Chapitre 1

« Quelle malchance ! Pourquoi le professeur d'Art a-t-il choisi le château de Briarhill ? Il aurait pu en trouver un autre ; ce n'est pas ce qui manque dans la région. Celui-ci, je l'ai déjà visité plus d'un millier de fois. Certes, il est magnifique et fait partie de l’Histoire, mais je le connais mieux que ma poche. » Voilà les pensées qui tournaient en boucle dans l'esprit d'Amaël depuis le début de la matinée. Il aurait préféré découvrir un nouvel endroit puisque son père était le directeur de ce musée moyenâgeux. Il en connaissait tous les coins et recoins secrets, accessibles ou pas aux visiteurs. Quand il était petit, il avait fait de nombreuses parties de cache-cache avec les guides, ou plus exactement, il essayait de leur échapper pour ne pas avoir à travailler ou à ranger sa chambre. Plus tard, quand il eut l'âge de s'intéresser à la chevalerie et aux châteaux forts, il accompagnait souvent les guides lors des visites de groupes et leur posait de nombreuses questions. Il les connaissait tous ou presque, puisque celui qui était responsable de la visite du jour était un nouveau venu. 

Cela faisait maintenant quatre heures qu'ils déambulaient d'une pièce à l'autre et Amaël commençait à avoir sérieusement mal aux pieds. Ce qui l'aidait à avancer, c'était sa connaissance des lieux : il savait que le groupe n'allait plus tarder à arriver dans la salle du trône. Il s'agissait toujours de la dernière salle présentée aux visiteurs car elle éclipsait toutes les autres, que ce soit au niveau de la taille ou des décorations, vestiges d'une grandeur passée. Soudain, au bout du long corridor de l'entrée, les contours majestueux de la porte de l'ultime salle commencèrent enfin à apparaître. La visite se terminerait bientôt !

Les murs de cette salle magique étaient ornés de nombreuses fresques qui mettaient en scène des animaux fantastiques et incroyables, tels des licornes, des griffons ou des dragons. Quelques statues avec d'innombrables détails occupaient le centre de la pièce. Cette salle avait toujours émerveillé Amaël par la précision des scènes des peintures et par ses somptueuses sculptures, dont le trône est la plus imposante. S'il aimait tant cette salle, c'est aussi parce que les guides avaient l'habitude de laisser vadrouiller les visiteurs dans la pièce après la leur avoir présentée rapidement. Ainsi, chacun pouvait admirer avec attention ce qui  l'intéressait vraiment puis venir poser des questions plus spécifiques aux guides. Il se souvenait de les avoir régulièrement ensevelis sous des montagnes d’interrogations, tant à propos des origines des animaux légendaires que de l’histoire de ces vieilles pierres.

Une fois la rapide présentation terminée, il se dirigea rapidement vers son mur préféré, où de nombreuses fresques mettaient en scène jacklopes, sirènes et kitsunes. Il avait questionné différents guides mais aucun n'a jamais pu lui expliquer la présence de telles créatures dans cette salle, où la plupart des œuvres d'arts racontent l'histoire du château et de ses habitants. Petit à petit, quelques personnes s'approchèrent du pan de mur devant lequel il se tenait, le poussant à partir ailleurs.

Connaissant par cœur les autres fresques murales, il choisit de s'approcher de l'endroit où officiait la famille royale. Deux sièges somptueux étaient encadrés de trois statues tout autant prodigieuses. Cet ensemble avait été sculpté directement dans la pierre sous-jacente servant d'estrade. Il imaginait avec peine les dimensions initiales de la pierre qu'il avait fallu pour la réalisation de ce travail extraordinaire. Non seulement les trônes étaient incroyablement haut, mais l'estrade était également très large : plusieurs personnes  – probablement les gardes du corps et les conseillers –  pouvaient circuler autour du couple royal sans être gêné par la présence des trois statues. Le choix de l'artiste de créer plusieurs éléments dans une même sculpture semblait appuyer sur l'existence d'un lien important reliant les différentes parties. D'après Amaël, ce lien si important qu'il avait voulu mettre en avant représentait les qualités nécessaires à un bon suzerain, ce qui rejoignait l’avis de son père.

