Chapitre 1
Je m'avance vers le grand bâtiment de pierre et pousse la double porte tout doucement. Comme d'habitude j'évolue dans mon environnement avec souplesse et légèreté. Seule et invisible.
C'est ma dernière année à la fac et je compte la terminer sans histoire.
Autour de moi tout le monde cri et rit. J'augmente le son de mon téléphone laissant la musique couvrir le brouhaha. Les gens se prennent dans les bras et se racontent leurs vacances d'été. Évitant les bousculades, je m'infiltre sans difficulté dans ce capharnaüm.
Personne ne me remarque dans la foule et pourtant, tous sans exception s'écartent sur mon passage. Ma présence a tendance à faire cet effet là. Un malaise imperceptible, un frisson dans le dos, la chair de poule : pour chacun la sensation est différente mais ils ont le même réflexe d'évitement. Seulement jamais ils ne feront le lien avec moi, car pour eux je suis invisible. Pas au vrai sens du terme mais avec les années disons que j'ai réussi à me rendre si discrète que personne ne me voit, o plutôt personne ne prend la peine de me remarquer. Je fais partie du décor. Leur œil me perçoit mais ne relève pas consciemment ma présence. Compliqué pour se faire des amis, mais pratique pour éviter les ennuis. Vingt-trois ans d'expérience cela paye.
Après quelques mètres parcourus, je repère Louise, ma meilleure amie, assise tranquillement sur la première marche du grand escalier, perdue dans ses pensées, oscillant la tête au rythme de la musique, ses écouteurs sur les oreilles.
J'allais la rejoindre quand une main saisit mon poignet. Surprise je me retourne pour voir qui est la personne qui non seulement m'a repéré mais qui en plus a osé me toucher.
D'abord, je regarde sa main. Une main large et noueuse. Un homme. Puis un avant-bras musclé. Surement un athlète. Un tatouage étrange sur l'épaule. Des ailes blanches enchaînées.
Je lève un peu plus les yeux pour voir son visage. Des yeux bleus comme le ciel, aux longs cils de velours fixés sur moi, des cheveux souples et noirs comme la nuit, une mâchoire carrée, une barbe naissante entourant une bouche fine et sensuelle. Une bouche qui semble vouloir me dire quelque chose.
Après ces secondes d'observations, j'enlève mes écouteurs pour savoir ce qu'il a à dire :
- Eh oh ! Tu m'écoutes ? dit-il en faisant des gestes devant mes yeux pour attirer mon attention.
- Oui désolée. Vous m'avez surprise, dis-je en baissant les yeux.
- Je cherche le bureau pédagogique du Master Neurosciences.
Tiens c'est mon master. Peut-être que c'est un nouvel étudiant. Il me parait plus vieux. C'est sûrement un étudiant en médecine qui fait un double cursus. Ils sont souvent plus âgés. Ou alors c'est un professeur. Mais avec son tatouage, son t-shirt noire, son jean serré et sa veste en cuir sur l'épaule, il n'a pas le look d'un professeur. Ni d'un étudiant en médecine d'ailleurs.
- Hum hum, se gratte-t-il la gorge pour me sortir de mes pensées.
- Euh oui désolée. J'y allais justement, suivez-moi, dis-je en me dirigeant vers Louise sans vérifier qu'il me suit.
Arrivé à sa hauteur, je lui donne un petit coup sur l'épaule pour la sortir de ses rêveries. Elle sursaute et lève la tête. La seconde d'après, la petite blonde pétillante, me saute dessus en souriant.
- Lyah ! Tu m'as manqué. Il faut que je te raconte ma croisière !
- Hum ! fit à nouveau le jeune homme derrière moi.
Ma meilleure amie tourne la tête vers le beau brun et reste bouche bée. Je crois que c'est la première fois qu'elle me voit avec un homme, voire carrément avec un autre être humain qui ne soit pas elle ou mon père. Sans perdre de temps, je lui ferme la mâchoire et entame les présentations :
- Je vous présente Louise. Elle fait partie du master Neurosciences comme moi. Louise je te présente... Euh en fait je ne sais pas qui vous êtes, dis-je en souriant timidement.
- Adriel Morange, je suis le nouveau professeur de neuropsychologie de la conscience.
- Oh alors vous êtes professeur ! répondit Louise pleine d'entrain. Et comment connaissez-vous Lyah ? Vous êtes son petit-ami ? Cachotière ! souffle-t-elle en me tapant l'épaule.
