15.

Je regardai autour de moi. La pièce était vaguement familière. Je ne parvenais pas à la resituer mais je savais que j'y étais déjà entrée auparavant. Le seul problème était que je ne savais pas dire où j'étais.

Il faisait sombre. Très sombre. Les ombres étaient omniprésentes, inquiétantes, mouvantes. Elles se rapprochaient. Elles étaient partout.

J'avais froid. Mon pyjama ne parvenait nullement à parer les vagues de fraîcheur polaire qui venaient se heurter à moi. Je m'enroulai dans mes bras, cherchant la sortie. Je ne voulais pas rester là. Je ne devais pas rester là.

J'avançai au hasard. Je finirai bien par trouver un mur. Et s'il y avait un mur, je finirai par trouver une porte.

Je heurtai quelque chose. Au bruit que cela fit, c'était une étagère en métal. Lourde ou chargée. Je tendis les mains pour en sentir les contours et avancer. Je faillis tomber en avant lorsque l'étagère se termina alors qu'il n'y avait pas de mur derrière.

Je plissai les yeux. Il y avait de la lumière. Un fin rayon, à peine discernable dans l'obscurité. Les mains tendues en avant, j'avançai vers la petite lueur, espérant trouver la sortie. Ou au moins un moyen de m'éclairer.

Je percutai quelque chose. Un échafaudage de cartons. Ils se renversèrent sur le plancher dans un grondement assourdissant. Je me figeai, soudain glacée.

C'était derrière moi. Ça respirait. Dans ma nuque.

Je déglutis, tremblante. Devant moi, il y avait cette lumière. J'ignorais ce que c'était, si ça pouvait m'aider à sortir d'ici ou non. Derrière moi, il y avait ça. Reculer n'était pas envisageable.

Tu es à moi...

Des larmes brûlantes coulèrent sur mes joues, gelant le long de ma mâchoire. J'étouffai un cri dans ma main lorsque des doigts glissèrent sur mes épaules. Ça voulait que j'avance.

À moi...

Je fermai les yeux alors que ça me poussait en avant. Un pas, deux pas... Tout droit vers la source de lumière. Soudain, elle me paraissait menaçante, loin de la promesse d'une sortie que j'avais formé autour d'elle.

À mesure que je m'approchai, je commençais à distinguer les formes acérées, toutes en angles. L'image était encore gravée dans ma mémoire aussi n'eus-je aucun mal à savoir à quoi je faisais face.

La maquette de St John's.

J'étais dans le grenier de l'école.

C'était clair soudain. Les étagères, les boîtes en cartons... Je comprenais soudain la sensation de familiarité que j'avais eue en découvrant la pièce.

Que faisais-je ici ? Pourquoi ça m'avait-il amenée ici ? Que me voulait-il ? Et surtout, quel rapport la maquette avait-elle à voir avec tout ça ?

Ça me poussa plus violemment, me faisant tituber en avant sur quelques mètres. Je me rattrapai à la table sur laquelle était posée la réplique de St John's. La lueur provenait de l'intérieur. Elle passait par l'une des petites fenêtres en plastique.

Je me penchai, saisissant l'occasion pour essayer de distinguer quelque chose derrière moi. Sans rien voir puisqu'il n'y avait que du noir.

Dans la maquette par contre, c'était une autre histoire. Une bougie miniature était allumée, sa flamme vacillait, réelle. Je sursautai, mon cri résonnant dans le grenier vide, lorsqu'une vraie bougie s'alluma derrière moi, créant encore plus d'ombres, dévoilant très peu de la pièce.

M'appartiens...

Je ramenai mon regard vers la maquette. Je fronçais les sourcils en voyant quelque chose posé sur le porche. Un petit bout de bois.

Un grondement résonna dans tout le grenier, faisant vibrer le plancher sous mes pieds. Je criai, bondissant en arrière. La flamme de la bougie grandit, mettant le feu à un cercle tout autour.

Je bondis vers les escaliers, ne tenant pas tellement à brûler vive. Je percutai quelque chose, fus repoussée violemment en arrière. Je percutai une étagère et m'effondrai au sol, sonnée.


- Yvana !! YVANA !

Je tombai de mon lit. Ma mère et mon père m'aidèrent à me relever, repoussant mes cheveux hors de mon visage, essuyant la sueur sur mon visage.

- Ça va ? Tu te sens bien ?

