Chapitre 12
Jafar s'était retenu toute la nuit pour ne pas soulever son bureau et le balancer à l'autre bout de la pièce. La nuit blanche qu'il venait de passer à réfléchir l'avait conduit à exiger une réunion de toute urgence dans une salle privé. Pas un seul mot n'avait jusqu'ici franchi les lèvres de sa future épouse. Hier, elle ne s'était pas seulement conduite en irresponsable, elle avait failli entacher sa réputation. La colère demeurait toujours aussi vive que la veille, et rien ni personne n'était en mesure de l'apaiser, pas même la jeune femme à sa droite qui malgré la ligne rouge qu'avait franchi sa sœur, avait tenté de plaider sa cause sans doute par crainte que les retombées sur sa famille ne soient irréparables.
- Vous aviez envie d'enterrer votre vie de débauche en la terminant en beauté ou dois-je comprendre que vous n'êtes en rien motivé par ce que vous avez accepté de représenter ? Demanda-t-il froidement.
Leïna fusilla sa sœur du regard avant de le baisser sur la table en bois massif.
- Je...n'aurai pas dû abuser du champagne, c'était irresponsable de ma part, commença Erika en abusant de son art à maîtriser la comédie.
Cependant, pour la première fois de sa vie, Leïna lut dans les yeux de sa sœur, de la peur, de la crainte, de l'effroi.
- Je suis sincèrement désolé, et ça ne se reproduira plus.
Impassible, le souverain aux yeux menaçants resta silencieux quelque instant.
- Savez-vous le nombre de candidates qui voulaient être à votre place ?
Erika pâlit en se raclant la gorge.
- Si je vous ai choisi c'est parce que vous avez usé de votre intelligence à moins que tout ceci était une comédie bien pensée ?
Oh non ! Il n'allait tout de même pas lui révéler qu'il connaissait la vérité ? Ce fut à son tour de pâlir.
- Non bien sûr que non, s'empressa-t-elle de dire. J'ai commis une regrettable erreur et je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour la rattraper.
- Vous venez d'épuiser votre dernière chance Erika, si quelqu'un m'informe d'un autre faux-pas, je serais intraitable est-ce que j'ai été assez clair ? La prévint-il sur un ton rêche et menaçant.
- Oui votre Altesse.
Leïna espérait que cela lui serve de leçon car maintenant qu'elle avait signé le contrat elle n'avait plus le choix de tout faire pour que sa sœur se comporte de manière irréprochable.
- Par votre faute et malgré l'intervention d'Hamid, les journalistes commencent à se poser des questions. Jusqu'ici si la rumeur a été étouffée elle ne mettra pas longtemps à remonter à la surface chaque fois que vous serez à mes côtés. C'est pour cette raison que j'ai décidé qu'il n'y aurait plus de sortie jusqu'à ce que votre sœur soit révélée dans la presse.
Il marqua une pause brisant ainsi la froideur émanant de son discours.
- J'espère que vous avez bien conscience que sans votre sœur, vous n'aurez aucune chance d'accéder à l'acceptation de mon peuple et encore, ce n'est pas acquis. C'est en étant à vos côtés qu'elle soufflera au pays qu'il peut avoir confiance en vous. Si jamais vous brisez cette confiance, si jamais vous déshonorez un seul paragraphe du contrat, vous entraînerez votre sœur et votre père dans un enfer que même le diable ne se tenterait pas de côtoyer.
Leïna se glaça, les mains si moites que lorsqu'elle les retira de la table en bois, elle vit leur empreinte s'effacer.
Même si elle le savez déjà, aujourd'hui le cheikh venait de lui confirmer qu'à tout moment il pouvait devenir son ennemi. Un ennemi qu'elle n'avait aucun moyen de combattre même si elle y mettait toute son énergie.
Le pire c'est qu'enfin, Erika semblait prendre conscience de l'ampleur que constituait ce mariage arrangé.
- J'ai compris, soyez sans crainte.
Une partie d'elle aurait souhaité qu'elle fasse marche-arrière maintenant car il était encore temps mais la soif de pouvoir d'Erika était trop importante pour qu'elle s'en déleste aussi facilement.
