10.
Une vague glacée me heurta de plein fouet et je ne sus quoi répondre. C'était la folle qui avait tambouriné à ma porte la semaine précédente. Celle qui avait mon travail avant de faire une crise de nerfs ou je ne sais quoi.
Elle ne me faisait pas l'impression d'une dépressive ou d'une femme au bord du gouffre. Et encore moins d'une folle furieuse comme je m'y serais attendue après la façon dont elle avait frappé à ma porte en hurlant comme une démente.
Elle était de taille moyenne, vêtue d'un jean ample et d'un épais long manteau. Elle me paraissait frêle, inoffensive. Son visage était jeune, à peine marqué par les années. Je lui donnais à peine trente-cinq ans. Son chignon de cheveux acajou et ses grands yeux bleus de poupée ne faisaient qu'ajouter à l'apparence d'une femme banale. Elle me faisait même penser à un agent immobilier.
- S'il vous plaît. Il faut que je vous parle. C'est vraiment très important. Je vous en prie.
- Vous savez l'heure qu'il est ? éludai-je.
- Je suis désolée mais vous n'étiez pas là de la journée.
Elle avait guetté mes allers et venues !
- Je sais que ça peut paraître bizarre mais c'est important.
- Écoutez, je suis fatiguée et je n'ai pas le temps pour ça...
- Juste cinq minutes. Après, je vous laisse tranquille.
J'hésitai. J'étais épuisée et je voulais juste aller m'allonger dans mon lit. Toutefois, je sentais qu'elle ne me laisserait jamais tranquille si je ne la laissais pas me parler.
Toutefois, les cachets faisaient leur effet et je ne saurais jamais tenir une conversation et encore moins me défendre si elle devenait folle.
- Demain. Repassez demain. Dans l'après-midi.
Ce fut tout ce que je pus articuler. Elle haussa un sourcil mais ne releva pas ma voix pâteuse.
- D'accord. Je viendrai en fin d'après-midi.
Je marmonnai un vague au revoir avant de refermer la porte et d'aller rejoindre mon lit pour comater pendant une bonne dizaine d'heures.
Lorsque je me réveillai, j'avais la bouche sèche et ma seule pensée fut pour la bouteille d'eau que j'avais toujours au pied de mon lit. J'en descendis une bonne partie avant de repousser mes couvertures et de me traîner jusqu'à la douche. J'étais poisseuse de sueur et j'avais toujours soif.
Je détestais prendre ces maudits cachets.
Je me préparai un brunch rapide et simple mais délicieux. Le ventre enfin plein, je me sentis bien plus réveillée et alerte. Mon dimanche avait déjà bien passé et je me souvins que cette Jenna Ashton devait passer en fin d'après-midi. Mon estomac se noua à cette idée. Je regrettais vraiment que les cachets m'aient fait lui donner ce rendez-vous.
Tous mes plans tombaient à l'eau, quelque part. Je doutais d'avoir le temps de m'occuper de la cave, comme je l'avais prévu. Je pouvais toujours commencer. Je ne pouvais pas laisser cette pièce dans un tel état de délabrement alors qu'elle pouvait être utile.
J'allais me changer et je me jetai dans le nettoyage de la cave, un masque sur le visage pour ne pas avoir à supporter l'odeur de moisi et de renfermé ainsi que la poussière qui s'était accumulée partout. Je n'avais pas envie d'avoir une crise. Déjà que j'étais encore épuisée, un rien pouvait déclencher une crise et j'étais trop loin de mes cachets pour oser enlever mon masque.
Le temps passa si vite que je fus surprise lorsque j'entendis que l'on frappait à la porte. Jenna était là. Le stress monta en flèche alors que j'abandonnai mon travail pour aller lui ouvrir. Je devais avoir une sacrée allure, des toiles d'araignées dans les cheveux, couverte de poussière...
- J'ai cru que vous ne viendriez pas ouvrir, me dit-elle sans préambule.
- J'ai hésité, admis-je sans honte.
Je la laissai entrer. Je l'emmenai jusque dans le salon. Je lui amenai un thé et je demeurai debout, appuyée sur le rebord de l'une des fenêtres.
- Qu'avez-vous de si important à me dire qui vous amène chez moi en pleine nuit ?
- Que savez-vous de St John's ?
- Que ce que j'ai besoin de savoir. Que devrais-je savoir de plus ?
- Avez-vous déjà été au grenier ? temporisa-t-elle.
- Non. Qu'est-ce que... ?
- N'y allez jamais ! Jamais, d'accord ?
J'eus un sursaut en l'entendant me crier dessus. Je ne m'étais pas attendue à ça. Son explosion m'avait prise au dépourvu.
- Pourquoi cela ?
- Tout le monde vous dira que j'ai fait une dépression nerveuse ou je ne sais quoi du même style. Mais je sais ce que j'ai vu. Ce que j'ai vécu. Et tout provient de ce grenier. De cette maison de poupée.
Je fronçai les sourcils. Une maison de poupée ? Dans le grenier ? À St John's ? Là, ça ressemblait vraiment à une mauvaise blague.
J'eus un rire amer.