La statue de gauche représentait un porc-épic géant, tous piquants sortis. Dans son dos, deux jeunes enfants semblaient terrifiés par un danger face auquel se dressait l'animal, comme le ferait un protecteur. Il avait découvert la symbolique de cette statue une dizaine d'années auparavant, peu après que son père l'ait mis sur la voie. L'indice involotaire qu'il lui avait donné se résumait en une phrase : « Qui s'y frotte s'y pique ». Amaël avait fini par faire le lien avec le devoir de protection envers ses sujets qui doit animer le maître des lieux. En revanche, la présence d'une sirène à droite lui avait posé plus de difficultés. En effet, cette créature mythologique est connue pour envoûter les marins afin de les attirer à elle et les dévorer. Il en était venu à penser que le sculpteur lui avait accordé la place d'honneur pour mettre en garde le couple seigneurial contre le danger des illusions. Par le regard fixe de la statue scrutant avec attention le fond de l'immense pièce, l'artiste semblait montrer la marche à suivre pour ne pas dévier de son chemin : regarder au loin pour ne pas tomber dans les petites crevasses sous nos pieds ou tourner en rond. La troisième et dernière statue était située juste derrière le trône ; il s'agissait d'un magnifique cerf ailé dont la tête était tournée vers le reste de la salle. Elle se retrouvait ainsi à côté de la tête de quiconque s'assoit sur le siège principal et semblait lui parler à l'oreille. Symbole de justice, le cerf paraissait ainsi conseiller celui à qui la place revenait de droit, afin de l'aider à prendre les bonnes décisions. D'après Amaël, il s'agissait de la partie la plus travaillée de la statue et la mieux réussie.

Il contourna le trône pour mieux pouvoir observer le travail incroyable de l'artiste qui rendrait presque le cerf vivant. Les différents poils de l'animal donnaient l'impression de danser dans le léger courant d'air qui traversait la salle à cet endroit. Néanmoins, au milieu de ce travail de titan, la queue de l'animal l'avait toujours déconcerté ; et d’autant plus depuis qu'il avait été accepté en licence d'art. En effet, tout ce que l'artiste avait sculpté était incroyablement réaliste, à croire que l'artiste avait des modèles vivants sous les yeux. Mais dans la statue du cerf, il y avait une certaine discordance entre la queue et le reste de l'œuvre. C'était un petit détail qui ne se voyait pas immédiatement, surtout pour un œil non averti. Mais il avait vécu toute sa jeunesse dans le château et plus particulièrement dans cette pièce, au milieu de créatures légendaires de toutes sortes. Pendant longtemps, il n'arrivait pas à mettre de mots sur le malaise que faisait naître en lui ce détail pourtant insignifiant. Son sentiment de disharmonie était si profond qu'il avait fini par demander à un ami de ses parents d'où venait le problème. Cet homme, professeur en licence d'Art, lui avait expliqué que la queue était trop longue, déséquilibrant ainsi le reste de la statue. D'après ce professeur, peu de personnes auraient pu voir ce détail et avait donc proposé à Amaël de faire une école d'Art  – confortant ainsi son choix initial.

Deux explications pouvaient expliquer ce défaut mineur : soit il y avait eu un problème lors de la conception et le sculpteur n'avait pas pu réaliser une œuvre parfaite, soit il s'agissait d'une métaphore pour signifier que rien ni personne n'est parfait, même la justice ou celui qui la rend. Cette deuxième possibilité correspondait plus à l'artiste que le jeune homme avait appris à connaître au travers de ses œuvres. Cependant, même si l'explication semblait valable, un détail le tourmentait : pourquoi avoir mis cette phrase pleine de sagesse derrière le trône, à l'abri de tous regards ? Obsédé par ces incohérences et ayant du temps à perdre, il alla observer ce petit bout de marbre de plus près. Ce qu'il vit alors le surpris énormément : tout autour du sommet de la queue, un espace à peine visible qu'il n'avait jamais remarqué délimitait la queue de la croupe du cerf. Curieux et ayant oublié le monde qui l’entourait, il essaya de faire jouer le petit morceau de marbre pour savoir si cet espace cachait un mécanisme inconnu. Il parvint soudain à tourner la queue vers lui et à la faire coulisser de haut en bas. Poussé par une intuition, il remit la queue de telle sorte qu'elle soit parfaitement proportionnée par rapport au reste de la statue. Un bruit assourdissant résonna dans toute la salle.

