31.
J'ai rencontré Elizabeth à un bal. Elle était magnifique et rayonnait dans sa robe pastel. J'étais encore jeune et mon père m'avait inculqué le désintérêt pour les choses du cœur. Mais il fallait que je me marie. J'étais son héritier direct alors il me fallait une femme de bonne famille. Je ne pouvais pas choisir n'importe qui, tu comprends ? Pas en étant le fils d'un influent politicien.
J'ai attendu donc le troisième bal pour lui demander une danse. C'était l'attitude la plus correcte et mon père se flattait de mon comportement exemplaire. Il a suffit de ça pour que l'on commence à se voir régulièrement et qu'elle développe un attachement débordant pour moi. Un attachement qui, évidemment, n'avait rien de réciproque. Je me moquais d'elle comme de ma première couche. Elle n'était qu'un moyen d'asseoir mon héritage futur et ma place dans le monde.
Elle était toujours si vive et joyeuse, le pas sautillant, le sourire aux lèvres. Elle était rayonnante. C'était ce qui faisait d'elle la plus belle fille de cette saison. Tous les hommes voulaient danser avec elle, tenter de la corrompre pour l'épouser. Mon côté froid et dépourvu de toute passion la fascinait et elle s'était donné pour mission de me changer. De me faire tomber follement amoureux d'elle, de réchauffer mon cœur de glace.
Elizabeth était peut-être superficielle et exubérante mais elle étaiti ntelligente. Bien plus qu'elle n'y paraissait. Elle était douée pour obtenir ce qu'elle voulait. Elle avait l'art de la manipulation dans le sang. Elle m'a changé, c'est certain. Seulement, pas comme elle le désirait. Elle usait si souvent de manipulation que c'était devenu une seconde nature pour elle même si, à ce temps-là, elle la maîtrisait encore assez mal avec les politiciens comme mon père et moi.
C'est pour ça qu'elle a réussi à tromper autant de monde aussi longtemps. Il en a été de même pour moi. Je n'ai rien su voir avant qu'il soit trop tard, j'étais trop jeune et pas assez préparé. Ou peut-être trop. Je n'aurais jamais cru que c'était possible. J'étais très cartésien à cause de l'éducation rigoureuse et stricte de mon père. Je voyais le monde en noir et blanc. Elizabeth elle-même n'était pas en couleur.
J'étais jeune lorsque j'ai commencé à tourner autour d'Elizabeth. Ignorant. Elle était belle, gracieuse et populaire. J'étais superficiel et poussé par la volonté de mon père. Elle a dû remarquer que j'étais idiot et que je sous-estimais beaucoup les femmes. Je n'avais aucune idée qu'elles pouvaient ainsi influer sur un destin. Mon père a toujours traité ma mère comme la dernière des idiotes et les femmes que j'ai connues à ce temps-là n'étaient clairement pas des lumières non plus.
Vers la fin de la saison, j'ai demandé la main d'Elizabeth. J'ai tenté ma chance. Je n'étais pas fou amoureux, loin de là. J'étais trop imbu de moi-même et elle n'était qu'une belle femme. Mon père me poussait à la demander en mariage alors je l'ai fait. Bête et discipliné que j'étais, j'ai obéi à mon père. Il me disait que j'avais besoin d'une femme comme elle pour faire fructifier son empire politique lorsqu'il me le céderait.
J'ai rencontré ses parents, leur ai demandé la permission. Ils ont accepté. Ce n'était pas une surprise. La famille d'Elizabeth n'aurait pas choisi moins qu'un fils riche pour leur fille. Le père était un industriel alors il attendait un certain standing de son gendre.
Bref, il ne me restait plus qu'à faire ma demande à Elizabeth. J'avais tout prévu. Je l'emmènerai dans les jardins lors du dernier bal de la saison et je lui dirais de m'épouser. C'est exactement ce que j'ai fait. Elle m'a dit oui, je l'ai embrassée. C'était froid, sans effet. Une énième chose que je devais faire parce que c'était ce qu'on attendait de moi. L'embrasser me répugnait.
Nous avons annoncé à tout le monde que nous allions nous marier, nous avons fait une grande réception pour fêter la nouvelle. Bref, rien que de l'habituel, en ce temps-là.
