Chapitre 4: la cantine
Cela faisait cinq minutes à peine qu'Alexis et Ambroise attendaient dans la file. Cette dernière était tellement longue, rassemblant dans un si petit couloir tellement d'élèves, qu'elle semblait, aux yeux des deux amis affamés, être figée dans le temps. Leurs ventres gargouillaient et l'odeur du repas qui courait malignement jusqu'à leurs narines n'était pas là pour arranger les choses. Alexis un peu plus loin devant se servait déjà, Ambroise, lui, était dans les derniers. Les mains dans les poches, il tapait des pieds avec impatience.
Une fois la foule dégagée, il put prendre son plateau et apercevoir le menu sur l'ardoise. Le seul fait de le lire était une délivrance, il commençait déjà à se régaler. Steak haché frites, voilà un repas digne de ce nom qui lui donnait un peu de courage, lui faisant paraître cette rentrée moins pénible.
Arrivé face à la cantinière, coiffée de sa charlotte, il prit le plat sans sauce puis voyagea entre les tables du self, pour trouver une place.
Le réfectoire était gigantesque et le mur aussi blanc que la neige renforçait d'autant plus cette impression de grandeur.
Il finit par trouver une place à côté d'Alexis. Ce dernier était en train de discuter avec le grand gaillard qui bavardait ce matin dans le hall en compagnie de Nathalie. Cette dernière était aussi là, assise à côté de lui. Elle lui fit un signe amical, pour l'inciter à s'asseoir et il s'installa. Tous discutaient avec animation, Ambroise, lui, essayait de se faire petit pour ne pas les déranger, il n'avait pas grand-chose à dire et n'était pas d'humeur.
Le jeune homme prit sa fourchette et piqua le morceau de viande. Quelque chose le tracassait mais il ne parvenait pas à savoir quoi. Le grand gaillard pivota et observa Ambroise qui clignait des yeux nerveusement.
Il lui demanda :
- Comment t'appelles-tu ?
- Ambroise et toi ? balbutia le jeune homme d'une petite voix.
- Jimmy, tu es nouveau ?
Ambroise, mal à l'aise, cherchait ses mots. Jimmy l'examinait attentivement avec de grands yeux impatients. Alexis, lui, ne s'occupait pas d'Ambroise, il avait l'air de ne pas le voir. Le jeune homme avait l'impression de ne plus exister pour son ami d'enfance. Depuis le matin il lui semblait plus froid, plus distant. Il aurait aimé savoir pourquoi. Un frisson parcourut sa colonne vertébrale, ses poils se dressèrent, une vague de peur l'envahit. Instinctivement il se retourna.
C'est alors qu'il aperçut les silhouettes qu'il avait vu tout à l'heure. Les hommes en noir se dirigeaient vers le couloir des salles de classes, ils n'étaient maintenant plus que deux. Un sentiment entre l'affolement et la curiosité s'empara de lui. Il se leva alors brusquement de sa chaise.
Ses camarades de tables lui lancèrent un regard étonné mais ne firent rien pour le retenir. Il se mit en marche, suivant son instinct, il s'aventurait entre les tables, bousculait les gens pour pouvoir comprendre ce qui se passait, il voulait savoir ce que faisaient ces hommes depuis l'aube, il en mourait d'impatience.
*
Arrivé dans le couloir des salles de classe, il eut la maladresse de se montrer entièrement. Aussitôt, il se cacha derrière l'angle du mur, pour ne pas se faire repérer. Il observait la scène avec intérêt et angoisse. Il s'agissait bel et bien des hommes en costume qu'il avait vu plus tôt, leur étrange mallette à la main.
Madame Aulande était adossée contre le mur, piégée par ses agresseurs, paralysée par la peur. L'un des deux hommes, plutôt costaud, au visage carré, sortit de sa mallette un étrange appareil. On aurait dit un pistolet sauf qu'il était transparent et avait à la place du canon une aiguille longue et fine. Le chargeur était un cylindre rempli d'un liquide verdâtre.
Le cœur d'Ambroise s'emballa. De multiples questions trottaient dans sa tête, il avait envie de courir, de se jeter sur ces individus, mais les deux hommes lui inspiraient une crainte telle qu'il jugea plus prudent de ne rien faire et d'observer, surtout quand il vit l'homme diriger son arme sur la. La pointe s'enfonçait sous la peau de cette dernière. Il sut alors qu'il était trop tard pour elle et que s'il bougeait, ils lui réserveraient le même sort. L'enseignante glissa sur le sol froid sans un bruit.
L'autre homme, mince et au visage émacié, dévoila un objet en forme de poêle, transparent dont le manche plastifié était muni d'une diode qui clignotait. Il examinait l'institutrice de son engin, celui-ci émettait des sifflements réguliers et stridents. Ils la scannaient, comprit le jeune homme. Il était paniqué, la sueur coulait sur son visage ahuri.
Les deux hommes rangèrent leurs armes dans leurs valises puis reculèrent, regardant la prof accroupie. Elle avait le regard vide. Cette vision tragique coupa le souffle du jeune garçon, son cœur se serra. Il aurait pu empêcher cela, il aurait pu. Non, il aurait dû intervenir.
Un mouvement brusque des deux hommes le fit reculer, il percuta quelque chose, quelqu'un. C'était Alexis, le garçon ne comprenait pas la réaction d'Ambroise.
- Je te cherchais partout ! Qu'est-ce qui se passe ?
Ambroise regardait dans toutes les directions, comme pour chercher une réponse à sa question, ou voir si le danger était encore là.
- Rien, rien ! T'inquiète !
- Comment veux-tu me rassurer si tu ne me réponds pas ?
- Je, je... Écoute...
Ambroise ne savait que dire, il se doutait de l'impression que cela donnerait à son ami.
- Quoi ?
Il y eut un silence de mort puis il reprit.
- Peux-tu me dire ce qui se passe ?
Ambroise ne trouvait pas les mots pour décrire ce qu'il avait vu, c'était trop inhumain. Les mots ne lui suffisaient pas. C'était impossible. Pourtant, il ne lui semblait pas avoir rêvé. Alors par un mouvement instinctif, il saisit le col de son ami et l'approcha de lui d'un geste brusque.
- Écoute... Je crois, je suis même certain qu'il se passe quelque chose de louche ici ! Et tu vas, je t'en prie, sinon me croire au moins m'écouter.
Le jeune homme était complètement hors de lui, il avait du mal à se contrôler. Il lâcha Alexis. Ce dernier, choqué, recula tout en s'essuyant le visage. Puis Ambroise lui montra le couloir.
- Tu es fou ou quoi ? Il n'y a rien !
Le couloir était vide, les hommes avaient disparu, il n'y avait plus rien. Ambroise profondément déstabilisé ne comprenait plus rien. Il avait envie de se réveiller de son cauchemar. Mais ce qui venait de se passer était aussi vrai que la plus vraie des réalités. Il resta là, inerte pendant plusieurs secondes et vit avec douleur Alexis s'en aller tout en le fixant d'un œil agacé, signe qu'il ne le croyait pas, pire qu'il le prenait pour un fou. À cet instant, Ambroise se sentit très seul.
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