mains posées sur l'épais marbre du balcon royal, Leïna tourna la tête dans sa direction et son cœur s'emballa aussitôt.
Les bras croisés, appuyé contre l'embrasure du balcon, le cheikh portait un pantalon noir, une chemise beaucoup plus large que celles qu'il avait porté auparavant, laissant ainsi ses muscles respiraient. Elle baissa les yeux et remarqua qu'il portait des bottes de cavalier abîmées. Il quitta sa zone d'observation pour s'approcher et son cœur se mit à pulser dans ses tempes. L'encolure de sa chemise était si ample qu'elle dévoilait les muscles imposant de ses épaules. Comme n'importe quelle femme hypnotisée Leïna détourna le regard sur le paysage pour échapper à cette vision troublante.
- La vue est magnifique en effet, répondit-elle en balayant d'un regard admiratif les jardins tropicaux en contrebas.
Leïna jeta un regard furtif sur la main hâlée qui venait de se poser sur le marbre lui indiquant qu'il était désormais proche d'elle.
- Ma sœur est partie d'après ce qu'on m'a dit.
- Avec Hamid et Latifa, précise-t-il d'une voix neutre.
Leïna hocha de la tête en réponse car elle ne savait pas quoi dire d'autre, craignant chaque fois que la conversation dérape.
- Vous n'avez pas l'air très heureuse de me voir, lui fit-il remarquer.
Heureuse ? Non. Plutôt pétrifiée !
- Je m'ennuie, avoua-t-elle en se tournant vers lui, faisant ainsi face à cet homme qui semblait revenir d'un entraînement intensif et voulu. Je ne sais pas quoi faire de moi. Je n'ai pas de toile pour peindre, ni de livres à lire, j'ai perdu l'inspiration et chaque fois que je rencontre une œuvre d'art dans votre immense palais je sais que je ne peux pas la prendre en photos au risque de finir mes jours en prison avant ma sœur.
Leïna lâcha un long soupir après ce long récit puis ajouta :
- Voilà la raison de cette mine proche de la dépression non parce que je ne suis pas heureuse de vous voir.
Il se rembrunit légèrement.
- Il y plus de soixante-dix pièces à visiter dans le palais, qu'est-ce que vous attendez pour les visiter ?
- Une autorisation, répliqua Leïna en déviant son regard sur l'horizon. Je ne suis pas chez-moi ici, je ne sais pas ce que j'ai le droit de toucher ou non.
- La bibliothèque est accessible tout comme le reste des salles ouvertes, seule l'aile gauche du troisième étage est interdite au public.
Leïna ne put s'empêcher d'émettre un petit rire.
- Et me connaissant j'aurai foncé droit dans cette aile interdite donc j'ai bien fait de rester prudente.
- Désormais que vous êtes au courant, vous n'avez aucune raison de vous interdire l'accès au palais, à moins que votre curiosité vous fasse défaut mademoiselle Reaser.
Et c'était le cas.
Maintenant qu'il lui avait parlé de cette aile interdite au public Leïna brûlait de s'y rendre en tout impunité. Elle grimaça légèrement en fixant le sourcil levé du cheikh qui attendait une réponse.
- Eh bien...si vous me disiez tout de suite ce qu'il y a dans cette aile interdite peut-être que ma curiosité sera suffisamment nourri pour qu'elle ne me fasse pas défaut.
Un léger sourire fendit le coin de ses lèvres.
- Des pièces très rares et enfermées dans des chambres fortes, une partie de l'héritage de mon arrière grand-père, vous voilà informée mademoiselle Reaser.
Sa curiosité était certes rassasiée mais serait-ce suffisant ?
- Les photos sont arrivées, annonça-t-il.
- Oh eh bien allons les regarder, dit-elle en s'apprêtant à quitter le balcon quand un main l'en empêcha.
- Non, vous allez d'abord déjeuner et avec moi de préférence.
Leïna sentit son cœur battre à contresens et tenta de réprimer la chaleur qui affluer dans ses veines. Le cheikh semblait très sérieux et inflexible à tout opposition. Il l'entraîna plus loin sur le balcon là où une table les attendait.
- Je ne peux pas déjeuner avec vous, lui dit-elle.
Il s'arrêta et manipula sa prise sur son bras de façon à ce qu'elle se retrouve en face de lui.
- Et pourquoi ça ? Demanda-t-il impatient.
- Parce que...je ne sais pas, je...ne veux pas prendre le risque de...
- Vos bégaiements me confirment que vous n'avez aucune excuse valable de refuser mon invitation contrairement à hier. Et ne craignez rien, je ne vais pas vous jeter par-dessus le balcon.
Il se remit en marche en l'entraînant avec lui jusqu'à la table puis lui tira la chaise un peu trop sèchement. Sans doute parce qu'il n'avait pas apprécier son refus.