- Pitié ! Si c'est une blague, elle n'est pas drôle.
- Je ne rigole pas ! Je suis sûre que vous avez déjà vécu des choses bizarres dans cette maudite école.
Elle me fixa avec une acuité dérangeante. Elle réveilla le souvenir du froid, de la silhouette... Je frémis, mal à l'aise. Savait-elle vraiment ce que j'avais vécu depuis mon entrée à St John's ? Avait-elle vécu la même chose ?
- Je ne vois vraiment pas de quoi vous parlez. St John's est une école assez banale, mentis-je.
- Vous n'y croyez pas une seule seconde. Je le vois bien. Vous aussi, vous l'avez vue, n'est-ce pas ?
- Qui ?
- La femme dans le grenier. Je suis certaine qu'elle vous est déjà apparue. J'en suis sûre. Je l'ai vue dès le premier jour.
Je secouai la tête, tentant de la faire gober mon mensonge. Malheureusement pour moi, elle vit à travers sans aucun mal. Ça devait se lire sur mon visage que l'image de la silhouette à l'étage m'avait terrifiée. J'en avais des frissons alors que ça n'était arrivé qu'une seule fois.
- Ne la laissez pas savoir que vous l'avez vue. Elle ne vous laissera jamais tranquille. Elle vous suivra partout. Vous ne la verrez pas toujours mais elle vous fera bien savoir qu'elle est là.
Elle regarda autour d'elle en se frictionnant les bras. Elle se figea et plissa les yeux. Je me retournai pour tenter de distinguer ce qu'elle regardait.
Je reconnus la voiture de Lila qui se garait devant chez moi, juste derrière celle de Jenna. Un élan de panique accéléra mon pouls. Comment allait-elle réagir face à la présence de mon prédécesseur chez moi ?
Ma meilleure amie entra sans même frapper. Elle se figea sur le seuil du salon en voyant Jenna.
- Toi. Ici ? apostropha-t-elle Jenna.
- Je suis venue la prévenir.
- Fiche-lui la paix, espèce de tarée ! Va-t-en d'ici !
- Lila... tentai-je doucement.
Jenna se leva, furieuse.
- Je tente de la protéger de St John's ! De la maison de poupée ! Je ne veux pas qu'il lui arrive la même chose qu'à moi !
- Elle ne deviendra pas folle, ça, c'est sûr !
Le choc et la colère se lurent sur le visage de Jenna. Ses poings se serrèrent contre ses hanches.
- Je ne suis pas folle !
- Il n'y a que toi qui y croit, à celle-là ! répliqua froidement Lila. Maintenant, dégage d'ici ! Et que je ne te vois plus rôder dans les environs ! Garde tes délires pour toi !
- Lila... tentai-je à nouveau.
Mais aucune des deux femmes ne parut m'entendre. Je me levai, me rattrapant au dossier du fauteuil lorsque la tête me tourna.
- STOP ! criai-je, ma voix déraillant sur la fin du mot.
Cette fois, j'eus l'attention de Lila et Jenna. J'appuyai ma main contre mon front en fermant les yeux.
- Vous me donnez mal à la tête. Arrêtez de crier, bon sang ! Elle est venue me parler de son expérience et rien d'autre, Lila ! Tu n'as pas à la traiter comme ça ! Même si tu prétends ne pas la croire !
Les deux se tournèrent vers moi, étonnées. Ma meilleure amie m'apparut même outrée.
- Je ne prétends pas ! Je ne la crois pas !
- Mais bien sûr ! ironisa Jenna. On sait toutes les deux que tu y es sensible aussi !
Lila la fusilla du regard, courroucée comme jamais. Je ne savais même plus quoi leur dire pour qu'elles cessent de se hurler dessus comme des putois. J'étais déjà bien assez fatiguée comme ça. Ma tête bourdonnait comme jamais.
- Très bien, globalement Jenna, vous pensez que St John's est hantée par une maison de poupée dans le grenier, c'est ça ?
- C'est bien plus complexe que ça !
- Mais globalement, c'est ça, non ? Désolée de vous le dire mais je ne crois pas à tout cela. J'ai toujours l'impression que toute cette histoire n'est qu'une caméra cachée et j'attends qu'on vienne me dire que j'ai été piégée.
Elle ouvrit la bouche sans parvenir à dire quoi que ce soit. Elle finit par la refermer et tourna brusquement les talons pour sortir en claquant la porte de toutes ses forces. Non sans un :
- Vous regretterez de ne pas m'avoir écoutée !
Je me laissai retomber dans mon fauteuil comme un soufflet raté. J'étais trop fatiguée pour ces idioties...
- Comment as-tu pu la laisser entrer, Yvana !?
- Ne me crie pas dessus, Lila. Et je fais entrer qui je veux chez moi, que je sache.
Elle alla s'installer dans le canapé en face de moi, les sourcils froncés.
- Tu ne vas pas bien du tout, toi. Tu as pris tes cachets ?
- Oui, maman, dis-je, sarcastique.
- Désolée d'avoir causé un scandale mais la dernière chose dont tu as besoin, c'est qu'elle vienne te coller ses délires en pleine face.
