20.
Lila et Louis eurent peur. Pas pour la raison attendue. Plutôt parce qu'ils ne surent pas me réveiller une fois garés devant chez moi. J'avais tellement besoin de sommeil que j'avais dormi toute l'après-midi et toute la soirée dans leur voiture. J'étais endolorie de partout à mon réveil, courbaturée de tous les côtés.
- Il me semble qu'il y a beaucoup de choses que tu nous caches, Yvana London, gronda Louis, les bras croisés sur sa poitrine. Et je n'aime pas ça du tout.
Je me sentis honteuse. Je n'osai plus le regarder en face. Il savait que je leur cachais des choses. Je ne pouvais plus leur mentir. À moins de trouver le mensonge le plus élaboré au monde, ils verraient à travers sans aucun mal. Ils me connaissaient trop. Et ils seraient furieux que je tente encore de leur mentir.
J'avais besoin de mes amis. D'un peu de normalité. Au delà de ça, je ne voulais pas qu'ils se mêlent de cet enfer qui était le mien. Ils n'avaient pas à risquer quoi que ce fut pour m'aider. S'ils me croyaient. Et je doutais qu'ils le fassent. Mon histoire était complètement folle. Ils avaient beau être mes meilleurs amis, ils ne me croiraient jamais. Lila pourrait envisager l'hypothèse mais pas Louis. Lui ne croirait pas un traître mot de ce que je pourrais raconter.
- Qu'as-tu à nous dire, Yvana ? insista-t-il sèchement. Et ne prétends pas que tout va bien. Nous ne sommes pas idiots.
Ses yeux étincelaient, acérés. Non, le mensonge n'était pas une option. Il le détecterait aussitôt. Un coup d'œil vers Lila m'assura qu'il en allait de même pour elle.
- Je suis désolée. Sincèrement. Je voudrais pouvoir tout vous dire.
- Pourquoi ne pourrais-tu pas ? s'exclama Lila, outrée. Nous sommes tes amis, enfin !
- Je sais. C'est justement pour ça que je ne peux pas. Je ne veux pas vous mêler à ça.
- À quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe, Yvana ?
Je levai un regard surpris vers Louis. Cette voix douce, inquiète... C'était rare de voir ce côté de lui. Celui qui s'inquiétait, qui se posait des questions, qui se préoccupait de ses amis, de sa famille. La partie sensible qu'il enterrait sous son allure d'homme blasé et jaloux.
Il vint s'asseoir à côté de moi. Je posai ma tête contre son épaule et il passa son bras autour de moi. Je demeurai silencieuse. Je ne voulais pas leur dire.
- Quoi qu'il se passe, nous seront là pour toi, jura Lila, me regardant droit dans les yeux. Alors dis-nous ce qu'il t'arrive. Tu nous inquiètes. Déjà le fait que tu partes à l'improviste chez tes parents nous a paru étrange...
- Je voulais m'éloigner, avouai-je sans trop réfléchir.
- Pourquoi ? Tout le monde t'adore pour ce que j'en sais. Tu as encore du mal à t'intégrer ?
Je tentai de résister mais le désarroi de Louis me faisait faiblir. Je n'étais pas habituée à ce qu'il se préoccupe de moi ainsi. Il fallait admettre que, d'ordinaire, je n'étais pas celle qui pose problème. C'était plutôt le rôle de Lila.
- Non, loin de là. J'adore Bloomingdale. C'est... autre chose. C'est compliqué et je ne veux pas vous entraîner là-dedans.
- Tu n'as pas à nous protéger, Yvana, répliqua Lila, comme vexée. Tu peux nous parler. Je n'aime pas l'idée que tu tentes de te débrouiller toute seule alors que nous sommes là.
- Je ne suis pas toute seule.
- En plus ! Qui sait ?
Elle était vexée. En colère, aussi. Me faire gronder par ma mère me donnait le même arrière-goût amer dans la gorge.
- Carter. Jenna.
Un ange passa. Peut-être même deux.
- PARDON ?! crièrent-ils en chœur.
Je pinçai les lèvres, l'agacement prenant le pas sur la honte. Ils n'avaient pas à réagir comme ça. C'était excessif. Ils agissaient comme si je leur avais caché un secret énorme et qui les concernait en premier lieu. Or, ce n'était pas le cas. Que Carter et Jenna sachent ne les concernait pas !
Je me redressai, les fusillant du regard à mon tour.
- Jenna Ashton sait et tu refuses de nous le dire à nous ? continua de crier Lila.
- Oui. Exactement à cause de ce genre de réactions !
- Pourquoi elle ?
- Parce qu'elle comprend. Et elle me croit. Idem pour Carter.
Louis et sa petite amie échangèrent un long regard, semblant communiquer silencieusement. L'atmosphère dans la pièce changea lorsqu'ils comprirent ce que je taisais. Lui parut abasourdi, elle, effrayée. D'ordinaire, je me serais moquée de l'air de biche prise dans les phares qu'arborait Lila. Les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, l'air de s'être pris un mur en pleine face.