Inquiet d'avoir cassé quelque chose, il regarda attentivement tout autour de toi. Derrière l'estrade facilitant l'accès à la plateforme, trois petites marches étaient en train de coulisser, laissant apparaître un passage caché dans lequel un escalier s'enfonçait vers l'obscurité. Passionné depuis toujours par les souterrains, Amaël choisit néanmoins de demander l'avis d'un connaisseur avant de descendre dans ce couloir. Il se tourna alors vers la porte, où se tenait le guide. Quelle ne fut pas sa surprise quand il s'aperçut qu'il était l'unique personne restante dans la salle. Tous étaient partis déjeuner dans la pièce prévue à cet effet. Étonnamment, le guide était lui aussi sorti, sans vérifier au préalable que tous les visiteurs étaient bel et bien sortis ; il s'agissait d'une faute professionnelle assez grave, puisque le visiteur oublié aurait pu abîmer les œuvres de la pièce. Néanmoins, sa faute lui serait probablement pardonnée étant donné que ledit visiteur oublié était le fils du directeur.

Poussé par la curiosité et mettant de côté toute prudence, Amaël décida de descendre dans le souterrain afin d'en découvrir les secrets. Par chance, il avait mis une lampe frontale dans ton sac le matin même, afin d'observer les petits recoins sombres du château. Il s'aventura donc vers l'inconnu, en ayant l'espoir de pouvoir enfin découvrir quelque chose de nouveau pendant cette visite. L'escalier sembla un peu s'affaisser lorsque il fut sur la première marche. Prudent, il s'arrêta quelques instants, puis comme rien ne se passait, continua d’avancer. La descente dura plus longtemps qu'il ne l'avait prévu et il s'arrêta plusieurs fois pour regarder le chemin qu'il avait parcouru. Une fois arrivé en bas, quand tout le poids du jeune homme ne reposait plus sur l'escalier, celui-ci reprit sa hauteur première, tel un ressort qui reprend sa forme initiale. Immédiatement, un bruit résonna dans la cage d'escalier : la trappe se refermait lentement ! Il remonta les marches en courant pour tenter de sortir du souterrain avant sa fermeture complète. Cependant, les marches étaient nombreuses et il arriva trop tard : quand il atteignit le haut de l'escalier, l'espace non fermé était trop étroit pour lui permettre de passer. Il entendit quelques personnes arriver dans la salle au pas de course, sans pouvoir savoir qui elles étaient. Avant que la trappe ne se referme, les seuls mots qui parvinrent à franchir ses lèvres furent  « Aidez-moi ! », mots qui n'aideraient pas beaucoup ses sauveurs à trouver le mécanisme. Il se mit alors à chercher un mécanisme permettant d'ouvrir le passage depuis l'intérieur. Malheureusement, la seule chose qu'il trouva fut la gravure d'un château, dont les contours rappelaient fortement ceux du château de Briarhill sous lequel il se trouvait.

Il resta près d'une demi-heure à côté de la trappe, dans l'espoir qu'ils parviennent à l'ouvrir. Mais cet espoir restait faible, puisqu'il lui avait fallu beaucoup de temps et de connaissances artistiques pour découvrir le mécanisme et que peu de gens auraient la même intuition. De plus, par manque de chance, il avait prêté son téléphone à un ami qui voulait prendre quelques photos de la salle et il se retrouvait donc sans aucun autre moyen de joindre l'extérieur. Pour ne pas devenir fou à rester sans rien faire, il s'aventura dans le long couloir afin d'essayer de trouver une autre sortie. Après tout, dans un passage secret, il y a généralement une entrée et une sortie. Et même si ce n'est pas le cas, il lui semblait préférable de bouger et de faire quelque chose pour s'en sortir que rester ici à attendre sans fin une aide de l'extérieur.

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Lexique :
Jacklope : lapin cornu
Kitsune : renard ayant de une à neuf queues. Il lui en pousse une de plus tous les 100 ans.

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