18.
Une étincelle dansait devant mes yeux. Pas comme un grain de poussière qui serait tombé du plafond. Plutôt comme un moustique qui virevolterait devant moi, cherchant une ouverture pour frapper et venir me pomper le sang.
Je fronçai les sourcils, perplexe. Il faisait nuit noire. Si c'était un moustique, je n'aurais pas pu le voir. Je l'aurais entendu mais je ne l'aurais pas vu. Et pourtant, la petite boule dorée était bien là, mouvante, brillante. Je n'osais pas tendre la main.
Je rêvai, je le savais. Si je touchais cette étincelle, qu'est-ce qui allait arriver ? Rien de bon, pour sûr. Je préférais m'en éloigner mais je n'y voyais rien. Et n'importe quoi pouvait se cacher dans une telle noirceur.
L'étincelle commença à grossir. Je fis un pas en arrière. Mon talon s'appuya sur ce qui me parut être un rebord. De plancher ou autre, je l'ignorais. Mais après, c'était le vide.
Je fis glisser mon pied le long du bord, cherchant une échappatoire. Peut-être étais-je en haut d'un escalier. Si c'était le cas, je pouvais peut-être fuir. Toutefois, je n'étais pas encore prête à tenter ma chance.
L'étincelle continua de grossir. Elle s'allongea, tirant vers le bas. Autour d'elle, une forme d'aura pulsant doucement, tentant de lutter contre les ténèbres qui voulaient l'éteindre.
Fuis. Ce n'est pas moi.
La voix me parut familière. Je ne parvins pas à me souvenir exactement à qui elle appartenait mais je la connaissais.
Malgré tout, je ne pris pas le temps de réfléchir plus longtemps. La voix se remit à parler.
Fuis. Protège-toi !
L'aura lumineuse de l'étincelle se fendit, blessée par des filaments de ténèbres épaisses.
FUIS !
Le son de la voix était déformé, trop fort. Il me vrilla les tympans au point que je compris à peine.
L'étincelle explosa brusquement, un cri retentissant dans les méandres de l'endroit où j'étais. Ma rétine brûla, je criai, basculai en arrière.
Dans le vide.
Je me réveillai en sursaut dans mon lit, entortillée dans mes draps, trempée de sueur. J'avais mal aux yeux. Une faible lueur traversait les rideaux, déjà trop intense pour pour moi. Je serrai les paupières, plaquant mes poignets sur mes yeux pour les protéger.
C'était atroce, cette douleur. J'allais devenir aveugle. À cause d'un rêve. C'était impossible. Je ne pouvais pas devenir aveugle. Pas comme ça, pas maintenant. Je refusais cette idée.
Je rouvris une paupière, testant la photosensibilité de ma rétine. La douleur fut intolérable. J'enfouis mon visage dans mon oreiller, la panique me nouant la gorge. Il leur fallait juste le temps de se remettre. Je n'allais pas être aveugle. Mes yeux allaient se remettre. Il ne pouvait en aller autrement.
Un bruit léger résonna dans la pièce. Je me raidis dans mon lit, tendant l'oreille. Une drôle d'odeur monta du sol. Un mélange de pot pourri et de moisi. De fruits pourris abandonnés dans l'humidité. J'eus un haut-le-cœur tant elle était forte, écœurante.
Et je compris.
Je n'étais toujours pas réveillée. Je rêvais encore. Mais, cette fois, la terreur était de mise. Je savais ce qui allait arriver. Ça allait débarquer. Et, cette nuit, ça allait m'attraper.
Je relevai la tête, gardant les yeux fermés par sécurité. Je ne tenais pas à être paralysée par la douleur s'ils étaient toujours photosensibles. Chaque seconde me serait nécessaire pour parvenir à lui échapper. Si j'y parvenais. Or, il n'y avait rien de moins sûr.
Je me redressai dans mon lit, le grincement du sommier résonnant dans la pièce d'une façon si sinistre que je frémis. Chaque bruit me mettait les nerfs en pelote. J'étais bien trop stressée. Il fallait que ça s'arrête...
Je poussai un cri lorsque le matelas céda sous moi. Je m'enfonçai dans ce qui parut être de l'eau glacée. Elle tourbillonnait autour de moi, tentant de m'étouffer. J'eus beau me débattre, rien n'y fit. Je continuais de couler, de me noyer. Je ne survivrais pas à ce cauchemar.
J'échouai les fesses dans la boue. Je levai le regard vers le haut et me retrouvai devant un ciel bleu dépourvu de nuages. Malgré le soleil, mes yeux ne me firent pas mal. Ils semblaient s'être remis pendant ma noyade. Un bon point. L'idée de finir aveugle était aussi effrayante que celle de me faire attraper par ça.
Je me relevai, mes mains s'enfonçant dans la boue à l'odeur nauséabonde. Je manquai de vomir. Préférant ne pas m'occuper plus longtemps de ce qui me dégoûtait, je regardai autour de moi. J'étais sur une petite colline fouettée par un vent frais. Les rares arbres que j'apercevais chantonnaient dans la brise d'été. C'était un très joli paysage. Paisible.
