26.
Je ne trouvai pas grand-chose sur la mort de Gemina Walter McWon. Son avis de décès était paru dans le journal local, de même qu'un court article stipulant qu'elle avait été retrouvée morte dans la chambre de sa fille. Il n'y avait aucun détail sur la façon dont on l'avait tuée.
Le pire était la date. Gemina McWon était morte à peine un mois avant que je ne déménage à Bloomingdale. Je ne parvenais toujours pas à croire que Carter ait pu tuer cette femme. Pour quelle obscure raison l'aurait-il fait ? Son double maléfique avait-il choisi une personne au hasard ? Avait-il eu une bonne raison de la tuer ? Bien que je n'imagine pas qu'il puisse y avoir une raison valable au fait de tuer quelqu'un à part la légitime défense.
Se souvenait-il seulement de l'avoir tuée ? Et d'avoir été vu par Sandie ?
Il y avait une autre question qui me tourmentait. Plus insidieuse et difficile.
Et si Carter se jouait de moi ? De tout le monde ?
J'avais déjà vu des psychopathes tromper leurs familles, leurs collègues... Et si Carter avait tué la mère de Sandie, se pouvait-il qu'il ait tué d'autres personnes et que personne ne le sache ? Et si c'était le cas, comment étais-je censée réagir ? Qu'étais-je censée faire ?
J'étais perdue. Effrayée. Je ne savais plus quoi ressentir, comment agir. J'avais trop de questions. Je ne pouvais plus réfléchir à tout ça. Je détestais l'idée que Carter soit un malade, un tueur en série. Je refusais de croire qu'il avait tué Gemina McWon.
La parole d'un enfant était toujours pure et sincère mais Sandie avait pu se tromper. Croire que c'était Carter alors que ça ne l'était pas. C'était tout à fait possible. Toutefois, qu'elle ait parlé des yeux rouges, du « méchant » et du « gentil » Carter... C'était confondant. Elle ne pouvait pas l'avoir inventé.
L'après-midi fut long. Terriblement long. Je dus lutter pour ne pas faire plus de recherches sur la mort de Gemina McWon. Je n'avais pas envie de tomber sur un indice qui me disait que Carter avait tué de nombreuses personnes. J'étais amoureuse de lui, et je savais que ça modifiait ma vue sur cette histoire.
Malgré tout, je ne pouvais pas nier qu'il y avait un côté sombre chez Carter. Un côté noir et maléfique qui se dissociait de celui que j'aimais. Je connaissais les notions de trouble de la personnalité, de bipolarité. Malgré tout, je doutais qu'il s'agisse de ça. Pas avec ses yeux qui changeaient de couleur.
Je fis une rapide recherche sur le changement de couleur de l'iris. Je ne trouvai rien qui puisse expliquer le phénomène chez Carter. Rien qui n'aille avec ses pertes de mémoire. De toute façon, je savais d'instinct que ça n'avait rien à voir avec un problème physique ou mental. C'était bien au-delà de ça.
Les mots du Méchant Carter me revinrent. Il faut que tu comprennes. Que tu te rappelles. Me rappeler de quoi ? Ce n'était pas moi qui oubliait régulièrement ce que je faisais. Je me creusai la tête sans avoir la moindre idée de ce à quoi il faisait référence.
Je me figeai brusquement. Carter devait me ramener chez moi ce soir. Et Lila devait passer récupérer les affaires de Louis, ce soir. Les deux ne pouvaient pas se croiser. Je ne pourrais pas parler librement à ma meilleure amie si Carter demeurait dans les parages. Je ne savais déjà pas ce que j'allais bien pouvoir dire à Carter...
Les élèves se mirent à chahuter dans les couloirs et les cris me parvinrent faiblement. La fin des cours. Encore deux minutes à peine, le temps que les enfants mettent leurs manteaux et montent dans le bus, et je devrais me retrouver face à Carter, seule et isolée avec lui en voiture.
La porte du bureau s'ouvrit et je faillis tomber de ma chaise. Je m'étais tellement enfoncée dans mes pensées et mon appréhension que je n'avais pas entendu quequelqu'un venait.
- Toi et moi, on va avoir une petite discussion.
Holly.
Évidemment. Pourquoi étais-je surprise de la voir débarquer, drapée dans sa colère et sa rancœur ? Elle s'approcha de moi sans rien dire, ses yeux verts durs et acérés. Ça sentait mauvais pour moi. J'étais déjà lasse et cette conversation n'avait pas encore commencé.
- Je ne sais pas si tu es stupide ou juste suicidaire mais je vais te prévenir une dernière fois, cracha-t-elle, son nez effleurant le mien. Ne te mets pas en travers de ma route. Je peux être gentille tant qu'on ne me fait pas chier. Mais toi, petite conne, tu commences à me courir sur le haricot et ça me plaît moyen. Alors tu vas retourner dans ton trou de souris et te faire discrète, compris ?
Je ne dis rien, serrant les dents. Je ne lui ferai pas le plaisir de lui répondre.
- Oh, au cas où tu n'aurais pas compris ça non plus : Carter a pitié de toi. La pauvre végétarienne à l'air dégueulasse qui vient se perdre à Bloomingdale... Tu fais tellement œuvre de charité qu'il ne peut pas s'empêcher d'être gentil avec toi.
Ses mots me transpercèrent de part en part. Je me levai, la poussant à se redresser lorsque mon visage s'approcha du sien.
