36.
Je rouvris les yeux sur le plafond bleu ciel de l'infirmerie de l'école. La façon dont j'étais arrivée là était un mystère total. Mes vêtements me collaient à la peau, encore humides mais chauds de la couverture dont j'étais recouverte. Je me redressai. Un élan de douleur remonta dans ma main jusqu'à mon coude.
Ma main était bandée et tâchée de petits points de sang. J'avais la tête dans un étau. J'avais dus m'évanouir. Quand et pourquoi, je n'étais certaine de vouloir me souvenir.
- Tu es réveillée !
Je sursautai violemment à l'entente de la voix soulagée et retentissante de Ginny. Elle avait les yeux rouges et le teint blafard. Elle s'assit à côté de moi.
- Tu nous as fichu une sacrée trouille ! J'ai cru que Carter allait tuer les deux inspecteurs qui tentaient de lui passer les menottes !
Je cillai. La réalité me gifla de toutes ses forces.
Carter, arrêté. Pour un double meurtre.
- Je me suis évanouie ?
Elle hocha la tête en me tendant une tasse fumante. Un parfum de menthe me parvint.
- Quand le jeunot a sorti les menottes, tu t'es effondrée. Carter a essayé de te rattraper, les flics sont devenus dingues. Ils l'ont attrapé et il hurlait de le lâcher, qu'il fallait t'aider. Le plus vieux, Linger, l'a laissé te porter mais il avait son arme à la main. Une fois que tu as été allongée sur le lit, il a suivi les flics sans rechigner.
Les larmes se mirent à couler, silencieuses, brûlantes. Carter s'était mis Vults à dos en agissant ainsi. Linger, lui, semblait un peu plus réfléchi. Toutefois, ça ne sentait pas bon. Si Carter accepterait la garde à vue sans broncher, il n'en irait pas de même pour le démon.
- Pourquoi ? Pourquoi ils l'ont arrêté ?
- D'après ce que j'ai réussi à glaner, il y aurait que des preuves indirectes et des coïncidences. Il ne devrait pas rester longtemps en cellule, si tu veux mon avis. Carter n'aurait jamais fait ça. Ils s'en rendront vite compte.
- J'espère.
Elle me pressa l'épaule avant de se lever.
- Quand tu te sentiras prête, je te ramènerai chez toi.
- Merci, Ginny.
Elle me sourit avec gentillesse et tristesse. Et cette pitié qui me retourna l'estomac. Je fus bien contente lorsqu'elle sortit de la pièce en fermant la porte.
Je balançai ma tasse contre le mur avec un cri de rage et de désespoir. Les sanglots me déchirèrent la gorge, les larmes m'enflammèrent les yeux. Je me levai, jetai les oreillers, les draps, renversai le chariot où Ginny avait posé ce qu'elle avait utilisé pour me soigner.
Ma séquence de destruction se termina vite. Je m'effondrai au milieu de la pièce et des dégâts que j'avais causés. J'enfouis mon visage dans le drap qui gisait près de moi et pleurai comme je n'avais encore jamais pleuré.
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Le trajet jusque chez moi fut silencieux. J'avais fini par me calmer et j'étais sortie de l'infirmerie comme si de rien n'était. J'avais simplement suivi Ginny jusqu'à sa voiture et je m'étais blottie sur le siège passager. Elle n'avait rien dit.
Je me moquais que tout le monde m'ait entendue hurler et détruire l'infirmerie. Je m'en foutais comme de la saucière de ma grand-mère. J'avais dépassé une limite et l'avis des gens ne m'importait plus le moins du monde. Je me foutais de ce qu'ils pouvaient penser de moi. S'ils me pensaient folle. S'ils se mettaient à croire que Carter ou moi – ou Carter et moi, d'ailleurs – pouvions avoir tué Holly.
Ginny se gara devant mon allée et coupa le moteur. Je voulus sortir mais elle me retint, ses doigts légers sur mon épaule. Je me figeai, ne prenant pas la peine de me retourner.
- On sait tous qu'il n'a rien fait. La police s'en rendra compte aussi, tu verras. Et si tu as besoin, tu peux toujours m'appeler.
- Merci.
- Le directeur a décidé de ne pas ouvrir l'école pour le reste de la semaine. D'ici lundi, Carter aura été libéré. J'en suis sûre. Si jamais ce n'est pas le cas, je te servirai de chauffeur, d'accord.
- Tu n'es pas obligée.
Avait-elle bientôt fini son petit speech empreint de pitié ? Je n'avais pas besoin qu'elle me traite comme si j'étais une de ses élèves et que je m'étais blessée. Je n'avais pas besoin de sa charité.
- Tu es mon amie. C'est ce que font les amies entre elles, non ?
