5.

La nuit était tombée. Sans que je sache trop pourquoi, l'atmosphère de la maison me paraissait soudain... inamicale. Je me sentis comme une étrangère, assise seule devant la télévision. Les poils de ma nuque se dressèrent sans vraie raison.

La maison semblait vouloir me faire fuir. Aussi jolie et chaleureuse qu'elle parut sous la lumière dorée du soleil, une fois que celle-ci disparue, tout se transformait. Les couloirs devenaient lugubres, les ombres, menaçantes... La température parut même chuter même si le thermostat m'assurait le contraire.

Je me levai pour aller mettre mon assiette dans l'évier, tentant en même temps de me débarrasser de cette sensation très désagréable. C'était irrationnel et je détestais ça.

Je m'y étais attendue malgré tout. C'était la première fois queje vivais entièrement seule. Je me retrouvais chez moi, seule etisolée dans une maison de campagne... Évidemment, mon esprit allaitme jouer des tours. Il fallait s'y attendre.

Je ne pus m'empêcher de jeter un œil par les fenêtres en passant devant. Je ne distinguai strictement rien dans le noir mais ça me rassurait, aussi bête que ça soit. J'avais tendance à me dire que, même s'il faisait nuit, si quelqu'un rôdait autour de chez moi, je le verrais. Comme dans les films d'horreur.

Sauf que dans la vraie vie, quand il faisait noir, il n'y avait aucun moyen de distinguer une silhouette à plus d'un mètre. Et avec le reflet dans la vitre, c'était pure fantaisie. Mais ça me rassurait, en dépit de tout bon sens.

Je vérifiai que ma porte était bien fermée pour me rassurer un peu plus. La sentir résister contre le verrou termina de m'apaiser.

Au même moment, quelque chose claqua contre la vitre du salon. Je poussai un cri, effrayée. Je m'approchai de la fenêtre alors qu'un autre caillou était lancé contre la vitre. Je ne vis rien, même pas le troisième caillou qui égratigna le verre.

Qui pouvait bien faire ça ? Et pourquoi ?

Je sursautai de plus belle quand on tambourina à la porte. Je ne pus retenir un juron, une main sur mon cœur battant à tout rompre.

- Qui est là ? demandai-je, la voix quelque peu tremblante.

- Ouvrez ! Je dois vous parler !

Une voix féminine frénétique qui me donna des frissons. La femme semblait désespérée et pressée. J'avais peut-être pris des risques en montant en voiture avec Carter mais il était hors de question que j'ouvre ma porte à une femme en pleine nuit. J'avais vu bien assez de films d'horreur avec Lila pour savoir que ça n'amènerait rien de bon.

Elle se remit à tambouriner encore plus violemment, faisant trembler la porte.

- Ouvrez-moi ! Il faut que je vous prévienne ! Vous devez savoir avant qu'il ne soit trop tard !

- Allez-vous-en ! criai-je en retour.

Je commençai vraiment à avoir peur. Je ne savais pas ce que me voulait cette femme mais je n'allais pas hésiter à appeler la police si elle ne partait pas.

Je cherchai mon portable des yeux, prête à composer le numéro. Avant de me souvenir qu'il était en charge dans ma chambre. À l'étage. Et si je montais les escaliers, elle l'entendrait et je ne tenais pas à prendre de risques.

- Allez-vous-en ! criai-je.

- Il faut que je vous parle ! Ouvrez-moi !

- Je vais appeler la police si vous ne partez pas !

- Écoutez-moi ! Je suis Jenna Ahston ! Je dois vous parler de St John's !

Je fus surprise de l'entendre évoquer St John's. Pourquoi me parlait-elle de cette école ? Lila m'avait dit qu'elle était plutôt banale malgré le fait qu'aucun adulte ne pouvait y entrer à part si on y travaillait.

Cette femme, dont le nom ne me disait rien, savait que je travaillais là-bas. Je doutais de pouvoir trouver plus angoissant. Entre le malaise de Lila face à l'école et ça... Je commençais à me demander si St John's était vraiment une école si banale que ça...

Cependant, il était hors de question que je laisse entrer cette hystérique chez moi en pleine nuit. Si elle avait été logique, elle serait venue me voir de jour, aurait frappé à la porte et aurait attendu que j'ouvre, comme toute personne civilisée.

Au lieu de ça, elle se présentait comme une folle furieuse. Alors peu importait ce qu'elle avait à dire. Je voulais juste qu'elle parte.

- J'appelle la police ! mentis-je après un moment d'hésitation.

