8.

Lila s'invita chez moi le vendredi soir. Elle et Louis débarquèrent chez moi une heure après que je sois rentrée du boulot. J'étais épuisée et ne demandais qu'à aller me coucher après un rapide dîner. Toutefois, je ne me voyais pas les mettre à la porte.

Aussi nous installâmes-nous dans le coin repas de la cuisine avec les pizzas qu'ils avaient amenées. Toutes deux étaient végétariennes. Ni Lila ni Louis n'étaient gênés par mes restrictions alimentaires. Je leur en étais reconnaissante et ils le savaient même si personne ne le disait à voix haute.

- Et bien, Nana, tu m'as l'air épuisée ! s'exclama Lila en s'installant à côté de Louis.

- Je le suis. Une semaine à trier des milliers de documents... Et je n'ai pas fini ! Comment est-ce qu'ils ont pu être si mal organisés lorsqu'ils ont bougé leurs archives ?

- Ça arrive souvent, répondit Louis. Les gens renversent les cartons et remettent tout n'importe comment. On ne s'en rend compte que des mois plus tard et dès lors, il faut tout trier.

- Ça sent le vécu, ris-je.

Il sourit.

- J'ai déjà dû classer les archives plus qu'à mon tour quand j'ai commencé. C'est l'une des taches les plus ingrates au monde.

Je ne pouvais qu'être d'accord avec lui. Quand le directeur m'avait demandé de trier les douzaines de boites d'archives, j'avais cru mourir. Déjà que passer mon temps seule à l'étage était un supplice, il fallait que je trie des milliers de feuilles.

Les seuls moments où je me sentais presque bien à l'école, c'était lors du déjeuner ou lorsque les ouvriers étaient là. Savoir que d'autres personnes étaient dans la même aile que moi me rassurait. J'avais bien moins peur et c'était plus supportable.

- Alors ? Comment c'est, là-bas ? s'excita Lila.

Je ne sus que lui répondre. Je n'avais vraiment pas envie de lui dire à quel point je détestais cet endroit. Combien il m'effrayait. Si je commençais, je n'allais rien retenir. Parler de mes peurs irrationnelles à Lila et Louis... Je n'étais pas prête pour ça.

- Plutôt bien, je suppose.

- Dis-nous-en plus ! Comment sont tes collègues, les enfants... ?

- Je n'ai pas tellement de contact avec les enfants. Et les collègues sont vraiment sympathiques. Excepté pour Holly qui est assez agaçante.

- Ah, Holly Stillwater, rigola Louis.

- Ne me parle pas d'elle ! cria Lila, furieuse.

- Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je, surprise.

- Holly est une de mes ex-petites amies, avoua Louis. On est sortis ensemble pendant quelques mois. J'ai rompu avec elle et elle n'a pas apprécié.

- Elle m'a mené une vie infernale pendant des semaines ! Sérieusement, cette fille est folle !

- Andrew m'a bien dit de me méfier d'elle. Elle a jeté son dévolu sur Carter.

- J'ai loupé combien d'épisodes de La Vie d'Yvana, au juste ? râla Lila.

Louis et moi éclatâmes de rire. Mon amie préféra bouder. Je dus lui expliquer ce qu'il s'était passé avec Carter et pourquoi Andrew m'avait avertie pour Holly. Évidemment, je passai rapidement sur les détails de mes malaises à répétition.

- Je ne sais pas si je dois être plus inquiète de toi te sentant sans cesse mal ou de toi étant déjà bien trop proche de Carter en si peu de temps.

- Je ne suis pas proche de Carter. On s'entend bien, c'est tout. On a tous les deux eu une frayeur quand j'ai fini dans le fossé de sa faute et du coup, on s'entend bien. Mais Holly semble se monter la tête, tout comme toi.

- On ne se monte pas la tête. C'est évident qu'il t'apprécie. Il ne se préoccuperait pas tant de ta santé si ce n'était pas le cas.

