Chapitre 1

Coucouuuuu! Eh oui, c'est encore moi. Voilà la nouvelle histoire sur laquelle je bosse en ce moment. (Il va falloir que j'arrête de m'éparpiller quand même). J'aime particulièrement cette trame. Elle m'oblige à sortir de ma zone de confort. Si vous aimez n'hésitez pas à voter! (Mon héroïne a un caractère différent de celles que j'ai déjà créées.)

Je tiens aussi à remercier P-Oenothera pour sa sublime couverture. J'aurais pas pu rêver mieux.  Thank you so much, you're the best <3

Précision importante: ce chapitre et cette histoire en général contiennent des scènes, des propos et des actions qui peuvent heurter la sensibilité des lecteurs. 

La rue était bondée de monde.

Les marchands ambulants se bousculaient en hurlant que leur marchandise était la meilleure. Les passants les plus dégourdis les esquivaient sans un regard. Les plus gentils se faisaient alpaguer sans pitié et se sentaient obligés d'acheter les produits de l'escroc pour s'en libérer.

Les conversations allaient bon train et l'atmosphère était plutôt joyeuse. Les stands colorés des échoppes égayaient le paysage.

Néanmoins, le cortège royal mettait rapidement fin à l'agitation ambiante. La file de serviteurs et de gardes imposait le respect et les gens se poussaient pour leur faire place. Un silence irréel s'abattait quand la couchette de la princesse passait et l'on échangeait des regards surpris devant l'incongruité de cette visite.

La princesse ne sortait jamais. Que faisait-elle dehors ce jour-là, dans la rue principale d'Inolia ?

Mika se laissait bercer par la marche des esclaves qui portaient sa litière. Elle était habituée à se mouvoir ainsi, et pourtant elle n'avait jamais pu s'y faire complètement. Certainement le fait de savoir que des hommes souffraient pour lui permettre de se déplacer avec le luxe que son rang imposait. Personne n'était plus puissant qu'elle dans le royaume, mis à part le roi lui-même, son infâme cousin Faltan. Si elle avait été un homme et non une pauvre femme, elle aurait été l'héritière légitime du trône. Mais ses parents n'avaient eu qu'une fille et lorsqu'ils étaient morts empoisonnés par un de leur serviteur, c'était Faltan qui avait été couronné roi à sa place.

Mais elle s'en moquait bien. Son statut lui convenait parfaitement. Si le roi lui-même ne lui rendait pas la vie impossible, elle aurait même pu être heureuse, un petit peu, du moins.

C'était Faltan qui avait ordonné qu'elle sorte aujourd'hui. Soi-disant qu'elle n'était bonne qu'à être dans ses pattes.

Mika secoua la tête. Elle ne voyait pas comment elle aurait pu se mettre en travers de son chemin. Elle restait enfermée dans sa chambre toute la journée en se demandant à quoi pouvait bien ressembler le monde. Chose qu'elle ne saurait jamais, à son plus grand regret.

— Votre Altesse ? Tout va bien ?

La princesse sortit de ses rêveries et se concentra sur la voix de sa servante et meilleure amie, Tiana. Elles avaient beau se connaître depuis l'enfance, Tiana ayant toujours été au service de Mika, l'esclave ne s'était jamais résolu à user du prénom de la princesse pour s'adresser à elle. Cela avait toujours agacé Mika, mais elle ne protestait plus depuis longtemps. La servante avait deux ans de plus qu'elle, ce qui faisait dix-sept ans pour Tiana, et quinze pour Mika.

— Ne t'inquiète pas, Tiana. Je vais bien. Je suis juste perdue dans mes pensées.

Ce qui n'était pas tout à fait vrai. Mika voyait bien dans quel état était le Royaume, et cela la rendait malade. Elle savait au plus profond d'elle-même que, si c'était elle qu'on avait assise sur le trône et pas son cousin, la situation aurait été bien différente.

— Sa Majesté le roi n'a pas le droit de vous ordonner de suivre les cuisiniers ! C'est humiliant et déshonorant ! Votre place est dans le château, dans la salle du trône pour délibérer avec les conseillers du roi ! Pas ici à faire ses emplettes !