- Si tout est en ordre, vous pouvez disposer.
Erika se leva avec le peu de fierté qui lui restait, s'inclina et quitta la salle de réunion. Leïna se leva à son tour en jetant un coup d'œil furtif au cheikh qui semblait toujours d'une humeur massacrante.
- Vous ne pourrez pas la sauver mademoiselle Reaser, j'espère que vous le savez ?
- Comment ça ? Demanda-t-elle en se tenant à la table.
- Je sais très bien ce que vous avez tenté de faire la nuit dernière et je sais que vos motivations à le faire concerne essentiellement votre père, mais tenter de protéger l'inexcusable ne vous aidera en rien.
Son ton s'était montré très froid et son regard autoritaire se fondit sur elle comme un avertissement.
- Je vous avais prévenu, osa-t-elle dire d'une voix posée. Ce n'est pas moi qu'il fallait surveiller mais Erika.
- Si vous m'aviez donné votre itinéraire en détail je ne serais pas parti de ce défilé.
- Seriez-vous en train de m'accuser ? Parce que si c'est le cas, c'est injuste.
- Vous avez raison c'est injuste, affirma-t-il en se levant si brutalement que la chaise se renversa
Leïna recula en lâchant un hoquet.
- Partez mademoiselle Reaser avant que je vous accuse injustement par pure envie de passer mes nerfs sur n'importe qui, reprit-il rictus aux lèvres en s'éloignant vers les immenses fenêtres.
Le cœur battant à la chamade, elle prit la direction de la sortie sans se retourner. Au moins il venait de reconnaître qu'il était injuste de l'accuser cette fois-ci, songea-t-elle en regagnant la chambre.
Aïcha l'accueillit avec un sourire timide et désigna la petite table-basse près du canapé.
Aïcha n'était pas différente de sa sœur, elle était juste privée de sa voix mais lui inspirait le même côté protecteur que Latifa.
Leïna s'approcha pour prendre la tasse de thé mais remarqua que sa main tremblait.
Aïcha qui le remarqua à son tour se mit à signer. Elle lui expliqua simplement que le cheikh essayait de faire au mieux pour le peuple et qu'il allait finir par se calmer. Leïna l'espérait car si jusqu'ici elle pensait avoir tout vu de cet homme, elle s'était lourdement trompée.
- Je crois que je vais dormir un peu Aïcha, lui dit-elle en utilisant la langue des signes.
Elle accueillit son annonce en secouant négativement de la tête et désigna l'heure tout en lui rappelant que le déjeuné allait bientôt être servi.
- Je sais, mais je suis vraiment épuisée, et puis je n'ai pas très faim.
- Vous n'avez jamais faim, rétorqua Aïcha en faisant les gros yeux. Je vais être forcée de le rapporter au cheikh.
- Mon estomac est trop noué, répondit-elle en posant la tasse de thé sur la table-basse.
Aïcha n'insista pas même si son regard en disait long sur le cours de ses pensées. Quand elle fut enfin seule, Leïna tira les rideaux pour masquer le soleil éblouissant et se glissa dans le lit pressée de fermer les yeux.
Jafar venait de terminer la réunion avec le conseil et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il avait dû faire preuve d'une grande patience. La colère demeurait toujours ancré en lui mais il avait su l'apaiser. Il ne put s'empêcher de songer à la jeune femme qu'il avait failli prendre pour cible. Encore une fois et sans raison valable. Le seul responsable de cet incident c'était lui. Lui seul avait pris la décision de quitter ce défilé pour rejoindre la jeune femme et l'attaquer sans preuve solide. Lui seul et dans un élan incontrôlable guidé par la colère l'avait fait quitter ce défilé.
Inspirant profondément, il rejoignit le salon privé pour le déjeuné et y trouva Erika déjà installée. Un goût amer coula dans sa gorge rien que de la regarder parce qu'il gardait encore en mémoire l'immonde spectacle qu'elle lui avait offert la nuit dernière.