Elizabeth était follement amoureuse de moi. Je ne l'ai jamais ignoré. Je m'en moquais un peu. Une telle passion n'avait aucun sens pour moi. J'étais trop froid, trop pondéré. Rien ne me passionnait. Je prétendais pour conserver ce que j'avais réussi à obtenir. Cette façade parfaite que mon père exigeait de moi parce qu'il était un politicien et que j'étais son fils. J'avais hérité de lui, niveau caractère. Nous étions des photocopies.
Ce que j'ignorais, comme toute la communauté, c'était que le père d'Elizabeth était un gros joueur. Pas un très bon joueur, d'ailleurs. Il misait peu, au début. Mais il n'a cessé d'augmenter ses mises à mesure qu'il perdait son argent. Et plus il misait gros, plus il perdait gros. Jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien à jouer et qu'il se retrouve à faire des emprunts auprès de ses amis.
La famille d'Elizabeth était secrète. Malgré que leur fille fut la coqueluche de la société, on savait peu de choses sur sa famille. Alors il a fallu attendre leur banqueroute pour que l'on apprenne le secret de Rick.
Dès lors, Elizabeth a été disgraciée face à la bonne société. Mon père mit fin à nos fiançailles et j'ai commencé à sentir les changements. Je ne pensais qu'à Elizabeth, je voulais me marier avec elle plus que jamais, je la défendais devant tout le monde... Et ça ne me ressemblait pas du tout. Surtout en ce temps de campagne. Je ne me souviens plus pour quel poste mon père faisait sa campagne. Il voulait être sénateur, si je me souviens bien.
Sur le moment, je n'ai rien remarqué. Je me suis laissé porter. J'ai pensé que j'avais enfin des sentiments pour quelqu'un. Du coup, j'ai été un peu dans l'excès. J'avais des rendez-vous secrets avec Elizabeth, nous parlions de nous enfuir pour nous marier... Lesc hoses trop romantiques, excessives que l'on ne voit que dans les livres. Je ne sais toujours pas si tous ces actes romanesques venaient de moi ou non. J'en doute.
Maintenant que je peux avoir un regard éloigné sur ces événements, je réalise quel idiot j'ai été. Je n'ai pas compris ce qu'il se passait. Je n'aurais jamais pensé que ça soit possible. Tout comme tu n'aurais jamais cru possible de rencontrer quelqu'un qui a près de 200 ans sans en paraître autant.
En tout cas, à ce moment-là, je n'avais aucune idée de ce qu'il se passait. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait en moi. Je n'aurais jamais cru que c'était magique ou quoi. Je ne l'ai su que trop tard.
Elizabeth m'a demandé de la rejoindre sous notre arbre que tu as vu en vision. C'était notre endroit. Nous allions toujours là pour nous retrouver et parler de nos projets. Elle l'avait choisi. Elle trouvait ça terriblement romantique et je ne l'étais pas assez pour elle alors elle m'obligeait à l'être.
Ce jour-là, elle était en larmes, quand je suis arrivé. Je n'ai pas compris. Elle parlait à toute vitesse, mâchait ses mots, sanglotait... C'était incompréhensible. J'ai attendu qu'elle se décide à se calmer pour qu'elle me dise enfin ce qui n'allait pas. Je me souviens, c'est horrible mais je ne pensais qu'à la tâche qu'elle allait laisser sur ma nouvelle veste en tweed. C'est d'autant plus horrible d'avoir pensé à cela quand on sait pourquoi elle pleurait.
Son père, pour rembourser ses dettes, l'avait en quelque sorte vendue à l'homme avec qui il jouait presque cinq fois par semaine. Gerald Venderbreim. Un homme possessif et violent. Il était connu pour assassiner ceux qui ne payaient pas leurs dettes. Le père d'Elizabeth a préféré sauver sa vie que sauvegarder celle de sa fille. Il l'a donnée à Gerald en échange d'une ardoise effacée.
Elizabeth était désespérée, comme tu peux t'en douter. Elle ne voulait pas épouser un homme qui avait le double de son âge. Elle est devenue plus sérieuse que jamais à propos de cette fuite. Elle voulait plier bagage et foncer au plus loin de sa famille.
