2.
Le weekend passa rapidement. Je le passai entassée dans mes affaires. Le salon était jonché de papier bulle, de journaux et de cartons vides qu'il allait falloir que je jette. Ma poubelle ne serait jamais assez grande.
Le dimanche soir, j'étais épuisée. Complètement lessivée. En deux jours, j'avais récuré, aéré et arrangé toute la maison. J'étais certaine d'être endolorie de partout le lendemain. Ce premier lundi dans mon nouveau chez moi risquait d'être... difficile.
En me réveillant, je sentis chaque muscle de mon corps se réveiller et me rappeler combien je les avais sollicités. Je parvins à peine à me traîner jusque sous la douche. L'eau chaude les détendit quelque peu mais pas assez pour que je passe ma journée autrement que devant la télé.
Le mardi, je fus tout aussi peu productive.
Le mercredi, je me décidai à enfin mettre le nez dehors. Il faisait plutôt beau bien qu'un peu frais. Rien qui ne m'empêcha de sortir mon vélo de la petite remise que j'avais trouvée dans la cour au milieu d'une végétation trop dense à mon goût.
Encore du travail en perspective... Quand je regardais par la fenêtre, tout ce que je voyais, c'était du travail et toujours plus de travail.
Je me souvenais à peu près de la route empruntée par Lila pour gagner le cœur de la ville, là où elle habitait. Bien malgré moi, je dus admettre que rouler au cœur de la nature comme ça... Entourée des feuilles aux couleurs automnales... C'était vraiment magnifique et rafraîchissant.
Je n'étais pas habituée à une nature aussi pure, aussi puissante. Envahissante. Je ne connaissais que le bitume et les arbres enfermés dans leur cage de bois. C'était un changement bienvenu. Un tel bol d'air frais ne pourrait assurément pas me faire de mal. Mes poumons allaient enfin respirer un air sain.
Je pris mon temps pour gagner la ville, errant tranquillement, apprivoisant mon nouvel environnement. Pour une fois, j'appréciai de me balader à vélo. Je ne le sortirai plus que pour battre le trafic. Je comptais bien profiter du cadre et de la fraîcheur de l'air pour passer le temps et m'aérer l'esprit.
Je finis par arriver en ville. Elle était petite et loin de ce que je connaissais. Contrairement à ce à quoi je m'étais attendue, ce n'était pas aussi rustique que mon petit cottage. Les extérieurs étaient presque similaires à ceux de Portland si ce n'était pour une atmosphère plus légère, plus cordiale. On était loin de la grande Portland, froide et fermée.
Ici, c'était facile de me repérer et de trouver tout ce dont j'avais besoin. Je n'avais pas besoin de faire des kilomètres entre deux magasins pour trouver ce dont j'avais besoin. Tout ou presque était réuni dans le centre et les maisons s'éparpillaient tout autour. Un plan on ne peut plus simple à retenir.
Je descendis de mon vélo à l'entrée du centre-ville pour terminer ma visite à pied. Je pus dénicher une librairie, une épicerie, quelques autres petites boutiques qui me donnèrent envie de revenir.
À l'heure du déjeuner, je m'installai dans un petit restaurant en espérant qu'ils fassent des repas végétariens. Cela faisait des années que je ne mangeais plus de viande. Mes parents et ma colocataire avaient pensé que mes problèmes provenaient de mes préférences alimentaires avant que mon médecin ne leur donne tort. J'avais quitté Portland sur une dispute avec eux qui me laissait isolée et affreusement seule.
J'espérais que, aussi petit que soit le village, ils ne servent pas de viande dans tous leurs plats. Je doutais que ça soit le cas, néanmoins. Déjà dans les grandes villes, c'était difficile de trouver quoique ce fut de végétarien...
- Bonjour ! chantonna la serveuse lorsque j'entrai. Oh, vous êtes nouvelle ici ?
- En effet, souris-je. J'ai emménagé il y a quelques jours.