- En attendant, c'est chez moi qu'il vient presque tous les jours, qu'il dîne. C'est moi qu'il est venu voir à Portland. C'est moi qu'il passe prendre tous les matins. Par contre, ce n'est pas moi qu'il envoie sur les roses et qu'il ignore. Ça, je crois que c'est toi. Alors reste à ta place, Holly. Tu fais peut-être ta loi avec les autres, mais ça ne fonctionnera pas avec moi.
« Pas cette fois » terminai-je mentalement.
J'en avais assez d'être la souris, celle qui se fait marcher sur les pieds et dit merci. J'avais déjà bien assez de merde dans ma vie pour ne pas y rajouter Holly. Si elle commençait à m'écraser, je ne m'en dépêtrerais plus et je n'avais pas de temps à lui consacrer. Sa crise d'adolescente en mal d'attention était le dernier de mes soucis.
La brune se redressa et frappa dans ses mains avec ironie, son beau visage tordu par un rictus mauvais.
Je récupérai mon sac, jetai mon manteau sur mon bras et la considérai. En fait, c'était d'elle qu'il fallait avoir pitié. Pas de moi. Elle cherchait tellement l'attention qu'elle n'hésitait pas à s'humilier. C'était un spectacle pathétique à regarder.
- Tu crois ça ? Tu crois que toi, tu peux t'opposer à moi ? Je veux Carter. Et je l'aurais. Alors épargne-toi des douleurs inutiles et abandonne la lutte. Tu n'as pas ce qu'il faut pour te battre contre moi. Tu n'es qu'une petite souris et je me ferais un plaisir de t'écraser. J'y prendrai un grand plaisir.
- Tu devrais grandir un peu. On n'est plus au lycée et tu n'es plus la reine des abeilles. Dans le monde des adultes, on n'a pas toujours ce qu'on veut.
Je la bousculai pour sortir du bureau. Elle rattrapa par les cheveux et je criai. C'était la seconde fois que ça arrivait et je commençai à en avoir assez.
- Tu ne te barres pas comme ça !
- Lâche-la tout de suite, Holly !
Je cillai. Le directeur de St John's venait d'apparaître en haut des escaliers, engoncé dans son costume gris anthracite. Ses yeux noirs lançaient des éclairs.
Holly me relâcha et je pus me masser le cuir chevelu. Heureusement, le sang ne s'était pas remis à couler. Il n'aurait plus manqué que je me mette à pisser le sang...
Le directeur posa une main sur mon épaule, m'observant avec attention.
- Est-ce que ça va, Yvana ? me demanda-t-il avec sollicitude.
- Oui, ça va, répondis-je calmement.
- Bien. Je ne veux plus jamais revoir ça, Holly Stillwater ! Tu es institutrice, tu dois montrer l'exemple. Grandis un peu !
- C'est ce que je lui ai dit, chantonnai-je doucement, un sourire narquois pour la brune.
- Toi, tu ferais mieux de la fermer, marmonna-t-elle.
Je l'ignorai et me tournai vers le directeur.
- On m'attend. Je vous dis bonne soirée.
- À demain, Yvana.
Holly ne pipa mot. Son regard me brûla la nuque jusqu'à ce que je sois hors de sa vue. Je relâchai un soupir soulagé. J'avais évité le pire grâce à l'arrivée surprise du directeur. Il n'était jamais là, d'ordinaire. En soi, c'était déjà bizarre. Qu'il débarque sans prévenir à la sortie de classe était d'autant plus étrange.
Je secouai la tête. Ce n'était pas le moment de penser à ça. J'avais plus urgent à gérer. Carter. Il n'avait pas besoin de savoir pour l'altercation avec Holly. Quoi que, il pouvait déjà être au courant. Après tout, il avait su pour l'agression de Louis avant tout le monde. Probablement avant Lila, d'ailleurs. Là, il allait falloir qu'il s'explique.
Je ne me laisserai pas berner, cette fois. Il me donnerait toutes les réponses et toutes les informations que je voulais avoir. Il me troublerait assurément mais je devais garder en tête ce que je voulais. Il ne m'aurait pas une seconde fois. Il fallait que je me souvienne du fiasco avec la prophétie dont il m'avait parlé. Et que je parvienne à ramener le sujet sur ça pour avoir plus d'informations aussi.
Cette fois, je ne me laisserai pas avoir. J'aurais ce que je voulais. Toutes les réponses dont j'avais besoin. Je ne me ferais pas avoir comme avec cette histoire de prophétie. Il avait su me troubler, me faire tourner la tête et j'en avais oublié de poser les bonnes questions.
Ce soir, ça ne serait pas le cas. Je me doutais qu'il allait me troubler. Il ne fallait pas être un génie pour s'en douter. Mais ça ne m'empêcherait pas d'obtenir mes réponses. Parce que, cette fois, le mensonge était trop gros, impossible à ignorer. Si ça se trouve, toute cette histoire de prophétie n'était qu'un mensonge aussi.
Je ne pouvais plus faire aveuglément confiance à Carter. Je ne pouvais plus prendre pour argent comptant ce qu'il me disait. Pas avec ce dont j'avais été témoin. Pas avec ce côté noir de lui qui venait prendre le contrôle.
Je forçai une expression neutre lorsque je le rejoignis devant l'école. Il m'attendait, peu perturbé par la pluie qui tombait, drue et glacée. Ses cheveux étaient plaqués sur son crâne, l'eau coulait sur son visage jusque dans l'échancrure de sa chemise.
Il tressaillit lorsque j'apparus à côté de lui. Il me sourit, fit mine de rien. Mais j'avais vu cette nuance violette dans son regard avant qu'il ne se reprenne.
- Prête ?
Je hochai la tête. J'avais une vingtaine de minutes de trajet pour trouver la meilleure façon de lui faire cracher tous ses secrets.
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