La voix de ma mère était paniquée. Elle cherchait mon regard de façon frénétique.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? marmonnai-je, repoussant ses mains, tentant d'avoir un peu d'air.

Mon père attira ma mère en arrière, me laissant me redresser pour m'asseoir sur le lit.

- Tu criais dans ton sommeil, répondit-il. Tu te débattais. Tu nous as fait vraiment peur, Yvie !

- Désolée... J'ai fait un cauchemar. Ce n'est rien. Vous pouvez retourner coucher.

- Tu es sûre ? Tu as ton inhalateur, au cas où ?

- Oui, maman. Il est sur la table de chevet, comme toujours. Mais ça va, je vous assure. Allez coucher. C'était juste un cauchemar.

Ils ne parurent pas totalement convaincus mais finirent par repartir. Je soupirai, me prenant le visage dans les mains.

Ça avait recommencé. Encore plus intense et violent que lorsque j'étais chez moi. Ça était furieux. C'était facile à comprendre. Jamais encore un cauchemar n'avait été si puissant.

Lorsque je me redressai, je grimaçai. Une douleur lancinante pulsait dans tout mon dos. Je me traînai jusqu'à la salle de bains, terrifiée, devinant très bien ce que j'allais découvrir dans le miroir.

Et j'avais raison. Un vaste hématome s'étalait sur le haut de mon dos, descendant sur mes omoplates. Il était encore à peine visible mais au lever du soleil, il serait de ce violet-noir détestable.

Ça ne pouvait pas être réel. Ça ne pouvait pas. C'était impossible. C'était un cauchemar. Un rêve terrifiant, certes, mais ça restait du domaine de l'inconscient ! Or, là, j'étais à deux doigts de croire que j'avais été téléportée dans le grenier de St John's.

J'essuyai mes joues, refusant de pleurer comme une enfant. Je n'étais plus une enfant. Cette situation était terrifiante mais je ne pouvais pas craquer aussi facilement.

Je retournai dans ma chambre pour récupérer mes cachets dans mon sac. J'en pris un avant de sortir mon téléphone portable. Je l'utilisais rarement même si je l'avais toujours sur moi. Je ne savais jamais lorsque j'allais avoir une crise et si je n'avais pas mes cachets, mieux valait que j'aie mon téléphone pour appeler Lila. Même si je ne disais rien, elle comprendrait ce qu'il se passait et viendrait me sortir du pétrin.

Toutefois, ce n'était pas Lila que je comptais appeler. Je ne pouvais pas lui parler de ce qu'il m'arrivait. Qu'elle reste dans l'ignorance n'était pas plus mal. Soit elle me prendrait pour une folle, si elle savait, soit elle y croirait et ferait un véritable tapage.

Je détestais l'idée de cacher une telle chose à ma meilleure amie.

Je pris une profonde inspiration avant de presser le bouton d'appel. Il était plus de trois heures et demi du matin. Ce n'était pas une heure pour appeler les gens. Il y avait peu de chance que ça réponde...

Les sonneries vibrèrent contre mon oreille. Je patientai, priant silencieusement pour ne pas tomber sur le répondeur. Au bout de cinq sonneries, les larmes revinrent.

- Réponds, je t'en prie, réponds...

Une autre sonnerie.

- Allô ?

Je faillis fondre en larmes.

Sa voix était rauque, encore endormie. Je me sentis encore plus gênée de l'avoir appelé à une telle heure.

- Carter ?

Je perçus le grincement de son sommier lorsqu'il se redressa dans son lit.

- Yvana ? Qu'est-ce qui se passe ? Ça ne va pas ?

- Je... Je ne sais pas. Je... Je ne savais pas qui appeler. Lila et Louis ne comprendront pas. Ils ne me croiront même pas, de toute façon. C'est complètement fou mais je sais que c'est vrai. Je comprends pas comment c'est possible mais je sais que ça l'est et...

- Doucement, doucement, doucement, intervint-il. Et si tu me racontais, d'abord ?

- Euh, oui, oui, bien sûr.

Et je lui racontai tout. Depuis le début. De l'arrivée à St John's la première fois à cette nuit. Chaque phénomène. Aussi détaillé que je pus. Il ne dit rien, n'interrompant nullement mon récit. Le silence ne demeura pas très longtemps avant qu'il ne le brise.

- Tu es chez toi ?