Mika s'autorisa un sourire.

— Tu es plus hardie d'année en année, ma chère Tiana. Il y a deux ans de cela, tu ne te serais jamais permis ce genre de réflexion. J'ose espérer par conséquent qu'un jour tu m'appelleras enfin par mon prénom...

Il y eut un blanc.

— Veuillez pardonner mon impertinence, Votre Altesse, je n'aurais jamais dû dire cela.

— Tant pis pour le prénom alors, soupira-t-elle. Ne t'excuse pas, va. Ça me divertit de te voir te rebeller contre le système. Même si c'est franchement inutile. Évite juste de le faire devant le roi, je ne suis pas certaine qu'il le prendrait aussi bien que moi.

— Je ne suis pas assez stupide pour ça, Votre Grâce.

— Oh, ça je le sais, s'esclaffa Mika.

La servante répliqua quelque chose, mais Mika ne l'entendit pas. Un bruit avait capté son attention. Un bruit à vous glacer le sang, qu'elle ne connaissait que trop bien. Le son d'un fouet heurtant la chair d'un homme. Et pire encore, le gémissement qui suivait.

***

Dix-huit. Il en était à dix-huit. Il les avait comptés. Il voulait connaître le chiffre exact avant de perdre connaissance. Et c'était un bon moyen de pallier à la douleur.

Il était enchaîné sur la place principale, sur le Poteau aux Supplices. Son bourreau, le vendeur d'esclaves qui voulait sa mort, s'en donnait à cœur joie. Il enchaînait les coups avec une endurance étonnante pour son âge, bien malheureusement pour l'esclave qu'il tuait à petit feu.

Soane était condamné à mourir sous les coups de fouet. Il n'avait plus qu'à espérer trépasser rapidement. Malheureusement encore, sa solide constitution laissait présager une lente et douloureuse agonie.

Le marchand d'esclaves, son « maître » leva à nouveau la main et abattit violemment la lanière du fouet sur le dos couleur de nuit du jeune homme. Soane serra les dents en étouffant un cri. Sa peau ne devait plus être qu'un amas de chairs sanguinolentes, à ce stade de la flagellation. Mais pourquoi s'en inquiéter ? Il n'en sortirait pas vivant, de toute façon.

Des trompettes sonnèrent tout à coup et Stark, le bourreau, qui s'apprêtait à asséner son vingtième coup, s'arrêta net. Un silence stupéfait se fit dans la foule des badauds rassemblés là pour l'évènement, suivi presque immédiatement pas un murmure collectif excité.

Soane ne put retenir un gémissement frustré. Si trompettes il y avait, cela ne pouvait signifier qu'une chose : un membre de la famille royale était de sortie. Et en plus de ça, si ledit membre avait pris la peine de s'annoncer en fanfare, c'est qu'il comptait intervenir. Il ne manquait plus qu'une tête couronnée ne se mêle de son exécution ! Il avait été plutôt heureux d'apprendre qu'il périrait par le fouet. Il n'avait aucune envie qu'on change cela en écartèlement.

— Son Altesse Royale Mikaïla Kolina, princesse du Royaume de Soudra ! un héraut clama-t-il avec emphase.

De toute façon, il n'y avait pas trente-six possibilités. Il ne pouvait s'agir que du roi ou de la princesse. Comme le souverain ne s'aventurait jamais dans cette partie de la ville, il y avait très peu de chance qu'il s'agisse de lui.

Soane releva la tête et se retourna légèrement pour assister à la scène. Toute la populace s'était agenouillée face contre terre, y compris l'infâme Stark. Le jeune esclave, lui, ne pouvait pas se trouver plus bas qu'il ne l'était déjà. Une immense couchette ambulante se trouvait à une dizaine de mètres de lui, suivit par tant d'esclaves et de gardes qu'il lui fut impossible de les compter.

Une jeune servante sortit du véhicule en poussant un des rideaux et plissa les yeux. Elle embrassa la scène du regard, tandis l'oreille en écoutant ce que quelqu'un lui disait de l'intérieur de la couchette et hocha la tête.

