47.

Je n'eus pas le temps de réagir qu'une main était plaquée sur ma bouche. Je voulus crier ; ça n'eut aucun effet. Je tentai de me redresser, de me débattre mais le bras appuyé sur mon torse me plaquait résolument contre le matelas.

- Calme-toi !

C'était la voix de Louis. Surprise, je me figeai. Il retira sa main et arrêta d'appuyer sur le haut de mon corps. Je me redressai comme un diable jaillit hors de sa boîte et lui donnai le plus gros coup de poing dans l'épaule dont je fus capable. Il cria, se massa l'épaule en jurant.

- Bordel mais t'es tarée !

- Je pourrais en dire autant de toi ! Depuis quand tu entres en douce chez moi ?! Tu n'aurais pas pu frapper ou téléphoner ?

- Non. Tu es surveillée. Il y a ce mec qui est garé devant chez toi et qui fixe ta maison.

- Qui ça ?

- Il fait trop noir pour que je sache.

Je me levai et m'enroulai dans ma couverture avant de gagner la fenêtre. Une voiture était bien garée dans mon allée. De ma chambre, j'étais incapable de reconnaître le véhicule.

Je me tournai vers Louis.

- De toute façon, qu'est-ce que tu fais ici à une heure pareille ? l'apostrophai-je.

Il tira les rideaux sans répondre tout de suite. Je retournai me blottir dans la chaleur de mon lit, patientant le temps qu'il rassemble ses pensées ou qu'il se décide simplement à me parler.

- Tu dois te réveiller, Yvana, dit-il finalement dans un soupir. C'est maintenant ou jamais. Ça a duré assez longtemps.

- De quoi est-ce que tu parles ?

- Tu le sais. Au fond de toi, tu le sais. Tu refuses juste de faire face à ce qu'il se passe.

- Depuis quand tu te la joues cryptique ? Tu ne peux pas me dire directement de quoi tu veux parler au lieu de faire comme tous les autres et de me forcer à te tirer les vers du nez ?

- Tant que tu ne seras pas décidée à voir la vérité en face, je ne pourrais pas en parler.

- Tu te rends compte que ça ne veut strictement rien dire ? Pourquoi ne pourrais-tu pas me dire ce que tu as à dire juste parce que, soi-disant, je me voile la face ?

Il soupira et se passa une main nerveuse dans les cheveux. Il s'adossa au mur, la bouche entrouverte, cherchant ses mots. Je l'observai, vis son désarroi, son envie de dire les choses sans pouvoir le faire. Il y avait ce conflit douloureux dans son regard qui me fit mal.

- Je ne peux pas le dire, Yvana. Pas tant que tu n'es pas prête à l'accepter.

Il sortit sans attendre ma réponse. Je l'observai faire, ahurie. Ça, ça ne lui ressemblait pas. Sur son visage, j'avais lu cette envie dévorante qu'il avait de me secouer comme un prunier. Pourquoi ? Que pouvais-je nier pour qu'il s'énerve contre moi à ce point ?

Je me résignai à sortir de mon cocon de chaleur pour suivre Louis au rez-de-chaussée. Je le trouvai assis dans le noir sur le canapé. Il leva la tête vers moi lorsque je m'installai à côté de lui. Une supplique silencieuse luisant dans ses yeux. Une plainte secrète qui l'emplissait d'une souffrance infinie.

Je posai une main sur son bras pour le réconforter mais il la repoussa brusquement en s'éloignant de moi. J'en fus blessée et choquée. Pourquoi réagissait-il ainsi ? Jamais encore il ne m'avait ainsi repoussée, rejetée. Mon visage me brûla et je fus heureuse qu'il fasse trop noir pour qu'il le voie.

- Qu'est-ce qu'il te prend ? explosai-je, furieuse.

- Tu ne comprends pas ! Tu ne vois rien ! Tout le monde autour de toi sait que tout est de ma faute !

