Chapitre 1
Mix Editions vous propose de découvrir gratuitement le premier chapitre de ce roman.
Le bar était plutôt tranquille en ce début de soirée. Derrière mon comptoir, j'en profitais pour ranger un peu les bouteilles et les verres tout en observant les quelques personnes présentes. Le « Benvenuto » était situé dans le terminal des vols internationaux de l'aéroport Leonardo da Vinci de Rome. Les passagers venaient y boire un café ou un verre en attendant leur embarquement. Nous avions toutes sortes de clients : des familles, des hommes et femmes d'affaires, des groupes d'amis. Depuis trois ans que je travaillais là, je m'amusais souvent à essayer d'imaginer quelles étaient leurs vies. Le métier de barman n'était pas le plus passionnant du monde ni le mieux payé, mais il me permettait de rencontrer beaucoup de gens différents. Et, parfois, des hommes avec qui je passais un moment un peu plus long, bien à l'abri des regards dans l'un des salons privés.
Je n'avais pas besoin de vérifier l'heure ou de contempler le ciel pour savoir que la nuit n'allait pas tarder à tomber. Nous étions au moment de la journée où notre clientèle humaine laissait sa place aux vampires. Par commodité, la plupart des vols de nuit leur étaient réservés. L'enfermement de longue durée, même dans un avion spacieux et confortable, pouvait avoir des effets étranges sur certains vampires. Aucune compagnie aérienne ne voulait prendre le risque de voir se dérouler une tragédie sur l'un de ses vols, comme c'était arrivé plusieurs fois au tout début de l'aviation civile.
N'ayant plus rien à ranger, je pris mon portable pour consulter mes mails. L'appareil sonna au moment même où je l'allumais et je sursautai, manquant de peu de le faire tomber dans l'évier. Je grognai en voyant l'identité de l'appelant, mais répondis tout de même.
— Bonsoir Rosa !
— Salut Samaël ! Je...
— Non, je n'ai pas oublié la fête de Lucinda demain. Et oui, je serai là à midi précises.
— Je ne t'appelais pas pour ça ! se défendit ma cousine.
Je ricanai.
— Ah ? Et alors, tu m'appelais pour quoi ?
Il y eut un long silence avant que je l'entende soupirer.
— Bon, OK, tu me connais trop bien. Mais à part ça, quoi de neuf ?
— Rien.
— Pas de proie à l'horizon, ce soir ?
— Tu sais bien que je ne fais pas dans les vampires. Et les humains sont plutôt rares à cette heure-ci. Mais puisqu'on parle de mes clients, je vais devoir te laisser, j'ai du monde qui arrive.
— Tu ne dis pas ça pour te débarrasser de moi ?
— Bien sûr que si ! Ciao !
Et sans lui laisser le temps de répondre, je raccrochai. J'adorais Rosalina, je la considérais plus comme une grande sœur que comme une cousine mais, parfois, elle était vraiment envahissante. Surtout en ce qui concernait ma vie amoureuse. J'avais beaucoup de mal à lui faire comprendre que ce que je faisais de mon corps ne la regardait absolument pas. Je ne me mêlais pas de ses affaires, elle n'avait pas à se mêler des miennes. Seulement, elle avait toujours veillé sur moi depuis ma plus tendre enfance, me protégeant des moqueries et des brimades que me faisaient subir les autres membres de notre grande famille. Alors malgré son côté mère poule, je n'arrivais jamais à la tenir à l'écart bien longtemps.
***
La nuit se déroula sur le rythme habituel, calqué sur les horaires des vols en partance pour divers coins du monde. Alors que l'aube approchait, la nature de notre clientèle changea peu à peu, les vampires se faisant de plus en plus rares.
Il ne me restait plus que dix minutes avant la fin de mon service lorsque je vis entrer un bel homme brun, incontestablement humain. Il se dirigea directement vers le bar, s'assit sur un tabouret juste en face de moi et sourit. Je sentis un frisson prometteur me traverser. Ses yeux noirs étaient fixés sur moi lorsqu'il commanda un cappuccino. Je m'empressai de le servir, puis m'accoudai au comptoir pour mieux l'observer. Il savoura son café lentement, le terminant en se léchant les lèvres sensuellement. Mes instincts de prédateur s'éveillèrent et, après avoir vérifié que personne ne nous regardait, je soufflai :
— Dans combien de temps part votre vol ?