Comment étais-je arrivée ici ? D'ailleurs, c'était où, ici ? Je n'avais aucune idée de l'endroit où j'avais atterri. Ce n'était pas un lieu que je connaissais.
Un bruit étrange se fit entendre depuis le haut de la colline. Une cavalcade. Un cavalier dévalait la pente, les sabots de sa monture martelant le sol si puissamment que je sentis la terre vibrer sous mes pieds.
Il s'arrêta sous un arbre et descendit de cheval. Sans savoir pourquoi, j'étais certaine qu'il regardait droit vers moi. Je tressaillis lorsqu'une silhouette passa à côté de moi sur l'étroit sentier formé par un passage irrégulier. Une jeune femme au visage frais et coloré, vêtue d'une robe bleue aux lourds jupons tâchés de boue, définitivement victorienne. Un corset noir enserrait sa taille sculpturale, le satin luisait sous le soleil.
Elle jeta un regard anxieux en arrière, comme si elle fuyait quelqu'un. Le cavalier alla à sa rencontre et ils se tendirent mutuellement les mains quand ils furent suffisamment proches. Des amants, assurément. Curieuse, je m'approchai assez pour les entendre parler.
- ... aller, disait l'homme. J'ai tout prévu pour vous, ma chère. Le bateau nous attend au port. Nous pouvons y être dans deux heures si nous partons maintenant.
- C'est trop risqué, objecta la femme en s'agrippant à ses mains. Il sait. Il est sur mes traces. Il va nous rattraper. Il va vous tuer ! Vous devez fuir, mon amour. Tout de suite !
- Pas sans vous ! Jamais. Vous me l'avez promis. Vous m'avez promis de partir avec moi sur le Continent !
- Je ne puis. Vous devez partir sans moi. Je vais retenir Lord Henry. Vous, fuyez !
Un concert de hennissements stridents et d'aboiements furieux se fit entendre, porté par le vent. Nous regardâmes tous les trois en arrière, nous attendant à voir débarquer tout un régiment.
- Fuyez, mon amour ! Fuyez maintenant !
- Pas sans vous ! Venez avec moi, Elizabeth ! Nous pouvons réussir ! Je vous en conjure, ma chère. Je préfère mourir que de partir sans vous !
Elizabeth hésita, son beau visage transfiguré par l'angoisse, le dilemme. Elle regarda l'homme qu'elle aimait, l'autre côté de la colline. Il pressa ses mains, ramenant son attention vers lui.
- Fuyons ensemble, ma chérie. Comme nous en rêvons depuis des mois. C'est notre seule chance de survie et vous le savez.
Les beaux yeux verts d'Elizabeth s'emplirent de larmes alors qu'elle hochait la tête.
- Essayons. Nous n'avons plus rien à perdre.
Aussitôt, l'homme la fit monter à cheval et il se hissa derrière elle. Le sang quitta le visage d'Elizabeth lorsqu'elle regarda derrière moi. Je me retournai. Un homme monté sur un cheval immense, nerveux, noir comme l'encre tenait un long pistolet usé. Une armée de chiens courait autour des jambes du cheval, haletant, bavant, aboyant.
Les deux amants décampèrent. Celui qui les traquait fit feu. Le projectile heurta l'épaule du cavalier. Elizabeth hurla d'effroi. Je vis le sang couler de la plaie, imbiber la tenue de cavalier onéreuse. L'homme au pistolet tira une seconde fois. Le cheval des amants se cabra, les renversant tous les deux.
Je courus vers eux. Elizabeth était dans les bras de son aimé, pleurant à chaudes larmes. Elle passa quelque chose autour de son cou, un filet de sang coulant d'entre ses lèvres de l'homme s'accrochant au pendentif.
- Nous nous retrouverons, mon chéri. Cette vie n'est que notre première. Je vous retrouverai dans la suivante.
- Oh, mon amour, souffla l'homme, sa voix n'étant plus qu'un souffle inaudible.
Le cavalier s'éteignit dans ses bras et je vis une flamme dangereuse dans les yeux de la jeune femme. Le second homme s'approcha et la saisit par le bras, la forçant à se lever.
- Espèce de traînée ! hurla-t-il. Je t'avais pourtant prévenue ! Voilà ce qui arrive quand tu n'en fais qu'à ta tête !
Il la traîna avec lui jusqu'à son cheval dont les naseaux fumaient. Je croisai le regard de l'animal et je fus certaine que ses iris étaient d'un rouge luisant démoniaque.
Et surtout, il me voyait.
Il hennit, semblant rire de mon malaise, de la peur qui me tourmentait. Je fis un pas en arrière, tremblante. Le cheval piétina, hennit de plus belle.
L'homme remonta en selle, maintenant Elizabeth en travers du garrot de sa monture, continuant de l'invectiver de toutes les façons les plus crues de l'époque. Le cheval me jeta un dernier regard avant de se détourner et de dévaler la colline au galop.
Je sursautai en attendant un léger bruissement dans mon dos. Une main effleura le bas de mes reins. Je fis un bond en pivotant sur moi-même. Les mots ne me parvinrent pas immédiatement. Un sourire malsain fut tout ce que je vis.
Je me réveillai en hurlant.
Nos âmes sont liées, ma chérie...
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