39.
Le cri de goret de Vults me hanterait pour le reste de mes jours. Le corps encore chaud mais mort de Linger était gravé derrière mes paupières. Les cris horrifiés de Louis qui me tirait en arrière résonnaient dans mes oreilles. Et cette odeur sulfurisée, nocive qui me soulevait l'estomac...
Mais ce n'était pas le pire.
Le pire, c'était la main trempée de sang de Carter, le couteau, ses yeux rouges, son sourire en coin, satisfait.
Ça, c'était le pire.
Louis claqua la porte, rompant le contact visuel. Je tremblais, prise de panique. Je réalisai seulement que je manquais de souffle. La crise allait frapper fort et je ne pouvais pas l'enrayer. Je n'en avais pas la force.
Louis me traîna avec lui dans la cuisine pour récupérer Iris et verrouiller la porte arrière. La vieille femme n'était pas dans la cuisine et la porte de la cave était entrouverte. Louis me traîna derrière lui et ferma soigneusement la porte derrière nous.
Avec ma vision noircie par la crise, mon incapacité à mettre un pied devant l'autre et mon vertige, il dut me porter et me faire asseoir à même le sol. Sans quoi, je serais tombée dans les escaliers. Tout était flou. Je perdais conscience. Je le savais. Ça me paniquait encore plus.
Si je perdais connaissance, je ne saurais jamais ce qui se passerait. Il pourrait m'arriver n'importe quoi. Je pourrais me faire tuer, violer, enlever.
Louis me fourra le nez dans un sac en papier et me souffla à l'oreille de respirer. Le seul bruit que j'entendis alors fut celui du sac qui se contractait et se gonflait en rythme avec mon souffle erratique.
Doucement mais sûrement, mes poumons retrouvèrent leur taille normale dans ma poitrine et l'afflux d'oxygène dans mon cerveau m'éclaircit la vision. Tout en moi se relâcha. Ça ne dura qu'une seconde. Juste le temps qu'il me fallut pour me rappeler pourquoi j'étais assise dans le sous-sol avec un vieux sachet sur les genoux.
Je vis surtout le cercle qu'Iris avait tracé à la craie sur tout le sol de ma cave, une bougie à la main. La limite frôlait la première marche de l'escalier. Elle bougeait avec agilité et vitesse, habituée à faire ce rituel. Elle termina les traits et courbes à l'intérieur du cercle avant de souffler la bougie, nous plongeant dans le noir le plus complet.
Combien de démons y avait-il sur terre ? Probablement beaucoup. Beaucoup trop. Partout, dans toutes les ombres.
Je secouai la tête. Ce n'était pas le moment de penser à ça. Il y avait plus important. Comme le grincement de la porte de la cave. Les pas lourds du démon dans l'escalier. Il le faisait exprès pour nous effrayer, pour se moquer de nous. Pour nous épuiser nerveusement.
Louis me tira dans l'ombre, près d'Iris qui tenait fermement sa croix entre ses mains. Elle murmurait à toute vitesse des paroles que je ne compris pas. Je ne cherchai même pas à comprendre, de toute façon. Je n'étais pas en état.
Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, le sang battait mes tempes. Je tremblai comme une feuille, agrippée au pull de Louis. Il me pressait contre le mur, son bras en travers de mon corps en protection.
- Allons ! Vous ne m'aviez pas dit qu'on jouait à cache-cache !
Ce n'était pas la voix de Carter. Pas du tout. Elle était grave, rocailleuse, emplie d'une haine et d'une violence qui n'avaient rien de possiblement humain. Elle ronflait dans sa gorge, tel un ouragan prêt à tout détruire sur son passage.
Je tremblais. J'enfonçai mon visage dans l'omoplate de Louis, retenant ma respiration. Mon souffle redevenait erratique à cause de la panique qui remontait. J'allais vendre notre position et j'ignorais ce qui se passerait alors.
- Tu ne devrais pas me faire ça, Yvana. Tu me mets très en colère et je n'aime pas être en colère. Pas contre toi. Parce que ça veut dire que je vais te faire beaucoup de mal.
Un frisson glacé dévala ma colonne vertébrale ; Louis me poussa un peu plus contre le mur, m'écrasant totalement avec son corps. Les briques mordirent dans mes épaules.
- Allez, sors de là, Yvana. Je sais exactement où tu es. Et si cet abruti ne recule pas, il peut être sûr que je le tuerai, cette fois. Je me suis montré trop gentil lors de notre première rencontre, n'est-ce pas Louis ?
