Chapitre 16

Ryan demeura immobile, bouche-bée. Il était comme paralysé. Que Tristan eût perdu son portable dans sa rue parce qu'il avait seulement assisté au sabotage était possible...mais Ryan n'y croyait pas. S'il n'avait fait qu'y assister, il serait encore dans la rue. Et surtout, il aurait remarqué la chute de son portable. S'il n'était pas resté ni revenu sur ses pas pour chercher son téléphone, c'était qu'il était parti précipitamment. Une attitude très suspecte face à l'événement qui venait de se produire...Il se racla la gorge.

-Excusez-moi, madame. Je suis Ryan Amarro. Je viens de retrouver le portable de Tristan dans ma rue.

Il y eut un long silence, puis la voix de Mme Dumont résonna à nouveau.

-Ne me dites pas que ce je crois deviner est vrai...

Ryan ne sut quoi répondre à ces mots.

-Ils en ont parlé aux informations, reprit son interlocutrice. Le sabotage des voitures dans votre rue.

Elle savait donc. Et elle soupçonnait visiblement la même chose que lui. Ryan frissonna. Son immeuble...Son université...Sa voiture...Sa rue...Il ne comprenait toujours pas pourquoi Tristan s'en prenait à lui. Mais cela ne faisait que renforcer son sentiment de culpabilité vis-à-vis d'Alexis. Comme si Tristan se vengeait de la mort d'un frère qu'il n'avait pas connu. Comme s'il l'accusait inconsciemment.

Ryan la rassura comme il put, avant de raccrocher. Ce faisant, ses yeux se posèrent sur la date qu'affichait le téléphone. Il déglutit. Samedi 11 avril. Il ne restait plus que cinq jours avant la Grande Dictée et deux jours avant qu'il ne retrouvât Tristan au cimetière. L'idée de le rejoindre là-bas à une heure aussi tardive l'angoissait plus qu'il ne l'aurait cru. Tristan n'était pas un adolescent comme les autres. C'était un garçon perturbé. Très perturbé. Personne ne savait comment il pourrait réagir en voyant Ryan lundi soir. Il pourrait fondre en larmes, tout comme il pourrait l'attaquer ou l'accueillir sans un seul geste ni un seul mot. Ryan ne savait pas s'il redoutait plus la deuxième ou la troisième option...Une chose demeurait pourtant certaine : il avait peur.

Il rangea le portable de Tristan dans son autre poche et rentra chez lui. Il savait qu'il n'aurait pas dû garder ce téléphone, qu'il aurait dû l'apporter au commissariat et expliquer la disparition de Tristan aux policiers, mais il ne parvenait pas à s'y résoudre. Il le sentait, c'était un combat entre lui et l'adolescent. Même la propre famille de Tristan en était exclue. C'était à lui que le jeune homme s'adressait. Et bien qu'il ne comprît toujours pas pourquoi, il n'était pas prêt à abandonner, encore moins à déléguer sa place.

Une fois dans son appartement, il posa son téléphone sur la table, mit celui de Tristan à côté et, comme lorsqu'il avait eu entre les mains les rédactions de son élève, il hésita. Cette fois-ci, son acte était pire qu'une simple lecture de copies : il s'apprêtait à violer l'intimité d'un adolescent. Cette idée le révulsait. Son cœur s'accéléra, il sentit ses paumes devenir moites. Devait-il vraiment le faire ? En avait-il le droit ? Il ferma les yeux et soupira. Bien sûr que non, il n'en avait pas le droit. C'était la vie privée d'un lycéen. Mais s'il ne le faisait pas, la police s'en chargerait.

Cela regarde les épidémiologistes, les zoologues. Nous, en aucun cas.

La phrase choisie par Tristan dans le roman de Fred Vargas venait de lui revenir en mémoire. Il secoua la tête. Non, il ne pouvait pas laisser ce portable entre les mains des policiers. Il aurait le sentiment de trahir Tristan ; cette idée lui était intolérable.

La gorge nouée, il supplia silencieusement le jeune homme de lui pardonner son geste. Puis, les mains tremblantes, son cœur cognant sa cage thoracique, il prit le téléphone de son élève. Ses mains tremblèrent de plus en plus, il avait la désagréable impression de sentir des regards peser sur lui, comme des témoins de sa violation. Il se figea, avant de tourner lentement la tête vers sa fenêtre. Derrière les vitres, les gens s'affairaient, parlaient, téléphonaient. Personne ne semblait lui prêter attention. Il avala péniblement sa salive et reporta son attention sur le portable de Tristan. Puis, la gorge sèche, il le déverrouilla et sélectionna l'icône des messages. Des sms échangés avec ses parents, avec des filles et des garçons que Ryan ne connaissait pas. Pas de cœurs ni de mots doux, Tristan ne semblait pas avoir de vie sentimentale. Ryan remonta jusqu'au 25 mars, date de sa disparition.

