Chapitre 10
Lorsque l'avion entama sa descente, Leïna récupéra son sac à la hâte.
- Avant de bondir hors de cet avion, je veux le plan précis mademoiselle Reaser.
Malgré la présence de sa sœur à ses côtés, le cheikh venait de s'exprimer d'une voix ferme.
- Je vais prendre un taxi qui doit m'attendre sur le tarmac afin de me rendre sur le lieu de rendez-vous. Je fais ce qu'il y a faire et je vous rejoins sur ce même tarmac. J'espère seulement que le défilé sur lequel vous vous rendez ne sera pas trop long.
Il hocha brièvement la tête avec un jeu de mâchoire.
- S'il y a le moindre problème, tâchez de me mettre au courant.
- Évidemment, répondit-elle alors qu'il s'était levé pour quitter le jet privé.
Leïna était un peu pressée de s'éloigner de sa sœur et de cet homme au regard redoutable.
Jafar attendit que la jeune femme s'éloigne dans le taxi pour annoncer ses ordres. Bien qu'une part de lui restait méfiant, hors de question qu'elle parte seule sans garde du corps pour la protéger.
- Je peux vous poser une question ? Demanda Erika quand ils furent dans la voiture.
- Je vous écoute.
- Pourquoi imposer ça à ma sœur ? C'est vrai je ne comprends pas l'intérêt si ce n'est créer des problèmes inutiles.
Jafar releva les yeux de son téléphone.
- Vous pensez que votre sœur est un problème ?
Erika acquiesça avant même d'avoir répondu.
- Oui, je crois qu'elle est un problème.
- Moi je crois surtout que vous craignez votre sœur, répondit Jafar aussitôt.
Erika prit un air courroucé puis étouffa un rire nerveux.
- Je ne comprends pas où vous voulez en venir.
- Votre sœur est une très jolie femme alors vous avez peur qu'elle vous fasse de l'ombre. Soyez sans crainte très chère Erika, comme je vous l'ai longuement expliqué, mon expérience passée m'a appris à ne pas reproduire les mêmes erreurs. Autrement dit, vous n'avez pas à vous en faire.
- Leïna n'est pas une menace, rétorqua-t-elle en s'efforçant d'être poli.
- Pas pour le moment mais bientôt elle le sera, conclut Jafar décidé à mettre un terme à cette discussion.
La jalousie de cette femme était si évidente que même son visage ne pouvait le cacher. Maintenant il comprenait mieux les raisons qui l'avaient poussées à mentir à son sujet. Erika Reaser avait peur de sa petite sœur, tellement peur qu'elle était prête à user de n'importe qu'elle subterfuge pour la pousser hors de sa propre course à la gloire.
Quand la voiture s'arrêta près d'une horde de journalistes présents sur les lieux du défilé, Jafar serra les dents en regardant sa future épouse qui n'était pas encore tout à fait remise de la conversation qu'ils venaient d'avoir.
- Il est temps, décréta-t-il en sortant le premier.
Les premiers flashs des photographes commencèrent à crépiter autour de lui, puis lorsqu'elle quitta à son tour la voiture, Jafar posa une main stratégique dans son dos. Enfin l'ébullition monta dans la foule comme il l'avait prédit. Impassible, Jafar se fraya un chemin avec elle sur le tapis rouge alors que tout son intérieur était tendu au point de sentir ses muscles tordre d'une douleur jusqu'ici méconnue. Ses pensées vacillèrent, il perdit le contrôle et son esprit s'égara sur Leïna Reaser.
La méfiance n'était pas la seule raison qui la ramenait sans cesse dans son esprit, seulement il ignorait laquelle. S'efforcer de la maudire ne fonctionnait pas. Quelque chose en elle le poussait à chercher n'importe quelle excuse pour lui parler, même si jusqu'ici un quart de leur conversation s'était fini par un affrontement.
Jafar se crispa mais fit bonne figure devant les journalistes car bientôt il allait devoir faire face à la réaction du public. Qu'il s'agisse de Khahar ou bien d'ailleurs, ces photos allaient faire le tour du monde et le plonger dans un séisme qu'il allait devoir affronter. Et la seule capable d'apaiser ce séisme était Leïna Reaser.
- Votre majesté, lança discrètement l'un de ses gardes.
Jafar se pencha légèrement pour écouter les informations qu'il attendait depuis bientôt trente minutes.
- Mademoiselle Reaser est arrivée à l'endroit indiqué, elle a fait un arrêt en chemin dans une boutique de vêtements pour homme mais tout est en ordre.
Jafar se tourna violemment pour faire face à son garde.