Il respirait fort, énervé, déchiré par un problème dont je ne saisis rien. De quoi pouvait-il se sentir coupable ? De la mort de Lila ? Et de qui parlait-il donc ? Je n'avais pas remarqué quiconque accusant Louis de quoi que ce soit.

Je sentis que cette conversation allait être laborieuse. Il était dans l'une de ces colères où il ne veut rien entendre de quiconque et rien de ce que je pourrais dire n'aurait le moindre effet.

- Ils me regardent tous avec cette froideur et cette haine... Carter n'attend que la première occasion pour me le faire payer. Je compte la lui donner, tu sais. Mais seulement lorsque tu auras enfin rouvert les yeux. Ça va faire un an, Yvana. Toute une putain d'année où tu n'as pas ouvert les yeux une seule fois ! Tu imagines combien c'est dur pour moi ?

Il se leva et commença à faire les cent pas. Il exhalait une folie douloureuse qui me brisait le cœur et me terrifiait en même temps. Surtout que je ne voyais pas du tout où il voulait en venir. Rien de ce qu'il se passait n'était de sa faute ! Il n'était pas celui qui nous avait maudits, Carter et moi. Alors pourquoi prendre un blâme qui n'était pas sien ?

Je voulus lui dire que rien n'était de sa faute mais il continua à tempêter en allant et venant derrière ma table basse.

- Pendant tout ce temps, j'ai fait belle figure devant tes parents, devant ton fiancé, devant toi ! Et toi, tu restes là, immobile et endormie comme si tu étais morte ! Comme si tu ne te réveillerais jamais ! Mais tu dois te réveiller, Yvana ! Tu le dois ! Tu ne peux pas me laisser tout seul avec une telle culpabilité sans m'aider à m'en débarrasser !

Je ne comprenais plus rien. Un fiancé ? Je n'étais pas fiancée. Je n'étais définitivement pas endormie – à cause de lui, d'ailleurs. Ça, c'était bel et bien de sa faute, – et je ne voyais toujours pas à quelle faute il faisait référence.

- Louis... dis-je, doucement et prudemment.

Il tressaillit violemment en me jetant un regard de reproche si noir que l'on aurait dit que je venais d'insulter ses parents et de cracher sur la tombe de ses ancêtres.

- Non ! Ne tente pas de m'apaiser parce que si tu savais, si tu te souvenais, tu me frapperais, m'insulterais, me haïrais ! Et au lieu de ça, tu restes là sans rien faire ! Calme et posée, comme si ça ne t'affectait pas alors que c'est à cause de moi que tu es dans ce lit depuis onze mois !

Louis était fou. Que ça soit à cause de la perte de Lila ou de la situation en général, mon meilleur ami avait perdu la tête. Et sérieusement. Il avait atteint le point de non-retour.

Je ne savais pas comment agir. Comment le calmer suffisamment pour le convaincre qu'il se trompait, pour le ramener à la raison. Il semblait avoir franchi un palier entre réalité et rêve contre lequel je ne pouvais rien. Je ne comprenais pas son délire. Son besoin de s'accuser de quelque faute que ce soit.

- Louis...

- Non ! Je ne pourrais jamais me pardonner, Yvie ! Jamais ! Je ne cesserai jamais de te voir étendue dans ce lit, couverte de bleus et d'écorchures, inconsciente. Jamais je ne pourrais oublier ce foutu coup de téléphone de tes parents pour me dire que tu étais à l'hôpital.

Il fit une pause, un sourire amer sur le visage.

- J'ai tout de suite compris ce qu'il s'était passé, tu sais. Avant même qu'ils ne me le disent. Avant même qu'ils ne me disent que tu avais eu un accident et que tu risquais de ne pas t'en sortir. Je le savais. Tout mon monde s'est effondré à ce moment précis parce que c'était de ma faute. Je l'ai fait boire encore et encore sans qu'il le sache. Je ne savais pas qu'il devait passer te prendre, ce soir-là. Je pensais qu'il rentrerait et que tu serais si furieuse contre lui d'avoir pris la voiture en étant bourré que... Je ne sais pas toujours pas ce que j'espérais. C'était si stupide !