- Je suppose.
- Je vais te laisser aller te reposer. Tu en as bien besoin.
Je ravalai une remarque acerbe et forçai un sourire.
- Merci, Ginny.
Je claquai la portière. Dès que je fus enfermée chez moi, je poussai un cri de rage. Cet enfer n'avait-il donc pas de fin ?
Je n'avais plus qu'une seule chose à faire. Appeler la grand-mère de Lila. Il fallait qu'elle vienne pour exorciser le démon en Carter avant qu'il ne fasse de nouveaux dégâts. Et je me doutais qu'il allait en faire. Il n'accepterait pas d'être gardé en cage.
Cependant, un nouveau problème se posait. Quand bien même la grand-mère de Lila pourrait m'aider, comment pourrions-nous exorciser Carter s'il était gardé au poste, au milieu de dizaines de policiers ? Je ne pouvais me baser que sur les films pour imaginer à quoi ressemblait un exorcisme. Et ce n'était définitivement pas un rituel que l'on pouvait faire en cinq minutes au nez et à la barbe d'une brigade.
S'il s'échappait avant que nous puissions faire quoi que ce soit, ça allait être un véritable bain de sang.
Je mis la main sur mon téléphone mais pas sur le numéro de la grand-mère de Lila. Ou peut-être que je l'avais. Étant strictement incapable de me souvenir de son prénom, j'étais bien en peine de le retrouver.
À défaut, j'appelai Louis. Lui saurait me le donner et ça serait l'occasion de prendre de ses nouvelles. Je ne comptais pas lui raconter les derniers événements. Il les saurait déjà, de toute façon.
Plutôt que de parler au téléphone, il préféra venir déjeuner chez moi. Il n'aurait pas beaucoup de temps et, d'une certaine manière, ça m'arrangeait. Je me détestais de penser, cependant je n'étais pas d'humeur pour dela compagnie. Pas avec Carter en cellule au poste, chaque seconde nous rapprochant d'un bain de sang.
Louis arriva quelques minutes après que mon horloge eut sonné midi. Il entra sans frapper, me rejoignit directement dans la cuisine. Il me serra dans ses bras.
- J'ai appris, pour Carter, murmura-t-il.
Je déglutis.
- Qu'est-ce que tu vas faire ? Ils ont beaucoup de preuves contre lui ?
Je me reculai, les sourcils froncés.
- Tu sembles l'espérer.
- Il a tué Lila.
- Ce n'était pas lui ! criai-je en reculant, excédée. Je t'ai tout expliqué, bon sang ! Tu n'as donc rien retenu ?!
- Il a tué Lila. C'est tout ce que je retiens, oui. Que tu le défendes comme ça... Ça me rend fou de rage. Il a tué Lila et je suis sûr qu'il a tué Holly aussi. Possédé ou non, ce sont ses mains qui ont baigné dans le sang.
Je secouai la tête, m'éloignant de lui. Je n'en revenais pas. Comment pouvait-il se montrer aussi peu compréhensif ? Je refusais de croire qu'il soit si froid, si incapable de compatir aux soucis de Carter.
- Tu imagines ce que c'est, pour lui ? Il sait qu'il a un démon en lui ! Un démon qui prend le contrôle de son corps et qui tue des gens sans qu'il puisse y faire quelque chose ! Il se blâme déjà bien assez comme ça pour que tu n'aies pas à en rajouter ! Tu es censé être son ami, Louis ! Tu devrais réfléchir avec moi au meilleur moyen de l'exorciser plutôt que de l'accuser !
Mon ami me jeta un regard si froid, si distant que ma colère ne fit qu'enfler. Je lui balançai un torchon en pleine face.
- Je ne peux pas faire autrement, répliqua-t-il. Il a tué la femme que j'aimais, Yvana !
- CE N'EST PAS LUI, BORDEL ! Ce n'est pas lui ! C'est la chose en lui ! Vois plus loin que le bout de ton nez !
- Tu es aveuglée, Yvie. Tu l'aimes. Ne le nie pas, je le sais.
- Et alors ? Qu'est-ce que mes sentiments ont à voir dans tout ça ? Rien ! Strictement ! Tout ce que je vois, c'est que Carter a besoin d'aide. Et je compte la lui donner même si tu es contre.
- C'est un meurtrier, Yvana ! Je suis sûr que cette histoire est un coup monté de son cerveau tordu ! Jenna a eu de la chance de parvenir à s'échapper avant qu'il ne soit trop tard.
Abasourdie, je le fixai.
- Tu n'as pas sérieusement dit ça ? Après ce que tu as vécu ? Après ce que j'ai vécu ? Tu oses me dire que tout n'était que mensonges et manipulation ?! Tu n'y crois même pas, Louis ! Tu n'y crois pas une seule seconde ! Mais tu as la trouille de ta vie et tu n'arrives pas à gérer !