- J'ai contacté les personnes qui sont en charge de mes relations publique dans la presse. Je leur ai demandé de faire le nécessaire pour nettoyer l'image que j'ai pu donner au défilé.
Jafar en fut étonné mais ne dit rien et se contenta d'incliner la tête. Il se voulait prudent même si elle avait l'air d'avoir pris conscience des conséquences qui pouvaient l'attendre au moindre écart.
- Avez-vous autre chose à me dire avant que votre sœur nous rejoigne ? Demanda-t-il d'une voix plus amène.
- Oui, dit-elle en redressant les épaules. J'aimerai comprendre pour quelle raison vous êtes si distant avec moi. Après tout nous allons passer les dix prochaines années ensemble et pourtant je ne vois aucun emballement de votre part.
Erika venait de faire parler son orgueil avec un aplomb spectaculaire qui lui arracha un sourire presque diabolique. Cette femme n'avait pas l'habitude qu'on lui résiste et encore moins être résignée à faire preuve de chasteté. Jafar ne se faisait aucune illusion de ce côté et n'éprouva pas la moindre jalousie.
- Vous devez comprendre que pour l'instant vous êtes à l'épreuve et tant que je n'ai pas officialiser ce mariage, je resterai aussi distant que je le suis en ce moment. De plus vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a des traditions ici, nous ne sommes pas en Amérique. Je suis au regret de vous annoncer qu'il vous faudra patienter jusqu'à la lune de miel.
Avec sa superbe, Erika esquissa un sourire pour le séduire et se pencha vers la table pour poser sa main sur la sienne.
Jafar avisa son geste d'un œil mauvais.
- Mais personne n'est obligé de le savoir si nous restons discret.
- Moi je le saurai, rétorqua Jafar en prenant sa main pour la reposer loin de la sienne. La patience est toujours récompensé à celui qui le mérite, je pense qu'il s'agit là d'un excellent exercice pour vous.
Bien qu'irritée, blessée dans son orgueil Erika força un sourire.
- Vous avez raison, finit-elle par dire en dépliant la serviette sur ses genoux.
Jafar se frotta furtivement la barbe en jetant un regard impatient vers les portes fermées.
- Mademoiselle Reaser a-t-elle une bonne raison d'être en retard ? Demanda-t-il à Aïcha qui s'était glissée discrètement dans le salon pour remplir la carafe d'eau.
Aïcha hocha de la tête.
- Elle se repose, lui expliqua-t-elle en langue des signes. Elle m'a chargée de vous remercier pour cette invitation mais elle est très fatiguée.
Impassible, Jafar nota l'information en remarquant le regard nerveux d'Aïcha, un regard fuyant...
Il avait convié la jeune femme à leur table pour la première fois depuis son arrivée au palais. Un acte qui pour lui signait le début d'une trêve et peut-être la fin d'une guerre qui ne lui apportait rien. Seulement en refusant cette invitation, la jeune femme compliquait son désir de mettre fin aux hostilités. Avait-elle menti ou bien Aïcha disait la vérité ?
Pour le savoir Jafar attendit d'être seul dans le salon pour questionner Aïcha qui se cachait derrière sa sœur.
- Latifa, pouvez-vous demander à votre sœur de me faire face sans crainte, et me dire ce qui ne va pas.
Latifa accompagna sa sœur jusqu'à lui en lui signant de s'expliquer sur les raisons qui la poussaient à le fuir et sa réponse fut de hausser des épaules.
- C'est à propos de Leïna Reaser ? Est-ce qu'elle vous pose un problème ? Est-ce qu'elle...
Jafar se maudit alors d'avoir encore voulu chercher un défaut qu'il aurait pu se transformer en sa faveur. Il prit une forte inspiration en serrant les dents et s'efforça d'étouffer cette petite voix résistante qui voulait à tout prix trouver la moindre faille pour se donner une bonne raison de détester cette jeune femme. Les tourments de son passé avec Hamila étaient aussi vifs que le soleil de Khahar. Chaque fois qu'il se trouvait dans une pièce il ne pouvait pas s'empêcher de se souvenir de sa présence dans ces lieux qui lui appartenaient.
