3.
Lila vint me rendre visite le jeudi après-midi. Elle semblait toute excitée, enthousiaste.
- Allez ! Habille-toi ! On va faire un tour. Je vais te faire visiter les alentours.
- Je suis déjà allée en ville, répondis-je.
Elle leva les yeux au ciel. Son entrain ne baissa pas d'un pouce. Au contraire, elle semblait encore plus encline à me traîner hors de chez moi.
- Il y a plus que la ville. En plus, tu n'as pas été jusqu'à l'école, si ?
- Non... Je pensais y aller demain ou ce weekend.
- Tu commences lundi et tu t'y prends aussi tard ?
Je levai les yeux au ciel tout en montant à l'étage pour me changer. Elle ne me laisserait pas en paix tant qu'elle n'aurait pas ce qu'elle voulait.
Sans compter qu'elle n'avait pas totalement tort. Je n'avais définitivement pas un GPS ancré dans mon crâne et lire un planétait une épreuve. Mieux valait qu'elle me conduise jusqu'à St John's pour que je puisse voir le trajet en direct. Le seul inconvénient était que mémoriser la route en voiture risquait d'être plus compliqué que si je le faisais en vélo.
Lila ne parut pas perturbée du tout par mes réticences à prendre sa voiture. Elle était habituée. Elle savait pourquoi je n'aimais pas ça alors elle n'en faisait plus grand cas. Ma confiance en elle suffisait à me faire monter sur le siège passager et c'était tout ce qui lui importait. Ce sujet était aussi difficile pour elle que pour moi. Aussi n'en parlions-nous pas.
Comme toujours, elle mit de la musique tout en discutant de tout et de rien. Les trajets avec Lila ne paraissaient jamais très longs tant elle les animait avec sa personnalité exubérante.
Lila était la définition même de la joie de vivre. Avec ses cheveux noirs et rouges, elle était déjà facile à retrouver dans une foule. En plus de ça, sa peau pâle tranchait, faisant ressortir les traits bien dessinés de son visage et ses yeux bleus. Elle avait un perpétuel sourire sur les lèvres, une lueur joyeuse dans le regard.
Contrairement à moi, elle se liait facilement aux gens, savait toujours approcher les inconnus et se débrouiller. J'avais plus de mal. J'étais plus réservée, moins confiante et plus pondérée. Même physiquement, nous étions différentes. J'étais blonde, les yeux noisettes... A l'opposé de ma meilleure amie.
Désormais, elle était la seule relation qu'il me restait. J'avais coupé les ponts avec ma colocataire de Portland, je ne parlais plus à mes parents, mes amis ne donnaient plus de nouvelles... La seule personne avec qui j'avais gardé le contact, c'était Lila. Elle, elle ne m'avait pas lâchée depuis qu'on se connaissait.
- Comment as-tu réussi à te faire embaucher à St John's sans y être jamais allée ? me demanda Lila tout en s'engageant sur une petite route au milieu des bois.
Je l'avais attendue, cette question. J'aurais pensé qu'elle la poserait plus tôt.
- L'école était fermée à cause des travaux alors j'ai passé mon entretien avec le directeur à Rosding. Il habite là-bas, je crois.
- Tu as de la chance. J'ai essayé de me faire embaucher dans cette école mais pas moyen. Ils doivent avoir des critères très stricts dont personne n'est au courant.
- Si c'est le cas, je dois les remplir. Et tant mieux. Ce job a l'air cool. Ça sera sûrement différent de tout ce que j'ai connu jusque là.
Déjà que Bloomingdale m'offrait un total dépaysement, cette école, ce travail... J'étais sûre de faire face à des défis que je n'aurais jamais eu à affronter à Portland. Les attentes des gens n'étaient pas les mêmes et rien que ça, ça changerait tout.
- St John's est une école assez renfermée, commença Lila de façon presque hésitante. Tous les enfants des environs vont là-bas et ils y reçoivent une très bonne éducation mais on va dire que ce qui se passe à St John's a tendance à rester à St John's. Imagine que les rencontres parents-professeurs se font en ville, pas à l'école.
Je me tournai vers Lila, surprise. La voir chercher ses mots n'était pas quelque chose d'habituel. Elle avait plutôt tendance à parler sans réfléchir. Cette école était-elle un sujet sensible ?
- Vraiment ?
Elle hocha la tête en me jetant un rapide coup d'œil.
- Les enfants prennent le bus depuis le centre pour venir ici. Personne d'autre ne passe les grilles. C'est assez étrange mais c'est devenu une tradition. C'est ancré dans l'esprit des gens que seuls les employés et les élèves de St John's peuvent y entrer.