L'adrénaline que procure le jet d'un caillou dans la vitre d'une université...C'est à peine croyable. J'ai l'impression de m'être libéré de ce fardeau qu'est l'école.

Sous le choc, Ryan demeura bouche-bée, les yeux écarquillés. Le message, adressé à une certaine Camille, était empreint d'une violence presque palpable, mais également d'un sentiment plus malsain...Comme une jouissance de la destruction. La gorge sèche, Ryan quitta la conversation et consulta les autres. En vain. Les messages échangés étaient d'une banalité déconcertante. Un peu gêné, il hésita, avant de sélectionner la conversation écrite que Tristan avait eue avec sa mère. La violence était encore plus marquée, mais cette fois-ci, elle avait une cible réelle. Les mots qu'il adressait à sa mère étaient haineux. Il se montrait dur et sans pitié envers elle. Même chose avec son père. Sous le choc, Ryan déglutit et revint sur la conversation avec Camille. Tristan lui confiait qu'il en avait assez de sa famille, des blancs et des regards gênés dans les conversations, qu'il détestait la faiblesse de ses parents, que cela lui donnait envie de les fuir ou de les détruire. Ryan se mordit la lèvre, soudain mal à l'aise. La situation des Dumont était décidément très compliquée...Soudain, quelque chose retint son attention. Il venait de voir son prénom dans les messages de Tristan. Le souffle court, il parcourut les écrits de l'adolescent.

Ce professeur qu'ils m'ont assigné, ce Ryan qui m'aide pour la Grande Dictée...Il joue au plus puissant, mais je sais qu'il est faible. Je ne sais pas pourquoi mes parents me font prendre des cours avec lui. Il ne me servira à rien pour la Grande Dictée.

J'en ai assez d'aller chez Ryan. Assez de sentir sa faiblesse battre sous sa carapace. Le voir me donne envie de le détruire.

Je n'ai plus qu'à attendre. Plus que quelque temps et je serai libéré de ce poids qui m'entrave. Bientôt, je le sais, Ryan Amarro ne sera plus qu'un lointain souvenir.

Ryan demeura immobile et tremblant face au téléphone, horrifié par ce qu'il avait lu. Tristan serait-il capable de mettre ses menaces à exécution ? D'attaquer un adulte ? De le tuer ? Il secoua la tête, inspira profondément. Il devait se calmer. Ne pas montrer sa peur. Il hésita, le doigt au-dessus du petit téléphone à côté du numéro de Camille. Puis, il haussa les épaules et appuya.

La dénommée Camille répondit à la première sonnerie.

-Tristan ?

Une voix fluette, qui trahissait son jeune âge. Ryan se racla la gorge.

-Excusez-moi, mademoiselle. Je suis un professeur de Tristan. Je l'entraînais pour la Grande Dictée.

-Oh. Je vois. Il m'a parlé de vous.

La déception de la jeune fille était palpable – Ryan ne pouvait pas l'en blâmer.

-Je voulais savoir si vous aviez des informations à son sujet. Quelque chose qui pourrait m'aider à le retrouver.

-Je crains de ne pas pouvoir vous être utile, lui répondit doucement Camille. Tristan était un garçon très fermé sur lui-même. Très peu sociable, même avec moi. Je ne sais que peu de choses sur lui.

-Cela vous ennuierait-il de me les confier ?

Elle sembla hésiter, finit par soupirer.

-J'étais sa seule amie et pourtant, il ne me parlait presque jamais. Il fuyait les groupes et les assemblées. Je sais qu'il avait aussi de grosses difficultés scolaires, c'était comme si ses leçons ne s'imprimaient pas, il peinait toujours à avoir la moyenne. Honnêtement, je me suis toujours demandé comment il avait réussi à être en Terminale.

Ryan sentit son cœur se serrer à ces mots. Les symptômes qu'elle décrivait étaient ceux des troubles affectifs. L'une des conséquences des secrets de famille.

-Auriez-vous une idée de l'endroit où il pourrait se trouver ?

-Non, pas la moindre. Je suis désolée. J'aurais aimé pouvoir vous aider davantage. Mais Tristan a toujours été une porte fermée au monde.

Ryan la remercia et raccrocha, essayant d'oublier ce qu'il avait lu. Une porte fermée au monde...Ces mots ne pouvaient pas mieux décrire l'adolescent.

Il trouverait la clef. Il lefallait.

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