Scène XIV

Valjean la regarda attentivement. Ils ne s'étaient pas beaucoup vu ces dernières semaines. Javert travaillait beaucoup et M. Madeleine agrandissait l'usine.

Il laissa sa main caresser la joue couverte par les favoris. Il vit la maigreur, la fatigue et fronça les sourcils.

« Je vais prendre soin de toi ! T'obliger à manger et à dormir !

- Je ne veux pas être une poupée !, claqua sèchement le policier.

- Ce n'est pas que pour toi, ma douce, c'est aussi pour lui ! »

Valjean tenait Javert dans ses bras, entourant sa taille puis ses mains glissèrent sur le ventre, dur et musclé, encore plat.

« Lui... Notre enfant... Notre amour...

- Jean, tu n'es pas fâché alors ? »

Une question posée sur une voix si timide, elle choqua Valjean.

« Fâché ? Pourquoi serai-je fâché ?

- Je suis une idiote ! Je n'ai pas pensé à ça. Je n'ai rien pris. Si tu veux que je... »

Il la fit taire, horrifié de ce qu'elle disait, de ce qu'elle sous-entendait. Il plaqua sa bouche sur la sienne. Un baiser désespéré.

« Tais-toi ! Je suis heureux ! Tu me fais le plus beau cadeau du monde ! Un enfant ! Je remercie le ciel pour cette bénédiction. »

Il la relâcha lentement avant de poser encore ses lèvres sur les siennes en guise de bâillon. Elle s'abandonna à sa douceur et rendit le baiser.

Puis on frappa à la porte de la bibliothèque et les deux hommes se séparèrent précipitamment.

Mme Delacour apparut, surprise de voir le chef de la police encore là avec M. Madeleine.

« Le dîner est prêt à être servi, monsieur le maire. Est-ce que monsieur l'inspecteur reste ?

- Oui, répondit aussitôt M. Madeleine.

- Non, » opposa Javert.

Comme le maire paraissait choqué, Javert s'expliqua :

« Je dois préparer mon départ, monsieur le maire. Et désigner un successeur qui vous agrée, le temps que Paris nomme un nouvel inspecteur pour me remplacer.

- Javert ! Cela peut attendre demain !

- Non, monsieur. Je vous souhaite une bonne nuit. »

Javert s'inclina et partit, non sans avoir promis de revenir...par ses yeux regardant intensément M. Madeleine...

La logeuse vit tout cela avec incrédulité.

Javert partait !

Vite, elle rêvait de rejoindre sa voisine Mme Peguet.

A peine installé à table, impatient de retrouver sa compagne, M. Madeleine vit la porte s'ouvrir pour laisser passer Émilie Mathieu. Le maire était soulagé.

Mlle Mathieu déposa un sac de voyage, très lourd, sur le sol.

Valjean se leva, horrifié de la voir transporter quelque chose de lourd.

« Mais qu'est-ce que tu fais ?, demanda-t-il sèchement.

- J'emménage. Veux-tu m'aider ?

- Tu emménages ? »

Vérifiant l'absence de témoins, Javert ajouta :

« Comment vais-je expliquer mes robes à ma propre logeuse demain ?

- Tu emménages ?! »

Le même sourire, heureux, bat, naquit sur les lèvres de Jean Valjean et fit étinceler ses yeux bleus.

Cela fit lever les yeux au ciel à Javert. Puis, M. Madeleine se précipita à son aide.

Il y avait deux malles dans l'entrée.

« Comment as-tu fait pour les transporter ?

- J'ai demandé de l'aide à l'inspecteur Javert.

- Quoi ?

- Il a été un galant homme. Il était sur sa patrouille et a accepté de faire un détour pour m'aider. Il a même demandé à deux de ses hommes de l'assister. »

Cela rassura un peu Valjean. Il eut un sourire amusé en imaginant deux des officiers de Javert transporter des malles laissées dans la rue pour aider une femme invisible.

La maîtresse de M. Madeleine !

« Viens dîner, ma douce ! »

Ce soir, il voulait oser. Ce soir, enfin, il la sentait réceptive. Tellement effrayée, tellement bouleversée. Il voulait l'apaiser.

M. Madeleine l'entraîna dans la salle à manger. Il se chargea de monter les malles dans sa chambre. Bientôt leur chambre.

Demain, ils rangeraient à sa convenance, elle décidera de tout. Il faudra peut-être une nouvelle armoire ?

Valjean était heureux d'avoir de telles pensées. Sa femme, son épouse, son enfant.

Jamais le forçat évadé, ancien voleur et fraudeur d'identité, n'avait espéré avoir cela de sa vie.

Ils dînèrent...se regardant dans les yeux, restant silencieux mais se souriant avec douceur.

La logeuse les servait, toujours aussi choquée par cette intimité indigne entre deux personnes non liées par le mariage.