Je sentis mon meilleur ami trembler, se tendre pour arrêter. Il tentait de m'épargner sa propre terreur. Je cherchai sa main en aveugle, tentant de le rassurer alors que moi-même je ne pouvais plus vraiment contenir la crise qui remontait.
- Qu'est-ce que... ?
Je me redressai, une main plaquée sur la bouche. Je ne voyais pas grand-chose malgré les faibles rais de lumières provenant de la porte demeurée ouverte à l'étage.
- Espèce de salope ! Qu'est-ce que tu as fait ? Tu as appelé un médium ?! Tu essaies de te débarrasser de moi ?!
Il continua de hurler des imprécations qui résonnèrent dans la cave. Louis parvint à faire un nouveau pas en arrière. Cette fois, il poussait un peu trop. J'avais mal dans les épaules, dans les hanches, au crâne. Je lui pinçai la hanche pour qu'il avance un peu et me laisse respirer.
Iris alluma une bougie et la lueur me fit fermer les yeux. Il ne me fallut qu'une poignée de secondes pour que ma rétine s'adapte et que je puisse regarder la vieille dame avancer vers le bord du cercle. Le bout de ses ballerines était à deux millimètres de la ligne de craie.
Elle alluma les autres bougies, loin de se laisser perturber par tout ce que le démon débitait en tentant de se jeter sur elle. Il semblait bloqué par les lignes de craie. Même celles à l'intérieur paraissaient le brûler, le transpercer.
Je me décalai pour mieux voir. Je voulais observer ce qu'Iris allait lui faire. J'espérais qu'elle ne fasse pas de mal à Carter. Il ne le méritait pas. Je ne voulais pas qu'il souffre plus qu'il ne devait déjà le faire. Savoir que son corps était possédé par un démon qui tuait et torturait...
Louis pressa ma main, m'empêchant de m'éloigner. Je ne me tournai pas vers lui, fixée sur Carter.
Je cessai d'écouter ce que le démon hurlait, ce qu'Iris psalmodiait. Des images défilaient devant mes yeux, me faisant oublier ce qu'il se passait dans le présent. J'avais mal à la tête. Terriblement mal.
Tout ce que je voyais, c'était cette maison. Elle avait le toit à moitié effondré, sa carcasse apparente. La silhouette me tournait le dos. Elle me parut masculine, un peu trop éloignée pour que je puisse savoir qui c'était bien que, d'intuition, j'ai une idée précise de son identité.
Il avait une bouteille dans une main, l'autre tendue sur le côté, la tête baissée. Je ne compris pas tout de suite. Jusqu'à ce que je vois qu'il était en équilibre sur la poutre qui traversait toute la toiture. Il vacillait violemment, manquant de tomber même lorsqu'il s'immobilisait.
Je voulus crier ; ma voix ne porta pas. Je n'étais qu'une apparition qui hurlait un silence des plus atroces. Je ne pus que regarder la silhouette tanguer et chuter dans un cri. Un bruit de verre, des grognements lointains.
Un hurlement. De la rage, un fracas de bois et de pierres.
Et Carter sortit, incapable de marcher droit, plein de sang, le nez déplacé, l'épaule déboîtée... Aucun de ses os ne semblait à sa place. Toutefois, à chaque pas qu'il faisait, il semblait un peu moins démantibulé.
Voilà ce qu'il vivait sans moi... Il se tuera dès que je ne serai plus là. Il a besoin de moi...
Je secouai la tête. C'était faux. Je savais déjà que Carter avait tenté de mettre fin à ses jours plusieurs fois. Même s'il ne l'avait jamais dit clairement, je me doutais qu'il avait connu la dépression. Ce n'était pas une surprise. Il continuait malgré tout.
Le démon ne pourrait pas me convaincre de l'épargner. Quoi qu'il arrive, il devait disparaître. Iris m'avait assuré que l'exorcisme ne briserait pas la malédiction donc Carter ne pourrait pas mourir.
Pas encore.
Nouvelle image.
Carter qui pénétrait dans une maison en pleine nuit. Il se glissa silencieusement à travers les couloirs, gravit les escaliers sans émettre le moindre son. Il sut exactement quelle porte ouvrir.
Une femme faisait le lit. Je vis qu'elle tremblait, que ses gestes étaient loin d'être précis. Elle était terrifiée. Elle savait ce qu'il se passait. Elle ferma les paupières alors que le démon la saisissait par les cheveux et la forçait à renverser la tête.
- Tu croyais pouvoir te débarrasser de moi, hein, salope ? Tu t'es trompée de combat !
