49.

Ma vie rêvée n'était pas si loin de la réalité, en fin de compte. J'avais juste glissé du surnaturel dans ce qu'il se passait. Dans ce que j'entendais du monde réel.

Tout du long, j'avais perçu leurs conversations à mon chevet. Carter avait passé tant de temps assis à côté de mon lit qu'il en avait perdu son boulot, qu'il m'avait raconté mille et unes histoires. Je savais tout mais je ne l'avais pas réalisé une seule seconde.

Je pus démêler le vrai du faux lorsque Carter me raconta toute l'histoire.

Louis et Carter étaient amis, exactement comme dans mon délire. Ils s'étaient retrouvés pour boire un verre ou deux mais comme mon fiancé (nuance que j'avais encore du mal à intégrer) devait reprendre la voiture, il avait refusé l'alcool que lui proposait Louis. Au final, ce dernier avait glissé l'alcool dans son verre. Le Carter soûl qui avait pris la voiture était ce démon qui l'avait hanté et possédé dans mon rêve.

Ma maladie était les effets du coma, les problèmes que l'accident avaient eu sur mon corps. La magie, l'exorcisme... C'était simplement les médicaments qu'ils m'injectaient. Nos collègues de St John's étaient les autres patients de Kenna Slavinder, mon médecin. Holly était un dommage collatéral de l'accident. Une piétonne prise entre les deux voitures. Les médecins avaient longtemps pensé qu'elle allait survivre. Ses blessures avaient été trop graves, malheureusement.

Même cette enquête dans mon délire avait une part de réalité. Comme Carter était soûl lorsqu'il y avait eu cet accident, la police avait directement assumé que c'était lui le responsable. Il avait dû aller jusqu'au tribunal avant d'être innocenté.

Parce que c'était Elizabeth Baxton qui avait causé cet accident. Elle conduisait avec son téléphone collé à l'oreille. Elle s'était tournée pour changer de CD et elle avait dérapé, perdu le contrôle de sa voiture. Tout s'était déroulé en l'espace de quelques secondes. Sa voiture avait dérapé, tourbillonné, percuté la nôtre.

Elizabeth était morte sur le coup. C'était pour ça que c'était elle qui était à l'origine de la malédiction. C'était elle qui conduisait la voiture qui m'avait presque tuée.

La mort de Lila n'avait rien à voir avec notre accident. Pas techniquement, en tout cas. Elle... Elle s'était suicidée. À cause de Louis et de la peine qui lui avait infligée, de ce qu'il avait causé, de ce qui lui avait jeté au visage à cause de ce qu'il ressentait vraiment.

Il l'avait bien caché toutes ces années. Nous l'ignorions tous jusqu'à ce que Carter et moi annoncions nos fiançailles. Il avait décidé de tout faire pour nous séparer. Il avait bêtement pensé que de voir Carter rentrer avec la voiture alors qu'il était soûl, brisant ainsi la promesse qu'il m'avait faite, allait me mettre si en colère contre lui que j'aurais rompu avec lui. Je ne l'aurais jamais fait mais Louis l'ignorait.

Il n'était pas venu me voir une seule fois. Je n'avais pas osé demander après lui. La dernière chose que je voulais, c'était faire du mal à Carter. Or, demander après celui qui l'avait fait boire le jour de l'accident n'était pas une façon de le protéger.

Carter blâmait le monde entier et se blâmait encore plus. Il s'en voulait de ne pas avoir senti l'alcool dans ses verres. Selon lui, il aurait dû s'en rendre compte. Il aurait dû appeler un taxi pour passer me prendre mais Louis l'avait convaincu qu'il n'était pas soûl puisqu'il n'avait pas bu une goutte. Il avait prétendu qu'il était simplement fatigué. Qu'il ne risquait rien.

Je ne savais toujours pas si je haïssais Louis ou si j'avais simplement pitié de lui. Sûrement un peu des deux. Durant tout ce temps, il avait agi comme un meilleur ami. Il avait menti à tout le monde. Je comprenais désormais pourquoi le démon s'était montré si jaloux face à Louis. Il savait. Il connaissait le cœur de notre ami comme moi ou Lila n'avions jamais pu le connaître.

Mes parents avaient eu du mal à croire que je m'étais bel et bien réveillée à quelques secondes d'être débranchée. Ma mère n'avait pas osé me regarder dans les yeux pendant plusieurs jours, horrifiée. Mon père s'était effondré une énième fois. Il m'avait supplié de lui pardonner d'avoir pensé à me débrancher.

Je ne leur en voulais pas. Pour sûr, j'étais un peu blessée qu'ils aient cessé d'espérer mais je comprenais. Ils n'avaient pas tant de moyens que ça et payer pour mon hospitalisation, mes soins... Ils avaient été drainés. Forcément, ils avaient dû envisager de me débrancher, de me laisser partir parce qu'ils pensaient que je ne me réveillerais jamais. Cet abruti de médecin les en avait presque convaincus.

Les premiers jours de mon réveil, je fus si fatiguée que je ne pus pas tenir une quelconque conversation. À chaque fois que j'émergeais de mon sommeil, Carter était là, me regardant anxieusement, tenant ma main. Je parvins à le faire avouer qu'il avait peur que je ne me réveille plus. À chaque fois que je fermais les yeux, il craignait que je ne les rouvre plus jamais.

