6.
St John's, avec le soleil qui se levait juste derrière, offrait un paysage magnifique. C'était vraiment beau. Une vision calme et apaisée, très bucolique.
Le parc était entretenu, parsemé de feuilles mordorées qui roulaient sous le vent. C'était le genre d'endroit que l'on prenait en photo tant il était beau. Même les signes évidents de travaux en cours ne gâchaient rien au décor.
Le parking avait été aménagé dans ce qui avait dû être une clairière. Le demi-cercle était encore apparent malgré les places rectangulaires délimitées avec des rondins. Il était à l'écart de l'école, juste à l'entrée à gauche de la grille. Il nous faudrait donc remonter l'allée de gravier jusqu'à l'école à pied.
- Nous sommes arrivés les premiers, on dirait, me dit Carter. Je peux toujours te faire visiter, je suppose.
Je me tournai vers lui.
- Depuis quand on se tutoie, au juste ?
Il haussa les épaules avec un air un peu gêné.
- On va travailler au même endroit alors pourquoi on ne le ferait pas ? C'est plus convivial, je trouve.
- Certes. Mais ça aurait été poli de demander tout de même.
Il roula des yeux en avançant vers l'entrée de la bâtisse. Je lui emboîtai le pas sans attendre. Lui connaissait l'endroit, après tout. Il ne me laisserait sûrement pas me perdre. Toutefois, je préférais éviter de me retrouver seule. Sans savoir pourquoi, je savais que ça n'amènerait rien de bon.
J'admirai le bâtiment, à la fois si neuf et si ancien. La façade rénovée lui redonnait son cachet tout en me faisant voyager à l'époque de sa construction. Le parc qui l'entourait n'aidait pas à rompre le charme. Tout était fait pour faire un saut dans le temps.
Je me figeai en voyant une silhouette me fixer depuis l'étage. Un froid violent pénétra mes os, me statufiant totalement. J'étais incapable de me détourner. Je ne voyais qu'une tâche noire de forme humaine, pas d'yeux ou de visage. Ce qui ne faisait que rendre l'apparition encore plus angoissante.
Je voulais me détourner, appeler Carter, pointer vers ce que je voyais. Aucun de mes membres ne répondait. J'étais gelée, pétrifiée. Plus je regardais la silhouette, plus je me sentais faible et glacée de l'intérieur. Comme si un venin courait dans mes veines.
- Tu viens ? me héla Carter.
Sa voix me sortit de ma transe avec une brutalité qui me fit vaciller. Je baissai les yeux vers lui quelques secondes, voulant lui montrer la personne à la fenêtre. Mais le temps que je relève le regard, il n'y avait plus rien. J'eus beau regarder, je ne retrouvai pas l'ombre.
- Qu'est-ce qu'il y a ? questionna-t-il en se rapprochant.
- Je... C'est rien, dis-je en secouant la tête avec un petit rire nerveux. J'ai... J'ai juste cru voir quelqu'un à l'étage.
Il hocha la tête en fronçant les sourcils. Sa façon de me fixer était scrutatrice et je me sentis idiote. Je devais avoir halluciné. Forcément. Il n'y avait que lui et moi, personne d'autre. Le parking était vide si ce n'était pour sa voiture. Nous étions seuls ici. Donc, personne ne pouvait rôder à l'étage.
Pourtant, je n'avais pas imaginé le froid. Ça, j'étais certaine de ne pas l'avoir halluciné. Je le sentais encore. Il n'avait pas totalement disparu. Des résidus persistaient dans mes veines. Il s'était assurément passé quelque chose.
Je décidai de repousser ça dans un coin de mon esprit. Ce n'était pas le moment d'y songer. Je devais me concentrer pour retenir l'agencement de l'école. Il allait falloir que je sache où aller. C'était plus important que mon « hallucination ». Si c'en était une.
Carter préféra passer à autre chose, n'ayant visiblement pas envie de s'attarder sur ce qu'il venait de se passer. Je n'en avais pas envie, non plus, pour tout dire. J'avais eu très peur. Je m'étais sentie vraiment mal.
- Ton bureau sera dans cette aile, à l'étage, m'expliqua Carter, en me désignant la partie en rénovation de l'école. C'est à peu près la seule pièce terminée parce qu'il n'y avait pas d'autre endroit où te mettre.
- D'accord...
Ça n'était pas pour me rassurer. J'étais nouvelle, déjà effrayée par une « hallucination » et, en plus, il me disait que j'allais me retrouver seule à l'étage. S'il voulait me mettre à l'aise, c'était raté. Et dans les grandes largeurs.
- Les ouvriers ne viennent qu'une partie de la journée. Souvent l'après-midi, il me semble. Tu seras peut-être un peu dérangée par le bruit mais j'en doute. Ils refont l'isolation et le système électrique.
- Le système électrique ? Ça ne risque rien, pour moi ? Parce que si je suis en train de travailler et que tout s'éteint, ça ne va pas le faire. Honnêtement.
- Il faudra voir avec eux. Je n'en sais strictement rien.
Il sortit un trousseau de clés de sa poche et déverrouilla la porte principale. Elle émit un grincement atroce quand il la poussa. Je sentis la chair de poule sur tout mon corps. Ce n'était vraiment pas engageant.
Le hall était plutôt petit. Un gros lustre pendait assez bas, illuminant toute la pièce, créant des kaléidoscopes sur les murs. Une odeur de peinture régnait en maître, me brûlant le nez. Ils devaient l'avoir terminée la veille pour que ça sente aussi fort.
- Cette porte va vers ton aile et le couloir mène vers les salles de classe du rez-de-chaussée. Là-bas, on a l'escalier pour l'étage et derrière, c'est la cantine. Je vais te montrer.
