Chapitre 2

Ce chapitre contient des scènes, propos ou actions qui peuvent heurter la sensibilité des lecteurs.

Bonne lecture!

Mika n'avait pas prononcé un mot depuis l'incident. Presque une demi-heure s'était écoulée et elle n'avait pas ouvert la bouche. Tiana redoublait d'inventivité pour lui changer les idées, mais elle l'écoutait à peine.

Elle s'en voulait terriblement d'avoir agi sur un coup de tête. Elle ne regrettait absolument pas d'avoir sauvé ce pauvre esclave et sa sœur, ça non. Mais avoir parlé en public, avoir dévoilé une partie de sa personne qu'elle n'avait jamais montrée à qui que ce soit, sinon à son cousin et sa servante, la mettait dans un état d'angoisse inimaginable. Elle n'aurait pas dû parler. Elle aurait dû laisser faire Tiana, qui se débrouillait toujours très bien à l'oral. Mais cette fois-ci, sans en connaître exactement la raison, elle avait voulu intervenir elle-même. Et elle s'en mordait les doigts.

Si Mika entretenait autant le mystère autour d'elle, ce n'était pas par coquetterie. Elle ne voulait pas qu'on puisse la reconnaître dans la rue. Elle aimait cet anonymat qui la suivait partout, où qu'elle aille. Mais il n'y avait pas que cela. Elle ne pourrait pas montrer son visage au monde, jamais.

Malheureusement, maintenant des gens avaient entendu sa voix. C'était une catastrophe.

— Altesse ? l'appela doucement Tiana en posant une main sur son épaule. Nous sommes arrivées au palais.

Mika cligna des yeux et se secoua intérieurement. Oui, certes, une partie du voile qui entourait sa personne avait été levé, mais on ne l'avait pas encore vue. Rien n'était perdu. En plus, il n'y avait peu de personne sur la place, quand on y réfléchissait. Ce qui faisait peu de témoins. L'incident serait oublié en quelques jours.

Les deux jeunes filles descendirent de la litière et se dirigèrent tranquillement vers l'entrée du palais. C'était une construction tout en pierres blanches et en dorures. Elle était plus grande que n'importe quel bâtiment du Royaume. On ne pouvait pas compter les pièces, les salles de bain et les salons, sans oublier la salle du trône et les différentes ailes qui abritaient les quartiers des esclaves et des domestiques.

Mika ne voyait pas très bien où elle allait avec son voile, mais peu lui importait. Elle connaissait le château comme sa poche. Le nombre de marches qu'il lui faudrait gravir avant d'arriver à l'entrée, le nombre de pas qui la mèneraient au hall, le chiffre exact de couloirs et de virages qu'elle allait devoir emprunter pour arriver jusqu'à ses appartements. Et puis, s'il y avait le moindre imprévu, Tiana le lui dirait et la guiderait. Même au sein de sa maison, la princesse ne se montrait jamais à tête découverte. En fait, elle enlevait son sempiternel voile seulement pour se laver et manger, deux activités qu'elle accomplissait seule. Elle avait poussé le vice jusqu'à dormir avec. Seule Tiana l'avait déjà vue sans, et ça avait été par accident.

Mika parcourut le palais jusqu'à ses appartements tout en priant les dieux de ne pas croiser la route de son cousin. La dernière fois qu'elle l'avait vu, il était furieux. Elle n'en avait pas vraiment compris la raison, mais elle en avait fait les frais.

Faltan ne manquait pas une occasion de la rabaisser et de se moquer d'elle. Et ça, c'était quand il était de bonne humeur. Mais quand il était énervé, il s'en prenait toujours à elle physiquement. Elle était son souffre-douleur, son bouc émissaire. Elle avait souvent pensé à s'enfuir, mais pour aller où ? De plus, elle ne pouvait se résoudre à laisser le royaume aux mains de cette brute. Même si elle n'était pas aux commandes, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser que, tant qu'elle était présente, son cousin ne ferait pas trop de bêtises. Il avait dix ans de plus qu'elle et, pourtant, il se comportait comme un enfant gâté et capricieux.

Tiana ouvrit la porte qui menait à ses quartiers privés et Mika s'autorisa à se détendre. Faltan n'était nulle part en vue et il devait avoir des affaires plus urgentes à régler que de s'occuper de sa pauvre cousine qu'il considérait comme attardée.

