LE SECRET DE CHAMPOLLION
Parmi les grands silences de l'Histoire, il y a celui de Champollion, qui omet de mentionner, dans sa Lettre à M. Dacier où il formule la toute première transcription de l'alphabet hiéroglyphique égyptien, sa découverte la plus capitale et la plus troublante.
En effet, ce que nous ignorons aujourd'hui, c'est qu'en déchiffrant à la lueur des chandelles les énigmatiques caractères du décret de Ptolémée, il y a trouvé bien plus que ce qu'il était venu chercher. Au milieu des noms des souverains, des Cléopâtre, Thoutmôsis et autres Ramsès qui étincelaient sur la tablette, il en a identifié un autre, impossible, qu'il ne pouvait dévoiler au public sans passer pour un fou. Ce fameux coma de quelques jours dans lequel il serait tombé, aux dires de certains exégètes, à la suite de ses travaux, n'était pas la conséquence de l'épuisement intellectuel et nerveux lié à ses recherches, mais le contrecoup de cette insoutenable révélation, et du cruel dilemme qui l'a finalement persuadé de la laisser dans l'ombre.
Celui qui nous a donné l'égyptologie et légué le secret des hiéroglyphes a emporté le sien dans la tombe, épouvanté par la présence inconcevable sur la pierre de Rosette de ce nom qu'il devait taire à jamais, au risque de tout perdre. Ce nom terrible, qui trônait au firmament des cartouches de pharaons sur l'inscription, ce nom inavouable qui l'a frappé de mutisme jusqu'à la fin de ses jours, et dont il a effacé toute trace dans ses publications ultérieures, c'était le sien.
Qui peut entrevoir ce qu'éprouva le tout premier égyptologue, lorsqu'il se pencha sur ces signes obscurs et découvrit qu'un petit agglomérat d'entre eux signifiait en phonétique, sans aucun doute possible, « Champ-aux-Lions » ? On se figure à peine le gouffre qui s'ouvrit alors sous les pieds de l'infortuné professeur : pouvait-il, sans finir proscrit et enfermé à Charenton, déclarer à l'Humanité que la pierre de Rosette, le décret de Ptolémée, n'étaient pas une simple proclamation politique, mais une prophétie, celle qui annonçait, plus de deux mille ans auparavant, l'avènement de... Champollion ? On le taxerait d'affabulation, de mégalomanie, de délire démiurgique. Il serait la risée de l'Académie. Son souvenir serait voué aux gémonies. Voici qu'il détenait la preuve que les anciens Égyptiens, qu'il révérait par-dessus tout, étaient encore bien plus que ce qu'il avait cru jusqu'alors : ils avaient prédit, du fond des temps, le nom de celui qui viendrait un jour exhumer et ressusciter leur empire disparu. Et il ne pouvait en faire part à personne.
Ainsi, pour éviter d'échouer sur le bûcher des hérésies archéologiques, Champollion se résolut-il à taire sa plus importante trouvaille, le message que lui avaient envoyé à travers les siècles les scribes d'antan, le secret qui aurait pu changer la face du monde. Il n'en connut pas moins la gloire qui lui revenait, en tant qu'inventeur d'une nouvelle science et traducteur génial d'une langue demeurée jusqu'à lui incomprise, mais toute sa vie fut hantée par le remords de ce silence coupable, par l'idée d'avoir caché à l'univers le cœur et l'âme véritables de cette Égypte perdue qu'il avait tant œuvré à retrouver.
La légende dit que désormais, dans l'autre monde, Champollion est condamné à errer sur une plaine sans fin, éternellement pourchassé par deux lions affamés. Est-ce là sa punition pour avoir trahi le message des anciens Égyptiens ? Ou paie-t-il pour son erreur d'interprétation, pour avoir fait le pari présomptueux de lire son propre nom, là où la pierre de Rosette lui annonçait en réalité son châtiment possible dans l'au-delà, ce « Champ-aux-Lions » où il doit maintenant courir sans repos ? Il a beau être très versé en Histoire et en langues, là où il est, ses talents naturels lui sont bien inutiles. Il ne s'agit plus de faire le beau devant ces messieurs de l'Académie des Sciences, à présent. Il s'agit d'avoir le pied leste, le souffle long et les mollets entiers.
Traducteurs et interprètes de tous les pays, restez humbles, traduisez scrupuleusement, n'omettez rien, ne mentez pas. Qui sait si les mots perdus ou enfouis ne vous retrouveront pas un jour ?
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