- Ne pousse pas, Yvana. Par pitié, ne pousse pas !
- La vérité fait mal, c'est ça ? Et oui, c'est dur. Mais accepte-le, bon sang ! Aide-moi à sortir Carter de cet enfer !
Louis s'affala sur une chaise avec le plus gros soupir que je lui aie jamais entendu. Il se prit la tête dans les mains, les épaules affaissées.
- Je ne sais pas si j'ai envie de le sortir de là, avoua-t-il. Il faut que quelqu'un paie pour la mort de Lila. Et ça ne peut être que lui.
- Tu ne crois qu'il souffre depuis bien assez longtemps ? Il a besoin qu'on le sauve. Qu'on pardonne ce que le démon fait lorsqu'il prend le contrôle et qu'on l'empêche de recommencer. Si on ne fait rien, d'autres personnes vont mourir. Tout ce que Lila aura fait n'aura servi à rien. Elle voulait mettre fin à la malédiction et ça l'a tuée. Je refuse que son sacrifice soit vain. Je refuse que Carter paie pour quelque chose sur lequel il n'a aucun contrôle. Cette fois, on peut faire quelque chose.
- Et quoi ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? Si ce n'est pas un délire et que c'est vraiment un démon, qu'est-ce que nous pourrions faire ? Je ne connais aucun exorcisme, désolé !
- On connaît quelqu'un qui en déjà fait.
- Qui ?
- La grand-mère de Lila.
Qu'il se serait pris un mur qu'il aurait eu la même expression. Je posai une tasse de café fumant devant lui, fronçant le nez lorsque la vapeur odorante vint vers moi. Je détestais l'odeur du café.
- Tu te moques de moi. La vieille Iris n'est qu'une médium de foire !
Je secouai la tête.
- Lila ne t'a pas parlé des cassettes qu'elle a trouvé ? Sa grand-mère a déjà eu affaire avec des démons. Elle saura comment se débarrasser de celui de Carter.
- Elle ne m'en a jamais parlé. Je savais que ses relations avec Iris étaient étranges mais elle ne m'a jamais parlé de ces cassettes.
- Elle l'a fait avec moi. Après notre première discussion sur St John's. Tu te souviens ? Le week-end de notre virée à Rosding.
Il hocha vaguement la tête.
- Je crois voir.
- Et bien, là, elle m'a parlé de ces cassettes. Maintenant, je pense que, à sa façon, elle tentait de me prévenir. Qu'il y avait un démon dans les environs.
- La silhouette que tu as vue le premier jour ?
J'acquiesçai.
- Un jeu du démon. Il se sert de ce petit tour de passe-passe pour trouver les sensibles ou les médiums. Et... il se débarrasse d'eux. Jenna était sensible. Elle a eu la bonne idée de fuir avant qu'il ne mette ses menaces à exécution. C'est ce qui l'a sauvée.
- Il y en a eu d'autres avant Lila, pas vrai ?
- Oui. Une au moins. Si on ne fait rien, il tuera encore. Il devient de plus en plus violent et sûr de lui. Il a tué Holly par caprice. Je sens qu'il va tuer ceux qui tenteront de le garder en cellule. On ne peut pas laisser cela arriver.
- Alors tu veux que j'appelle la vieille Iris pour lui dire que sa petite fille a été tuée par un démon et qu'il faut qu'elle intervienne alors qu'elle ne sait presque plus bouger ?
- On n'a pas vraiment le choix. Si elle ne peut pas le faire, elle pourra sûrement nous recommander quelqu'un. Je doute qu'elle ne connaisse personne qui fasse pareil.
- Très bien. Je vais l'appeler. J'espère pour toi qu'elle ne nous claquera pas entre les pattes quand je vais lui dire.
Je roulai des yeux. Je préférai l'ignorer et servir le déjeuner. Nous ne revînmes pas sur ce sujet.
C'était étrange de déjeuner en tête à tête avec lui. Cela faisait des années que ce n'était pas arrivé. Pas depuis qu'il sortait avec ma meilleure amie, en fait. Dès lors, ça avait été nous trois. Revenir soudain en arrière, c'était bizarre. Loin d'être désagréable. Je retrouvais le Louis que je connaissais depuis cinq ans.
Durant ce déjeuner, j'oubliais tout. Je redevins celle que j'étais en arrivant à Bloomingdale. J'oubliais la menace qui planait sur moi, sur quiconque se mettait sur le chemin de ce qui habitait le corps de l'homme que j'aimais.
Pendant une petite heure, tout fut normal.
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