Je n'étais pas très emballé à cette idée. Ma vie était confortable et j'allais hériter d'un empire politique. Je n'allais pas m'enfuir avec elle et abandonner mon avenir idyllique. Elle avait d'autres plans en tête.
J'ignore encore comment elle a réussi mais elle me faisait boire une potion qui m'assouvissait à ses désirs. Dès le réveil, je n'avais plus qu'une idée : fuir avec elle et l'épouser. C'est là que j'ai commencé à réaliser que quelque chose clochait mais je ne pouvais rien faire. Mon cerveau ne répondait plus à mes décisions, mes envies. Il était contrôlé par la potion d'Elizabeth.
Et puis, il y a eu cette rencontre où je l'ai pressée de s'enfuir avec moi. Je n'ai pas compris pourquoi elle ne voulait plus fuir. Je n'avais que cette idée en tête et elle ne voulait plus ? Que se passait-il ?
Elle avait tout prévu. L'arrivée de Gerald, ma mort. Elle avait prévu que ça se passerait comme ça. Elle voulait que je meure. Pour pouvoir me ressusciter, pour que je sois à jamais avec elle. Pour que je sois sa chose.
Alors que je mourrais dans ses bras, elle me l'a murmuré à l'oreille. Nos âmes sont liées, mon chéri. Ses mots m'ont hanté longtemps. Le problème, avec Elizabeth, c'était qu'elle pouvait se montrer assez écervelée. Elle croyait sincèrement qu'elle était immortelle simplement parce qu'elle pratiquait la magie. Elle croyait que nous passerions l'éternité ensemble.
Sauf qu'elle a continué à vieillir alors que je restais le même. Je l'ai regardée de loin. Maintenant que j'étais mort, ses potions d'amour n'avaient plus aucun effet sur moi. Je l'ai rejetée sans égards dès que sa potion d'amour a cessé de fonctionner et que j'ai réalisé ce qu'elle m'avait infligé depuis notre rencontre.
Elle a été brûlée sur un bûcher lorsque la société a su qu'elle était une sorcière. Je pensais que ça me libérerait de son sort mais il n'en est rien. J'ai dû fuir pour ne pas être mis dans le même panier.
J'ai été voir des hippy, des médiums, des sorciers. J'ai tout essayé pour rompre ce sort et enfin mourir. J'ai tout essayé. Mais je suis toujours là. Immortel. Et je n'ai aucune idée de la façon de faire pour enfin terminer cette vie dont je me suis lassé.
Surtout qu'à chaque génération, je te retrouve. Tu as un nouveau visage, un nouveau nom, une nouvelle vie. Mais tu reviens toujours vers moi pour me tourmenter, pour me narguer. Je sais pourquoi. C'est parce que tu es la clé. La seule à pouvoir me délivrer.
J'ai fait construire St John's il y a 48 ans avec ton incarnation de ce temps-là. J'ai évité toutes les photos pour que personne ne sache que je revenais aux sources. Personne n'a jamais eu la moindre idée que le constructeur de St John's et moi étions la même personne. Je reviens ici à peu près tous les vingt ou trente ans. C'est là où je suis né une seconde fois, cet endroit me tient à cœur.
Mais ces derniers temps, les choses ont changées. Mon âme m'a abandonné en se transformant en démon. Je l'abrite en moi. Une tzigane m'a confectionné un talisman pour le garder sous contrôle. Il ne rôde que de nuit. Elle l'a lié à la maquette dans le grenier de l'école pour qu'il ne s'enfuit pas. Ces jours-ci, il est plus actif. Je le sens me corrompre.
Lorsque Jenna a commencé à parler de ce qu'elle vivait, j'ai pensé que c'était mon démon. Et j'avais raison. Il la tourmentait pour la faire partir. Il t'attendait. Il savait que tu allais arriver. Il était furieux que ce soit Jenna qui soit là et pas toi. J'ignore comment il savait que tu serais la prochaine à venir.
Et puis tu es arrivée. Tout a changé. Mon démon profite de mon sommeil pour s'en prendre à toi. Je t'ai écoutée tout me raconter et chaque vision dont tu me parlais me faisais comprendre qu'il savait que tu allais venir. La seule chose qui a changé, c'est que tu ne me reconnaissais pas. Dans tes quatre vies suivantes, dès que nous nous retrouvions, tu me reconnaissais, tu te souvenais de tout.