Une fois la table desservie, Valjean prit la main de Javert, l'embrassant avec affection.

Elle lui sourit, amusée.

« Qu'est-ce qu'il y a Jean ? »

Puis elle comprit et perdit son sourire. Valjean se laissa glisser sur ses genoux, aux pieds de son amante.

« Veux-tu me faire l'honneur de m'accepter comme époux ? »

Mme Delacour resta bouche bée devant cette scène.

« Jean ?, » souffla Émilie, paniquée.

Valjean ne dit rien, attendant sa réponse, un peu inquiet malgré tout.

« Très bien, Jean, concéda Émilie. J'accepte de devenir ta femme.

- Ma douce... »

Il embrassa encore ses doigts avant de se redresser pour capturer ses lèvres.

« Demain, tu viens vivre ici !

- Oui, Jean, » fit-elle, soumise.

Le baiser s'approfondissait, devenant sauvage.

« Demain, je ne te laisserai plus jamais partir.

- Oui... »

Il se leva, conquérant, et l'emmena dans leur chambre. Il la déshabilla et l'aima. Elle gémit sous ses caresses, sous son amour.

« Ma petite femme... »

Le lendemain, elle disparut une dernière fois pour renaître en inspecteur Javert. Une dernière fois. Elle avait été malade mais avait réussi à le cacher à Jean Valjean. Elle n'arrivait pas à garder quelque chose longtemps dans son estomac.

L'inspecteur géra son poste, avec efficacité et célérité, puis il nomma Walle pour le remplacer.

On fut surpris d'apprendre son départ précipité mais pas tant que ça. Javert avait été si malade.

L'inspecteur écrivit une lettre de démission à destination de M. Madeleine et une autre pour son patron, le secrétaire de la préfecture de police de Paris, M. Chabouillet.

Enfin, Javert quitta le poste de police après avoir salué ses officiers. Une dernière fois.

Il avait l'impression de partir à la mort.

Le policier se chargea ensuite de son logement, le vidant de ses quelques possessions.

Trois malles et ce fut tout.

Quelques vêtements, ses uniformes, quelques livres...

Javert n'était pas riche.

Le maire arriva à ce moment-là pour prêter assistance à son ancien chef de la police. Il accepta d'entreposer les malles de l'inspecteur chez lui, le temps de sa maladie.

Enfin, on vit l'inspecteur Javert partir avec un sac et prendre la diligence.

Ce fut la dernière fois qu'on vit l'inspecteur Javert à Montreuil-sur-Mer.

Quelques heures plus tard, la maîtresse de M. Madeleine, devenue officiellement sa fiancée, frappait chez le maire.

Pour s'installer chez lui à demeure.

Cosette fut heureuse de la voir.

Elle vivait toujours chez M. Madeleine ; Fantine guérissait lentement. On parlait maintenant de l'installer dans une petite maison, attenante à celle de M. Madeleine. Sous sa protection !

Ses cheveux repoussaient, sa peau redevenait saine et le maire lui avait acheté un dentier avec deux palettes.

Fantine avait retrouvé un sourire.

Parfois, elle taquinait M. Madeleine sur sa mystérieuse bonne amie.

« Cosette m'a dit qu'elle a les mêmes yeux gris que l'inspecteur Javert.

- Je ne crois pas que l'inspecteur ait une sœur. »

Il y eut le premier matin.

M. Madeleine expliqua la situation à toutes ces femmes qui vivaient ou travaillaient chez lui.

La logeuse, la gouvernante, Cosette.

Il y eut le premier dimanche.

M. Madeleine allait à la messe, mais avant de partir, il tendit son bras à Émilie. Elle en fut surprise.

« Tu veux que je t'accompagne ?

- Mme Madeleine doit être une femme pieuse, sourit monsieur le maire. Comme son mari.

- Je ne suis pas à ma place !, grogna Javert.

- Ta place est à mes côtés, partout, toujours...

- Madame Madeleine ?

- J'aimerais t'avoir à mes côtés, s'il te plaît, » plaida Valjean.

Elle rit et saisit son écharpe. M. Madeleine était surpris de la voir aussi féminine. Sa démarche, ses sourires, sa voix.

Il la soupçonnait d'espionner la gouvernante et de la copier un peu, mais il ne s'en plaignait pas. Elle était tellement adorable lorsqu'elle tentait de marcher gracieusement, suspendue à son bras.

Essayant de ne pas claquer ses bottes de façon martiale.

Les premières promenades avaient été si dures. Si contraignantes.

Sa première sortie au jour dans la ville fut une épreuve. Elle n'était qu'une créature de la nuit jusque-là. Une rumeur qui entachait la bonne réputation de M. Madeleine.

Et tout à coup, elle fut visible. Aux yeux de tous.

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