1.
Lila gara sa voiture juste devant le bâtiment. Ses clés tintèrent lorsqu'elle les enleva du contact. Je demeurai longuement sur le siège passager à regarder l'endroit.
À regarder ma nouvelle maison.
La demeure semblait quelque peu petite mais cosy à souhait. Les couleurs étaient un peu plus fades que sur les photos et la végétation bien plus... étendue. Il me faudrait pas mal de courage pour déblayer le terrain. Au delà-de ça, c'était ce pour quoi j'avais payé si cher. Un petit cottage adorable où je pourrais me créer un cocon et vivre paisiblement.
Bien que les couleurs se soient ternies, le petit cottage me convenait à merveille. Il avait cet air accueillant et prometteur que j'attendais de ma première maison. Pour la première fois de ma vie, j'allais vivre entièrement seule et j'avais des attentes sur ce à quoidevrait ressembler ma vie.
Débarquer de la ville et atterrir dans un tel endroit, c'était le dépaysement total. Je ne savais si je parviendrais à m'adapter un jour au calme, à la solitude. Toutefois, le cadre était enchanteur.
De plus, je ne serais plus intoxiquée par la pollution. Rien que ça,c'était le nirvana. Ma santé avait commencé à sérieusement se dégrader, me rendant plus fragile que jamais. Mon médecin m'avait conseillé un retour à la nature, Lila m'avait conseillé Bloomingdale.
- Te voilà chez toi, me dit joyeusement Lila.
- Oui... Nouvelle maison, nouvelle ville, nouveau travail...
J'étais angoissée par tous ces changements soudains. Du jour au lendemain, tout mon monde changeait. Ma seule chance, au milieu de tout ça, c'était que Lila ne serait jamais loin.
- Tout va bien se passer, Yvana. Je vis dans le coin depuis deux ans, déjà. C'est une petite ville très calme et agréable. Loin des tarés de la grande ville.
Je me tournai vers elle et hochai vaguement la tête. Je me retrouvai soudain loin de chez moi, loin de tout ce que j'avais toujours connu. Je n'avais aucun repère ici, si ce n'était pour Lila. Elle ne pouvait pas s'attendre à ce que je m'adapte et me sente en sécurité en un clin d'œil. Elle me connaissait mieux que ça. Le changement, ce n'est assurément pas ce que je préférais.
Si ce n'était pour ma santé, je ne serais jamais partie de Portland. Je détestais vraiment mon père pour m'avoir donné en héritage des gênes si faibles. Quand je l'avais appris, ça n'avait pas amélioré nos relations... Au contraire.
Lila me sortit de mes pensées en frappant dans ses mains.
- Allez ! On va décharger tout ça ! Le camion ne devrait pas tarder.
Elle sortit de la voiture en claquant sa portière et je la suivis. Je trouvai le trousseau de clés dans le fond de mon sac à main. Deux valises dans les mains, j'allai ouvrir la porte de mon nouveau chez moi.
Le grincement de la porte d'entrée résonna dans tout le hall de façon lugubre. Je posai les sacs au pied de l'escalier à ma gauche, à côté d'une console couverte d'un film de poussière. Les propriétaires m'avaient dit qu'ils avaient laissé quelques meubles leur appartenant dans la maison. Meubles dont ils n'avaient su se débarrasser. Vu la tête que tirait la console, je comprenais pourquoi ils n'avaient pas réussi à la vendre... Elle était bancale, très abîmée et très vieille. Il était certain qu'elle ne resterait pas là.
Je me tournai vers mon excentrique amie quand elle entra à son tour.
- Ça m'a l'air vraiment joli, ici ! s'exclama-t-elle en posant un carton à côté de moi. On termine de décharger et tu me fais visiter !
Je souris, amusée par son entrain enfantin. Je m'attendais à ce genre de réaction venant d'elle. Sa curiosité allait la brûler au point qu'elle abattrait le travail en un rien de temps.
Décharger la voiture nous prit dix minutes grâce à la hâte de Lila. Nous entassâmes tout dans le couloir de l'entrée. J'aurais tout le temps de trier et de ranger. Pour l'instant, tout ce qui comptait pour Lila, c'était de visiter la maison.
