Chapitre 6

Ils restèrent immobiles, s'étudiant mutuellement sans un mot. Le professeur épuisé et méfiant face à l'adolescent moqueur et couvert de poussière. Le visage de Tristan était noir de crasse et d'hématomes, sa lèvre saignait, mais il continuait de sourire comme pour défier ceux qui le voyaient dans cet état. Ryan ne bougeait pas et attendit qu'il prît la parole. Le silence dura un moment, aucun d'eux n'amorçait le moindre geste, continuant de se défier du regard. Finalement, le ricanement de Tristan déchira le silence. Ryan frémit.

-Vous ne me demandez pas ce qui m'est arrivé ?

Ryan haussa les épaules.

-Je suppose que tu vas me le dire.

Le sourire de Tristan s'effaça brusquement, son regard s'assombrit et sa mâchoire se contracta. Il garda le silence. Ryan attendit, le cœur battant. Il se doutait que l'adolescent s'était battu, mais il voulait en avoir la confirmation, il voulait l'entendre de sa bouche. La réponse lui donna satisfaction. Il soupira, mais ne demanda pas davantage de détails : il ne voulait pas brusquer Tristan. Il y eut à nouveau un long moment de silence, puis Ryan posa la main sur la poignée.

-Pourquoi es-tu venu me voir, Tristan ?

Le jeune homme posa son sac à terre et l'ouvrit. Il en sortit une liasse de feuilles à carreaux couvertes d'une écriture fine et très serrée. Il referma son sac, le remit sur son épaule et tendit le bras. Ryan le regarda, perplexe.

-Je suis venu pour vous donner ceci.

Ryan soupira et prit les feuilles. Lorsqu'il releva les yeux, il constata que Tristan arborait à nouveau le sourire moqueur, presque malsain, qu'il avait pris l'habitude d'afficher. Ryan serra les dents et le salua d'un hochement de tête, avant de monter les escaliers. Lorsqu'il se retourna brièvement, il s'aperçut que l'adolescent n'avait pas bougé et le regardait fixement, sans cesser de sourire. Il déglutit, se hâta de franchir les étages et verrouilla sa porte derrière lui. Ensuite, il resta un moment figé, haletant, son cœur cognant dans sa poitrine. Ce sourire...Ce sourire ne lui plaisait pas. C'était comme si Tristan allait s'en prendre à lui. Il secoua la tête pour en chasser l'image de l'adolescent et jeta le paquet de feuilles sur sa table, avant de poser sa sacoche au sol. Puis, il s'assit dans son canapé. Il avait peur de ce qu'il pourrait trouver dans les copies. L'état mental du jeune homme l'inquiétait presque plus que son état physique. Il se leva et s'activa autour des copies, s'en rapprochant et s'en éloignant à la fois, comme si elles étaient des aimants qui tantôt l'attiraient tantôt le repoussaient. Mais soudain, il repensa au sourire de Tristan. Ce sourire moqueur et triomphal qu'il lui avait adressé au moment de lui tendre les copies. Cela suffit à le décider. Il prit les feuilles d'un geste presque dégoûté et les rangea dans sa sacoche sans les parcourir. C'était ce que voulait Tristan : qu'il se jetât dessus et les dévorât immédiatement. Ryan secoua la tête. Il ne lui ferait pas ce plaisir. Il ne savait pas ce que contenaient ces copies, mais il refusait de faire penser à Tristan qu'il exécuterait le moindre de ses désirs. Pensée qui fut alimentée par la peur de ce qu'il pourrait trouver dans ces écrits. Il le sentait, lire ces textes n'était pas une bonne idée.

Son portable bipa, il avait un message. C'était Sam, l'un de ses amis. Il leur manquait, ils voulaient le revoir, lui parler. Ryan hésita un moment en se mordillant la lèvre, mais finit par accepter. Il ne les avait plus revus depuis qu'il avait quitté L'Annexe en trombe ce fameux soir et il dut admettre qu'ils lui manquaient aussi. Sam lui donna rendez-vous chez lui, Tom et les autres l'attendraient en bas de l'immeuble. Ryan le remercia, enfila son manteau, attrapa ses clefs et sortit. Il marcha jusqu'à l'immeuble de Sam, s'efforçant de ne pas penser au triste état de sa voiture et d'oublier les copies de Tristan. Lorsqu'il arriva devant chez Sam, il constata qu'effectivement ses amis l'attendaient. Tom Lisley, avec ses cheveux châtains toujours impeccablement lissés et ses yeux bleus. Leslie Montchapet, ses longs cheveux blonds bouclés et les mêmes yeux que Tom. Sam Drenta, cheveux roux et yeux noirs. Et Emma Lanford, avec son style toujours aussi particulier. Ses cheveux coupés courts étaient noirs avec des reflets auburn, elle avait des yeux verts, un piercing à l'arcade sourcilière et ne se déplaçait jamais sans son chewing-gum quotidien. En le voyant, ils l'étreignirent chaleureusement et Ryan fut soulagé de constater qu'ils ne lui en voulaient pas d'avoir donné si peu de nouvelles. Ils montèrent ensemble chez Sam et celui-ci leur servit à boire. Comme chaque fois qu'il les retrouvait, Ryan ressentit un manque : ils auraient dû être six...

La soirée se déroula sans accrocs, ils burent et mangèrent à l'excès, comme chaque fois qu'ils se retrouvaient, mais ne parlèrent pas du passé. Seule Emma se permit une remarque : elle avait appris que Ryan aidait Tristan Dumont et le plaignait d'être à nouveau mêlé à cette histoire. Autour d'eux, tous les autres se figèrent et retinrent leur souffle, craignant la réaction de Ryan. Mais celui-ci se contenta de remercier son amie, sans développer ni s'énerver. L'atmosphère se détendit aussitôt. Ryan n'en voulait pas à Emma d'avoir abordé le sujet des Dumont : il savait qu'elle était ainsi, franche et naturelle, et qu'il ne fallait surtout pas se braquer avec elle.

Lorsqu'il quitta enfin ses amis, il était 1 h du matin. Il marcha un moment dans Dijon, avant de rentrer chez lui. Une fois dans son appartement, son regard se posa sur les copies restées sur sa table. Il hésita, mais finalement, incapable de résister plus longtemps, il prit la première feuille et s'assit sur son canapé pour lire.

Le style était toujours bon, l'orthographe restait irréprochable, de même que la syntaxe. Le contenu, en revanche, le glaça. Tout tournait autour de la mort. Cimetière. Préméditation d'un meurtre. Suicide. Folie meurtrière. Il reposa les feuilles et se redressa, sous le choc.

Il avait raison, depuis le début. Tristan allait mal. Très mal. Ces rédactions n'étaient pas normales. Le cœur battant à tout rompre, le souffle court, il saisit les feuilles et les remit dans son sac. Il tremblait, la sueur coulait sur son front, son cœur cognait sa poitrine.

Tristan n'était qu'obscurité. La petite part de lumière que Ryan avait cru voir en lui s'était éteinte. Définitivement.

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