- C'est franchement étrange, comme coutume. Ce job avait l'air tombé du ciel mais, d'un coup, je me pose des questions. Où est-ce que j'ai atterri, encore ?
Lila se mit à rire, ce qui désamorça la tension dans l'habitacle.
- Ne t'en fais pas. St John's est une école tout à fait respectable.
- Je suppose que je le saurais quand j'y serais.
Elle haussa les épaules. J'eus la sensation qu'elle se retenait de dire quelque chose. Ça ne lui ressemblait pas. Il y avait plus que ce qu'elle me disait.
Puis, elle prit un air mutin.
- Tu me feras entrer ? En secret ?
- Tu as quel âge ? Cinq ans ?
- Je suis curieuse ! Je rêve de visiter cette école puisque personne ne peut y entrer !
- Sérieusement...
- Quoi ? Tu ne peux pas me blâmer d'être curieuse !
Je ne cherchai même pas à répondre. Connaissant Lila, elle ne lâcherait pas le morceau. Et j'ignorais encore tout de mon nouvel environnement de travail alors honnêtement, que pouvais-je lui dire ?
- Nous y voilà, chantonna-t-elle en s'arrêtant devant une grande grille en fer forgé.
Nous sortîmes de la voiture. Les feuilles craquèrent sous mes pieds alors que je m'approchais de la grille. Le bruit me fit froid dans le dos. Je me frictionnai les bras où la chair de poule était apparue.
L'école se trouvait en haut d'une petite colline. Une grande bâtisse dont la façade avait été récemment rénovée. Elle devait être assez vieille malgré tout. Peut-être pas des centaines d'années mais elle avait vécu, assurément.
- Elle date de quand, cette école ? demandai-je à Lila sans lâcher le bâtiment du regard.
- Elle a été construite il y a une cinquantaine d'années pour ce que j'en sais. Les propriétaires, un couple d'excentriques, voulaient une maison de style victorien gothique... Un truc du genre. Et voilà ce qu'ils ont eu. Quand ils sont morts, l'Etat a récupéré le domaine et en a fait une école après avoir reconstruit certaines parties. C'était une ruine.
- Comment tu sais tout ça ?
- Je me suis renseignée quand je suis arrivée. Les gens d'ici parlent beaucoup. Une petite question et ils te font une dissertation. Il m'a suffit de poser une question sur tous ces enfants qui attendaient le bus et j'ai eu toute l'histoire de l'école, presque.
Je ne fus même pas étonnée. Vu comment Mona s'était comportée, ça ne me surprenait absolument pas. D'un côté, c'était pratique. Au moins, il n'y avait pas besoin de poser mille questions pour avoir les réponses que l'on cherchait. Du moment que ça en restait aux sujets matériels. S'ils donnaient autant d'informations les uns sur les autres, c'était bien moins intéressant.
- Tu as retenu la route ?
Je me tournai vers Lila, étonnée. Elle semblait avoir envie de partir au plus vite. Elle était près de la voiture, prête à sauter à l'intérieur. Ça ressemblait si peu à Lila que je ne sus comment réagir.
- Je crois. J'espère.
- Retournons en ville. On va aller se manger un truc toutes les deux.
Je n'avais pas mon mot à dire alors je me contentai de remonter en voiture. Elle fit demi-tour rapidement et nous reprîmes la route. Plus l'on s'éloigna, mieux elle parut se sentir. J'étais tellement perturbée que je n'osai même pas poser de question.
Lila se gara devant le restaurant du centre. Je me surpris à être étonnamment heureuse de déjeuner là une seconde fois.
Mon amie passa son bras sous le mien et m'entraîna avec elle à l'intérieur, redevenue elle-même. Il n'y avait plus aucune trace de son malaise précédent sur son visage. Presque comme s'il ne s'était rien passé du tout.
- Oh, bonjour, vous deux ! nous apostropha Mona en nous voyant entrer.
- Bonjour, Mona, répondit Lila, toute enjouée. Tu as une table pour nous ?
- Évidemment ! Venez !
Elle nous installa dans un coin plus tranquille du restaurant et nous donna un menu. Je levai les yeux vers Mona, prête à lui rappeler mon végétarisme.
- Évidemment, pour toi, Yvana, ça sera une version végétarienne. Choisis ce que tu veux !
- Merci, dis-je, touchée et étonnée.