— Son Altesse Royale la princesse Mikaïla exige de connaître les raisons de cette flagellation publique.

Soane vit Stark se relever humblement, le regard toujours rivé au sol.

Ce serpent, pensa-t-il, doit jubiler. Il doit être aux anges, il va pouvoir raconter à la princesse elle-même pour quelles raisons il a condamné à mort l'un de ses esclaves.

Soane serra les dents. Il était bon pour l'écartèlement.

— Votre Altesse, je suis honoré de savoir que vous vous intéressez aux affaires d'un pauvre marchand d'esclave. Votre Altesse doit savoir qu'elle est aimée de tout son peuple. Elle...

— Trêve de flatteries, marchand ! aboya la servante. La princesse s'impatiente.

Stark fit une nouvelle révérence, un léger sourire sur les lèvres que seul Soane put apercevoir de sa position.

— Cet esclave, dont j'ai pris soin, que j'ai nourri avec mes maigres économies, ce pourceau ingrat a essayé de me tuer.

Soane eut presque envie de rire. Non seulement Stark n'était pas pauvre, mais en plus il n'avait jamais pris soin de qui que ce soit, encore moins des hommes et des femmes qui constituaient sa marchandise.

La servante se pencha à nouveau vers la couchette. Elle écouta quelques secondes puis acquiesça.

— Pourquoi a-t-il fait cela ?

Le sourire du marchand s'élargit. Il le cacha derrière un masque d'une profonde tristesse.

— L'ingratitude, Votre Altesse. La soif de sang également. Ces esclaves sont des animaux. Ils ne comprennent rien à rien et n'ont aucune reconnaissance. Ils...

— La princesse, le coupa à nouveau la servante, veut connaître la version de l'esclave.

Le sourire de Stark s'évanouit aussitôt, faisant place à une panique sans borne.

Soane, tout d'abord surpris, attendit qu'un des hommes de Stark le libère de ses chaînes et se redressa péniblement. Il hocha respectueusement la tête vers la couchette. Un murmure d'étonnement parcourut la foule. Le jeune homme avait la carrure d'un ours levé sur ses pattes arrière. Sa peau noire était luisante de sueur.

— Votre Altesse, commença-t-il de sa voix puissante, j'ai bel et bien essayé de tuer cet homme.

Le murmure dans la foule s'intensifia. Soane éleva la voix.

— Je l'ai fait, Votre Grâce, parce que ce serpent a violé ma petite sœur, qui fait aussi partie de sa marchandise, de nombreuses fois. Je l'ai fait pour la protéger.

Soane se tut et garda les yeux fixés sur la couchette. Puisqu'il allait mourir, autant qu'il conserve sa fierté jusqu'au bout. Il ne supplierait pas, comme il ne donnerait pas plus d'explications. Il comptait mourir aussi libre qu'il le pouvait.

Le silence se fit, puis un léger chuchotement provenant de la couchette fut perçu par le jeune homme. La servante sourit légèrement et acquiesça à nouveau.

— Son Altesse la princesse ordonne que l'esclave soit épargné. Elle demande également à ce qu'on lui redonne sa liberté, à lui et à sa sœur.

La foule, ahurie, explosa en murmures inintelligibles. Soane resta pétrifié de surprise, la bouche ouverte et les yeux écarquillés. Il ne pouvait pas croire à ce qu'il venait d'entendre. Sa petite sœur, libre ? Lui, gracié ? C'était trop beau pour être vrai !

La réaction de Stark ne se fit pas attendre. Le marchand d'esclaves s'empourpra et serra les poings.

— Son Altesse est trop bonne ! Cet esclave ment, il mérite la mort et rien d'autre !

La servante montra les dents :

— Tu oses aller à l'encontre d'un ordre direct de Son Altesse ? Tu sais ce que tu risques, petit impertinent ?

Une main blanche sortit de derrière le rideau et se posa sur l'épaule de la servante. Celle-ci, surprise, aida la princesse à descendre de son véhicule.