- C'est toi qui t'es trompé ! répliqua-t-elle en serrant les dents.
Elle parvint à se dégager, y perdant une touffe de cheveux. Elle jeta de l'eau sur le démon qui hurla, le visage et les mains marqués de petites brûlures. De l'eau bénite ou de la sauge. Ou peut-être les deux.
Je voulus fermer les yeux pour ne pas assister à la suite. Le démon m'en empêcha, ricanant dans mon crâne.
Regarde ce qui va arriver à tes amis et à cette vieille peau de médium que tu as dénichée ! Je les tuerai tous. Un par un. Et tu me regarderas faire. Tu verras l'homme de ta vie semer la mort...
Je serrai les poings et les dents. Ça n'arriverait pas. Iris y arriverait. Elle l'avait déjà fait de nombreuses fois. Elle pourrait nous débarrasser de cette engeance nocive et meurtrière. Carter serait déjà libéré de ce poids et ça serait une sacrée avancée.
Le décor changea et je me retrouvai dans ma salle de bains, face à mon miroir. Cette fois, ce n'était pas mon reflet que je voyais mais Elizabeth. Dans toute sa splendeur de cheveux roux, d'yeux émeraudes, de joues soigneusement poudrées.
- J'espère pour toi que cette vieille bique va se débarrasser de l'autre abruti, cracha-t-elle. Il commence à me faire chier.
J'étais abasourdie par sa manière de parler. Je m'étais attendue à un langage châtié du siècle précédent. Au lieu de ça, elle parlait comme une adolescente des bas-quartiers.
- Je suis peut-être née en 1818 mais ça ne veut pas dire que je n'ai pas appris depuis ! Tu es ma sixième vie, après tout. Et je crois que ta vieille médium ne saura pas se débarrasser du démon. Donc, tu as deux choix : soit tu la laisses échouer et il tue toute la ville en te forçant à regarder, soit tu me laisses utiliser ton corps pour m'en débarrasser moi-même.
Je demeurai glacée. L'idée d'être possédée par Elizabeth, bien que techniquement elle fasse déjà partie de moi, me terrifiait. Qu'elle prenne le contrôle de mon corps... Je doutais d'être prête pour ça.
- Fais ton choix et fais-le vite. La vieille bique ne va plus tenir longtemps.Si elle relâche la prise qu'elle a sur cette abomination, ton copain mourra, tu mourras et tout ce beau travail que tu as accompli ne servira à rien. Ta meilleure amie sera morte pour rien...
Je voulus lui dire de se taire ; je n'eus pas besoin de le faire. Une douleur insoutenable explosa à l'arrière de mon crâne, m'assommant presque entièrement. Sonnée, je clignai des yeux.
J'étais de retour dans la cave avec Iris et Louis. Ce dernier était par terre, assommé, un filet de sang coulant le long de sa tempe. Iris saignait du nez, des yeux et des oreilles. Elle tremblait comme prise de convulsions mais elle ne cessait de psalmodier, à peine audible.
Le corps dans le cercle de craie se tordait, hurlait, se débattait. Le visage était déformé, tordu, grisâtre et émacié. Il ne ressemblait plus du tout à Carter. Il semblait même plus grand plus fin. Le démon avait rongé tout ce qu'il y avait d'humain en Carter pour finalement ressembler à une véritable engeance de l'enfer.
Horrifiée, je le regardai frapper contre les parois invisibles qui le maintenaient dans le cercle de craie. Il se figea et se tourna vers moi avec un regard rouge sang violent, animé d'une haine implacable.
- Je te tuerai ! Je te tuerai et tu me reviendras purifiée ! Pourquoi as-tu fait ça ?
Je me recroquevillai contre le mur que j'avais percuté. Ma tête bourdonnait, cotonneuse. J'allais perdre connaissance, je le savais. Avant ça, il fallait que je fasse quelque chose.
Vas-y. Fais ce que tu as à faire, pensai-je. Prends le contrôle, Elizabeth.
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Note de l'auteur :
Juste un petit mot pour vous dire que je pars demain en vacances donc je ne pourrais pas poster de chapitres pendant un petit moment. J'essaierai d'en poster un ou deux demain matin mais je ne promets rien !
N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de cette histoire jusque là ! Je suis toujours curieuse de vos amis !
Et si vous voulez me soutenir, venez laisser un petit vote ici ! https://www.wattpad.com/266571635-wattpad-fr-awards-2016-a-4-les-loups-de-wolfcreek
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