Elle m'offrit un grand sourire tout en allant chercher notre carafe d'eau. Juste assez de temps pour me remettre de ma surprise. Mona s'était souvenue de mes restrictions alimentaires et ne paraissait plus en faire grand cas.
- Tu es déjà venue ? me demanda Lila, abasourdie.
- Quand je suis venue seule en ville.
-Tu aurais dû m'appeler. Tu as dû te sentir sacrément mal à l'aise.
- Pas mal, oui. Ce n'est rien que je ne connais pas. Mais bon, maintenant, tout le monde doit savoir que je suis végétarienne et donc ça sera sûrement plus simple.
Elle acquiesça de la tête en servant nos verres d'eau.
- Mona est adorable. Les autres, par contre, risquent de te voir un peu comme une bizarrerie de la nature mais comme tu es bizarre... Ça ne devrait pas te dépayser plus que ça.
Je lui lançai ma serviette en papier à la tête en riant. Elle se mit à rire aussi. Mona revint peu après avec un Coca pour Lila. Elle prit notre commande et repartit rapidement. Un vrai coup de vent. En même temps, le restaurant était bondé.
Nos plats ne tardèrent pas à arriver. Comme la première fois, mon assiette était encore plus fournie qu'elle n'aurait dû. Ce qui, au fond, n'était pas si mal. Je mourrais de faim.
Nous déjeunâmes en discutant. J'en appris plus sur la ville et sur ses habitants. Je partageai un dessert avec Lila et nous repartîmes vers chez moi.
Je lui fis visiter la maison enfin aménagée. Elle passa de pièce en pièce, examinant tout. Je savais qu'elle n'était pas douée en décoration alors que je savais plutôt bien y faire. Elle m'avait toujours envié ce don. Tout comme je lui enviais la facilité qu'elle avait de parler aux inconnus, de se faire des amis.
- Je savais que je serais jalouse de ta chambre ! s'exclama-t-elle en entrant dans ma chambre. Elle est magnifique. Tu vas venir refaire la décoration chez moi. Je vais t'engager.
J'éclatai de rire.
- Si tu veux. Du moment que tu paies tout.
Elle se jeta sur mon lit et s'étala en étoile dessus comme quand nous étions adolescentes.
- Pourquoi je n'ai pas ton sens de la décoration ? geignit-elle.
- Parce que tu n'es pas moi.
Elle me lança un coussin en pestant. Je me mis à rire en m'asseyant face à ma coiffeuse.
Elle se redressa et m'observa.
- Impatiente de commencer à travailler ?
- Quelque part, oui. Un peu stressée mais enthousiaste. L'inactivité m'énerve.
Elle haussa les sourcils, l'air de me prendre pour une folle.
- Vu tout le travail que tu as abattu dans la maison, je n'en doute pas ! Je n'en aurais jamais fait aussi en aussi peu de temps.
Je haussai les épaules. Je n'aimais pas rester à ne rien faire. C'était parfois un problème. Il n'y avait que vraiment quand tous mes membres me faisaient souffrir ou quand j'étais malade que je ne faisais rien.
Ce qui n'arrivait pas si souvent que ça. Malgré ma condition plutôt fragile, j'avais appris à faire avec et je m'en sortais bien, jusque là. Si ce n'était pour l'air trop pollué que mon corps ne parvenait plus à supporter.
- Il faut encore que je m'occupe de l'extérieur, soupirai-je, lasse à l'idée du dur labeur qui m'attendait. Le jardin et la cour de devant sont de vraies jungles.
- Tu me sidères. Je déteste jardiner.
- Ce n'est pas ce que je préfère non plus mais il faut bien le faire. Je ne peux pas laisser ça comme ça. Le propriétaire m'a dit qu'ils avaient eu des rats. Laisser un tel bordel dehors, c'est parfait pour qu'ils reviennent faire leurs nids et m'envahissent.
Elle fit une grimace. Elle jeta un coup d'œil à son téléphone avant de se relever.
- Bon, je vais y aller, moi ! Louis va se demander où je suis passée. Si tu ne te souviens pas du chemin pour aller à St John's, appelle-moi. Je te servirai de guide.
Nous redescendîmes et elle repartit chez elle.
Je demeurai sur le seuil, à considérer le désastre qu'était la cour. Il allait me falloir des heures de travail pour déblayer tout ça. Et, honnêtement, je n'avais pas le courage de commencer. Je ne savais pas si je le trouverais un jour, en vérité. Il y avait tellement de travail à abattre que ça allait me prendre des mois.
Aussi retournai-je à l'intérieur et m'installai-je devant la télé pour un repos bien mérité.
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