- Vous le regretterez !

Ses pas s'éloignèrent et je ne tardai pas à entendre un moteur démarrer. Je relâchai le souffle que je ne me souvenais pas avoir retenu.

Je fis deux fois le tour du rez-de-chaussée pour vérifier les portes et les fenêtres. Il fallait que je sois sûre de ne rien avoir oublié pour oser monter dans ma chambre.

Ma chambre était mon nid. Dès que la porte fut fermée, je me sentis rassurée et protégée. Les édredons épais, les plaids tous doux, le baldaquin... C'était mon monde à moi. Là où je pouvais me réfugier comme une enfant et me dire que, en vérité, tout allait bien. Que je ne risquais rien.

J'avais toujours été comme ça. Depuis mon enfance, je construisais mon havre de paix dans ma chambre, ne laissant, pour ainsi dire, entrer personne. Il était impensable pour moi de laisser n'importe qui entrer dans mon temple, mon refuge.

Je me changeai et me glissai dans mon lit. Sentir le poids de mes couvertures termina de me rassurer. Très vite, je fus suffisamment apaisée pour m'endormir.

__________________

Le lendemain, il faisait encore sombre quand je me levai. J'avais perdu l'habitude de me lever avant le soleil. La fatigue était encore là, bien que j'eusse eu mes huit heures de sommeil. Mon horloge biologique allait avoir besoin de temps avant de se remettre à jour.

La première chose que je fis, ce fut de regarder à l'extérieur par la fenêtre de ma chambre. Le temps me parut encore humide et ça ne me plaisait pas des masses. J'espérais que, d'ici à ce que je sorte de la maison, ça ait changé et que ça ne soit qu'une apparence trompeuse. Je n'avais pas envie de revivre la même expérience que la veille au soir.

Je descendis dans la cuisine pour prendre un petit-déjeuner rapide avant une bonne douche qui termina de me réveiller. Je réunis toutes mes affaires et je saisis mon manteau et mon bonnet. S'il pleuvait, il était préférable que je sois un peu mieux protégée que la veille.

J'enfermai mes affaires dans mon sac à dos et je sortis de la maison. Il faisait un peu plus clair mais pas encore assez pour que je sois rassurée à l'idée de partir en vélo. Malheureusement pour moi, je n'avais pas le choix. J'étais déjà en retard sur l'horaire que je m'étais fixé.

J'installai les feux sur mon vélo et je pris la route. Il ne pleuvait pas mais l'air était encore moite du déluge de la nuit. Ça donnait à la nature environnante une odeur forte et assez désagréable à laquelle mon nez de citadine n'était vraiment pas habitué.

Je commençai à réaliser que je n'aurais pas le choix, au final. Il allait falloir que je passe mon permis si je voulais rester dans cette ville pour travailler à St John's. Je ne pourrais pas tenir tout l'hiver à faire la route à vélo sur ces petits chemins étroits et sombres. Et je ne pouvais pas demander à Lila de me conduire puisqu'elle travaillait aussi. Donc, la seule solution était la voiture.

Pour cet hiver, je devrais braver les intempéries, forcément. Je ne pourrais jamais passer mon permis et m'acheter une voiture avant les premières neiges. Il fallait donc que j'en fasse mon projet pour l'année suivante.

Si tant était que je parvenais à prendre un jour le volant. Ça, ce n'était pas gagné.

Je tressaillis lorsqu'une voiture fit des appels de phares en me croisant. Je ne compris pas pourquoi. J'avais mes feux alors le conducteur ne pouvait pas prétendre ne pas m'avoir vue. Avais-je droit à nouveau à un hystérique ?

Ma mésaventure de la veille au soir en tête, j'accélérai. C'était dérisoire. S'il voulait me rattraper, il ne mettrait pas longtemps. Toutefois, je n'étais pas décidée à lui rendre la tache facile.

Je pédalais encore plus vite quand les phares se rapprochèrent de moi. Il avait fait demi-tour. Et il se rapprochait.

Mais qu'est-ce qu'il me voulait ?

- Je m'en doutais ! Je m'en doutais que vous prendriez votre vélo !

Je faillis tomber de mon vélo en entendant la voix de Carter. Mon cœur s'était arrêté pendant une fraction de seconde tellement il m'avait fait peur.

- Qu'est-ce que vous faîtes ici ? m'exclamai-je, encore sous le coup de la peur.

- Je suis un mec plutôt gentil et je me suis dit que je ne pouvais décemment pas laisser la petite nouvelle se faire faucher dès le premier jour.