- Euh non, on ne se connait pas, dis-je en rougissant. Il voulait juste que je lui indique où se trouve le bureau pédagogique. J'ai pensé qu'on pouvait l'accompagner vu qu'on doit aller voir dans quelle classe nous sommes et récupérer nos emplois du temps, dis-je d'une petite voix.
- Désolée pour le malentendu. Mais voyez-vous, mon amie n'a pas l'habitude de côtoyer des hommes alors quand je l'ai vu avec un si beau spécimen...
- Bon suivez-nous, dis-je pour l'interrompre.
Encore une fois je pars sans me retourner. Mais je sais qu'il me suit. Je sens son regard dans mon dos. Sa présence derrière moi me fait un drôle d'effet. Chaleur, frisson, peur et plaisir anticipé. Très étrange comme combinaison.
Après avoir traversé un long couloir nous arrivons dans le second hall, puis je me dirige vers le grand escalier, parfaite réplique de celui où Louise était assise quelques minutes plus tôt. Je commence à monter les marches deux par deux avec souplesse, sans me soucier des plaintes de Louise, beaucoup plus petite que mon mètre soixante-dix, qui peinait à suivre mon allure soutenue.
Adriel, enfin Monsieur Morange ne semble pas avoir de mal à me suivre par contre. Normal, il fait presque deux mètres et son jean serré m'avait permis de déceler une puissante musculature.
Arrivé au deuxième étage, je tourne à droite puis après une dizaine de mètres je m'arrête brusquement. Contre toute attente, il m'évite sans problème et vient se poster à mes côtés. Tiens bizarre d'habitude les gens me rentrent dedans dans cette situation. Encore un truc étrange chez lui.
- Nous sommes arrivés.
- Merci... Lyah c'est ca ? dit-il avec un sourire mystérieux. Nous nous reverrons donc en cours je suppose.
- Euh oui c'est ca, dis-je en rougissant.
Il ouvre la porte et se dirige vers la salle des professeurs. Mon regard reste bloqué sur sa silhouette puissante et élancée, les muscles de ses épaules roulants sous son t-shirt moulant à chaque balancement de ses bras en parfaite opposition avec ses pas. Sa démarche me paraît féline et dangereuse. Mon instinct me souffle que cet homme ne doit pas être pris à la légère. Il a une aura de guerrier. Mais pourtant le frisson qu'il provoque en moi est loin d'être un frisson de peur.
Je suis encore en train de rougir quand mon amie arrive toute essoufflée.
- Bon c'était quoi ca ? Raconte-moi depuis le début.
- Rien de spécial. Je marchais dans la foule quand il m'a saisi le poignet. Puis il m'a demandé où se trouvait le bureau pédagogique. Je lui ai dit de me suivre, je suis venue te chercher pour qu'on y aille ensemble et voilà. Après tu connais la suite.
- Donc non seulement il t'a vu mais en plus il t'a touché ?
- Oui... dis-je troublée en me remémorant la sensation de sa main chaude et musclée sur ma peau. Ses yeux... dis-je pensive.
- Quoi ses yeux ?
- Il a des yeux magnifiques... Quand il me fixait, j'étais perdue dans son regard bleu azur.
- Il n'a pas fui ton regard ? dit-elle en tournant ma tête vers elle pour que je la regarde.
Je fixe alors ses yeux noisette, ses petites fossettes au coin de la bouche et son petit nez tout fin. Après quelques secondes elle détourne les yeux, gênée.
Même après toutes ces années, ma propre meilleure amie n'arrive pas à tenir mon regard. J'ai l'habitude mais cela n'empêche pas la tristesse de serrer mon cœur.
Seul Paul arrive à faire face à mes yeux si étranges. Des yeux vairons. Rien d'extraordinaire et pourtant ils n'ont rien d'ordinaire. Au-delà de leurs couleurs atypiques, d'un brun tirant vers le rouge pour le droit et d'un bleu presque translucide pour le gauche, ils renvoient quelque chose de dérangeant que les gens n'arrivent pas à appréhender. Mes interlocuteurs se sentent aspirer par mon regard. On dit que les yeux sont le miroir de l'âme, alors si c'est vrai la mienne doit-être sacrément tordue.
- Non. On s'est échangé un long regard et il n'avait ni l'air effrayé ni dégouté. Juste intrigué, soufflais-je doucement pour moi-même.
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