C'était étrange, anormal, même, mais elle n'arrivait pas à le détester. Il était la seule famille qui lui restait et elle s'accrochait à lui comme à une bouée de sauvetage. De toute façon, elle n'arrivait à détester personne. Ce qui était souvent agaçant et frustrant.

— Votre Altesse ? Voulez-vous que je vous fasse couler un bain ?

Mika soupira. Elle se sentait lasse.

— Volontiers, Tiana. Cette journée m'a épuisée.

Son amie fit un pas en direction de la salle d'eau puis se retourna brusquement, les yeux brillants.

— Ce que vous avez fait aujourd'hui, Altesse, était d'une grandeur d'âme que personne ne pourra jamais égaler. Je sais que cela vous a coûté d'intervenir personnellement, et je voulais vous dire que je suis vraiment fière d'être à votre service.

— Merci, Tiana. Je suis aussi heureuse que tu sois mon amie ; tu es vraiment la seule personne sur qui je puisse compter et en qui j'ai une confiance totale.

Tiana sourit avec chaleur et s'éloigna pour ordonner aux domestiques de préparer la baignoire. En attendant que son bain soit prêt, la jeune princesse s'assit sur son canapé et ferma les yeux. Elle s'imagina être une aventurière téméraire qui n'a à rougir de rien. Elle se trouvait sur un bateau menacé par une tempête... non, mieux ! Par un monstre marin assoiffé de sang qui demandait à ce qu'on la sacrifie pour assouvir sa soif de cruauté. Mais elle était plus maligne que le monstre, plus maligne que l'équipage. Il lui suffisait de monter dans les auvents et...

Des cris enragés retentirent tout à coup dans les couloirs menant à ses appartements.

Mika ouvrit brusquement les yeux, son rêve s'évanouissant comme la fumée d'une bougie qu'on éteint. Elle se releva précipitamment, vérifia que son voile était bien en place et se prépara à ce qui allait forcément se produire.

Qu'avait-elle fait aujourd'hui pour attiser sa colère ?

Le roi Faltan entra comme un ouragan dans la pièce, sans même prendre la peine de frapper. Sa couronne était posée bien droite sur sa tête et son regard mauvais la transperçait de toute part. Le souverain était suivi par une nuée de domestiques et de conseillers qui tentaient tant bien que mal de le calmer. Seul le général de ses armées, Miralor, observait la scène avec un amusement non feint.

Faltan était loin d'être laid. En fait, il possédait une beauté peu commune, qui faisait soupirer toutes les jeunes femmes du royaume. Il avait des cheveux ondulés, noirs comme les jais, des yeux d'un bleu d'acier et un visage harmonieux mais froid.

Mika pensa que, si ses soupirantes savaient ce que dissimulait ce visage divin, elles ne seraient pas aussi promptes à l'aduler...

Faltan ne s'était jamais marié, pourtant les occasions ne cessaient de se présenter. Mais Mika savait au plus profond d'elle-même qu'il avait autre chose en tête...

Il la chercha quelques secondes du regard et, quand il l'aperçut, debout devant le canapé, les mains croisées devant elle, il sourit d'un air machiavélique qui ne lui disait rien de bon et s'approcha d'elle lentement. Il se mit à lui tourner autour en se frottant le menton.

— Ma chère princesse Mikaïla. Je viens d'entendre quelque chose d'assez surprenant, sur votre compte. Parait-il, mais je suis convaincu qu'il s'agit d'une regrettable erreur, que vous avez fait un esclandre en ville ?

Mika fut reconnaissante que son voile cache la lividité de son teint. Elle fit la révérence la plus respectueuse dont elle était capable et répondit d'une voix calme, apaisante.

— Sa Majesté le roi n'a pas dû recevoir la bonne version de cette historie. Sa Majesté doit savoir que je n'ai rien fait qui puisse rejaillir en mal sur son nom et que je n'ai fait que rendre la justice.

Le coup partit si vite qu'elle n'eut pas le temps de s'y préparer. Faltan lui assena une gifle monumentale et, non content de l'avoir fait trébucher, la frappa sur l'autre joue en l'envoyant valser au sol.

La première chose que la Princesse vérifia, ce fut que son voile n'avait pas bougé. Et fort heureusement, il était toujours en place. Elle avait mal, mais elle était aussi soulagée que son visage soit encore dissimulé.

Le roi la saisit par les cheveux à travers son voile et la souleva. Mika poussa un cri de douleur mais refusa de se débattre. Elle savait que la punition n'en serait que pire.