- Je suis ravie de vous rencontrer ! C'est quoi, votre petit nom ?
- Yvana. Je m'appelle Yvana.
- Quel joli prénom ! Très exotique.
- Merci.
- Je suis Mona. On peut se tutoyer, non ? Je n'ai pas l'habitude de vouvoyer les clients.
- B-Bien sûr, répondis-je, prise au dépourvu.
Alors celle-là, je ne l'avais pas vue venir... C'était presque trop cordial pour moi, d'un coup. J'étais habituée à la distance établie entre serveurs et clients. À Bloomingdale, toutes les barrières avaient été abolies, visiblement...
Mona sourit, visiblement ravie. Ses yeux verts se plissèrent, la rajeunissant de façon incroyable. Elle devait avoir une dizaine d'années de plus que moi mais elle y paraissait à peine avec sa peau claire et ses cheveux blonds comme les blés. Même ses poignées d'amour marquées par son jean paraissaient adorables tant sa vivacité et sa joie de vivre transpiraient de tout son corps.
Ce côté enjoué me rappelait Lila. Si les deux ne se ressemblaient pas physiquement, mon amie étant plus excentrique, elles avaient toutes les deux la même attitude envers la vie. Elles étaient de ces personnes capables de toujours voir le bon côté des choses.
Mona me donna la carte du restaurant avant de m'amener une carafe d'eau sans que j'aie à demander. Je n'étais pas habituée à ce genre de traitement de faveur. Dans aucun des restaurants où j'avais déjà été, on ne m'avait jamais amené de carafe d'eau de façon aussi... naturelle.
À croire que c'était le maître-mot qui régnait à Bloomingdale.
Je fouillai le menu à la recherche d'un plat végétarien mais je netrouvai rien à part les salades que l'on pouvait trouver en entrée. Et ça m'ennuyait assez. Comme toujours, j'étais exclue de la norme. Parfois, le végétarisme était un choix difficile à tenir.
- Tu as choisi ?
- En fait... Je suis végétarienne et... Il n'y a rien de végétarien dans le menu.
Mona parut surprise. Comme je le pensais, elle ne devait pas avoir vu beaucoup de végétariens. La viande devait être une habitude à chaque repas ou presque. Comme pour la plupart des habitants de cette planète.
- Tu ne manges aucune viande ? Même pas de poisson ?
Je secouai la tête, mal à l'aise.
- Absolument aucune.
À son regard, je vis qu'elle se retenait de poser des questions. Elle devait se demander ce qui pouvait pousser quelqu'un à bannir totalement la viande de son régime. Elle se retint cependant, s'entenant à ce qui demeurait de la barrière entre serveurs et clients.
- Je vais demander au chef si c'est possible de te faire une salade, dit-elle après un temps de réflexion. Ça t'irait ?
- Oui, sans problème.
Elle parut soulagée et elle repartit en oubliant de reprendre la carte. Elle n'allait plus m'apprécier très longtemps à ce rythme. Comme ma colocataire qui avait cessé de m'inviter à venir au restaurant avec elle et quelques amis que nous avions en commun.
J'étais celle qui ne pouvait pas manger comme tout le monde, qui ne pouvait pas aller au KFC ou au McDonald's, ses endroits favoris. Je m'y étais faite, quelque part. C'était toujours blessant, certes. Au demeurant, j'avais pris l'habitude.
Nonobstant, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi mal à l'aise à propos de mes choix alimentaires. En ville, il était possible de trouver des restaurants entièrement végétariens ou avec des menus spécifiques.
Par contre, ici, j'allais être le phénomène de foire. La bizarre de service qui ne mangeait pas de viande. Je doutais de manger souvent hors de chez moi. Je n'avais vraiment pas envie de subir le regard scrutateur des autochtones. Pourtant, le cadre était magnifique. C'était vraiment agaçant.