- J'ai du mal à croire que ce sujet revient, marmonna Louis.
- Et pourtant, il revient, cassai-je durement. Jenna n'est pas folle. Elle ne l'a jamais été. Ou alors Carter et moi le sommes aussi. Surtout moi.
- Je crois qu'il faut que je m'assois, là... murmura Lila en se laissant tomber dans un fauteuil.
Je cédai et leur racontai ce que je vivais depuis mon arrivée à Bloomingdale. L'air sceptique de Louis me blessa mais il se transforma vite pour ressembler à celui de sa petite amie : de la peur.
Ils ne dirent rien. Pendant et après mon récit. Ils avaient des difficultés à avaler ce que je venais de leur dire. Je voyais dans ses yeux que Louis avaient encore du mal à me croire. C'était blessant mais pas inattendu. Il ne croyait que ce qu'il voyait. Quand bien même cela venait-il de moi, son esprit cartésien prenait constamment le dessus.
Le silence perdura longuement. Je patientai, sachant que c'était dur à avaler pour eux. Je ne tressaillis même pas lorsque Louis se leva brusquement pour gagner la cuisine. Il revint avec un verre d'eau, l'air toujours de ne pas ycroire. Il me fixa ; j'attendis qu'il se mette à débiter tout ce qui lui passait par la tête.
- Je veux te croire, Yvana. Je veux vraiment te croire. Mais tu te rends compte de ce que tu me racontes ?! Je ne peux pas croire un truc pareil !
- Quel serait son intérêt à inventer une histoire comme celle-là ? répliqua Lila, pâle comme un linge. Moi, je la crois. Je savais que quelque chose clochait avec St John's mais je ne pensais pas que c'était à ce point. Tu aurais dû m'en parler plus tôt, Nana.
- Je suis désolée. Je me faisais déjà l'effet d'une folle alors je ne voulais voir que vous ne me croyiez pas.
Lila envoya un regard de reproche à son petit ami. Celui-ci, indécis, s'appuya contre le chambranle.
- Très bien. Je suis le seul à avoir du mal à croire à tout ça alors je vais passer la nuit ici. Je ne travaille pas demain matin donc ce n'est pas un problème. Je pourrais même t'emmener travailler. Et on verra ce qu'il se passe.
Je hochai la tête. C'était un soulagement qu'il me donne une chance de lui prouver qu'il se passait bien quelque chose chez moi. Je m'étais attendue à ce qu'il refuse tout en bloc, buté comme il était parfois. M'avoir vue dormir pendant une demie-journée devait l'avoir suffisamment chamboulé pour ouvrir une brèche.
- D'accord, dis-je, soulagée.
L'idée de ne pas être seule chez moi ne chassait nullement l'angoisse de la nuit à venir. Louis ne pourrait rien pour moi si les phénomènes recommençaient. Il serait aussi impuissant que je l'étais et nous ne pourrions que fuir.
- Je vais ramener Lila à la maison, prendre de quoi me changer et je reviens après dîner, d'accord ?
J'acquiesçai sans rien dire. Mes deux amis se levèrent et partirent, n'attendant même pas que je réagisse. Plutôt que de m'angoisser à réfléchir, je m'occupai de mon linge sale. J'allais commencer ma séance de ménage lorsque l'on frappa à la porte.
Surprise, je m'arrêtai et allai ouvrir. Je cillai, surprise de trouver Carter sur mon seuil. J'avais totalement oublié qu'il était censé venir dîner. Avec Louis qui allait passer la nuit ici, ça devenait compliqué. Comment lui expliquer sans le vexer ?
- Tu as l'air étonnée de me voir, sourit-il en entrant. Mais tu as l'air d'aller mieux.
- J'ai dormi dans la voiture de Louis et Lila. Je me suis réveillée il y a à peine trois quarts d'heure.
- Ah oui, quand même ! Tu n'as pas eu de cauchemars ?
Je secouai la tête.
- Pas cette fois. Je devais être trop fatiguée. Tout ce que je sais, c'est que j'ai enfin pu dormir. Le reste ne m'intéresse pas tant que ça.
Je le regardai s'asseoir sur la banquette de la cuisine alors que je posais un verre d'eau devant lui. Il y avait un détail infime dans sa façon de se tenir et de parler qui avait changé et qui me perturbait. Je me sentis mal à l'aise.
- Tu as parlé avec Jenna, finalement ?
Je lui fis un rapide résumé de ce qu'elle m'avait dit. Un éclat rougeoyant luisit dans son regard. Comme hier avec le visage de Lila, je devais avoir halluciné. Forcément. Il ne pouvait en aller autrement. Je n'étais plus aussi fatiguée qu'avant, pourtant. Alors pourquoi avais-je encore des illusions d'optique ?
- Et toi ? Tu as fait des recherches ?
- Je n'ai pas trouvé grand-chose, répondit-il. J'ai demandé à ma mère pour voir si elle pouvait retrouver le carnet de prédictions de mon arrière-grand-mère. Il doit être quelque part dans les vieux cartons. Si tant est qu'il n'ait pas été perdu. Comme personne ne la croyait, ça ne m'étonnerait pas que le carnet ait été jeté.
