13.

Je courais.

Trébuchais.

Il faisait trop sombre. Je ne savais pas où j'allais. Mais je fuyais.

On me suivait.

Ce n'était pas humain. Ça me voulait du mal. Il ne fallait pas que ça m'attrape. Je devais courir plus vite.

Je poussai sur mes jambes. Mes poumons brûlaient. Je voyais flou. Je n'allais plus tenir longtemps. Je n'avais pas la force. Je n'étais pas taillée pour ça.

J'étais trop faible. Bien trop faible. Je n'y arriverai pas.

Ça allait m'avoir.

Je ne voulais pas mourir.

Je n'en pouvais plus.

Pitié, je ne veux pas mourir.

Tu m'appartiens...

Je trébuchai, m'étalant dans la boue, un cri étouffé dans la gorge.

Ça se rapprochait. C'était derrière moi.

Mes mains s'enfoncèrent dans la mousse lorsque je me relevais. Je courus plus vite encore.

Fuir.

Me cacher. Je devais me cacher.

Tu es à moi...

Plus vite. Toujours plus vite. Gauche, droite, plus vite encore.

Je percutai quelque chose de froid, de dur. Je voulus reculer mais ça me tenait. Un souffle froid me gela l'oreille.

Tu m'appartiens.

Je levai les yeux.

Mon hurlement déchira le silence.

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Je me réveillai, mon cri résonnant dans mes oreilles. La réalité prit le pas sur le rêve. Je tâtonnai à la recherche de l'interrupteur de ma lampe de chevet. La soudaine lumière me brûla les yeux. Je clignai des paupières, tentant de m'y habituer.

J'étais couverte de sueur et j'avais la bouche pâteuse. Je savais déjà que je ne saurais pas me rendormir. Pas après un tel cauchemar. J'avais la boule au ventre, le souffle court. Je repoussai mes couvertures pour pouvoir fouiller le tiroir de ma table de chevet. Je trouvai mon inhalateur à l'intérieur.

Je me sentis bien mieux dès la première pompe. Je ne ressentis même pas le besoin d'en prendre une seconde. Mes voies respiratoires se dégagèrent et je retombai sur mes oreillers.

C'était la première fois que je faisais un tel cauchemar. Pourtant, j'étais une habituée. J'en avais souvent eu. Mais aucun n'avait eu cet impact sur moi. J'avais encore le pouls rapide, l'angoisse dans le ventre. Savoir que j'étais seule dans la maison ne m'aidait pas du tout.

J'aurais voulu appeler Lila mais je ne tenais pas à la réveiller à presque trois heures du matin. Je me redressai et ramenai les couvertures sur moi, agressée par le froid nocturne contre lequel luttait ma vieille chaudière.

Je finis par renoncer. Je sortis de mon lit et je m'emmitouflai dans un gros pull, deux tailles trop grand pour moi. Les manches me tombaient sur les doigts tellement il était large. C'était mon pull préféré. Je me sentais en sécurité, réchauffée. Ce pull me donnait une sensation de confort et de familiarité rassurante.

Je descendis dans la cuisine pour me faire un thé. Je m'installai sur l'un des tabourets que j'avais placés près de l'îlot central. Dehors, la nuit était encore totale, noire comme un four. Je voyais mon reflet dans la fenêtre qui s'était transformée en miroir tant il faisait sombre.

Je n'arrêtais pas de repenser à ce cauchemar. Il était si fort, si... lucide. Comme si je n'avais pas rêvé. Comme si tout c'était réellement passé. Au point que je baissai les yeux vers mes jambes en quête de quelconque traces qui m'auraient montré la réalité de ce cauchemar.

Ma peau était poisseuse de sueur mais ne portait aucune tâche, aucun bleu, aucune griffure. Rien. J'en fus étrangement rassurée. Pendant un moment, j'avais presque cru que tout cela pouvait avoir été réel.

J'eus un rire nerveux qui résonna dans la maison vide. Je frémis, enroulant mes bras autour de moi, la chaleur de ma tasse de thé ancrée dans la laine de mon pull couvrant mes mains. Je me frottai les bras pour me réchauffer.

