25.
- Cache-toi sous le bureau, murmurai-je à Sandie.
Elle obéit sans réfléchir. Elle se roula en boule dans un coin, l'air proprement terrifié. J'eus à peine le temps de m'asseoir que la porte volait contre le mur dans un grand fracas, révélant un Carter aux yeux d'un rouge écarlate. Mon sang ne fit qu'un tour.
À moi, à moi, à moi...
La voix revint, me prenant totalement au dépourvu. Je cillai, serrant mes mains l'une contre l'autre dans mon giron pour ne pas qu'il voit à quel point elles tremblaient.
- Je peux savoir ce que tu penses faire, Carter James ? dis-je.
Je fus ravie d'entendre les sonorités métalliques dans ma voix bien qu'elle ne soit pas aussi puissante que je l'avais espéré. C'était mieux que rien.
- Je croyais t'avoir prévenue, Yvana, répondit-il en s'avançant. Tu ne m'évites pas. Je ne l'accepterai pas.
Il avait une démarche de prédateur prêt à bondir sur sa proie. En l'occurrence, c'était moi, sa cible. Je me levai, appuyant mes mains sur le bureau pour me maintenir debout. Mes jambes s'étaient transformées en guimauve.
- Que je sache, je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi. Surtout quand tu me mens sans vergogne.
Il cilla, l'air déstabilisé, une nuance bleutée venant teinter ses iris sanglants.
- Tu pensais que je ne le saurais pas ? Que je ne chercherais pas à prendre des nouvelles de Louis ? Il ne t'a jamais envoyé de message pour que tu viennes me chercher ce matin ! Tu n'es qu'un ignoble menteur, Carter James. En plus de ça, comment as-tu fait pour savoir qu'il ne serait pas là ce matin, hein ? Tu m'espionnes ?
Ma colère montait en flèche ; son impuissance à réagir face à tout ce que je savais l'énervait : la suite risquait de s'annoncer difficile à vivre. Je ne pensais qu'à Sandie, cachée sous le bureau. J'avais envie de lui dire de se mettre les mains sur les oreilles mais je ne pouvais pas révéler à Carter qu'elle était là. Si ce qu'elle m'avait dit était vrai, il avait tué sa mère et il la tuerait pour l'avoir vu faire.
- De quoi est-ce que tu parles ? gronda-t-il.
- J'ai téléphoné à Lila ! Elle m'a dit qu'elle n'avait aucun message envoyé vers ton téléphone ! C'est ma meilleure amie et elle ne me mentirait jamais par rapport à ça ! Surtout pas après ce qui est arrivé à Louis !
Le rouge coula de nouveau dans ses prunelles, déborda en fines veines dans le blanc de ses yeux. Je dus me retenir pour ne pas reculer. Il me terrifiait.
Il s'avança, posant ses mains sur le bureau, approchant son visage du mien. Je tendis chacun de mes muscles pour ne pas bouger ou trembler. Il était hors de question que je sois faible face à lui.
Face à cette chose qui n'était pas Carter.
- Pourquoi est-ce que tu me compliques tellement la tache ? souffla-t-il.
- De quoi est-ce que tu parles ? répliquai-je. Louis est mon ami, il a été blessé ! Forcément que j'ai téléphoné pour avoir de ses nouvelles ! Et je ne vois pas ce que ça a à voir avec toi !
Son visage se déforma de colère et je n'eus pas le temps de reculer avant qu'il ne me saisisse les cheveux et me force à contourner le meuble. Je refermai mes mains autour des siennes, enfonçant mes ongles dans sa chair. Je gémis, tentant d'articuler assez pour lui ordonner de me lâcher.
- Il faut que tu comprennes, Yvana. Que tu te rappelles.
La voix de Carter avait changé. Elle était plus rocailleuse, plus grave et menaçante. Un hybride entre la voix de Carter et celle d'un démon de film d'horreur.
- Mais qu'est-ce qu'il te prend ?! criai-je lorsqu'il relâcha un peu sa prise, me permettant de le regarder. Tu es devenu fou ?!
- Ne me parle pas sur ce ton ! Tout est de ta faute !
- Mais de quoi est-ce que tu parles, bon Dieu ?!
Il libéra enfin sa prise sur mes cheveux et je pus reculer. Je titubai en arrière, me massant le crâne. Il m'avait fait sacrément mal. Je crus même sentir du sang là où il m'avait arraché des cheveux.
Je retirai ma main, la vie tâchée de rouge. Outrée et furieuse, je réagis sans même réfléchir.
Je le giflai de toutes mes forces.
Ma main fourmilla tant j'y avais mis de puissance. Le claquement de peau contre peau fit un bruit épouvantable. Je n'avais jamais giflé qui que ce soit. C'était la première fois et je détestai ça. Du plus profond de moi, je détestais cette gifle. De le frapper. Mais il ne m'avait pas laissé le choix.
Avec un soulagement incroyable, je vis le rouge disparaître de ses yeux. Ils virèrent au prune, au violet, au lilas avant que le magnifique bleu ne revienne, intact, pur. Je fus sûre, cette fois, que je faisais face à Carter.
