Scène II
La journée se passa doucement.
Valjean avait dormi douze heures d'affilée, la ville de Montreuil avait vécu dans l'inquiétude de perdre son maire bien-aimé. On remercia la présence de Javert, l'inspecteur avait pris les choses en main et gérait d'une main de maître. Surveillant l'usine, surveillant les rues, surveillant la femme Fantine...puis surveillant le maire...
Cependant, il était visible que l'inspecteur était épuisé. Lui aussi était parti dans la nuit. On parlait d'Arras, d'un procès contre un certain forçat nommé Jean Valjean. Bamatabois était parmi les jurés. On racontait la honte de Javert, son aveu sur son erreur et sa promesse de régler cette affaire au plus tôt.
Et Javert était là !
Le soir vint.
Valjean, fatigué d'être couché et maintenant plus reposé, se leva et s'habilla, prêt à partir marcher en ville. Trouver Javert. Lui donner la lettre.
M. Madeleine voulait aussi envoyer des hommes pour ramener la voiture et le cheval de Maître Scaufflaire.
Bref, le maire s'habilla chaudement et sortit. Il heurta un visiteur nocturne devant sa porte.
Il s'excusa et reconnut l'inspecteur Walle.
« Monsieur le maire ! Vous êtes déjà debout ?
- Je vais mieux. Ce n'était que de la fatigue. Je voulais me promener... Je...
- Il est parti chercher l'enfant de la femme Fantine, annonça Walle en souriant, amusé d'entendre le maire buter sur les mots.
- Quoi ?!
- Javert n'est pas là, monsieur. Il est parti pour Montfermeil chercher l'enfant de la femme Fantine. Il a expliqué que cela faisait partie des dossiers qu'il lui fallait clore.
- Il est parti seul ?
- Non. Le sergent Durand l'accompagne. »
Valjean ne savait pas quoi dire. Devant son air distrait, Walle reprit en souriant toujours :
« Vous devriez peut-être rentrer chez vous, monsieur le maire. Javert sera de retour dans deux jours au plus tôt.
- Vous avez raison. Je suis encore un peu affaibli. Bonsoir inspecteur.
- Bonsoir, monsieur le maire. »
Valjean allait disparaître dans sa maison lorsque Walle, n'y tenant plus, dévoila la vraie raison de sa venue.
« Dites monsieur le maire...
- Oui Walle ?
- Avec les gars, on se demande. Enfin, on voudrait savoir...
- Oui Walle ?
- Est-ce que vous avez destitué Javert ? Ou est-ce qu'il a démissionné ?
- Pourquoi cette question Walle ?
- Parce que Javert agit comme s'il mettait son poste au net avant de partir. Il a réglé toutes les affaires en cours, il m'a donné les clés du commissariat, il m'a expliqué comment gérer la paperasse... Et pourtant, il est toujours là. Et vous semblez le chercher partout. On ne sait pas quoi en penser nous autres ! Et on n'est pas les seuls dans la ville.
- Nous sommes en désaccord, Javert et moi, mais nous nous efforçons de régler les choses.
- Donc l'inspecteur n'est pas renvoyé ?
- Non, Walle. »
Un réel soulagement apparut sur le visage de l'inspecteur. Walle devait avoir une trentaine d'années, pas plus. Il retrouva son sourire amical.
« Tant mieux ! Je ne veux pas remplacer Javert. Gérer la paperasse, très peu pour moi ! C'est plus facile d'obéir à des ordres qu'à en donner.
- L'inspecteur Javert est fait pour cela, sourit le maire.
- Oui, en effet. Chez lui, c'est inné ! Ce doit être son côté garde-chiourme qui ressort ! »
Les deux hommes rirent, même si ce fut un rire un peu forcé chez Jean Valjean.
Il fallut attendre trois jours en fait. Trois jours durant lesquels le maire reprit son travail à l'usine et sa charge de maire.
Le cheval et la voiture de Maître Scaufflaire revint accompagnée d'un policier envoyé sur l'ordre de M. Madeleine. Ce fut la seule chose que Valjean réussit à gérer sans trop de peine.
Trois jours d'attente fébrile !
Puis au soir du troisième jour, le maire vint rendre sa visite habituelle à Fantine à l'hôpital et la trouva en grande conversation. Avec une petite fille, maigre et pâlotte, mais dont le sourire était éblouissant. Le maire fut gêné de déranger cette scène intime mais Fantine le vit et lui sourit avec joie.
« Tiens ma Cosette ! Voici le gentil monsieur Madeleine. C'est grâce à lui que je suis soignée.
- Oui, maman, fit la petite voix enfantine. Monsieur Javert m'a parlé de lui. »
La fillette lui souriait aussi maintenant et Valjean sentit son cœur battre plus fort. Il s'approcha et salua.
« Qu'est-ce que M. Javert a dit de moi ?, demanda doucement le maire.
- Que vous étiez un homme bon et gentil et que vous alliez vous occuper de moi et de ma maman.
- Vraiment ?
- Et qu'il fallait avoir confiance en vous.
- Où est l'inspecteur ? »
Valjean posa paisiblement cette question. Il avait peur d'effrayer Fantine mais la malheureuse n'avait plus peur du policier.
« Il est parti, expliqua-t-elle simplement. Il s'est excusé de ne pas m'avoir cru.
- C'est un homme sévère mais juste !, lança M. Madeleine, désolé de la cruauté de Javert à l'encontre de Fantine.