Leïna rougit plus que de raison, inquiète de se retrouver en tête à tête avec lui. Le coin d'ombre où ils étaient installés lui permettait de voir plus nettement les traits de son visage et le moins que l'on puisse dire c'est qu'ils étaient toujours aussi despotiques, figés dans une autorité naturelle. La petite table ronde drapée d'une nappe blanche lui donner l'impression d'être au cœur d'un dîner en tête à tête aux aspects romantique. Leïna observa le chariot en argent sur lequel était disposé des plats délicieux et se mit à rougir de nouveau.
- Aujourd'hui c'est mon anniversaire, vous n'êtes pas sans le savoir et je ne suis pas intéressé de le célébrer néanmoins j'aimerai de votre part un déjeuner chaleureux sans que vous ayez envie de me planter une fourchette dans la main, c'est tout ce que je demande. Est-ce possible mademoiselle Reaser ?
- Alors allons au vif du sujet tout de suite votre Altesse, afin que nous puissions passer ce moment dans une atmosphère conviviale. Avez-vous oui ou non regarder les photos sans moi ?
Jafar la regarda droit dans les yeux, prêt à mentir mais se rétracta. Oui il les avait regardé, il avait même fait son choix sur la photo qu'il préférait. Il les avait observé pendant toute la matinée, observé cette beauté qui transperçait le papier glacé en se demandant si la jeune femme avait conscience du reflet captivant qu'elle renvoyait.
Son choix s'était évidemment porté sur celle qui combinait la chemise blanche et les collants noirs mais Jafar n'avait pas envisagé que les douze autres clichés soient tout aussi captivants. Seulement un détail avait retenu son attention. Le vide abyssal dans les yeux de la jeune femme. Sur toutes les photos, elle dégageait un vent mystérieux mais personne ne sera capable de déceler la lueur de tristesse qu'il avait remarqué dans le fond de ses yeux. Tout comme personne n'aura connaissance du désir qu'il avait dû combattre, repoussé de toutes ses forces en contemplant ces photos.
- Oui mademoiselle Reaser, j'ai regardé les photos sans vous et pour être honnête j'ai déjà sélectionné celle qui me paraît être la mieux. Cependant soyez sans crainte, après le déjeuné vous allez pouvoir les découvrir et me donner votre choix. Ensuite nous allons sans doute nous battre et pour dire vrai, j'ai hâte...
Elle inspira profondément mais ne dit rien laissant son regard mécontent parler pour elle.
- Aïcha et Latifa m'ont rapporté que vous ne mangez pas beaucoup, reprit-il en saisissant la pince pour la servir.
- Quand je suis nerveuse je n'ai pas très faim.
- Alors cessez de l'être, tout ira bien je contrôle la situation, conclut-il en déposant la pince au centre du plat.
- Ce n'est pas épuisant de tout contrôler ?
Jafar aurait dû s'y attendre et retint même un sourire.
- Non, ça ne l'est pas parce que c'est ce qui fait de moi ce que je suis, un bon roi capable de combattre n'importe quelle situation. C'est l'une des raisons principales qui me place numéro un comme le roi qui gouverne le mieux selon un récent sondage.
Elle baissa les yeux vers son assiette et s'empara de la fourchette qu'elle piqua dans le poulet.
Jafar n'avait pas envie de lui couper l'appétit mais brûlait de lui poser une question qui pourrait la faire vaciller.
- Serait-ce indiscret de ma part si je vous demandais de m'expliquer l'incident auquel vous avez fait référence lors de la séance photos ?
Sa réaction ne fut pas celle qu'il avait prévu dans son esprit. Il s'attendait à ce qu'elle se rebiffe mais au lieu de ça elle laissa échapper sa fourchette dans l'assiette, le regard hanté par un souvenir peu agréable.
- Vous n'êtes pas forcée de me le dire, précisa-t-il en guettant la pâleur sur son visage.
- C'est juste que je ne pense pas que cette information soit utile.
- J'aimerai seulement comprendre les raisons qui poussent votre père à être aussi...protecteur.
Elle glissa une main derrière son oreille pour balayer une mèche inexistante, le regard fuyant. Jafar comprit qu'il ne valait mieux pas insister mais lorsqu'il fut sur le point de diriger la conversation sur un autre sujet, elle prit la parole.
- Ma mère était assoiffée de projecteurs, elle avait le besoin maladif de se montrer à la presse comme un objet de divertissement qui nourrissait son égo. Elle aimait plaire, un peu comme Erika.
Une pause salutaire l'aida à continuer.
- Seulement il y a toujours un prix à payer. Le revers des journalistes était aussi tranchant que la lame d'un couteau et quand elle a embarqué Erika dans ce jeu, la critique n'a pas épargné mon père. Il n'y avait plus aucun retour en arrière possible et il a dû faire face à de nombreux scandales. Alors quand je suis née il a pris la décision de ne pas me rendre publique. Cela a créé le fantasme des journalistes et a rendu ma mère ivre de frustration même si elle pouvait encore nourrir la presse avec Erika. Je suis restée pour ainsi dire cachée pendant toute ma vie jusqu'à maintenant. L'école se passait à la maison, j'ai fait la plus grande partie de mes études par correspondance puis après négociation j'ai pu poursuivre mes études à Harvard sous le nom de ma mère qui n'avait pas laissé une grande trace dans les souvenirs de la presse. Je partais le matin et je quittais l'université pour rentrer à la maison sans avoir le temps de profiter des aspects extérieurs du monde. Pour mes vingt-deux ans mon père m'a autorisé à sortir sans être accompagnée. Je pouvais enfin vivre en toute liberté seulement je n'étais pas préparée.