Détestant le silence pesant du cottage, j'allai allumer ma petite chaîne stéréo. Je mis une musique calme et reposante qui, si j'avais de la chance, m'aiderait à me sentir plus posée et moins sur les nerfs.

Étrangement, la musique n'eut pas le même effet que d'habitude. Au contraire. Mon anxiété revint en force, me donnant envie de vomir. Je réalisai combien j'étais isolée du reste de la ville. Même s'il m'arrivait quelque chose, je n'avais aucun voisin pour me sortir du pétrin.

Je me ramassai dans un fauteuil, tentant de relativiser. Ce n'était qu'un cauchemar. Je le savais pertinemment. Toutefois, conjugué aux événements à St John's, je n'étais pas à l'aise.

Et cette maudite musique paraissait si sinistre que ça ne m'aidait pas du tout !

J'éteignis sèchement la stéréo et le silence revint, brutal, lourd.

Puis vint le léger grincement à l'étage. Subtil, à peine audible. Si je n'avais pas éteint la musique, je ne l'aurais jamais perçu. Surtout qu'il s'arrêta quelques secondes après que la musique se fut tue. Sans revenir. Du tout.

Je ne savais pas quoi faire. Rester isolée dans ma cuisine ? Appeler Lila à l'aide ? Monter voir ce qui faisait ce bruit ? J'avais déjà vu des films d'horreur. Et quel que soit le choix du protagoniste, ça ne se finissait jamais bien. Et dans l'état où j'étais, ma capacité de réflexion devait être celle d'un enfant de cinq ans.

Des souris. Voilà. Ce sont les souris. Il y en a encore au grenier. Rien d'autre.

Je respirai profondément plusieurs fois, tentant de faire entrer ma théorie plausible dans mon crâne. Je repoussai tout ce qui pourrait démonter ma théorie, refusant de songer à autre chose qu'à la façon de me débarrasser de ces fichues souris.

Et puis, il y eut le froid. Pénétrant, acéré, familier. C'était exactement le même froid qu'à St John's. Il avait ça de particulier qu'il semblait se poser sur ma peau comme une pellicule. S'infiltrer dans mes veines, les geler de l'intérieur. Il m'entourait, me recouvrait.

Mon souffle tremblant forma un petit nuage blanc lorsque j'expirai. Exactement comme à St John's.

J'imaginais tout ça. Je me montais la tête. J'avais eu peur, Carter n'avait pas aidé et mon cauchemar avait terminé de me mettre dans un état d'esprit où tout me paraissait effrayant et paranormal.

Je ne parvenais pas à me souvenir de ce que j'avais vu en levant les yeux, à la fin de mon cauchemar. Je me souvenais d'une grande et longue figure sombre. Ça avait un visage mais j'étais incapable de m'en souvenir.

Ce n'était pas comme si je le voulais, de toute manière. À cause de ce faciès, je m'étais réveillée en hurlant et trempée de sueur. Je ne pouvais pas concevoir une image qui puisse m'avoir fait si peur que je m'étais réveillée aussi brutalement.

Un long sifflement résonna dans le couloir. Je me crispai, glacée jusqu'aux os. Je me levai, tremblante, tentant de me décider à aller voir. Rien de ce que je connaissais ne pouvait faire un tel bruit aussi longtemps.

J'avançai un pas après l'autre vers l'arche menant à la salle à manger. La pièce était plongée dans le noir. Je distinguais à peine les contours des meubles grâce au halo provenant de la cuisine. Ce fut la seule chose qui me permit d'atteindre l'interrupteur qui illumina la pièce.

Je traversai la pièce, ayant toujours plus froid. Je resserrai mon pull autour de moi, cherchant un peu de chaleur sans en trouver. Mais pour une fois, ça ne m'arrêta pas. Je continuai vers le salon, allumant toutes les lampes.