Carter s'engagea dans le couloir sans attendre. Je le suivis, regardant autour de moi. Je lui collai aux talons. Je n'étais pas à l'aise dans cet endroit. Une sueur froide collait mes cheveux à ma nuque, mon estomac s'était contracté douloureusement et la seule idée que j'avais en tête, c'était de partir.
Il y avait trois salles de classeau rez-de-chaussée. Deux d'entre elles étaient aménagées pour de très jeunes enfants. Sûrement des classes de maternelles. La dernière semblait un peu plus adaptée pour des grandes sections voire des CP.
Carter m'emmena à l'étage. Mon malaise ne fit que grandir bien que je fasse de mon mieux pour le dissimuler. J'espérais que Carter ne le voit pas. Son avis était déjà bien tranché et je n'avais pas envie de passer pour une folle dès le premier jour. Je n'avais pas besoin de ça.
Les salles de classe de l'étage étaient plus bondées. Il y avait à peine assez de place pour circuler entre les tables. Les élèves allaient être entassés dans une pièce trop étroite qui deviendrait vite étouffante. J'étais bien heureuse de ne pas travailler comme professeur ici.
- On espère vraiment qu'ils vont vite terminer les salles de l'autre aile parce que, ici, on sera vraiment empilés les uns sur les autres comme des sardines.
- Je vois ça. Il va y avoir combien de classes dans la même salle ?
- Ici, il y aura tous les CM1. Normalement, ils devraient être séparés en deux ou trois classes mais on ne peut pas les éparpiller pour l'instant. Ils seront trente-trois. Dans ma classe, il y en aura dix de plus.
Il parut las avant même d'avoir commencé à faire cours. Ce qui, en soi, était compréhensible. Rien qu'à voir la salle, à quel point elle allait être remplie... Même moi, je me sentais épuisée pour lui et ses collègues.
Nous redescendîmes – ce qui améliora quelque peu mon malaise – et Carter m'emmena vers l'arrière de la bâtisse. Je découvris qu'ils avaient installé une cantine dans la grande pièce qui faisait tout la largeur du bâtiment. Des colonnades démarquaient les baies vitrées qui donnaient sur la cour de récréation.
La cantine était aménagée pour que les enfants soient à l'aise. Il y avait un coin pour les maternelles avec des tables et des chaises à leur hauteur, le self étincelait... Tout le mobilier avait été soigneusement réfléchi. Il s'accordait avec la pièce.
- On dirait une ancienne salle de bal, remarquai-je.
- On ne sait pas à quoi elle servait, me répondit Carter. On pense plus à une serre puisque le toit était en verre quand les travaux ont commencé pour l'adapter en école.
- Ça ne fait pas un peu grand pour une serre ?
Il haussa les épaules, peu intéressé.
- On ne le saura sûrement jamais. Et ça ne changera rien de le savoir, de toute façon.
Visiblement, l'histoire de l'endroit ne l'intéressait absolument pas. Du fait, je ne relevai pas et je le suivis vers l'aile en travaux. Tout était encombré d'échafaudages, d'outils couverts de poussière de plâtre ou de rouille... On pouvait à peine ouvrir la porte tant les ouvriers s'étaient étalés.
Les escaliers étaient gris de poussière, le bois sombre apparaissant à peine dans les traces de pas. Chaque marche grinça lugubrement sous notre poids. Le son résonna dans toute la cage d'escalier, me donnant des frissons.
Je me sentis moins assurée que jamais en montant à l'étage. Ma température corporelle avait chuté de plusieurs degrés, me faisant serrer mes bras autour de moi en quête de chaleur. Je ressentais plus légèrement ce froid qui m'avait pétrifiée lorsque j'avais aperçu la silhouette à la fenêtre. Il était là, partout, tapis dans chaque ombre.
Chaque pas que je faisais vers l'étage m'enfonçait dans un épais brouillard, lourd et pesant sur ma poitrine. Mon estomac se contracta, me donnant la nausée. Ma respiration se fit plus saccadée et laborieuse.
- Alors, ton bureau est juste là. Le plus éloigné de l'escalier pour t'éviter le maximum de bruit.
Je ne répondis pas, trop occupée à fouiller chaque recoin du regard Je me sentais vraiment mal, de plus en plus faible. Comme si on me pompait mon énergie.
Lorsque je pénétrai dans le bureau, j'eus envie de claquer la porte et de la verrouiller. C'était totalement irrationnel. Il n'y avait rien qui ne puisse expliquer ce sentiment de panique grandissante.
- Tu as tout vu. Ce n'est pas très glorieux, de ce côté-ci pour le moment.
Ne m'entendant pas répondre, il se tourna vers moi. Il s'approcha et posa une main sur mon épaule, m'amenant à le regarder. La chaleur de son contact était presque une brûlure tant j'avais froid.
- Ça va ? Tu es pâle comme un linge !
- Je... J'ai besoin d'air, dis-je simplement.
Je ne l'attendis pas. Je dévalai les escaliers pour sortir de l'école. Il fallait que je sorte de là. Il le fallait. Je ne pouvais pas rester une seconde de plus là-haut.
- Tu te sens mieux ? m'interrogea Carter, sincèrement inquiet.
- Un peu, admis-je avec un sourire. Je me suis sentie vraiment mal... Je ne sais pas pourquoi. Mais ça passe. Ça va aller.
- Tu couves peut-être quelque chose. À toujours te balader à vélo, tu as peut-être attrapé un coup de froid ou un rhume.
- Peut-être...
J'espérais de tout mon être que ça soit un simple coup de froid et rien d'autre. Parce que je n'étais pas prête à supporter de me sentir si malade dès que j'entrais dans l'école.
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