- Me faire faucher ? m'insurgeai-je. Pourquoi je me ferais faucher ?

Contrairement à ce qu'il semblait croire, je savais rouler à vélo ! Je pouvais parfaitement faire la route sans me faire renverser par une voiture ! C'était lui, de plus, qui m'avait amenée à tomber de vélo la veille. Ma conduite n'était pas en tort !

- À cause du vieux Arnold. Il travaille dans le centre et habite à la frontière de la ville. Il roule comme un dingue parce qu'il est toujours en retard. Malgré vos jolis feux, il vous fauchera s'il vous croise.

Mes jolis feux ? Il me faisait une blague... Je ne croyais pas une seule seconde à ce qu'il me racontait.

Je me stoppai enfin et il s'arrêta à ma hauteur.

- Et la police ne fait rien ?

Tout mon scepticisme transparut dans ma voix. Toutefois, ça ne parut pas le perturber. Il s'y était sûrement attendu. Je me serais posé des questions si ça n'avait pas été le cas.

- Elle a essayé. Mais le vieux Arnold est coriace. Alors on s'est adaptés et on a pris l'habitude d'éviter de le croiser le matin. On tient à nos vies.

Je hochai la tête sans répondre. Il sortit de sa voiture et je haussai un sourcil. Qu'est-ce qu'il avait en tête ?

- Montez en voiture. Il ne va pas tarder. Je vais mettre le vélo dans le coffre.

Je roulai des yeux. Il ne pouvait pas être sérieux...

- Je peux faire la route. Je suis prudente. Si j'entends une voiture, je me mettrai sur le côté, voilà tout.

- Montez, soupira-t-il, déjà agacé.

Son ton me rappela celui de mamère. Cet autorité extrême, cette raideur agacée, ce claquement dans le ton lorsque je m'opposais à elle. Il y avait un écho similaire dans le soupir de Carter.

Un nœud se forma dans mon estomac. Je n'aimais pas les souvenirs qu'il avait involontairement fait remonter à la surface.

Nous nous affrontâmes du regard pendant un moment avant que je cède. J'étais gelée et perturbée.

Et peu rassurée par la perspective d'un fou du volant qui pourrait débarquer d'une seconde à l'autre derrière moi.

- D'accord... Pour aujourd'hui parce que vous êtes déjà là. Mais demain, je me débrouille toute seule comme l'adulte que je suis, compris ?

Il ne répondit même pas en prenant mon vélo. Je m'installai sur le siège passager, heureuse malgré tout d'être dans le confort d'une voiture chauffée pour faire la route.

Carter revint, amenant avec lui une vague d'air frais qui me fit frissonner. Il démarra rapidement et roula quelques minutes dans le plus complet silence avant de se garer dans l'allée d'une maison.

- Qu'est-ce que... ? commençai-je.

- Arnold ne va pas tarder. Je préfère ne prendre aucun risque.

Je hochai la tête. J'hésitai à lui poser des questions sur cette Jenna Ashton qui était venue tambouriner à ma porte. Aussi gentil qu'il soit, je ne le connaissais pas plus que ça. Je ne savais même pas si elle avait habité à Bloomingdale et si elle y était encore. Mieux valait que je garde cette mésaventure pour moi tant que je ne savais pas à quoi m'en tenir.

Carter jeta un œil derrière et je fis de même, me retournant à moitié sur mon siège. Il repoussa mes cheveux qui tombaient sur son visage. Une mèche blonde s'était accrochée à sa tignasse noire encore en désordre, formant un pontbancal qui nous reliait.

Désolée, soufflai-je.

Il se contenta d'un petit sourireavec un geste vague de la main. Le bleu si vif de ses yeux metroubla. C'était la première fois que je croisais réellement sonregard et il était puissant. Presque magnétique. Je n'avais jamaisvu un tel bleu auparavant.

Je me détournai rapidement, malà l'aise. Je fus presque certaine de rougir d'embarras comme unecollégienne, pour ne rien arranger à ma honte.

La seconde suivante, une voiturepassait à une vitesse incroyable sur la route.

Arnold, Arnold, Arnold... marmonna Carter en remettant le contact.

Je me remis dans le sens de lamarche, encore un peu choquée de la vitesse à laquelle ce typeroulait. J'avais à peine pu voir un éclair lumineux. Seul le bruitm'avait assuré que c'était bien un véhicule qui venait de passer.

Voiture, vélo... D'un côté oud'un autre, rien ne changeait, songeai-je. Je n'étais pas ensécurité sur ces routes aussi tôt le matin.


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