Je me retins de regarder autour de moi pour voir si j'étais vraiment la bête de foire du restaurant. D'un côté, je voulais savoir à quoi m'en tenir mais de l'autre, je n'avais vraiment pas envie de me sentir plus mal à l'aise que je ne l'étais déjà.
J'étais certaine de pouvoir me sentir bien dans cette petite ville. C'était différent de ce que je connaissais depuis mon enfance mais c'était agréable. Le cadre bucolique, le côté très cordial et familial des gens...
Toutefois, si les choses ne changeaient pas, je ne reviendrais probablement pas. Le minimum était de ne pas mettre le client mal à l'aise et c'était ce qu'ils faisaient. Je ne savais vraiment pas comment réagir à tout ça. Ils ignoraient tout de mon passé, de mes raisons. Le végétarisme était peu fréquent. Malgré tout, ils devraient s'adapter au client sans broncher. Ils faisaient bien de même pour les allergies banales de certains clients, pourquoi ne pourraient-ils pas faire de même pour mes restrictions ?
Mona finit par revenir avec le même sourire que lorsqu'elle m'avait accueillie. Elle semblait bien plus détendue. La voir ainsi me relaxa aussi. Elle récupéra le menu qu'elle avait oublié auparavant.
- Le chef va te préparer une salade en guise de plat. Tu veux quelque chose à boire en attendant ?
- Non, c'est bon avec l'eau. Merci.
Elle sourit et partit servir d'autres clients.
Je regardai le décor du restaurant. Les murs en crépis blanc complimentaient à merveille les boiseries plus foncées laissées apparentes. Des plantes vertes étaient placées à des endroits stratégiques et amenaient des touches de couleurs bienvenues. C'était chaleureux, à la fois rustique et branché avec les lumières qui pendaient du haut plafond et les aquarelles colorées et romantiques accrochées à quelques murs.
Mona ne tarda pas à revenir avec ma salade. Le chef n'avait pas lésiné sur les quantités. Croyait-il qu'une salade de taille normale ne suffirait pas à me rassasier ?
Je ne pus m'empêcher de noter la différence entre ce restaurant et ceux que j'avais fréquenté. Ici, on cherchait réellement le bonheur du client, à le fidéliser et à le satisfaire. On ne voulait pas qu'il reparte le ventre à moitié plein.
En vérité, j'étais si bien dans cet endroit que, pour une fois, je pris un dessert. Je n'avais pas pour habitude d'en prendre, étant plutôt frugale. Mon appétit était bien plus réduit que lorsque je mangeais encore de la viande, poussée par l'environnement parental.
En l'instant, je n'avais simplement pas envie de partir. L'atmosphère du restaurant me plaisait et leur choix de desserts mettait l'eau à la bouche.
Je récupérai mon vélo en sortant finalement du restaurant et je fis un tour en ville sans me presser. J'achetai quelques fruits et légumes à la maraîchère, une femme imposante au visage fermé malgré tout assez sympathique. Elle m'offrit même quelques pommes en guise de cadeau de bienvenue en ville.
Je tentai de refuser mais elle insista au point où je me sentis presque mal polie à essayer de refuser. C'était un sentiment vraiment étrange auquel je n'étais pas habituée. Déjà qu'aucun commerçant ne m'avait jamais rien offert par pure gentillesse...
La fin de l'après-midi arriva et je me décidai enfin à rentrer. Il faisait plus frais et le vent s'était levé. Les arbres laissaient tomber leurs feuilles aux couleurs mordorées tout autour de moi.
Je me sentais... vraiment bien. Vraiment très, très bien. Mon esprit était apaisé, je rêvassais tout en pédalant sur les routes sinueuses qui me ramenaient chez moi.
J'allais adorer venir en ville à vélo. Je ne regrettais vraiment pas de ne jamais avoir appris à conduire et, par conséquent, de ne pas avoir de voiture. Oh, ça, non. C'était parfait comme ça.
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