- Il est juste ce genre de personne. Ça n'a rien à voir avec moi. Je suis la petite nouvelle, il me fait tomber dans le fossé sous la pluie... Ce sont des raisons suffisantes pour s'inquiéter de la santé de quelqu'un, il me semble.

- Je t'en prie, Yvana ! Tu te moques de moi, n'est-ce pas ?

- Tu exagères encore alors non.

- Ta vie sentimentale est un tel désert que, forcément, elle voit plus qu'il n'y a ! intervint Louis, moqueur.

Je le frappai sur le front alors qu'il se mettait à rire. Lila fit mine de rien mais je savais qu'elle était d'accord avec son petit ami. Et ni elle ni lui n'avaient tort. Ma vie sentimentale était loin d'être palpitante.

- Toujours est-il que je suis plus préoccupée par ta santé déclinante malgré tout, dit Lila. Tu te sentais mieux, il me semble !

- Je me sens bien. Ça m'arrive juste de me sentir un peu faible, parfois. Surtout à l'école.

Lila et Louis échangèrent un regard étrange. Je fronçai les sourcils, me demandant ce qu'il se passait. Qu'est-ce qui leur arrivait ?

- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

- Lila n'aime pas St John's, dit Louis en levant les yeux au ciel. Elle a la trouille. Comment tu m'as dit ça ? L'école a une aura maléfique, c'est ça ?

Je me tournai vers Lila, étonnée. Elle parut quelque peu embarrassée. Cependant, vu le regard qu'elle lança à son petit ami, elle était furieuse de la façon dont il réagissait.

- Quelque chose cloche avec cette école, d'accord ? s'énerva-t-elle. Et ne me mens pas, même toi tu t'es senti observé !

- Ça ne veut pas dire que l'école est démoniaque ! Dis-lui qu'il n'y a rien de bizarre à propos de cette école, Yvana !

Je me mordis la lèvre, incapable de faire ce qu'il me demandait. Je baissai les yeux vers ma part de pizza, ne sachant quoi dire.

- Ne me dis pas que toi aussi... ! Vous êtes impossibles, toutes les deux !

- Toi aussi, tu le sens, n'est-ce pas ? m'apostropha Lila en saisissant mes mains sur la table. Je ne suis pas folle, n'est-ce pas ?

- Si tu l'es, je le suis encore plus, soupirai-je.

- Alors quoi ? Tu as vu des fantômes flotter dans les couloirs ? Les gamins font des rituels sataniques en cours ? railla Louis.

- En fait, le lundi, quand je suis arrivée avec Carter, je suis certaine d'avoir vu quelqu'un à la fenêtre mais nous étions seuls. Quand je l'ai regardée... J'étais pétrifiée et j'avais tellement froid ! Et je sens encore qu'on me fixe, qu'on me guette. Dès que j'arrive à l'école, je me sens plus faible. Je n'ai de répit que lorsque les ouvriers sont là...

Mes amis demeurèrent silencieux pendant un moment. J'avais encore beaucoup de choses à dire. Je me retins. J'en avais déjà dit bien trop. Lila avait pâli et Louis semblait incrédule. À son regard, je sus qu'il ne me croyait pas. Moi-même, je ne me croyais pas ! Je ne pouvais pas lui envouloir. Ça paraissait totalement... fou.

Je me faisais l'effet d'une folle.

- Je suis sûre que ce n'est rien. Tout provient de cette hallucination que j'aie eue en arrivant. Rien de plus. Ça m'a fait peur mais je suis sûre que c'était juste un jeu de lumières. Rien d'autre.

- Tu n'y crois pas plus que moi, à celle-là ! répliqua Lila. Il y a quelque chose de pas normal dans cet endroit !

- Depuis quand tu crois au surnaturel, au juste ? cassa Louis. Qui dit toujours que ceux qui croient que le paranormal existe sont de complets idiots ?

- Ça s'appelle le déni. Je refusais d'y croire. Puisque même toi, tu le ressens, il doit bien y avoir une raison, non ?