- Une boutique de vêtements pour homme ? Répéta-t-il à voix basse. A-t-elle donné une raison à cet arrêt ?
- Aucune votre Majesté.
- Très bien ! Siffla-t-il entre ses dents tout en survolant la foule de paparazzis de ses yeux noirs.
De l'autre côté de Milan, Leïna posa ses sacs à terre en attendant que Vincenzo en est fini avec la superbe mannequin qui posait pour lui. En cours de route elle avait dû s'arrêter dans une boutique de vêtements pour homme afin de prendre les deux modèles qui lui plaisaient le plus.
Nerveuse, elle se mit à faire les cents pas car il s'agissait là d'un grand moment dans sa vie. Un véritable tournant.
- Voilà ! J'ai terminé je suis tout à toi trésor, annonça Vincenzo en frottant ses mains l'air impatient.
- Que dois-je faire au juste ?
Vincenzo passa derrière elle et appuya sur ses épaules pour la faire avancer jusqu'au tabouret afin qu'elle passe au maquillage.
- Tout d'abord je veux que tu détendes et que tu me laisses faire, installe-toi et moi je vais m'occuper de ton beau visage.
Leïna s'installa, ayant une entière confiance en lui. Vincenzo n'était pas seulement un photographe connu à ses yeux, c'était le seul qui connaissait son identité en dehors du cercle très fermé de son père et ceux avec qui il faisait affaires.
Son téléphone se mit à vibrer dans sa main. Une bonne dizaine de notifications commença à apparaître sur son écran et toutes étaient destinées au défilé mais plus précisément aux célébrités qui s'y trouvaient.
- Alors c'est lui ! S'exclama Vincenzo en se penchant pour regarder la photo. Quel beau mâle, un véritable gladiateur.
- Oui, en effet, répondit-elle en se raclant la gorge. Un gladiateur assez terrifiant dans son genre.
Leïna glissa son pouce sur l'écran pour faire défiler les photos et ne put s'empêcher de rester plus longtemps sur celles du souverain. Il était à couper le souffle dans son costard et cette chemise blanche. Cette barbe noire sillonnant ses mâchoires volontaires, ses yeux opaque, cette large gorge légèrement recouverte de veines qui palpitaient sous l'afflux sanguin. Néanmoins son regard demeurait inchangé et étrangement ce dernier captivait les foules, sans doute parce qu'ils ignoraient ce qu'il renfermait réellement.
- Quel âge a-t-il ? Demanda Vincenzo en lui brossant les cheveux.
- Trente-quatre ans dans quelques jours, répondit-elle en quittant des yeux son téléphone.
- Bon sang toute cette virilité qui se dégage de son regard, commenta-t-il apparemment lui aussi sous le charme. Par contre chérie, tu diras à ta sœur qu'une robe aussi coûteuse que celle qu'elle porte ne doit jamais je dis bien jamais s'associer à une pochette aussi...hideuse que celle qu'elle tient.
Leïna ne put s'empêcher de rire en posant son téléphone sur la coiffeuse.
- Donc je vais te faire de légères boucles pour donner un peu de volumes. Ensuite pour ton visage, je vais plutôt me concentrer sur tes lèvres.
- Du rouge, pas une autre couleur, j'adore le rouge.
- C'est exactement sur cette teinte que je voulais me diriger, tout est parfait.
Tout l'était jusqu'ici, songea-t-elle au moment où elle leva les yeux dans le miroir.
Soit elle devenait un peu trop paranoïaque, soit le cheikh Jafar Al-Rhayar était bel et bien posté juste derrière Vincenzo.
Elle se retourna violemment jusqu'à faire vaciller le tabouret.
- Qu'est-ce que...que faites-vous ici ? Balbutia-t-elle sous la surprise.
Vincenzo qui se tenait entre eux avait lui aussi capter la tension émanant du cheikh et s'excusa poliment avant de s'éclipser en la laissant seule avec lui.
- Que faites-vous ici ? Répéta-t-elle alors qu'il fonçait droit sur elle, les yeux noirs.
L'instant d'après les rebords du tabouret furent agrippés par deux mains fermes. Il se pencha en avant pour que son visage atteigne le sien.
- Je pensais que vous seriez honnête avec moi or il semblerait que vous ayez oublié de me dire que vous aviez un amant, lui dit-il d'une voix sèche.
- Quoi ? Souffla-t-elle en secouant imperceptiblement de la tête.
- Ne faites pas semblant mademoiselle Reaser, répliqua le cheikh froidement.