Il consulta brièvement la pendule au-dessus de moi avant de répondre.
— Deux heures.
Il sourit et se présenta :
— Je m'appelle Enzo.
— Sam.
Je le fixai dans les yeux, laissant les phéromones s'échapper lentement de mon corps et s'infiltrer en lui. Je vis le moment exact où mon pouvoir court-circuita son libre arbitre : ses pupilles se dilatèrent subitement alors qu'un désir violent le submergeait et que son rythme cardiaque s'accélérait. Je n'avais pas vraiment besoin de me servir de mes dons pour le séduire, c'était juste pour gagner du temps... et pour me permettre de lui faire oublier notre rencontre dès que nous en aurions fini. J'avais pris pour habitude de m'effacer de la mémoire de mes amants, ne voulant pas risquer que l'un d'eux ne découvre ma véritable nature.
Alors que je m'apprêtais à lui suggérer de me suivre dans l'un des salons privés, mon attention fut subitement attirée par un mouvement sur ma droite. Un peu surpris, je tournai machinalement la tête. Mon regard se posa sur le visage d'un inconnu qui parvint, bien malgré moi, à me faire oublier la présence d'Enzo. Du coin de l'œil, je vis celui-ci s'éloigner en secouant la tête, brutalement dégagé de mon emprise. Mais je ne m'en souciai pas. Tout ce qui m'importait, c'était cet inconnu qui se tenait à quelques pas, l'air circonspect. Le désir bestial que je ressentais pour cet homme était presque douloureux. Je n'hésitai pas un instant à utiliser mon pouvoir sur lui, voulant l'attirer dans mes filets sans perdre une seconde.
Je le vis se figer, ses yeux d'un vert clair peu commun fixés sur moi. Il était vêtu simplement, en jean et tee-shirt noir. Rasés sur les côtés, ses cheveux couleur corbeau étaient longs sur le dessus et ramenés en une queue de cheval basse. Sans même m'en rendre compte, j'augmentai la puissance de mes phéromones, lui intimant par un ordre silencieux de s'approcher. Il hésita une fraction de seconde puis s'avança jusqu'au bar. Il grimpa sur le tabouret abandonné par Enzo. Je ne pouvais le quitter du regard alors que le désir se faisait de plus en plus pressant. Malgré la puissance de ce que j'éprouvais, je réussis à garder le contrôle et à poser ma question rituelle d'une voix à peu près claire :
— Dans combien de temps part votre avion ?
— Une heure, répondit-il sans me quitter des yeux.
Je souris et il m'imita. Je levai une main pour caresser doucement la peau cuivrée de sa joue. Il frissonna lorsque mes doigts l'effleurèrent. Il avait le teint mat et quelque chose dans la forme de ses yeux me laissait à penser qu'il avait des origines moyenne-orientales.
— Quel est votre nom ?
— Ezra.
— Moi, c'est Sam. Où allez-vous, Ezra ?
Je me surprenais moi-même. En temps normal, lorsqu'un homme me plaisait, je ne perdais pas de temps à apprendre à le connaître. Je l'entraînais dans un coin tranquille, laissais mon envie de lui s'épanouir puis lui faisais tout oublier avant de retourner à ma routine. Seulement, avec celui-ci, c'était différent. J'avais le corps brûlant de fièvre tant je crevais d'envie de le soumettre à mes désirs. Pourtant, j'avais un besoin incontrôlable d'en savoir plus sur lui.
— À Paris, répondit-il de sa voix douce.
— Pour le travail ou le plaisir ?
Il resta silencieux quelques secondes, comme s'il cherchait la bonne réponse.
— Affaires familiales.
J'étais réellement troublé. Et je n'en comprenais pas la raison. Après tout, il n'était pas le plus bel homme du monde, son prédécesseur était bien plus attirant. Mais il y avait quelque chose en lui, dans son regard peut-être, quelque chose qui me donnait envie de le prendre dans mes bras et de l'y garder en sécurité... autant que puisse l'être un humain avec moi...