Ma mère et moi finîmes par nous retrouver seules dans ma chambre. Nous nous fixâmes en silence, elle, honteuse, moi, dans l'attente. Je ne serais pas celle qui ouvrirait la conversation. Il fallait que ça soit elle. Que je lui tende une perche ne l'aiderait pas. Au contraire, ça rendrait les choses encore plus difficiles pour elle.

- Je suis désolée, finit-elle par murmurer. Je suis tellement désolée, Yvie...

Elle se mit à pleurer, les larmes roulant sur ses joues, le menton toujours haut dans un reste de dignité.

- Je... Le médecin... Il ne cessait de nous dire que tu ne te réveillerais jamais... Et là... Juste alors que... Je... Je ne cesse de penser à ce qu'il serait arrivé si Carter n'avait pas gagné autant de temps... Nous... Je...

Je saisis sa main et la forçai à s'approcher.

- Tu as fait ce que tu avais à faire. Je ne t'en veux pas. Pas du tout. Je comprends. Ce médecin est plutôt convaincant.

Elle eut un sourire léger au milieu de ses larmes. Elle fondit sur moi, me serrant dans ses bras. Ça faisait si longtemps qu'elle ne m'avait pas serrée dans ses bras. Je devais être en primaire, la dernière fois que c'était arrivé.

J'avais presque oublié son odeur de shampooing et de menthe. J'enfouis mon nez dans ses cheveux bouclés, la serrant comme je pus avec ma perfusion toujours dans mon bras et mes maigres forces.

- Oh, ma puce... Je t'aime tellement.

- Moi aussi, je t'aime, maman.

- J'ai cru t'avoir perdue. J'ai vraiment cru t'avoir perdue, mon bébé.

- Mais je suis toujours là.

Elle se recula, souriant, essuyant ses joues. Elle s'assit et me caressa les cheveux. Elle fit glisser mes mèches blondes entre ses doigts.

- Tu sais que ton père et moi hésitions sur ton prénom lorsque je suis tombée enceinte ? Il voulait t'appeler Aurore. Il n'aurait pas dû céder et accepter de t'appeler Yvana.

Je me mis à rire.

- C'est vrai que j'ai tout d'Aurore, ces temps-ci !

La porte s'ouvrit et Carter passa sa tête par l'embrasure. Ma mère lui fit signe d'entrer et il s'approcha de l'autre côté de mon lit. Je me sentis rougir lorsqu'il déposa un doux baiser sur mes lèvres sous le regard de ma mère. C'était embarrassant en dépit des années de relation que nous avions.

- Je suis tellement heureuse de voir que tu as trouvé ton prince, ma puce.

- Un prince ? s'étonna Carter.

Son air perdu me fit sourire et une vague d'attendrissement me donna envie de fondre dans ses bras. Je détestai ce lit et cette maudite perfusion dix fois plus.

- Le prince qui sort la Belle au Bois Dormant de son profond sommeil, sourit ma mère, attendrie. Tu l'as aidée à se réveiller d'un baiser, après tout.

- Maman... soufflai-je, gênée.

C'était drôle lorsque c'était entre elle et moi mais face à Carter, c'était une autre histoire. Mon fiancé sourit avec tendresse et me vola un court baiser.

- J'aime cette idée. Que tu sois ma princesse. J'aime beaucoup.

Il y avait cette lueur d'amusement dans son regard qui me rappela sa réaction lorsque je lui avais raconté mon délire de comateuse. Il m'avait écoutée sans rien dire avant de finir par éclater de rire. Il avait ri aux larmes pendant presque une demie-heure.

- Il n'y a que toi pour revenir d'un coma de onze mois avec une telle histoire à raconter ! Tu vas peut-être enfin pouvoir terminer ton roman ! avait-il dit. Tu vas nous écrire un véritable best-seller avec ça !

- Je n'ai toujours pas la fin, avais-je marmonné, partagée entre l'embarras et l'agacement que je ressentais.

Il n'avait fait que rire encore plus.

Je savais qu'à cet instant, il se rappelait mon histoire et que ça l'amusait. Il saisit l'occasion lorsque ma mère s'absenta cinq minutes pour aller se chercher un café.

- Tu l'as, maintenant, la fin de ton histoire. La princesse se réveille de son rêve de cent ans et découvre son prince. Elle découvre que tout n'était qu'un affreux cauchemar et, heureuse d'être libérée de sa malédiction, épouse son prince.

Je rougis encore plus. Mon cœur partit en vrille à l'idée de me marier avec Carter. Il pouffa en embrassant mon front, sa main caressant la mienne, jouant avec l'alliance qui brillait à mon annulaire. Je n'avais pas cessé de regarder la bague lorsque j'étais seule.

- Comment ils disent, déjà, dans les contes ? reprit-il. Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants, c'est ça ?

Je hochai la tête.

- Et bien voilà, tu l'as trouvée ta fin. Tout le monde aime les fins heureuses. Et ton petit délire de comateuse mérite une fin heureuse. Un magnifique mariage, des enfants...

Je levai les yeux vers lui, observant son beau visage. Aucun mot ne fut nécessaire. Tout passa au travers de cet échange de regards. Il se pencha sur moi pour un long baiser qui me laissa avec la tête dans les étoiles.

Il avait peut-être raison, après tout. Je la tenais enfin, la fin de mon histoire.

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NdlA ! Et voilà ! C'est bel et bien fini, cette fois ! J'espère que cette petite histoire vous aura plu et n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé !

Merci à tous ceux qui l'ont lue et commentée ! Je vous adore ! :D

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