De l'entrée, nous gagnâmes le salon qui était directement sur la droite, après une arcade en briques brutes. La cheminée m'avait attirée quand je l'avais vue sur les photos. Sans compter les larges fenêtres qui donnaient sur l'extérieur et laissaient entrer toute la lumière.
Du salon, nous passâmes à la salle à manger par une autre arche. Elle était plus petite mais tout aussi lumineuse avec ses murs blancs et son gros lustre. Ce dernier ne devait pas être très vieux, remarquai-je, ravie de ne pas avoir affaire avec un vieux lustre récalcitrant.
- Ils ont laissé leur buffet avant de partir, remarqua Lila en ouvrant les portes du meuble. Mais rien dedans. C'est mieux que rien, je suppose.
Je roulai des yeux en pénétrant dans la cuisine. Sûrement la pièce que je préférais. Elle était entièrement ouverte sur la salle à manger, avec un coin repas formé par des banquettes et une petite table qui mériterait bien un coup de pinceau. Et le meilleur était assurément l'îlot central. J'en avais toujours rêvé. Ce n'était pas grand-chose mais il donnait un cachet à la pièce qui me faisait craquer.
- Je sens que cet endroit va devenir ton temple, se moqua mon amie en regardant autour d'elle.
- C'est la cuisine idéale.
- C'est bien ce que je disais ! Bon, on va dans les autres pièces ?
Elle ouvrit la porte vers la cave. Un remugle presque insoutenable envahit la cuisine. Lila jura en refermant la porte et en la verrouillant. C'était trop tard, cependant. L'odeur avait déjà envahi la cuisine.
- On va aller voir ailleurs, je crois...
Nous évacuâmes la cuisine et montâmes à l'étage. Un étroit palier longeait l'escalier et desservait les différentes pièces. La plus à droite était une salle de bains. Elle était assez désuète et étroite mais je ne comptais pas y passer plus de temps que nécessaire donc ça ne me gênait pas. Ses tons clairs étaient agréables. En dépit de la poussière, tout me semblait en parfait état.
La pièce adjacente était un petit bureau aux murs trop sombres à mon goût. Entièrement vide, il sentait le moisi. Lila sortit rapidement alors que je surmontais l'odeur pour observer la vue depuis la fenêtre.
- C'est horrible, ces odeurs ! râla-t-elle dans le couloir.
- Il va falloir que j'aère toute la maison, répondis-je simplement. On va tout ouvrir. Peut-être que, d'ici ce soir, les odeurs seront parties.
- On va se geler pour tout ranger !
- C'est ça ou ça empeste toute la maison. Tu préfères avoir à garder ton manteau ou à sentir cette odeur infecte dans toutes les pièces ?
Elle marmonna quelque chose que je ne compris pas. La fenêtre émit un affreux bruit de succion en s'ouvrant. Je faillis en avoir un haut-le-cœur. Depuis combien de temps cet endroit était-il abandonné ? Les propriétaires avaient-ils oublié son existence jusqu'à ce que je tombe sur l'annonce ?
L'avant-dernière pièce de l'étage était la chambre. Elle était immense comparée à celle que j'avais habitée jusqu'alors. Et les fenêtres donnaient sur la cour qui était de taille assez moyenne mais qui resplendirait une fois les mauvaises herbes effacées du tableau.
- Je suis jalouse ! Cette chambre va être magnifique !
Je me tournai vers Lila avec un sourire. Depuis que j'avais signé le bail, j'avais tout prévu pour ma chambre. Les meubles, les décorations... Tout était dans le camion qui ne tarderait pas à arriver.
- J'ai déjà tout prévu, la narguai-je.
Elle me fit une grimace.
- C'est quoi, la dernière porte ?
- Je ne sais pas. Il n'y a pas de photos de cette pièce et les propriétaires n'en ont pas parlé. Ça doit être un placard ou quelque chose comme ça. .
Elle me prit par le bras et nous sortîmes de la chambre pour gagner la dernière porte de l'étage. Une odeur humide dévala l'escalier en colimaçon à peine discernable dans le noir presque total de la pièce.