Pas dans celle-ci. Je ne comprenais pas pourquoi. J'avais remarqué que tes souvenirs étaient de plus en plus confus à chaque vie mais je n'ai jamais pensé que tu pouvais tout oublier. Et je sais que cette foutue sorcière y est pour beaucoup. La sénilité qui t'a gagnée à la fin de ta vie précédente a dû énormément l'aider.
Toujours est-il que, pour te mettre en confiance, j'ai inventé une histoire de famille. Je suis désolé de t'avoir menti, Yvana. C'est tout ce que j'ai trouvé pour que tu te confies à moi. Pour que tu restes proche de moi. Je voulais savoir ce qui était différent chez toi, ce qui t'empêchait de te souvenir. Qu'est-ce qui avait changé ?
J'avais beaucoup de questions vis-à-vis du comportement de mon démon. Pourquoi te tourmentait-il ainsi alors que son passe-temps favori a toujours été de me hanter ? Il passe son temps à me susurrer de nouvelles horreurs à l'oreille sur tous les gens que je croise, à qui je parle. Il prévoit des morts atroces pour tout le monde.
Sauf pour toi. Alors qu'il aurait dû te haïr plus que n'importe qui, tu penses bien. Je n'ai pas compris pourquoi, au début. Maintenant, je pense savoir. Quelque part, c'est si logique que je me sens idiot de ne pas y avoir pensé de suite.
Encore une fois, c'est de ma faute. Tu n'es pas la seule à avoir changé, dans cette vie. Me retrouver face à toi, avec ce visage angélique, cette douceur et tendresse, cette faiblesse... Je ne suis pas habitué. Tu as toujours été superficielle, décidée, dominante. La perte de tes souvenirs t'a transformée en petit chat effrayé. Et ça change énormément de choses, pour moi.
Au départ, le démon voulait me tourmenter. Il t'a utilisée pour ça. En t'effrayant, il savait que ça m'affecterait. C'était ce qu'il cherchait. Il voulait que je me sente coupable, que je me maudisse et me haïsse encore plus que je ne le fais depuis toutes ces années.
Et puis, ça a pris un autre tour. Je réalise maintenant combien lui et moi sommes liés. Je le vois comme un jumeau maléfique. Un peu à la manière de Dr Jekyll et MrHyde. C'est plus que ça. Il est moi, je suis lui. Il est ma part d'ombre, la haine qui me ronge depuis un siècle. Et ce qu'il t'arrive en est le reflet.
Lorsque j'ai commencé à développer des sentiments, il en a eu aussi. Pas les mêmes. Pas le contraire non plus. Il est possessif, jaloux, exclusif. C'est pour cela qu'il a blessé Louis et t'a éloignée de lui. Qu'il te répète toujours que tu lui appartiens. C'est ce que lui ressent. Il possède le côté noir de mes propres sentiments.
Je ne sais pas comment les choses vont évoluer. Je ne sais pas comment l'empêcher de s'en prendre à toi. C'est la première fois que je ressens quelque chose comme ça pour une de tes incarnations en un siècle et demi et pourtant, je ne peux pas l'apprécier parce que je ne veux pas ressentir cela. Je ne veux pas qu'il te fasse du mal mais, en même temps, je me souviens de qui tu es vraiment au fond. Et je veux qu'il continue à te tourmenter.
Même confronté à tous mes suicides ratés, je ne me suis pas senti aussi dépourvu de possibilités. Je n'ai aucun pouvoir sur lui et je ne comprends pas toujours comment il fonctionne. Ses raisons de te blesser comme il le fait m'échappent parce que je sais à peu près ce qu'il ressent.
Si je n'avais pas commencé à développer des sentiments pour toi, Bloomingdale aurait toujours été aussi accueillante. Au lieu de ça, tu attends la première occasion pour fuir. Je ne te laisserai pas faire. Pas avant que tu m'aies sorti de cette vie éternelle dans laquelle tu m'as fourré contre mon gré il y a 178 ans.
Dire qu'il aura fallu une adorable créature dans ton genre pour transformer ma vie en un véritable capharnaüm à ne plus savoir comment l'arranger ! C'est bien la première fois que c'est un tel bordel. Toutes tes incarnations ont suivi le même chemin.