Je pris tout à coup conscience que mon service devait être terminé depuis quelques minutes. Je pouvais donc quitter le bar sans m'attirer les foudres de mon patron. Je fis le tour du comptoir sans quitter Ezra des yeux, puis lui fis signe de me suivre. Il obéit docilement ; il n'avait de toute façon pas le choix. Une fois dans l'un des salons privés, je refermai soigneusement la porte à clé. Je n'avais aucune envie d'être dérangé alors que j'allais tenter de résoudre le mystère de cet homme qui m'attirait d'une façon si nouvelle. Lorsque je me retournai vers lui, Ezra se tenait debout au milieu de la pièce, les bras ballants, son regard clair fixé sur moi. Je m'avançai lentement, m'imprégnant de son odeur. J'étais certain que plus jamais je n'oublierais sa fragrance si particulière, si agréable. Lorsque je ne fus plus qu'à quelques centimètres de lui, il entrouvrit les lèvres, comme pour parler, mais resta silencieux. Je pouvais entendre son pouls battre furieusement dans ses veines et une soif de sang que j'avais rarement ressentie avec autant d'intensité me dessécha soudainement la gorge. Inquiet à l'idée de lui faire du mal malgré moi, je reculai d'un pas. Il resta immobile, son regard toujours plongé dans le mien.
— Qui es-tu ? soufflai-je d'une voix blanche.
— Ezra.
Je secouai la tête. Je voulais en savoir plus sur lui, mais je ne savais même pas quelles questions poser. Cela n'était pas du tout dans mes habitudes. Je m'approchai à nouveau, retenant mon souffle en espérant que cela suffirait à calmer ma soif. Le désir charnel, lui, était toujours présent. Je sentais mon sexe pulser douloureusement dans mon pantalon et dus faire appel à toute la force de ma volonté pour ne pas l'obliger à se mettre à genoux pour me soulager de sa bouche si appétissante. Je levai la main pour caresser encore une fois sa joue. Le contact entre sa peau et la mienne m'arracha un nouveau frisson d'envie. Il ne bougeait toujours pas, soumis à mon pouvoir. Mon regard se focalisa sur ses lèvres et je me sentis perdre la bataille. Je me penchai lentement vers lui... nos bouches se frôlaient... Elles étaient sur le point de se toucher lorsqu'une sonnerie retentit brusquement dans la pièce, nous faisant tous deux sursauter. Je maudis la personne qui m'appelait à cet instant crucial et attrapai le téléphone pour l'éteindre. Lorsque je reportai mon attention sur Ezra, je le vis cligner des yeux plusieurs fois, l'air hagard. Et avant que j'aie eu le temps de réagir, il fit volte-face et s'enfuit, quittant la pièce à grandes enjambées.
J'étais sous le choc : jamais aucune de mes proies n'avait réussi à se défaire volontairement de mon emprise. Mais ma surprise n'était rien en comparaison de ma frustration. J'avais envie de lui et je refusais qu'il m'échappe. Je le suivis hors du salon, le cherchant des yeux dans le bar, en vain.
— Paris..., soufflai-je, me souvenant de ses paroles.
Je me précipitai dans le terminal et consultai le panneau d'affichage. L'embarquement pour le vol d'Ezra n'allait pas tarder à débuter. Je devais donc me dépêcher si je voulais l'intercepter avant qu'il monte à bord. Je courus en direction de la porte 7. Une fois là, je vis que les passagers commençaient déjà à s'engager dans le couloir menant à l'appareil. Je scrutai les lieux, ne prêtant aucune attention à ceux que je bousculais en cherchant celui que je ne voulais pas laisser fuir. Il n'était pas là. Je fis un second tour de la pièce, mais il n'était nulle part. Il avait sûrement dû embarquer parmi les premiers, pour mon plus grand malheur. Un instant, j'envisageai d'interroger le personnel, mais je savais déjà que cela ne servirait à rien : les consignes de sécurité étaient draconiennes et je ne parviendrais qu'à attirer l'attention sur moi, ce que j'étais censé éviter à tout prix.