Devant l'attaque, encore une fois, Leïna inspira profondément, prête à l'affrontement.
- Je ne fais pas semblant je tente de comprendre de quoi je suis accusée cette fois !
- Avez-vous oui ou non quelqu'un dans votre vie ?
- Non ! Et puis de toute façon en quoi cela vous regarde !
- Oh si ça me regarde mademoiselle Reaser, et vous savez très bien pour quelle raison, gronda-t-il en approchant son visage du sien.
- Vous m'accusez sans preuve !
- Vous ne pensiez tout de même pas que j'allais vous laissez partir seule sans vous faire surveiller, répliqua ce dernier rictus aux lèvres. Mon garde n'a pas manqué de me faire savoir votre petit détour pour faire vos emplettes. N'essayez pas de me mentir mademoiselle Reaser, je suis le dernier homme à qui il faut mentir.
Leïna serra les dents en lui faisant face, bien déterminé à lui démontrer qu'encore une fois il s'était trompé sur elle.
- Vincenzo m'a demandé de choisir une tenue qui correspond au mieux à ma personnalité et c'est ce que j'ai fait ! Il me fallait quelque chose de simple, alors je me suis arrêté dans un magasin pour homme pour acheter ce dont j'avais besoin. Vous êtes satisfait ?
Le cheikh la dévisagea pour déterminer si elle lui disait la vérité et recula légèrement sa tête sans se départir de sa colère.
- Mais maintenant que vous êtes là et que vous semblez adorer le rôle de mon père, la noire ou la blanche ? Lança Leïna en brandissant les chemises encore emballées. Alors votre Majesté ? Puisque vous avez décidé de régenter ma vie jusqu'à votre mariage. La noire ou la blanche ?
Son audace à le défier creusa le rictus de ses lèvres.
- Moi je préfère la noire.
- La blanche, dit-il rageusement entre ses dents.
- Et moi je préfère la noire, riposta Leïna en affrontant sa paire d'yeux menaçante alors qu'il ne restait plus que quelques centimètres entre leur visage.
Leïna reposa les chemises pour se saisir des collants.
- Les jambes nues ou collant noirs ? Le choix est difficile mais j'ai une préférence pour les jambes nues ou alors nous avons les bas qui...
- Ça suffit ! Siffla-t-il en agrippant son poignet.
Malgré sa prise assez féroce, malgré les battements infernales de son cœur et la chaleur qu'il déposait sur son visage Leïna tint bon, motivée par l'envie de lui faire regretter de l'avoir encore une fois injustement accusé.
- Je ne fais que vous demandez votre avis puisque vous avez décidé de vous octroyer un droit de regard sur mes moindres faits et gestes.
Il se redressa violemment et se mit à marcher comme un lion en cage. Leïna put enfin saisir un filet d'air et s'accrocha aux rebords du tabouret.
- Cela vous arrive de vous excuser ? Lui demanda-t-elle.
- Jamais ! Du moins pas à ceux qui ne le mérite pas.
- Donc je ne le mérite pas ?
Il revint à la charge et agrippa de nouveau les rebords du tabouret tout près de ses mains. Leïna hoqueta, et tenta de réprima l'étrange sensation qui venait de la saisir.
- Vous auriez dû me dire votre itinéraire complet mademoiselle Reaser il en va de votre sécurité !
- Ma sécurité ? Je vous en prie on dirait mon père qui...
Leïna s'interrompit et fouilla dans les yeux du cheikh qui se redressa lentement, sans la quitter des yeux.
- Oh pitié ne me dites pas que mon père joue un rôle dans tout ça ?
- Vous pensez que j'ai passé des heures au téléphone avec votre père à discuter investissement ? Lâcha-t-il froidement. Nous avons dû négocier chaque détail et votre sécurité en faisait partie. Votre père est aussi dur que moi en affaire mademoiselle Reaser et il était hors de question pour lui que vous partiez avec moi sans avoir la garanti que chaque seconde de votre vie en dehors de mes murs ne soient pas sécurisé.
Leïna serra les dents en maudissant son père pour ça mais elle savait les raisons qui le poussaient à faire ça. L'incident qui s'était produit trois ans plus tôt en était essentiellement la cause.
- J'ai vingt-quatre ans, je suis en mesure de me protéger, l'incident qui s'est produit il y a maintenant longtemps ne va pas se produire chaque fois que...
- Quel incident ?
Ainsi il n'était pas au courant et c'était mieux ainsi, car il s'agissait de sa vie privée.
- Où est Erika ? Demanda-t-elle pour changer rapidement de sujet.
- Au défilé sagement surveillée par mes hommes.