Un air perdu marqua son visage alors qu'il regardait autour de lui. Je l'entendis murmurer un « qu'est-ce que je fais là ? » avant qu'il n'amène une main à sa joue.
- Aïe ! Pourquoi est-ce que ma joue me brûle autant ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Tu... Tu ne te souviens pas ?
Il secoua la tête. Il avait l'air absolument sérieux et sincère.
- Tu saignes ?
- Tu m'as arraché des cheveux, espèce de...
Je m'interrompis juste avant de dire une horreur. Je me souvins que Sandie était là, cachée sous le bureau. Je ne tenais pas à l'effrayer et encore moins à lui apprendre des gros mots.
- J'ai fait ça ? Et pourquoi ? Qu'est-ce que je suis censé avoir fait, cette fois ?
Il alla s'asseoir sur ma chaise et enfouit sa tête dans ses mains avec le plus long soupir que je n'ai jamais entendu. Je m'approchai, posai prudemment mes mains sur ses épaules, remontant dans ses cheveux. Il leva son regard vers moi, implorant.
Je lui racontai notre altercation. Il parut toujours plus abattu à chaque mot que je prononçais. J'avais l'impression de lui mettre des coups de massues sur le crâne.
- Je suis tellement désolé, Yvana... Je... Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Ces moments de vides ne cessent d'arriver, encore et encore. De plus en plus souvent et je ne sais pas comment les arrêter. Je ne sais pas ce qu'il se passe... Ce que je fais. Je n'arrive jamais à m'en souvenir.
Je ne sus que répondre. Surtout qu'il enroula ses bras autour de ma taille, blottissant son visage contre mon ventre. Je fus presque sûre qu'il pleurait. Je ne dis rien, me contentant de lui caresser les cheveux et de le laisser se calmer. Et de prier pour qu'il n'entende pas combien mon cœur était parti en vrille.
Je le laissai se calmer, inquiète à l'idée qu'il aperçoive Sandie. Je ne savais pas si le « méchant Carter » allait réapparaître à sa vue ou non et je ne tenais pas à prendre un tel risque.
Du bruit se fit entendre dans le couloir et je relevai la tête, tendant l'oreille. Quelqu'un venait. Carter se redressa, l'ayant perçu aussi. Il se leva, tentant de cacher ses yeux humides. Je tendis la main et essuyai l'unique larme qui venait de rouler sur sa joue.
Il se mit à me fixer avec une intensité difficile à endurer. Un muscle vibra sur sa mâchoire, comme s'il allait dire quelque chose mais hésitait, cherchait ses mots.
Le raclement de gorge qui résonna dans l'entrée me fit faire un bond en arrière, rouge tomate. Carter tourna lentement la tête vers la porte, l'air las et agacé. Mon cœur sauta un battement en voyant Holly appuyé contre l'encadrement, le regard polaire, un pli furieux sur les lèvres.
Il ne manquait plus que ça...
- Tes élèves t'attendent, Carter.
Je ne l'avais jamais entendue parler ainsi à son collègue. D'ordinaire, elle n'était que miel et douceur lorsqu'elle s'adressait à lui. Qu'elle se montre aussi dure et froide ne présageait rien de bon.
- J'arrive, répondit-il calmement.
Il se détourna, lui disant implicitement que sa présence n'était plus requise. Je me sentis encore plus gênée. Il frôlait l'impolitesse envers celle qui s'était entichée de lui depuis longtemps. Et elle le vivait mal. Très mal.
Et ça allait être sur moi qu'elle allait se venger, à n'en pas douter.
- Dépêche-toi, insista-t-elle, semblant croire qu'il allait la suivre sans attendre.
- Je t'ai dit que j'arrivais, Holly.
Il lui jeta un regard bref et courroucé. Elle partit dans un claquement de talons et un tourbillon de cheveux, telle une reine outragée. N'aurait-il pas pu la jouer plus subtilement au lieu de la mettre ainsi en colère ?
- Je suppose qu'il faut que j'y aille... soupira Carter, se passant une main dans les cheveux. On... On pourrait en parler tout à l'heure ? Je vais te ramener chez toi et... On pourra en parler ?
J'acquiesçai, troublée par sa soudaine fragilité. Il ne m'avait jamais paru être du genre à se montrer sous un tel jour face à quelqu'un.
Je m'écartai pour le laisser passer. Il se glissa entre moi et le bureau, s'arrêtant brusquement. Je l'observai, m'attendant à ce qu'il me dise ce qu'il avait retenu lorsque Holly avait débarqué.
Il déposa un bref baiser sur ma joue.
Mon cœur sauta plusieurs battements et je ne sus comment réagir.
- Merci, Yvana.
Je n'eus pas le temps de lui demander pourquoi il me remerciait qu'il était parti. Je me secouai, faisant sortir Sandie de sous le bureau.
- File vite en classe ! lui dis-je.
Elle partit en courant après un rapide câlin qui me prit au dépourvu. Je fermai la porte derrière elle, incapable de comprendre les dernières minutes. Entre le baiser inattendu de Carter et le câlin de la petite Sandie, je débordais d'émotions contradictoires.
Je me réinstallai à mon bureau et ouvris une page internet. Je tapai quelques mots dans la barre de recherche du navigateur.
Mort McWon Bloomingdale, Oregon
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