De là où je me tenais, juste derrière le canapé, le couloir me paraissait être un véritable trou noir. Même le lustre ne parvenait pas à jeter des ombres. La cage de l'escalier était plongée dans les ténèbres. Le son venait de là. Un long sifflement ténu, vibrant.

Venu des tréfonds de l'enfer.

Les ombres bougeaient, réalisai-je. Je perçus du coin de l'œil le léger mouvement, subtil, presque imperceptible. Les ombres se mouvaient, lentement, dans ma direction. Elles venaient m'encercler. C'était ce qu'elles tentaient de faire.

J'avais l'impression de faire face à un animal dangereux. Si je bougeais, allaient-elles se jeter sur moi pour bloquer le passage ? Allaient-elles tout simplement disparaître ? Était-ce juste un effet de mon imagination ?

Je pris une profonde inspiration, serrant les poings. Je fis un pas en avant. Un second. Il fallait que je sorte de cette maison. Il fallait que j'atteigne l'extérieur avant que les ombres ne se jettent sur moi. Avant que ça ne m'attrape.

Un troisième.

Les lampes de la cuisine s'éteignirent une à une. Il ne m'en fallut pas moins pour jaillir vers la porte d'entrée. J'attrapai les clés sur la console au passage. J'ouvris la porte au plus vite.

Tu m'appartiens.

Une main glacée attrapa mon bras. Je sentis les cinq doigts se refermer autour de mon biceps. La prise était inconsistante, irréelle.

Fantomatique.

Je dus reculer pour ouvrir la porte. Je sentis que je poussais quelque chose.

TU ES A MOI !

Je criai en jaillissant hors de la maison, trébuchant sur les marches du perron, m'étalant dans les graviers de l'allée. Je me relevai à toute vitesse, gagnant la route devant chez moi.

La nuit était encore plus profonde que je ne l'aurais cru. Je ne voyais rien du tout. Je ne parvenais même pas à voir ma propre main devant mon nez.

Je me tournai vers mon cottage. Toutes les lumières clignotaient à l'intérieur. Je fus certaine d'apercevoir une silhouette dans l'encadrement de la porte lorsque la lumière du couloir s'alluma. Massive, carrée, masculine.

Pas du tout comme celle de St John's.

Mais exactement comme ce que je me souvenais de mon cauchemar.

C'était ce qui m'avait attrapée dans mon cauchemar. J'en étais sûre. C'était exactement la même forme, la même masse. Heureusement, je ne pouvais pas voir son visage. Je ne tenais pas à perdre à nouveau la raison. Je n'avais vraiment pas besoin de ça maintenant.

Je ne savais pas quoi faire. Partir, rester ? Et si je partais, où pourrais-je bien aller ? Le premier voisin était à deux kilomètres. Il fallait que je récupère mon vélo. Avec mon vélo, je pourrais m'éloigner plus vite.

Je considérai l'abri où je gardais mon vélo. Je n'avais pas du tout envie de me rapprocher de la maison. Je ne voulais pas prendre ce risque. Cette chose avait essayé de m'attraper. Si elle y était parvenue, comme dans mon cauchemar...

Je frémis d'effroi à cette idée.

Je cillai lorsque le cottage fut plongé dans le noir complet pendant une seconde. Puis, seules les lumières de la cuisine, de la salle à manger et du salon se rallumèrent. Exactement comme je les avais laissées.

La tension qui vibrait dans l'air s'évanouit. Je sentis le changement. L'expliquer et le décrire était impossible. Je n'avais aucune comparaison proche de ce que je ressentais en l'instant.

Partagée entre l'épuisement, la peur et l'indécision, je demeurai longuement plantée dans mon allée, les graviers mordant dans la chair de mes pieds, le froid faisant tomber ma température corporelle.

Je ne me souvins pas être rentrée à un moment. Je ne me souvins pas avoir fermé la porte à clé, éteint les lumières du rez-de-chaussée, avoir pris une douche, mettre recouchée.

Mon dernier souvenir avant de me réveiller au chaud dans mon lit était d'être restée debout, contemplant toujours l'idée de prendre mon vélo et de fuir.

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