- Vous pouvez la rejoindre maintenant que vous savez la vérité, mais je vous préviens que je ne supporterai pas de votre part une autre accusation infondée.
Il se rembrunit, serra les mâchoires mais ne dit rien.
Leïna en voulait énormément à son père, elle était même déçue qu'il ne lui fasse pas assez confiance concernant sa vie depuis cet incident qui l'avait mise en danger. Un bref passage dans sa vie et cette naïveté qui l'avait conduite dans ce piège qu'elle voulait à tout prix effacer de sa mémoire. Pas plus loin qu'un baiser, après une rencontre dans une bibliothèque, ce jeune homme prénommé Alex s'était mal comporté avec elle en essayant de la forcer à aller plus loin. Leïna était parvenue à se défendre mais cette brève histoire avait marqué son père comme la rougeur d'un fer chauffé à blanc.
Désormais, elle était suffisamment consciente du monde qui l'entoure pour ne pas reproduire cette erreur. Une erreur qu'il portait comme un fardeau. En la protégeant du monde, son père ne lui avait pas permis d'apprendre à y vivre et à reconnaître le danger. Et c'est peut-être grâce à cette erreur qu'il lui avait permis de le découvrir à sa manière mais toujours surveillée dans l'ombre.
- Je reste jusqu'à la fin, Erika peut très bien se débrouiller sans moi.
Leïna n'eut pas le temps de répondre car Vincenzo qui en avait sans doute assez d'attendre débarqua sans cacher son impatience de commencer.
- Bien, maintenant que vous avez fini j'aimerai terminer mon œuvre d'art et ensuite tu iras te vêtir.
- Je prends celle-ci, lui dit-elle en lui tendant l'emballage de la chemise noire.
- Elle prendra la blanche, répliqua le cheikh en ôtant sa veste sèchement qu'il balança sur le canapé.
- Non, je vais mettre la noire, cette couleur signifie exactement la situation dans laquelle je me trouve.
- La blanche, articula Jafar en s'exhortant au calme.
- Ok tout le monde se calme, on se détend et on respire, intervint le photographe en saisissant les épaules de la jeune femme pour les masser. Vous allez me la raidir avant la photo et toi chérie c'est la blanche qui t'ira le mieux.
Jafar arqua un sourcil synonyme de victoire.
La jeune femme entrouvrit les lèvres pour répliquer mais le photographe lui couvrit la bouche. Jafar tenta d'ignorer l'agacement qu'il ressentit à ce moment-là de le voir aussi proche d'elle et se maudit à nouveau pour avoir de telles pensées.
- Mais pour que vous soyez tout les deux satisfait tu vas porter les deux et on verra le résulta par la suite. Est-ce que ça vous va ?
- Je ne sais pas demande à son altesse si cela lui convient, dit-elle en s'agitant sur le tabouret nerveusement.
Jafar tâcha d'ignorer les bravades de la jeune femme et hocha la tête pour répondre au photographe. Ce dernier s'éclipsa pour aller chercher son matériel.
- Détestez-moi autant que vous voulez Leïna, mais nous sommes vous et moi liés que cela vous plaise ou non, déclara-t-il d'une voix plus amène en dénouant sa cravate.
- Vous êtes en tort pas moi, vous êtes venu jusqu'ici pour m'accuser d'avoir un amant en vous appuyant sur les dires de votre garde et non sur les faits.
Elle avait raison et ça l'irritait de l'admettre. Il s'était conduit comme si elle l'avait trahi, trompé, comme si c'était elle la femme qu'il allait épouser. Il venait même d'interférer dans le choix de sa tenue. Forcé de l'admettre, Jafar serra les mâchoires en essayant à tout prix d'effacer de sa mémoire ces pensées qui n'avaient pas leur place. Il devait se reprendre et étouffer cette sensation inexpliquée qui nouaient chaque millimètre de ses muscles jusqu'à ses mâchoires.
Jafar ferma les yeux puis les rouvrit lentement pour les braquer sur elle.
- Je vous prie de m'excuser mademoiselle Reaser, je vous ai de nouveau mal jugé, déclara-t-il même si cela lui coûter.
Ses yeux de biche se levèrent sur lui avec un mélange d'appréhension et d'incertitude. Tout de même, elle inclina sa tête en guise d'acceptation et détourna son regard sur Vincenzo.
Jafar fit craquer sa nuque en serrant les dents pour s'empêcher d'intervenir dans les choix de la jeune femme mais ses résolutions à peine prononcées silencieusement qu'il savait à l'avance qu'il ne s'y tiendrait pas...
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