- Je te signale que tu y crois à moitié, à ses délires ! Qui n'a cessé de parler de voix démoniaques et autres ? Tu as admis toi-même que tu sens qu'il y a quelque chose qui cloche avec St John's. Alors pourquoi Jenna serait-elle folle et pas toi ?
Son air indigné faillit me faire rire. On aurait pu croire que je venais d'insulter toute sa famille de la pire des façons et de cracher sur la tombe de ses ancêtres.
- Je n'ai rien à voir avec cette folle ! Elle croit que la maison de poupée abandonnée dans le grenier de St John's est possédée ! Elle croit que l'école est hantée par une sorte de poltergeist qui l'aurait possédée et aurait tenté de lui voler son corps ou je ne sais quel autre délire ! Je ne crois pas à ça, moi !
- Mais tu crois que tout n'est pas très net avec St John's. Qu'il y a quelque chose de paranormal. Sinon, tu ne m'aurais pas parlé des cassettes de ta grand-mère.
Elle soupira et s'affala dans les coussins.
- Je veux juste que tu fasses attention. Cet endroit a une aura nocive. Je n'aime pas ce bâtiment.
- Ce n'est qu'une idée. Il ressemble à un manoir de film d'horreur et ça joue sur les nerfs, c'est tout. Rien de plus, rien de moins.
Lila me considéra longuement sans répondre. Je n'aurais su dire si elle croyait à ce que je lui disais ou non. En l'instant, ce n'était pas ce qui m'inquiétait le plus. Toutefois, je ne voulais pas reparler de St John's, de Jenna et de ce délire paranormal. Aussi changeai-je de sujet.
- Qu'est-ce que tu fais là, d'ailleurs ?
- Louis a oublié son téléphone hier soir.
Il n'en fallut pas moins pour qu'elle se lève, son portable à la main, décidée à faire sonner celui de son petit ami. L'appareil cracha son rap bruyamment quelque part dans la cuisine. Le temps que l'on y arrive, la messagerie s'était mise en route et Lila dut rappeler. La musique se remit à hurler...
Depuis la cave.
- Louis est descendu dans la cave ? demandai-je à Lila.
- Non. Il n'avait aucune raison d'y aller. Il n'y a rien dans ta cave. Ce qui l'intéresse, ce sont les combles.
J'ouvris la porte et actionnai l'interrupteur. L'ampoule nue grésilla avant que la lumière brille clairement en bas des escaliers. J'entendis clairement le portable vibrer sur une étagère métallique que les anciens propriétaires avaient laissée.
- Comment son téléphone a-t-il pu atterrir dans la cave s'il n'y est pas descendu ?
Elle haussa les épaules avant de me doubler pour aller le chercher. Je la suivis, surtout quand je vis son froncement de sourcils. Je compris vite pourquoi.
Le téléphone de Louis était derrière de vieux pots de peinture rouillés dont il fallait que je me débarrasse. Là, c'était difficile à comprendre. Comment était-ce possible ?
- Ne me pose pas de questions. Je ne sais pas pourquoi son téléphone est là. Il va falloir que je lui pose la question tout à l'heure. Je t'appellerai pour te dire quoi.
Je hochai la tête, incapable de trouver quoi répondre. J'avais une étrange boule dans le ventre qui me donnait envie de vomir.
Nous remontâmes en silence et elle repartit rapidement. Je ne cessai de penser à ce téléphone caché dans un recoin de ma cave, aux histoires de fantômes que j'entendais depuis mon arrivée. Ma tête bourdonnait de la façon la plus désagréable au monde. Une façon que je connaissais bien trop.
Je me hissai jusque dans ma salle de bains pour reprendre des cachets. J'allai me blottir dans mon canapé plutôt que de terminer de m'occuper de la cave. Honnêtement, je n'avais pas du tout envie de retourner là-bas. Je me sentais mal à l'aise.
Le bruit de la télévision parvint à peine à me distraire. Le bourdonnement dans mon crâne ne s'apaisa pas malgré les médicaments. Je sursautai violemment lorsque mon téléphone se mit à sonner.
- Allô ?
- Il n'est pas descendu dans ta cave, énonça simplement Lila, sa voix quelque peu tremblante.
- Alors comment son portable... ?
- Je ne sais pas. Même lui n'en a aucune idée. C'est juste... C'est bizarre.
- Il a sûrement été jeter un œil et il ne s'en souvient plus. Le principal, c'est que l'on ait retrouvé son portable.
Lila ne répondit pas. Je l'entendis soupirer dans le combiné.
- Ce n'est pas son genre de ne pas se souvenir de ce qu'il fait.
- Je sais bien mais ça peut arriver à tout le monde. N'allons pas chercher plus loin. Ça ne sert à rien.
- Si tu le dis.
Elle termina rapidement la conversation et je me retrouvai à nouveau seule en tête à tête avec mon téléviseur.
Je savais bien que la perfection des premiers jours n'allait pas perdurer... Je ne m'étais simplement pas attendue à un tel déraillement.
Encore heureux que je ne croyais pas au paranormal.
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