Tu viens vivre là où je suis, tu me reconnais, tu te souviens. Et tu t'amuses de ma malédiction. Tu me tourmentes, tu me nargues, tu me rappelles que, toi, tu vas mourir et renaître alors que moi, je ne vais faire que vivre et vivre, éternellement.
J'ai tout essayé. Je t'ai fait construire St John's parce que c'était ce que tu voulais et tu m'as lésé. Tu m'as fait miroiter la délivrance. Tu m'as dit que tu me donnerais la solution sur ton lit de mort. Mais tu avais perdu la tête ! Tu ne te souvenais de rien, tu mélangeais réel et irréel. Tu n'étais plus bonne à rien.
Alors j'ai attendu que tu renaisses, que tu me reviennes une cinquième fois. Je pensais que, cette fois, je pourrais te contraindre à tout me dire. J'étais persuadé que je vivais mes dernière années. Que tu n'allais plus tarder et que je te ferais cracher la solution pour mettre fin à mes jours. J'avais même prévu des dizaines de façon de te torturer sans te tuer.
Et voilà que je découvre que tu ne te souviens de rien ! Je ne sais toujours pas comment réagir face à ça. Tu es la seule clé pour me délivrer des chaînes de la vie éternelle, Yvana. Tu dois te souvenir de tes vies précédentes. Je ne te laisse pas le choix de toute façon. J'ai vécu assez longtemps. J'en ai plus qu'assez. Il faut que cette vie se termine. Et tu es la seule à savoir comment me tuer.
Je vois dans ton regard que les souvenirs affluent. Ils sont là, à la lisière de ta conscience. Cesse de les refuser, Yvana. Tu te fais plus de mal que de bien. Ce que tes précédentes incarnations n'ont pas compris, c'est que je ne cesserai jamais de te harceler jusqu'à ce que tu me libères. Je ferai tout, quoi qu'il m'en coûte, pour enfin cesser d'exister. Pour enfin trouver le repos que j'attends depuis tellement longtemps.
Cette vie est terriblement différente. Beaucoup plus difficile à vivre. Je ne sais pas gérer ce que tu provoques chez moi en étant si différente, si belle et pure. Je m'en veux de t'infliger tout cela, Yvana. Tu es presque une nouvelle âme, comme si tout avait été effacé dans la sénilité de ta précédente incarnation. J'ignore si c'est possible mais je pense que la maladie qui t'a tuée a, en quelque sorte, nettoyé tout ce qui faisait de ton âme celle d'Elizabeth.
Alors pourquoi te tourmenter ? me demanderas-tu. Parce que je ne peux plus vivre ainsi, Yvana. J'ai vécu plus de deux cents ans, désormais. C'est affreusement long. J'ai vu ma famille mourir, j'ai vu mes amis vieillir et mourir, je t'ai vue mourir encore et encore.
Et moi, je suis resté le même si ce n'est pour cette noirceur qui me consume un peu plus chaque jour. Si ce n'est pour ce démon qui dévore mon âme. Qui veut dévorer la tienne. Je suis toujours ce Carter Prince du dix-neuvième siècle. Je n'ai pas tant évolué, dans le fond. Je me suis simplement adapté aux nouvelles technologies, au changement des mœurs.
Mais il y a cette chose qui a changé, en moi. Qui rend le démon à la fois plus faible et plus virulent, aussi contradictoire que cela puisse sembler. Il se bat contre ce que je ressens, il veut le pervertir parce que c'est ce qu'il fait, parce que c'est toi. Surtoutp arce que c'est un sentiment puissant et positif et que ça l'affaiblit, ça le détruit petit à petit. Il y a aussi qu'il ne veut pas que je meurs. Ça le tuera aussi, tu comprends. Et lui n'est pas aussi vieux que moi. Lui tient à continuer à vivre encore quelques millénaires.
Le problème majeur de ma situation ne tient pas là-dedans. Ces temps-ci... Je ne sais pas si je veux mourir. Je le veux, évidemment mais dès que tu te souviendras comment me tuer ? Je ne sais pas. Je crois que... que mes positions ont changées. Je veux redevenir mortel. Je veux vieillir. Et je veux pouvoir t'aimer jusqu'au dernier jour de ma vie.
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