- Il m'a même dit qu'il avait convoqué monsieur Bamatabois pour lui parler de l'agression...même si une simple boule de neige n'est qu'une blague.
- M. Bamatabois a agi comme un imbécile, affirma sèchement M. Madeleine. C'est bien de le remettre à sa place.
- Cher monsieur Madeleine, murmura Fantine, dévoilant son sourire édenté.
- Reposez-vous Fantine. Je vais m'occuper de Cosette. Elle va vivre avec moi le temps de votre rétablissement, si vous le souhaitez bien entendu ?
- Ce serait mon vœu le plus cher, monsieur Madeleine. Tu le veux ma Cosette ? Vivre chez le gentil M. Madeleine ? »
Fantine avait parlé à sa fille d'une voix si douce, si tendre... Cela fit chaud au cœur de Valjean.
Mais la petite fille avait d'autres idées.
« Pourquoi pas chez M. Javert ? »
Il y eut un rire amusé à l'idée de l'inspecteur, coincé chez lui avec une gamine de sept ans.
« Non, petite Cosette, répondit M. Madeleine. Monsieur Javert est un homme occupé et il vit dans un tout petit logement.
- Je suis toute petite !, rétorqua Cosette.
- Et il a beaucoup de travail !
- Il m'a fait monter sur son cheval ! Il n'a qu'à me faire dormir à l'écurie ! Je pourrais m'occuper de son cheval, je l'ai déjà fait à l'auberge. »
Cette fois, l'image d'une petite fille se chargeant des chevaux et des menus travaux domestiques ne fit pas sourire...mais grincer des dents...
« Cosette, opposa le maire, gentiment. Tu vivras chez moi tant que ta maman est trop malade. Ensuite nous aviserons. Soit vous trouverez un logement toutes les deux, soit vous resterez dans ma demeure. Elle est assez grande pour loger tout le monde. »
Cosette n'était pas convaincue mais les yeux de Fantine brillèrent de joie.
« Écoute monsieur Madeleine, ma chérie. Tu reviendras me voir tous les jours.
- Et tu vas aller à l'école, ajouta monsieur le maire. Tu auras ainsi des amies pour jouer avec toi. »
Ce furent aux yeux de Cosette de briller de joie. Finalement, la petite fille acquiesça.
« D'accord maman. D'accord monsieur Madeleine. »
Maman...
Ce mot si simple, si doux, fut le plus puissant des remèdes pour Fantine. Elle sourit, heureuse et tendit la main à sa fille. Ce furent des embrassades attendrissantes entre la mère et sa fille. Puis Sœur Simplice vint chercher l'enfant, il fallait que sa mère se repose.
« Attendez M. Madeleine !, » lança Fantine pour le retenir.
M. Madeleine revint à son chevet et saisit à son tour la main que Fantine lui tendait.
« Merci, monsieur. Vous êtes un ange descendu du Ciel !
- C'est l'inspecteur Javert qui a été chercher votre fille, rectifia doucement Valjean.
- Oui, mais il l'a fait sur votre ordre. Même s'il regrette de m'avoir traitée aussi mal, ce n'est pas lui qui a voulu sauver ma fille.
- Je vais m'occuper de votre petite Cosette. Essayez de vous reposer et de vous soigner.
- Et après ?
- Cosette est en âge d'aller à l'école. Je m'occupe d'elle. Je vous le promets. »
Fantine embrassa la main de M. Madeleine et les larmes vinrent toutes seules.
Valjean se chargea de la petite fille avec joie. Sœur Simplice accepta de s'installer chez le maire, en attendant de trouver une autre solution. Il allait falloir engager une nourrice.
Et tout à coup la demeure si austère du maire de Montreuil se colora et devint pleine de vie.
Il y avait un enfant à la maison !
La seule ombre au tableau était Javert. Valjean se retrouva accaparé par la petite Cosette, il fallut la nourrir, lui trouver un lit, lui choisir une chambre, lui fournir une garde-robe, lui lire une histoire..., lui offrir de l'amour...
Jean Valjean en avait un cœur débordant. La nuit s'épaississait lorsque la petite s'endormit enfin, épuisée par les émotions de la journée.
Maintenant Javert !
Puis Valjean vit l'heure qu'il était et songea aux ragots. Que penserait la logeuse de l'inspecteur s'il venait en pleine nuit chez Javert ?
N'avait-il pas déjà assez couru après l'inspecteur ?
Oui, il oubliait la bienséance... Javert avait raison.
Mais Valjean se précipita sur son manteau.
Merde la bienséance !
M. Madeleine avait toujours la lettre du préfet à donner à Javert. L'homme pensait toujours qu'il était renvoyé et il pouvait agir de façon inconsidérée. Valjean se retrouva bientôt dans la nuit, face à l'immeuble où vit l'inspecteur.
Combien de fois lui a-t-on dit que l'inspecteur était parti ? Il ne voulait pas l'entendre une fois encore !
Valjean n'hésita plus et entra dans l'immeuble. Doucement. Le plus discrètement possible. N'était-il pas un roi de l'évasion ? Ou du moins un spécialiste...
Il se retrouva devant la porte du meublé de Javert. Et il frappa.
On ouvrit aussitôt.
L'inspecteur ne dormait pas.
« Vous ?, fit Javert, décontenancé.
- Chut ! Laissez-moi entrer ! »
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