— La justice, c'est moi qui la rends, siffla-t-il à son oreille. Tu as couvert la famille royale de honte. Je devrais te faire exécuter pour ton impertinence.

Il la lâcha subitement et elle retomba sur le sol en gémissant. Il venait de la tutoyer. Quand il commençait à être aussi familier, c'était très mauvais signe.

Il recommença à marcher tranquillement, faisant signe à tous ses suivants de sortir de la pièce. Seul Miralor resta pour observer la scène, son sempiternel sourire amusé sur les lèvres. Une fois qu'ils furent seuls, le roi se baissa et saisit Mika par le bras pour la relever d'un geste brusque.

La jeune fille tremblait de peur. Elle jeta un regard à Tiana, qui venait d'arriver en trombe en entendant sa maîtresse crier et lui fit signe avec la main de ne pas intervenir. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre sa meilleure et seule amie.

Faltan approcha sa bouche de l'oreille de Mika et commença à la menacer d'une voix perfide :

— Je devrais te faire exécuter, mais j'ai une meilleure idée. Je ne sais pas ce que tu caches sous ton voile ridicule. Si tu acceptes de t'en débarrasser et de me laisser voir ton visage, je me montrerais peut-être magnanime. Je serais sûrement beaucoup plus... doux.

Il passa un doigt sur sa joue voilée et Mika retint un haut-le-cœur. Elle préférait mourir plutôt que de laisser cet homme la regarder en face. Et elle savait très bien que son cousin était fasciné autant qu'il était énervé par son anonymat. Elle refusait néanmoins de reconnaître la vérité. La terrible vérité qui lui valait d'être si souvent battue.

— Je suis désolée, murmura-t-elle en essayant de ne pas pleurer. Je ne voulais pas porter préjudice à Son Altesse.

La signification était claire. Elle refusait de lui obéir. Elle savait qu'elle allait le payer, et cher, mais elle n'avait pas le choix. Ça serait bien pire si Faltan découvrait ce qui se cachait réellement sous ce morceau de tissu. Il n'avait jamais essayé de lui enlever de force. Elle savait pourquoi, mais elle sentait qu'il s'octroierait bientôt ce droit, même si cela lui était interdit. Elle ne pourrait pas le garder à distance éternellement.

Le roi la lâcha et Mika baissa la tête, s'attendant à subir une nouvelle attaque. Mais Faltan se contenta de hausser les épaules.

— Vous l'aurez voulu, princesse Mikaïla. Miralor ? Vous pouvez procéder.

Le ventre de la jeune fille se tordit d'angoisse. Elle savait de quoi le général était capable. Il le lui avait déjà montré, à plusieurs reprises. Mais là, son sourire était plus retors que d'habitude.

Il se décolla du mur sur lequel il était appuyé et s'avança tranquillement vers elle. Il la regarda un instant avec des yeux rieurs puis la poussa violemment. Mika tomba sur le ventre en criant de surprise et de douleur. Elle ne pensa même pas à ce qui allait lui arriver. Elle suppliait juste intérieurement Tiana de ne pas se mettre en travers du chemin de ces deux hommes.

Mais la servante était trop maligne pour intervenir. Elle savait pertinemment qu'elle n'arrangerait rien en se mettant au milieu. Et elle savait surtout que sa maîtresse allait avoir besoin d'elle une fois que la tempête se serait calmée. Pour cela, elle se devait de rester parfaitement immobile, malgré le supplice que cela représentait pour elles deux.

Miralor détacha le fouet qu'il avait à la ceinture et la dernière pensée cohérente de Mika fut que le sort avait un drôle de sens de l'humour. Elle venait de sauver un homme de cet instrument de torture, et c'était son tour d'en faire les frais. Encore une fois.

Ses mains se mirent à brûler et elle les supplia de ne pas la trahir.

Elle ferma les yeux et enfouie son visage dans le tapis, se promettant de ne pas proférer un son.

Durant les minutes qui suivirent, les conseillers du roi, les oreilles collées au battant de la porte, entendirent onze claquements dans les appartements de la Princesse Mikaïla Kolina. Mais pas un cri ne fit écho à ce bruit écœurant.

Les claquements cessèrent et ils reculèrent d'instinct, sachant que leur roi n'allait pas tarder à sortir. Celui-ci ouvrit la porte à la volée et s'éloigna d'un pas rapide, un léger sourire satisfait sur les lèvres. Son général le suivait de près, mais lui avait plutôt l'air frustré.

Son fouet, enroulé et accroché à sa ceinture, était maculé de sang.

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