Scène XV
Accrochée au bras de monsieur le maire. Les yeux obstinément baissés sur le sol. On la regardait, on saluait le maire. On la détaillait, on gardait le maire pour discuter de tout et de rien. On l'examinait, le maire la présentait enfin.
« Mon amie, mademoiselle Émilie Mathieu. Ma future épouse. »
On la regardait toujours.
Elle ne souriait qu'à peine et saluait du bout des lèvres.
Les premières promenades furent une torture.
« Parle-leur, avait conseillé Valjean, conscient de son malaise. Ils n'attendent que ça !
- Parler de quoi ? Des crimes sur les quais ? De l'inspecteur Javert ?
- Émilie !
- Jean ! »
Choc de deux volontés !
Émilie n'était pas une poupée.
La fiancée de M. Madeleine était donc une femme taciturne, brune de peau et de visage, et les yeux éternellement baissés sur le sol.
Sauf à quelques exceptions près ! Parfois, quelque chose, un propos anodin, lui faisait relever la tête et la vue était impressionnante.
Des yeux gris transparents, étincelants de colère le plus souvent.
Et cela faisait penser à quelqu'un ! Mais à qui ? À qui ? À qui ?...
On commençait à murmurer le nom de l'inspecteur honni...mais on ne trouvait aucun lien...
Une sœur ?
Le premier dimanche à la messe fut aussi une torture pour l'ancien inspecteur devenu une femme.
Le prêtre fut tellement content de rencontrer la fameuse maîtresse de M. Madeleine ! Un homme si pieux perdu dans le péché de chair ! Mais le maire allait régulariser la situation et tout le monde était soulagé.
Le prêtre soupirait de soulagement et son sermon tourna autour du sacrement du mariage, de Messaline et de Bethsabée...
Chacun savait qui était visé par ces propos ! On souriait avec moquerie, dédain..., mépris...
Javert gardait les yeux sur le sol, les joues brûlantes. Il était tellement furieux qu'il faisait craquer le cuir de ses gants et serrant les poings.
Il lui suffisait de quitter la ville et de revenir sous son uniforme et le chef de la police reprendrait la situation de main de maître.
Valjean en tombait des nues !
Il était désolé de découvrir ce mépris et cette haine envers sa fiancée. Il était désolé de voir Émilie aussi en colère.
Cela rappelait tellement l'inspecteur Javert à monsieur le maire.
Valjean posa sa main sur celles de Javert, se voulant apaisant. Dieu qu'il aimait cette femme et qu'il détestait tous ces gens de lui faire autant de mal !
Le regard que posa M. Madeleine sur le prêtre fut aussi froid que dur. Le curé en fut surpris, choqué même.
Le maire se faisait protecteur auprès de sa fiancée. Il ne laissa personne les approcher.
Puis, à chacune des messes, le maire plaça la femme qu'il aimait tout contre la protection d'un des piliers, contre lui, à l'abri de tous. Elle gardait les yeux baissés sur le missel, suivant le rituel machinalement.
À la fin de la messe, le maire restait pour sortir le dernier, permettant ainsi à sa fiancée de ne pas avoir à endurer les bavardages des gens.
On commença à se taire...
Puis ce fut bientôt évident pour tout le monde.
L'amour que le maire ressentait pour cette femme inconnue. Ce fut évident par son bras glissé sous le sien, par ses sourires réjouis qu'il n'arrivait pas à cacher, par ses baisers furtifs qu'il ne pouvait pas s'empêcher de lui voler.
À chaque fois, la femme gelait et tentait de le repousser, murmurant juste « Jean » avant de se laisser faire.
La première fois choqua tout le monde, l'inconnue la première, mais on pardonna au maire. Il était si heureux, si amoureux. Un vrai jeune homme !
On apprit peu à peu leur histoire...romancée...
Ils s'étaient rencontrés il y avait vingt ans dans une ville du sud de la France, ils s'étaient longtemps détestés puis la haine était devenu de l'amour. C'était une femme indépendante, elle avait refusé d'épouser M. Madeleine à l'époque. Elle voulait garder sa liberté.
Aujourd'hui, elle revenait dans la vie de son ancien fiancé et avait enfin accepté de l'épouser.
On ne comprenait pas M. Madeleine. On trouvait que cette femme manquait de grâce et de tenue. Elle avait de beaux cheveux, noirs comme la nuit, c'était vrai, et ses yeux étaient exceptionnels. Mais c'était tout.
Froide, sèche, indifférente...
Trois semaines après la publication des bans, toute la ville assista au mariage. M. Madeleine et Mlle Mathieu, n'ayant aucune famille en vie, ce furent les doyens de la commune qui leur servirent de témoins.
Le premier adjoint de monsieur le maire fut fier de le marier. On remarqua la main tremblante de la femme signant son nom. Émotive ?
Dans l'église, la cérémonie fut un peu plus solennelle. Puis l'échange des alliances et le baiser virent clore la scène.
On remarqua la robe, simple et modeste. On apprécia, on critiqua. Difficile de cerner Mme Madeleine.