- N-Non. Je suis chez mes parents. À Portland. Je voulais m'éloigner. Voir si ça irait mieux. Mais c'est pire, Carter. Cent fois pire.

- Tu veux que je monte sur Portland pour qu'on en parle dans la journée ?

- Tu n'as pas à...

- Je sais. Mais je peux, si tu veux. Là, je ne sais pas quoi te dire.

J'eus un instant de frayeur.

- Tu... Tu me crois, pas vrai ? Tu ne prends pas pour une folle ?

- Non, Yvana. Je te crois. Je sais que tu n'es pas folle. En fait, il faut que je te parle de quelque chose.

Son ton s'était fait sérieux. Stressé. Il ne tenait pas à parler de la pluie et du beau temps. C'était autre chose. Quelque chose d'important.

Mon angoisse revint comme un boomerang.

- D-De quoi ?

- Je vais monter sur Portland cet après-midi. Je ne veux pas te dire ça par téléphone. Surtout pas dans l'état dans lequel tu es. Il faut que tu te reposes un peu et que tu te calmes.

- Tu ne vas pas me dire que tu es un serial killer ou je ne sais quoi, hein ?

Il éclata de rire. Malgré moi, je ne pus qu'esquisser un vague sourire. Qui se fana dans la seconde. Je n'étais pas en état de maintenir une telle expression sur mon visage.

- Non, non, je ne suis pas un tueur en série ni rien qui y ressemble ! Ne t'en fais pas, tu es en sécurité avec moi.

Je frémis. Pas de peur, pour une fois. C'était tout le contraire. Un émoi étrange effaça la tension de mes épaules. Mon corps tout entier se réchauffa.

- Je... Je te téléphonerai quand je serai à Portland, d'accord ? On se rejoindra quelque part en ville.

- Pas de problème.

Je fis la grimace à l'entente de ma voix qui avait monté de quelques octaves. Je rougis, n'osant imaginer ce qu'il devait penser.

- Tu devrais essayer de dormir un peu, Yvana. Tu avais l'air absolument épuisée hier alors essaie de te rendormir.

- Je n'y arriverai pas. Si je m'endors, ça va encore recommencer. Je ne veux pas que ça recommence. Je ne peux pas dormir.

J'entendis du bruit dans le combiné. Il bougeait des objets. Allumait quelque chose avec un briquet. Le cliquetis du mécanisme était clair.

- Ce n'était qu'un cauchemar, Yvana. D'accord ? C'était un très mauvais cauchemar. Alors allonge-toi et ferme les yeux. Je te promets qu'il ne t'arrivera rien d'autre que de rêver. Je ne peux pas promettre que ça sera des prairies et des arcs-en-ciel mais ça ne sera qu'un rêve.

- Tu ne peux pas me promettre quelque chose comme ça.

- Je le peux. Fais-moi confiance.

Je demeurai silencieuse, ne sachant quoi répondre et encore moins comment réagir. J'avais envie de le croire mais ça me paraissait trop incroyable. Il ne pouvait pas me promettre que j'allais savoir dormir. Que je ne risquais rien.

Cependant, je me rallongeai sur mon lit, ramenant mes genoux contre ma poitrine, me recouvrant de la couverture qui sentait la lessive. Je gardai le téléphone collé à l'oreille.

- Tu ne peux pas me faire une telle promesse. Tu n'as aucun contrôle sur ce qu'il se passe.

- Non, c'est vrai. Je ne sais pas ce qui s'en prend à toi, pas encore, du moins. Ce que je sais, par contre, c'est que je peux te protéger pendant que tu dors. Je t'expliquerai tout demain. Tout à l'heure. Peu importe. Je t'expliquerai mais pour le moment, contente-toi de me faire confiance et essaie de dormir.

J'hésitai, peu convaincue. Malheureusement pour moi, la fatigue pesait sur moi maintenant que je m'étais rallongée. Je la sentais m'écraser, prête à m'emmener dans les bras de Morphée.

Je résistai, peu décidée à craquer. La peur ne me donnait pas beaucoup de forces pour lutter.

- Rassure-moi, Yvana, il ne va pas falloir que je te chante une berceuse ?

J'eus un léger rire.

- Idiot.

Il eut beau ne pas répondre, je savais qu'il souriait. Il y eut un grincement de plancher avant qu'il ne soupire. Son souffle forma des mots que je fus incapable de comprendre.

De toute façon, je m'endormis avant même qu'il ait fini de soupirer.

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