Je ne répondis rien, regardant l'eau bouillir dans ma bouilloire. Ses mots me perturbaient. Me déplaisaient. Je n'aimais pas ça du tout. Il y avait plus que ce qu'il ne me disait. Je le sentais. Il y avait un tout petit détail qui me chiffonnait et me faisait douter de ce qu'il me racontait.
- Par contre, j'ai obtenu des infos sur St John's. J'ai pu tracer tous les propriétaires jusqu'aux premiers, ceux qui ont fait construire le manoir. Je n'ai pas encore su remonter plus loin.
- Je pourrais voir ?
- Bien sûr. Je t'amènerai tous les papiers demain. Tu pourras y regarder dans le bureau.
- Merci, Carter.
Nouveau rougeoiement dans son regard. Je m'appuyai contre le comptoir, jetant un rapide coup d'œil vers l'horloge. Louis ne devrait plus tarder à revenir. Carter me mettait mal à l'aise et pas de la bonne façon. Pas comme d'habitude où ça tenait plus du trouble que du malaise.
Il se leva, me faisant tressaillir. Je le regardai me rejoindre, mettre son verre dans l'évier. Il s'appuya à côté de moi, son bras effleurant le mien, chaud et fort.
- Tu es sûre de te sentir mieux ? Tu as toujours l'air très pâle.
- Je commence à avoir faim, mentis-je. Et la nuit à venir me fait un peu peur. D'ailleurs, je devrais me mettre à préparer le dîner.
Carter mit la main à la pâte volontiers, plus normal. J'étais folle. Il n'y avait pas d'autre mot. Je commençais à imaginer des choses, à me mettre la pression pour rien. Il fallait que je me calme et que je relativise. Et, surtout, que je cesse d'avoir peur de mon ombre et de mes amis.
Carter et moi dînâmes dans l'atmosphère cosy de ma cuisine. Nous n'abordâmes plus le sujet des phénomènes. Nous parlâmes de beaucoup de choses sauf de cela. Ce n'était que mieux. Il me fit rire, me détendit, me fit penser à autre chose. Pendant un moment, ce fut comme si tout n'avait été qu'un affreux cauchemar et que je me réveillais enfin. Que je voyais la lumière au bout du tunnel.
Une fois le repas terminé, nous demeurâmes dans la cuisine à discuter et à faire la vaisselle. C'était agréable, léger. J'appréciai ce moment à sa juste valeur. Je savais qu'il se passerait longtemps avant que je n'en ai un second comme ça.
Puis, vint le moment pour Carter de repartir. J'étais soulagée à l'idée qu'il parte avant que Louis n'arrive. Je ne tenais pas à avoir à expliquer ce que mon collègue faisait encore chez moi à une telle heure.
Sur le perron, emmitouflée dans un épais gilet en laine, je lui fis face, étrangement embarrassée. Il avait ce petit sourire en coin qui me troublait toujours.
- On se voit demain ?
Je hochai la tête, tentant de retrouver ma voix.
- Tu veux que je passe te prendre ?
- Ce n'est pas nécessaire. Louis va me conduire.
- Louis ? Il ne travaille pas ?
- Pas demain matin. Et comme il passe la nuit ici, il a décidé de me conduire.
Ses sourcils se froncèrent, un pli mécontent tordant sa bouche.
- Pourquoi est-ce qu'il passe la nuit chez toi ?
Je l'observai, agacée par sa réaction. Il réagissait bizarrement, avec une colère qu'il ne devrait pas manifester.
Je haussai les épaules. Par bonheur, je n'eus pas à répondre puisque Louis se garait dans mon allée. Il claqua sa portière, son sac sur l'épaule.
- Tiens, Carter ! Tu es venu prendre des nouvelles d'Yvi ?
Ça faisait bien longtemps que Louis n'avait pas utilisé ce surnom. Je l'avais toujours détesté. Qu'il s'en serve criait qu'il se posait en grand frère protecteur face à Carter. Je ne comprenais pas pourquoi puisque c'était lui qui m'avait dit de sortir avec son ami. Ce que je ne faisais même pas !
- Je voulais voir si elle avait su se reposer, éluda le concerné.
Je fus certaine de voir ses yeux rougeoyer de plus belle alors qu'il fixait Louis. Il s'excusa et rejoignit sa voiture. Il fit un bref signe de la main, raide. Mon meilleur ami passa son bras autour de mes épaules et me ramena à l'intérieur alors que Carter s'engageait sur la route.
- Je ne poserai pas de questions, ne t'en fais pas, embraya-t-il directement. Mais je garde à l'esprit que, à peine es-tu rentrée chez toi, qu'il est là.
Je lui donnai un coup dans l'épaule, le faisant éclater de rire. Je l'emmenai dans la chambre d'amis et il s'installa. Je l'abandonnai pour rejoindre ma chambre et me coucher. Mon angoisse revint comme un boomerang, me frappant de plein fouet.
Je pris un livre et me glissai entre les couvertures. Je n'étais pas près de dormir...
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