Soane écarquilla les yeux. Il avait entendu bon nombre de rumeurs à son sujet. Comme quoi personne ne l'avait jamais vue. Comme quoi elle ne s'adressait jamais à voix haute aux autres, mais passait toujours par sa fidèle servante. Comme quoi elle ne voulait pas qu'on la reconnaisse parce qu'elle aimait cultiver le mystère autour de sa personne. Certains disaient même qu'elle était défigurée.

Pourtant, il ne put s'empêcher d'être surpris en l'apercevant pour la toute première fois. Elle n'était pas très grande, un mètre soixante tout au plus, et était vêtue d'une longue tunique blanche ceinte d'une ceinture dorée. Mais le plus surprenant venait de son visage. Il était masqué par un long voile blanc tenu sur sa tête par une petite tiare. On ne pouvait qu'apercevoir vaguement ses traits, par exemple là où son nez faisait une petite bosse sous le tissu. Une cascade de cheveux bruns ondulés tombait sur ses épaules.

Soane se demanda comment elle faisait pour voir avec cette chose devant les yeux. La princesse rejeta les épaules en arrière et redressa fièrement la tête.

— Je t'ai donné un ordre, marchand, s'exclama-t-elle d'une voix cristalline, mais forte. Si tu refuses d'obéir, c'est toi qui te retrouveras enchaîné à ce poteau. Me suis-je bien fait comprendre ?

Stark se répandit en excuses inintelligibles et ordonna d'un geste qu'on libère les deux esclaves. Quelqu'un cria son nom dans la foule de badauds rassemblés et il reconnut immédiatement la voix de Filia, sa sœur. Elle accourut vers lui, le visage crispé par la peur et le soulagement. Des larmes traçaient des sillons mouillés sur ses joues couleur ébène. Filia se jeta à son cou en sanglotant. Elle avait à peine quatorze ans et lui arrivait tout juste au niveau du torse.

Il la serra immédiatement dans ses bras et lui murmura des paroles apaisantes.

Quand il leva les yeux, il découvrit que Stark redoublait d'inventivité pour attirer l'attention de la princesse. Mais celle-ci ne le regardait même pas. Sa tête voilée était tournée dans la direction des deux esclaves. Soane ne pouvait deviner ses sentiments, comme il ne pouvait pas voir les expressions de son visage. Mais il hocha respectueusement la tête pour la remercier. Stark se tourna vers lui et le foudroya du regard. Il n'avait pas l'air content du tout. En fait, son visage exprimait une rage et une fureur qui n'annonçaient rien de bon.

Soane comprit qu'il allait devoir protéger ses arrières s'il ne voulait pas finir égorgé au coin d'une rue. Il n'arrivait pas à croire que cette situation était réelle. Qu'il soit libéré, lui, était déjà un miracle. Mais que sa sœur soit affranchie également ? C'était inespéré, le plus beau cadeau qu'on lui ait jamais fait.

Il aurait voulu exprimer sa gratitude à la princesse plus amplement, mais celle-ci était déjà remontée dans sa couchette et sa servante la suivait de près. En quelques secondes, les esclaves se remirent en marche et la procession s'éloigna et disparut, aussi vite qu'elle était arrivée.

Soane fit passer sa petite sœur fébrile derrière lui. Il avait dix-huit ans. Cela faisait neuf ans que ses parents les avaient vendus, Filia et lui. Ils étaient passés de mains en mains, chez des maîtres tantôt bons, tantôt brutaux. Le seul point positif est qu'ils n'avaient pas été séparés, comme le voulait la loi. Mais le pire avait été de se retrouver chez Stark. Le marchand d'esclaves avait été d'une cruauté sans nom à leur encontre et il avait retardé la vente pour abuser de Filia. Soane avait envie de lui arracher les yeux rien que pour avoir posé son regard torve sur sa petite sœur chérie.

Mais maintenant, pour la première fois depuis neuf ans, ils étaient libres. Libres comme le vent. Et le jeune homme ne comptait pas s'éterniser dans le coin pour savoir si cette liberté tiendrait dans la longueur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top