Il chassa de son esprit son ex-femme désormais hors d'état de nuire et se concentra plutôt sur celle qu'il essayait injustement de tourmenter.
- Mademoiselle Reaser est une jeune femme extrêmement gentille votre Majesté, intervint Latifa doucement. Sa présence ici rafraîchit l'atmosphère parfois très tendu à cause du mariage qui se prépare.
Latifa travaillait pour lui depuis la mort de ses parents et elle était sans doute la meilleure lorsqu'il s'agissait de percevoir les choses. Elle-même s'était permise de le prévenir lors de ses fiançailles avec Halima et il se souvenait très bien avoir fait la même erreur que le chef de la tribu Zhumhar, à la seule différence qu'il n'avait pas pu se défaire d'elle et de sa sœur muette qui avaient été le soutien indéfectible de sa défunte mère pendant six longues années.
- Dans ce cas que se passe-t-il Aïcha ? Est-ce que vous voulez me dire quelque chose ?
- Aïcha a remarqué que mademoiselle Reaser a peu d'appétit depuis qu'elle séjourne ici et comme vous le savez Aïcha ne ressent pas les choses comme nous les ressentons et cela lui fait beaucoup de peine de voir mademoiselle Reaser attristée.
Jafar se redressa sur la chaise en dévisageant tour à tour les deux sœurs.
- Vous trouvez qu'elle est triste d'être ici ? Soyez honnête avec moi Latifa, je vous donne l'autorisation de ne pas m'épargner.
Elle hésita une fraction de seconde avant de se lancer.
- Continuez de la prendre pour Halima et je pense qu'elle finira par partir.
Jafar accusa le coup en serrant les mâchoires.
- Vous pensez que je la prends pour Halima ?
- Je pense votre Altesse que vous essayez de lui trouver une ressemblance avec Halima pour lui faire payer un crime qu'elle n'a pas commis, car c'est plus facile pour vous que d'admettre qu'il s'agit juste d'une belle jeune femme de vingt-quatre ans qui n'a pas demandé à être ici.
- Je m'efforce de la rendre la plus à l'aise possible mais elle ne me facilite en rien la tâche, répliqua Jafar pour sa défense.
- Parce qu'elle est intelligente votre Altesse, elle a compris qu'elle est votre cible alors elle se défend et tente de se protéger au mieux.
Jafar exhala un soupir en se frottant la barbe, les yeux ancrés dans ceux de Latifa qui venait de lui donner un petit aperçu de sa perception. Elle avait raison et s'il continuait d'agir aussi cruellement, la jeune femme allait finir par fuir définitivement.
- Tu as raison, finit-il par dire en se levant. Merci pour ces informations Latifa vous pouvez disposer.
Il quitta à son tour le salon alors que les dires de Latifa frappaient son esprit et se dirigea vers la chambre de la jeune femme. Latifa venait de lui donner toutes les raisons qui auraient pu pousser Leïna Reaser à décliner son invitation. Seulement lorsqu'il ouvrit les portes de sa chambre, Jafar fut forcé de constater qu'elle n'avait pas menti. Les rideaux étaient tirés, laissant seulement quelques rayons se glisser entre les épais tissus. Jafar serra le poing le long de sa hanche tout en s'approchant discrètement alors qu'il pouvait distinguer à travers les voiles qui entouraient le lit, la silhouette de la jeune femme. Lorsqu'il arriva au pied du lit, une envie incontrôlable le poussa à écarter les voiles et la trouva bel et bien endormie. Jafar guetta ses respirations paisibles et s'attarda sur ses cheveux épars sur l'oreiller en ne réalisant pas tout de suite que ces deux détails venaient d'accélérer sa respiration au point que son torse se soulevait rapidement. Il s'empressa de lâcher le rideau de voiles immaculés et recula en sachant qu'il n'essayait pas de lui trouver une faille seulement par pur esprit de vengeance, mais parce sans le savoir elle lui offrait un désir puissant qu'aucune femme jusqu'ici ne lui avait fait ressentir.
Pas même Halima...
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