J'étais à la fois énervé, frustré et découragé. Le visage et les yeux verts d'Ezra ne cessaient d'apparaître dans mon esprit alors que je retournais vers le bar. Une fois là, je pris mes affaires au vestiaire puis descendis jusqu'au parking. Lorsque je me garai devant mon immeuble, je n'avais aucun souvenir d'avoir effectué le trajet entre l'aéroport et Rome. Perturbé, je fermai les yeux. Les mains serrées sur le volant, je pris plusieurs profondes inspirations afin de tenter de chasser l'image d'Ezra de mon esprit. Voyant que je n'y parvenais pas, je me résignai et descendis enfin de voiture.
L'appartement où je vivais était situé dans un petit immeuble de trois étages dans le quartier Trastevere. Le bâtiment appartenait à ma famille depuis plus d'un siècle. Il y avait un logement par étage. J'occupais celui du troisième, les deux autres étant loués à des vampires. Une fois chez moi, je me laissai tomber sur le sofa en soupirant. Dès que je fermai les yeux, le visage d'Ezra réapparut et, avec lui, le désir et le manque. Je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. Je n'avais jamais ressenti quelque chose d'aussi intense... surtout pas pour un humain. D'habitude, je les séduisais grâce à mes pouvoirs, obtenais d'eux ce dont j'avais besoin, puis je leur faisais tout oublier avant de passer moi-même à autre chose. Ce que je ressentais pour Ezra était différent. Le désir qu'il provoquait en moi était incontestablement plus intense que tout ce que j'avais pu connaître avec les autres. Et surtout, il avait réussi à échapper à mon emprise alors que je l'avais déjà sous mon contrôle. Aucun humain avant lui n'était parvenu à rompre le lien de lui-même. Un court instant, je me demandai si j'avais pu me tromper, s'il avait pu être un vampire... mais non, c'était impossible. Il avait les yeux verts et non rouges. De plus, son odeur était caractéristique des humains.
Je ne sais combien de temps je restai immobile, tourmenté par mes pensées au sujet de cet homme. Une sonnerie stridente me fit émerger lentement du brouillard dans lequel je m'étais plongé sans le vouloir. L'insistance du son était si désagréable que je finis par me lever et me diriger vers la porte d'entrée.
— Ah ! Tu en as mis du temps ! Et tu n'es même pas prêt !
— Bonjour Rosa !
Ma cousine darda sur moi son regard rubis et secoua la tête, faisant voler ses longues boucles brunes. Elle portait une courte robe rouge qui mettait ses formes voluptueuses en valeur.
— Sam ! Tu m'as promis que tu serais à l'heure ! Heureusement que je suis passée te prendre, sinon tu aurais encore été en retard... et tu sais que ta mère déteste ça ! Va vite te doucher et te changer. Tu as une demi-heure !
Je ne répondis pas, me contentant de me réfugier dans ma chambre. Maintenant, j'avais encore moins envie qu'avant d'aller à la fête de ma cousine Lucinda, pourtant je n'avais pas le choix. Si je ne venais pas, outre le fait que Rosa allait m'en parler pendant des mois, voire des années, je risquais de contrarier ma mère... ce que je préférais éviter le plus possible.
Je pris une douche rapide, enfilai un pantalon noir et une chemise verte – de la même couleur que les yeux d'Ezra – avant de natter mes longs cheveux roux qui me descendaient jusqu'au bas du dos. J'aurais aimé les laisser détachés, mais ma mère détestait ma chevelure que certains disaient plus belle que la sienne. Je préférais donc ne pas lui donner un motif de plus de me réprimander. Pour terminer, je remis les lentilles rouges qui dissimulaient la couleur inhabituelle de mes yeux. J'avais subi suffisamment de brimades lorsque j'étais jeune à cause de mes prunelles du même violet que l'améthyste pour avoir compris que je devais les garder en permanence colorées, afin de passer un peu plus inaperçu au milieu des autres membres de ma famille. Je ne pus m'empêcher de sourire, comme à chaque fois. Je pouvais cacher la vraie couleur de mes yeux, cela ne servait à rien puisque, de toute façon, j'étais et serais toujours l'intrus, l'anomalie... le vilain petit canard... le seul et unique mâle né dans une famille de succubes depuis la nuit des temps...
Retrouvez l'intégralité du roman sur http://boutique.mix-editions.fr/ (format numérique et broché) ou sur Amazon, Kobo... Ainsi qu'en commande dans toutes les librairies.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top