Lila se boucha le nez en cherchant un interrupteur.
- Ça ne sert à rien, le courant n'est pas encore remis, lui dis-je.
- Mais il fait noir !
- Ne fais pas ta trouillarde ! C'est toi qui voulais visiter, non ?
- Oui mais là, tu me demandes de monter un escalier qui n'est peut-être pas forcément en état, dans le noir complet et pour atterrir je ne sais où !
- C'est sûrement un grenier ou des combles. La seule chose qui pourrait à la limite être horrible, c'est les araignées. Si c'est aussi abandonné que le reste, ça va grouiller de bestioles dégoûtantes !
- Tu n'arranges rien !
Je me mis à rire.
Nous sursautâmes quand de lourds coups furent frappés à la porte. Lila fut en bas avant moi, bien heureuse de pouvoir fuir cette pièce sombre et quelque peu étouffante.
Les déménageurs commencèrent à déposer les cartons dans les différentes pièces sans se faire prier. Ils semblaient avoir hâte d'en finir, au point qu'ils avaient oublié d'être agréables en chemin.
Dès qu'ils eurent vidé le camion, ils partirent sans demander leur reste. Lila et moi commençâmes à ranger les cartons de la cuisine et de la chambre, les pièces principales.
Nous fermâmes les fenêtres assez vite, dès que le froid parut avoir effacé les odeurs nauséabondes de la maison. Travailler avec nos manteaux était trop peu pratique pour qu'on les garde. Tant que les odeurs ne revenaient pas...
Le propriétaire arriva assez tard. Je ne l'avais rencontré que deux fois. C'était un homme assez âgé qui avait décidé de partir sur la côte avec sa femme pour un voyage qui avait fini par durer plus longtemps que prévu. Il était avenant et drôle, très taquin.
- Le tableau électrique est à la cave, m'expliqua-t-il. Tout est étiqueté donc vous devriez vous en sortir si jamais les plombs viennent à sauter. Ça arrive assez souvent à l'automne, avec les orages. C'est le problème avec cette maison.
Il continua de me parler de la maison tout en descendant à la cave qui sentait encore le moisi. Les endroits souterrains n'étaient pas ce que je préférais, me faisant frôler la claustrophobie. J'espérais vraiment ne pas avoir à y descendre souvent malgré ce qu'il me disait. Même si remettre le courant prenait trois minutes, ça me paraîtrait être trois heures.
Pendant qu'il réenclenchait tous les systèmes de la maison, je saisis l'occasion pour lui poser quelques questions. C'était le moment idéal.
- Il y a un grenier ?
- On peut dire ça. Il n'est pas aménagé du tout. Le parquet a été rongé par les souris il y a quelques années et nous n'avions pas les moyens de le faire réparer. Alors il est resté en l'état.
Je hochai la tête, comprenant parfaitement. Lui et sa femme étaient déjà âgés et vivaient sur leur pension de retraite. Autant dire que leurs revenus étaient loin de suffire pour réparer le plancher de toute une pièce. Même moi, je n'aurais jamais les fonds pour le faire.
Il discuta un peu avec nous avant de repartir, son fils venant le rechercher. Dès qu'il eut franchit le pas de la porte, Lila commanda des pizzas tout en continuant de déballer, affamée comme jamais.
Alors que la nuit était tombée, elle m'obligea à aller dormir chez elle. La maison était toujours froide, l'odeur de renfermé et de moisi avait fini par revenir et je ne pouvais que garder les fenêtres closes maintenant qu'il faisait nuit.
Je tentai de négocier mais elle refusait que je dorme dans une chambre à l'atmosphère aussi nocive. Lila pouvait se montrer très protectrice, parfois... Surtout depuis qu'elle savait pour mes problèmes de santé.
La soirée se termina comme lors de nos soirées pyjama adolescentes. Nous nous endormîmes entassées dans son lit après un film à l'eau de rose et une overdose de crème glacée.
Je n'aurais pas pu rêver mieux pour ma première nuit à Bloomingdale.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top