Elle me regarda, me suppliant de la suivre. Ce que je ne pouvais pas faire. Le dire rendrait tout trop réel à mon goût. Je ne comptais pas pousser mes hallucinations plus loin.

- Je me suis fait peur à cause d'un reflet dans la vitre quand je suis arrivée, c'est tout. Tu me connais, non ? Je suis une sensible. Il n'y a rien de malsain à St John's. C'est l'architecture qui donne l'impression d'entrer dans Lizzie Borden Took An Ax. Rien de plus, rien de moins.

Quelque part dans mon discours, je cessai de tenter de convaincre Lila pour me persuader moi-même que tout ce que je ressentais n'était que le contre-coup de mon hallucination. J'avais imaginé cette silhouette et les symptômes qui avaient suivi depuis. Il n'y avait pas d'autre solution logique. Le paranormal n'existait pas. De ça, au moins, j'étais sûre.

- Tu vois ? Elle dit elle-même que St John's est banal ! Et elle travaille là-bas tous les jours !

Lila parut blessée que je ne la soutienne pas. Nonobstant, j'en étais incapable. Quoi qu'elle en dise, Lila croyait à tout ça à cause de sa grand-mère qui se proclamait cartomancienne. Aucune de ses prédictions ne s'était jamais réalisée, ce qui n'empêchait pas Lila de croire aveuglément en sa grand-mère. « Laisse le temps au temps » était sa réponse quand on lui disait que rien ne se passait comme sa grand-mère l'avait soi-disant vu.

- Je suis sûre qu'il y a un truc pas net là-bas, insista Lila, implacable. Vous finirez par voir que j'ai raison.

- On verra mais je n'y crois pas un seul instant, répondit Louis, le menton dans la paume de sa main, lassé par cette conversation.

- Autre sujet tout aussi déplaisant pour moi, repris-je en frappant dans les mains. Jenna quelque chose.

- Jenna Ashton ?

Je hochai la tête.

- Elle est venue tambouriner comme une folle furieuse à ma porte dimanche dernier, en pleine nuit. Elle criait qu'il fallait qu'elle me parle à tout prix. Une vraie folle.

- À propos de quoi ? Elle te l'a dit ?

- Non, mentis-je, peu décidée à revenir sur le sujet St John's. Je lui ai fait croire que j'appelais la police et elle est partie. Elle m'a dit que j'allais regretter de ne pas l'avoir écoutée.

Louis soupira longuement.

- Jenna avait ton job l'année dernière. Elle a fait une dépression nerveuse ou un truc du genre. Elle est devenue complètement folle. Elle parlait de trucs insensés.

- Sa famille a essayé de la faire interner, poursuivit Lila. Elle disait que quelqu'un la poursuivait pour la tuer. Sauf que rien ne lui ai jamais arrivé et que l'on a jamais vu personne rôder autour d'elle. La police a monté la garde devant chez elle pendant plusieurs jours. Sans résultat. Du coup, elle a déménagé dans l'Etat voisin.

- Pourquoi viendrait-elle frapper chez moi si elle habite aussi loin ? Elle est encore névrosée ou c'est un coup monté ?

Lila et Louis haussèrent les épaules en parfaite synchronisation.

- On n'avait plus entendu parler d'elle depuis des mois.

Je me pris la tête dans les mains. Réfléchir à tout ça me donnait mal à la tête. Je n'avais qu'une envie : aller dormir. Autant que j'adore mes amis, honnêtement, j'avais hâte qu'ils partent. Ces discussions m'épuisaient et m'angoissaient.

Nous terminâmes de dîner en sautant d'un sujet anodin à l'autre. Lila me promit de venir me chercher le lendemain pour aller faire les courses sur les grandes villes des alentours. J'allais enfin pouvoir remplir mes placards. Les pauvres en avaient sacrément besoin.

Je comptais bien utiliser ce week-end pour reprendre à zéro avec St John's. Je ne pouvais pas continuer comme ça. Ce n'était pas sain. Je me rendais malade pour des bêtises. J'étais déjà bien assez faible pour ne pas avoir besoin de m'affaiblir encore plus.

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