- Une mauvaise rencontre, tenta-t-il de deviner d'une voix posée pour ne pas la braquer.
- Je l'ai rencontré à la bibliothèque, dit-elle en confirmant sa théorie. Je me suis laissée naïvement séduire parce que c'était la première fois que je laissé quelqu'un m'approcher de cette façon après avoir passé mes études à longer les murs de l'université à tel point qu'on me surnommait " la fille invisible "
Elle marqua une pause dans laquelle les souvenirs semblaient affluer trop violemment dans son esprit et elle se frotta les épaules pour se réchauffer sous le soleil brûlant de Khahar.
- Nous avons passé toute la journée ensemble, il m'a charmé et je lui ai dit oui pour poursuivre la soirée de mon anniversaire chez lui, sauf que lorsqu'il a entendu " Oui " il pensait que ça serait oui pour tout et quand j'ai dit non il ne l'a pas entendu.
Jafar serra le poing et se redressa lentement sur la chaise en fouillant dans son regard à la recherche de la fin de cette histoire en espérant au fond de lui qu'elle n'avait pas été..
- Je me suis défendue et j'ai réussi à m'enfuir.
Jafar inspira imperceptiblement, secrètement soulagé que cette fin ne se finisse pas telle qu'il l'avait imaginé dans son esprit. Une fin tragique et monstrueuse.
- Malheureusement mon père n'a rien pu faire parce que mon nom aurait été dévoilé dans la presse. Il s'en est voulu de ne pas avoir pris le temps de m'expliquer, de me rendre moins naïve sur le monde que je m'étais imaginée dans mon esprit.
Elle haussa des épaules légèrement puis reprit tristement.
- J'étais comme une enfant découvrant le monde sans m'imaginer une seule seconde qu'il pouvait être à ce point cruel.
- Vous n'êtes pas coupable mademoiselle Reaser, aucunement coupable.
Ses yeux se levèrent sur lui et il put déceler dans son regard une peine indescriptible. Puis elle cligna des yeux pour se ressaisir et prit la serviette blanche qu'elle déplia avec un sourire nerveux.
- Pour se faire pardonner mon père m'a alors donné le droit de sortir et de me faire une propre idée du monde qui m'attendait avec une protection à chacun de mes déplacements tout en me promettant qu'elle serait invisible afin de me donner l'illusion d'être seule sans être surveillée. Je m'y suis habituée et j'ai pu enfin vivre comme une jeune femme normale sans que personne ne sache qui j'étais. Cela m'a rendu moins naïve et j'ai pu faire ce qui me plaisait, être libre de mes propos choix.
- Mais cet incident demeure toujours aussi vif dans l'esprit de votre père.
- Oui, en effet, confirma-t-elle en déposant la serviette sur ses genoux. Je crois que quand je vais rentrer à New York ça sera sans doute pire mais je suis préparée.
Jafar se s'enfonça dans le ceux de la chaise sans la quitter des yeux alors qu'elle tentait de le fuir du regard sans doute gênée de lui avoir confié une partie de sa vie. Il ne put s'empêcher d'éprouver de la tristesse pour elle, car sa vie bien que privée n'avait pas été celle d'une petite fille normale. Maintenant il comprenait mieux pour quelle raison elle donnait l'impression d'être plus responsable, plus sensible et plus réfléchie que l'était Erika.
Elle savait que le monde n'était pas ce qu'il prétendait être, l'illusion parfaite qu'elle s'en était fait enfermée dans cette villa avait été détruit de la plus cruelle des manières et c'est sans doute pour cette raison qu'elle possédait un esprit vif d'idées et d'imaginations qui la rendait si talentueuse en tant que romancière. C'est également pour cette raison qu'elle était férue d'histoires. Leïna Reaser avait besoin de nourrir son esprit pour oublier la douleur que lui avait offert ce monde après des années à le cimenter en quelque chose merveilleux.
Elle avait appris à se protéger et c'est sans doute pour cette raison qu'elle n'avait pas mis longtemps à déceler en lui le danger, la lourde menace qu'il pouvait représenter pour elle et pour son père.
Leïna Reaser le voyait comme un ennemi et continuerait de le voir ainsi car c'était pour elle le seul moyen de se protéger au mieux du coup qu'il pourrait porter à sa famille. Même si elle n'avait aucune chance, elle voulait qu'il sache qu'elle ferait n'importe quoi pour se protéger, cela se traduisait dans ses grands yeux de biche.
Seulement plus elle essayait de se protéger de lui, plus Jafar éprouvait le dangereux et impérieux désir de l'empêcher de le fuir.
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