Si je remettais son délire dans l'ordre, j'étais censée avoir eu un accident qu'il aurait causé en faisant boire Carter parce que je n'aurais pas dû être dans la voiture avec mon « fiancé ». Tout ça parce qu'il voulait causer une dispute entre moi et Carter. Et donc, selon lui, j'étais endormie à l'hôpital. Donc, dans le coma.

Ça n'avait aucun sens. C'était impossible. J'étais là, devant lui, en train de lui parler et de bouger. Je n'étais pas endormie dans un lit d'hôpital. Loin s'en fallait. Alors pourquoi semblait-il croire que c'était le cas ?

- Bordel, j'ai été tellement con ! J'aurais dû me douter... J'aurais dû savoir que tu finirais dans cette foutue voiture ! Que... Que tu souffrirais encore plus. Bordel mais qu'est-ce qu'il m'a pris ? Je n'aurais jamais dû le faire boire comme je l'ai fait et encore moins le laisser prendre cette putain de voiture !

Il allait sérieusement s'arracher les cheveux. Je me levai, sentant une raideur dans mes muscles, désagréable et difficile à effacer. Je m'avançai vers Louis, ne sachant pas encore comment j'allais agir face à lui pour le calmer.

Je me plaçai devant lui, décidée à l'arrêter, à le forcer à se calmer, à rationaliser cette histoire démentielle qu'il avait imaginée. Il se passa alors la chose la plus étrange qu'il me soit jamais arrivé jusqu'alors. Je pensais avoir tout vécu, tout vu, tout entendu. J'étais loin du compte. Très loin. Je n'avais jamais été plus loin de la vérité.

Parce que Louis passa à travers moi.

Comme si j'étais un fantôme, il me traversa avec une facilité déconcertante. Il ne parut même pas réaliser que j'étais là, devant lui. Au contraire, c'était comme si je n'existais pas. Que j'étais invisible. Que je n'avais aucune consistance.

Choquée, je me retournai. Louis n'avait rien remarqué. Il continuait de tempêter mais je ne l'entendais plus. Le monde s'effaça alors que je fixais mon corps. Il bougeait, il semblait réel, tangible. Alors comment Louis avait-il pu passer à travers ?

J'étais perdue. Ma compréhension de ce qu'il se passait venait de voler en éclats à cause de cet instant terrifiant où Louis m'avait traversée. Je n'avais même pas senti son corps, sa chaleur. Peut-être n'était-ce pas moi qui était transparente. Peut-être était-ce lui.

Je devais faire un énième cauchemar. Forcément. C'était la seule explication à ce délire. J'étais encore endormie et en train de rêver. Rien de plus, rien de moins. Il fallait que je me réveille.

La panique continua de monter et je ne pus pas lutter contre. Je la sentis compresser mes poumons, obstruer ma trachée. L'air cessa d'entrer, affolant mon cœur qui ne fit que battre toujours plus fort, toujours plus vite. Il se mit à frapper si fort contre mes côtes que j'en souffris.

Ce fut une algie comme jamais encore je n'en avais vécue. Mon sang brûlait, mon crâne se fissurait, mes muscles se déchiraient. C'était presque comme l'explosion de douleur que j'avais eue à St John's. Celle qui m'avait laissée sur le carreau pendant trois heures.

Je tombai. Mes genoux heurtèrent le sol, la douleur remontant dans mes cuisses, dans mon coccyx. Une grimace déforma mon visage alors que je me retrouvai étalée par terre. Louis revint, marcha sur ma main, sa chaussure traversant mes doigts. Je voulus crier, pour qu'il me voit, pour qu'il m'entende. Au lieu de ça, ma poitrine se contracta encore plus et je suffoquai.

Je perdis connaissance en entendant des voix lointaines qui criaient des ordres et des bips mécaniques.

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