Enfin, pour terminer cette journée de noces, il y eut un banquet et un bal.
M. Madeleine fit danser sa femme avec douceur. Ils ne pouvaient pas se quitter des yeux. M. Madeleine se pencha pour parler à l'oreille de son épouse et elle se mit à rire aux éclats. Cela détendit l'atmosphère et la rendit plus accessible.
On remarqua aussi que Mme Madeleine ne buvait pas et mangeait peu. On commenta, encore.
Ensuite, ce fut la valse des danseurs. Chacun voulait faire danser Mme Madeleine, et avec politesse, la femme accepta.
Personne n'avait encore entendu le son de sa voix, ou si peu.
Mme Madeleine dansait avec application mais sans réel plaisir, ne prenant qu'une part minime aux conversations
Et il y eut un incident tout à coup.
M. Madeleine était aussi accaparé par les dames ou par ses administrés. On le félicitait et on le congratulait. Le maire laissa donc sa femme seule, au-milieu des invités.
Pour une fois, Mme Madeleine était abandonnée, sans protection.
Javert maudit Valjean de l'avoir délaissée lorsqu'un de ses officiers, l'inspecteur Walle, vint lui demander une danse.
Émilie Madeleine s'efforça de ne pas le regarder dans les yeux mais Walle était furieusement curieux.
Il parlait à tort et à travers.
« Je suis le chef de la police de Montreuil, expliqua-t-il pompeusement. Un poste important ! Il y a tellement à faire ! »
Émilie priait le ciel qu'on la libère lorsque Walle lança :
« Surtout après l'ancien chef. »
Cette fois, elle leva la tête et ses yeux brûlèrent.
Il ne comprit pas et poursuivit, content d'avoir piqué l'intérêt de madame le maire :
« Un homme courageux, certes, mais vraiment incompétent. Figurez-vous que...
- Comment osez-vous Walle ?, fit la voix sèche et glacée de l'inspecteur Javert.
- Je... »
Elle le fusillait du regard et il fut troublé.
Les yeux de Javert !
« Peut-être j'exagère un peu, c'est vrai. »
Il souriait, inconfortable, tandis que Mme Madeleine l'examinait sans aménité. Ce fut un soulagement de voir s'arrêter la danse.
D'un geste méprisant, rempli de colère, tellement digne de Javert, elle lâcha les mains de l'inspecteur Walle.
Elle retourna s'asseoir et refusa de danser.
On la laissa tranquille. Elle était si farouche.
Cela n'échappa pas à M. Madeleine. Il vint la chercher et la ramena au-milieu des danseurs, malgré ses yeux lançant des éclairs.
Puis il ne la laissa plus seule. Il ne dansa qu'avec elle, les yeux dans les yeux. Il saisit ses doigts et les embrassa.
Il la fit basculer en arrière durant la danse et embrassa sa gorge, la faisant trembler entre ses bras.
Chacun put voir apparaître un sourire magnifique sur les lèvres de madame Madeleine.
C'était que Valjean avait tellement peur de la voir s'enfuir et redevenir l'inspecteur Javert...
Enfin, le repas fut terminé et les époux Madeleine disparurent.
Ce soir, Cosette dormait auprès de sa maman, au couvent. Fantine allait mieux, elle avait quitté l'hôpital pour passer sa convalescence au couvent, près de Sœur Simplice.
La gouvernante de Cosette avait eu sa soirée et la logeuse était partie depuis longtemps, laissant les époux Madeleine seuls.
Leur nuit de noce !
Valjean se montra doux et prévenant. Il prit sa femme entre ses bras et la porta au-dessus du seuil. Elle rit, serrant la nuque de son mari avec force. Ils avaient un peu bu, leurs baisers avaient un goût de champagne.
Valjean ferma la porte d'un coup de pied bien placé, refusant de la poser à terre.
« Voyons M. Madeleine, gronda-t-elle gentiment.
- Je suis un homme fort !, fanfaronna-t-il.
- Mon tendre M. Madeleine... Mon Jean... Jean Valjean... »
Son nom ! Son vrai nom mourrait sous les lèvres de Valjean qui embrassait doucement Javert, pour la faire taire.
Il réussit à fermer la porte à clé, avec un beau mouvement d'équilibriste, faisant rire la femme ainsi ballottée.
Enfin, Valjean monta les escaliers pour arriver dans la chambre, Javert toujours dans ses bras.
« Cela devient ridicule, » fit-elle.
Mais ses yeux parlaient un autre langage, ses mains glissées sur sa nuque, son visage collé contre sa poitrine, tout racontait une autre histoire. Il la déposa sur le lit et la regarda, content de lui.
Elle voulut effacer son sourire suffisant, si agaçant, par un baiser.
Il devint vite chaud et affamé.
« Madame Madeleine, ma femme, mon épouse...
- Madame Valjean ! Pour toi ! Pour nous !
- Madame Valjean ! Dieu ! Je t'aime Émilie... »
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