Je restai là, debout, à contempler cette gigantesque et mystérieuse armoire qui attirait ma curiosité depuis tant de temps. C'était une vieille armoire en bois rougeâtre, poussiéreuse, mais si grande et si impressionnante qu'elle paraissait tout droit sortie d'un film fantastique. Ses deux grandes portes étaient entourées par d'étranges décors. Le soir elle prenait un air effrayant, éclairée par la lumière de la lune. Je l'avais découverte par hasard, il y a quelques années, alors que j'explorais le grenier. Elle était recouverte par un grand drap blanc qui n'était plus vraiment blanc car il devait être là depuis longtemps. Plusieurs minutes passèrent sans que je ne me décide à ouvrir l'armoire. J'avais la clé entre mes mains, j'avais la possibilité de découvrir le secret qu'elle renfermait, mais un étrange sentiment m'en empêchait. Une sorte d'appréhension. Depuis que j'étais petit, James, mon grand-père, me disait que cette armoire renfermait « Le secret du bonheur ». Certes, il était un peu bizarre, mais très gentil, et il paraissait vraiment sérieux quand il me parlait de ça. Je lui avais demandé plusieurs fois ce que cela voulait dire, mais à chaque fois il me répondait : « Cette armoire contient ce qui pourra faire ton bonheur, mais aussi ton malheur, ce qui fera ta réussite ou encore ta défaite, ce qui te permettra de vivre la vie que tu souhaites » Jamais je n'avais réussi à percer ce mystère. A chaque fois que je venais ici, dans la maison de mes grands-parents, ma seule préoccupation était de trouver quelle était cette chose qui pouvait apporter le bonheur. Je m'imaginais, avoir une vie réussie, la vie dont je rêve, posséder tout ce que je voulais, et pour cela je n'avais juste qu'à ouvrir l'armoire. Mais pour l'ouvrir il fallait la clé, et James l'avait cachée dans son bureau. Je n'avais pas le droit d'accéder à cette pièce. J'avais essayé d'y entrer plusieurs fois mais la porte était toujours fermée, et quand elle ne l'était pas, c'était parce que James était dans les parages. Il passait beaucoup de temps à travailler dans son bureau et parfois je me demandais ce qu'il pouvait y faire pendant tant de temps. Ce matin, alors que je passais devant son bureau, je remarquai que la porte était entrouverte. Je pensai d'abord qu'il était à l'intérieur, mais en jetant un coup d'œil par l'ouverture de la porte, je vis qu'il n'y avait personne. J'allais continuer ma route, mais ma curiosité était trop forte : je vérifiai qu'il n'était pas dans les parages et j'entrai sans faire de bruit. Je n'avais pas souvent eu l'occasion d'aller dans cette pièce. Elle était remplie de toutes les affaires de James : livres, outils, papiers et tout un tas de bibelots et de souvenirs qu'il avait ramené de ses voyages. Quelque chose attira mon attention. Dans le fond de la pièce, en haut d'une étagère, je vis une boîte qui me paraissait un bon endroit pour cacher une clé. J'allais l'attraper quand j'entendis du bruit dans le couloir. Je n'eus pas le temps de prendre la boîte, je sortis et me cachai. Je vis James arriver : en sortant, j'avais laissé la porte grande ouverte ! Par chance, au même moment maman, annonça que le repas était prêt. Il fit donc demi-tour, en oubliant de la refermer. A table, je n'arrêtai pas de me poser des tas de questions : « Quel était le « secret du bonheur » ? Pourquoi était-il enfermé dans une armoire ? Comment parvenir à l'ouvrir ? » Il fallait que je récupère la clé. Après manger, je retournai au bureau et vérifiai qu'il n'y avait personne. James n'était pas la : j'entrais sans faire de bruit, récupérai la clé, sortit (en refermant la porte cette fois), et je montai dans le grenier, où se trouvait l'armoire. Et maintenant, j'allais enfin découvrir ce secret. Je pris la clé, l'insérai dans la serrure, et la tournai. J'étais à la fois impatient et inquiet de voir ce que j'allais trouver. Après quelques secondes d'hésitation, j'ouvris doucement les portes. Ce que je vis me laissa bouche bée. Ce n'étais pas du tout ce à quoi je m'attendais ! Au même moment, j'entendis quelqu'un monter les escaliers. Mais je ne réagis pas. C'était James. Il arriva et, quand il me vit, il avait le sourire aux lèvres. Il se mit derrière moi. « Je...je ne comprends pas » bégayais-je.

-Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? demanda-t-il calmement, comme s'il ne voyait pas de quoi je voulais parler.

-L'armoire ! Elle... tu...tu m'avais dit que... qu'elle renfermait le secret du bonheur !

-Dis-moi, que vois-tu ?

-Rien ! Je ne vois rien ! L'armoire est... vide ! m'exclamais-je. Tu m'as menti !

- Non, je ne t'ai pas menti, répondit-il toujours en souriant. Regarde mieux. »

Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire. L'armoire était pourtant bien vide. J'avais beau regarder, il n'y avait rien. Je ne voyais que mon reflet dans le grand miroir qui recouvrait le fond, ainsi que celui de James qui me regardait attentivement. « Moi... » pensais-je. Je venais de comprendre.

-Oui, c'est bien cela, affirma James, comme s'il avait lu dans mes pensées. C'est ton propre reflet que tu vois »

Il laissa un silence, puis comme je ne réagissais pas, il repris :« Tu pensais vraiment qu'il existait un objet capable d'apporter le bonheur ? La première raison de ton bonheur ou de ton malheur, c'est toi-même. Toi seul pourras faire ta réussite, toi seul as la possibilité de faire de ta vie ce que tu souhaites. Si tu veux avoir la vie que tu rêves, c'est à toi de t'en donner les moyens ».

C'était donc ça. Sa réponse m'avait laissé perplexe. Un sentiment confus m'envahit : j'étais à la fois en colère, et déçu aussi. C'était pour moi comme un rêve qui venait de se briser. James, lui, semblait satisfait de ma réaction, comme s'il avait fait exprès de me laisser découvrir le secret. D'un autre côté, je voyais cette découverte comme une sorte de prise de conscience qui me ramenait à la réalité. Désormais, j'avais d'autres questions en tête : « Et si c'était ça, le secret du bonheur ? Suffisait-il de se donner les moyens pour être heureux ? Mais en fin de compte, qu'est-ce que c'est réellement, le bonheur ? »